1. — Mgr l’évêque d’Alger † a publié, en date du 18 août dernier, une brochure adressée à messieurs les curés de son diocèse, sous ce titre : Lettre circulaire et ordonnance sur la superstition dite Spiritisme. n Nous en citons les passages suivants que nous faisons suivre de quelques observations.
« … Nous avions la pensée d’ajouter une modeste page à ces lumineuses annales, en flétrissant, des hauteurs du bon sens et de la foi, comme il mérite de l’être, le Spiritisme qui, renouvelé de la plus vieille et de la plus grossière idolâtrie, est venu s’abattre sur l’Algérie. † Pauvre colonie ! Après tant de cruelles épreuves, lui fallait-il encore une épreuve de ce genre ! »
Pauvre colonie ! en Effet, ne serait-elle pas bien plus prospère si, au lieu de tolérer et de protéger la religion des indigènes, on eût transformé leurs mosquées et leurs synagogues en églises, et si l’on n’eût pas arrêté le zèle du prosélytisme ! Il est vrai que la guerre sainte, guerre d’extermination comme celle des croisades, durerait encore, que des centaines de mille de soldats auraient péri, que nous aurions peut-être été forcés de l’abandonner ; mais qu’est-ce que cela quand il s’agit du triomphe de la foi ! Or, voici bien un autre fléau ; le Spiritisme qui vient, au nom de l’Évangile, proclamer la fraternité entre les différents cultes, et cimenter l’union en inscrivant sur son drapeau : Hors la charité point de salut. ( † )
« Mais diverses considérations, monsieur le curé, nous ont retenu jusqu’à ce jour. D’abord, nous hésitions à révéler cette honte nouvelle, ajoutée à tant de misères exploitées, avec une amère ironie, par les ennemis de notre chère et noble Algérie. D’autre part, nous savons que le Spiritisme n’a guère pénétré chez nous que dans certaines villes, où les désœuvrés se comptent en plus grand nombre ; où la curiosité, sans cesse excitée, se repaît avidement de tout ce qui se présente avec un caractère de nouveauté ; où le besoin de briller et de se distinguer de la foule ne demeure pas toujours étranger, même à des intelligences de plus ou moins de portée, tandis que le plus grand nombre de nos petites villes et de nos campagnes ignorent, et, certes, elles n’ont rien à y perdre, jusqu’au nom bizarre et prétentieux de Spiritisme. Nous pensions, enfin, que de telles pratiques ne sont jamais destinées à vivre d’une bien longue vie, parce que le désabusement vient vite pour les scandales d’imagination, qui meurent presque toujours de leur propre honte. Ainsi en est-il arrivé des jongleries de Cagliostro et de Mesmer ; ainsi la fureur des tables tournantes s’est calmée, sans laisser après elle que le ridicule de ses entraînements et de ses souvenirs. »
Si le nom même du Spiritisme est inconnu dans le plus grand nombre des petites villes et des campagnes d’Algérie, la lettre circulaire de Mgr l’évêque d’Alger, répandue à profusion, est un excellent moyen de le faire connaître, en piquant la curiosité qui ne sera certes pas arrêtée par la crainte du diable. Tel a été l’effet bien avéré de tous les sermons prêchés contre le Spiritisme, qui, de notoriété publique, ont puissamment contribué à multiplier les adeptes. La circulaire de Mgr d’Alger aura-telle un effet contraire ? c’est plus que douteux. Nous nous rappelons toujours cette parole prophétique, et qui s’est si bien réalisée, d’un Esprit à qui nous demandions, il y a deux ans, par quel moyen le Spiritisme pénétrerait dans les campagnes ; il nous répondit :
« Par les prêtres. – Volontairement ou involontairement ? – Involontairement d’abord, volontairement plus tard. »
Nous rappellerons encore que lors de notre premier voyage à Lyon, en 1860 †
[v.
Banquet offert par les spirites lyonnais à M. Allan Kardec, à l’occasion
de sa visite à Lyon 19 Septembre 1860. Et son retour dans cette ville
en 1861,
Le Spiritisme à Lyon], les Spirites y étaient au nombre de quelques
centaines seulement. Dans cette même année un sermon virulent fut prêché
contre eux, et l’on nous écrivit : « Encore deux ou trois sermons
comme celui-ci, et nous serons bientôt décuplés. » Or, les sermons
n’ont pas fait défaut dans cette ville, comme chacun sait ; et ce que
chacun sait aussi, c’est que l’année suivante il y avait cinq ou six
mille Spirites, et que dès la troisième année on en comptait plus de
trente mille. Pauvre cité lyonnaise ! Ce que l’on sait encore,
c’est que le plus grand nombre des adeptes se trouve parmi les ouvriers,
qui ont puisé dans cette doctrine la force de supporter patiemment les
rudes épreuves qu’ils ont traversées, sans chercher dans la violence
et la spoliation le nécessaire qui leur manquait ; c’est qu’ils prient
aujourd’hui, et croient à la justice de Dieu, s’ils ne croient pas à
celles des hommes ; c’est qu’ils comprennent la parole de Jésus : « Mon
royaume n’est pas de ce monde. » ( † )
Dites pourquoi, avec votre doctrine des peines éternelles que vous préconisez
comme un frein indispensable, vous n’avez jamais arrêté aucun excès,
tandis que la maxime « Hors la charité point de salut » est
toute-puissante ! Fasse le ciel que vous n’ayez jamais besoin de
vous mettre sous son égide ! Mais si Dieu vous réservait encore
des jours néfastes, souvenez-vous que ceux mêmes à qui vous avez refusé
le pain de l’aumône, parce qu’ils étaient Spirites, seront les premiers
à partager avec vous leur morceau de pain ; parce qu’ils comprennent
cette parole : « Pardonnez à vos ennemis, et faites du bien à ceux
qui vous persécutent. »
Mais qu’a donc le Spiritisme de si redoutable, puisqu’il n’occupe que les désœuvrés de quelques villes ? puisque de telles pratiques ne sont jamais destinées à vivre d’une bien longue vie ? puisqu’il doit avoir le sort des jongleries de Cagliostro, de Mesmer et des tables tournantes ?
Pour ce qui est de Cagliostro, il faut le mettre hors de cause, attendu que le Spiritisme a toujours décliné toute solidarité avec lui, malgré la persistance de quelques adversaires pour accoler son nom à celui du Spiritisme, comme ils l’ont fait de tous les jongleurs et charlatans. Quant à Mesmer, il faut être bien peu au courant de ce qui se passe, pour ignorer que le magnétisme est plus répandu qu’il ne l’a jamais été, et qu’il est aujourd’hui professé par des notabilités scientifiques. Il est vrai qu’on s’occupe peu maintenant des tables tournantes, mais il faut convenir qu’elles ont cependant fait un assez beau chemin, puisqu’elles ont été le point de départ de cette terrible doctrine qui cause tant d’insomnies à ces messieurs. Elles ont été l’alphabet du Spiritisme ; si donc on ne s’en occupe plus, c’est qu’on ne cherche plus à épeler quand on sait lire. Elles ont tellement grandi que vous ne les reconnaissez plus.
2. — Après avoir parlé de son voyage en France, qui a eu un plein succès, Mgr d’Alger ajoute :
« Notre première et incessante occupation du retour était de publier une instruction pastorale contre la superstition en général, et en particulier contre celle du Spiritisme, n ne nous ayant détourné que huit jours. »
Voilà, il faut en convenir, un singulier aveu. L’ouvrage de M. Renan, qui sape l’édifice par sa base et qui a eu un si grand retentissement, n’a préoccupé Sa Grandeur que huit jours, tandis que le Spiritisme absorbe toute son attention. « J’arrive en toute hâte, dit-il, et, quoique accablé des fatigues d’un long voyage, sans prendre de repos, je monte sur la brèche.
Nous avons un nouvel et rude adversaire en M. Renan, mais celui-là nous inquiète peu ; marchons droit au Spiritisme, car c’est le plus pressé. » C’est un grand honneur pour le Spiritisme, car c’est reconnaître qu’il est bien plus redoutable, et il ne peut être redoutable qu’à la condition d’être logique. S’il n’a aucune base sérieuse, ainsi que le prétend monseigneur, à quoi bon ce déploiement de forces ? Vit-on jamais tirer le canon contre une mouche qui vole ? Plus les moyens d’attaque sont violents, plus on exalte son importance ; voilà pourquoi nous ne nous en plaignons pas.
« Nous avons appris, dites-vous, à n’en pas douter, que de véritables chrétiens, de sincères catholiques, s’imaginaient pouvoir associer Jésus-Christ et Bélial, les commandements de l’Église avec les procédés du Spiritisme. »
C’est un peu tard pour vous en apercevoir, car il y a trois ans que le Spiritisme est implanté et prospère dans l’Algérie, qui ne s’en trouve pas plus mal. D’ailleurs, la brochure de M. Leblanc de Prébois, publiée au nom et pour la défense de l’Église, a dû vous apprendre qu’il y a en France, à l’heure qu’il est, selon ses calculs, vingt millions de Spirites, c’est-à-dire la moitié de la population, et qu’avant peu l’autre moitié serait gagnée ; or, l’Algérie fait partie de la France.
« Si, dit la circulaire s’adressant aux curés du diocèse, il se trouve dans leurs paroisses des Spirites, de quelque condition qu’ils puissent être, en général les mécréants, les femmes vaniteuses, les têtes faibles, formant toujours le gros des cortèges superstitieux, que le prêtre n’hésite pas à leur déclarer qu’il n’y a aucune transaction possible entre le catholicisme et le Spiritisme ; que, dans leurs expériences, il ne peut y avoir que l’une de ces trois choses : jonglerie de la part des uns, hallucination de la part des autres, et, au pis aller, qu’une intervention diabolique. »
S’il n’y a pas de transaction possible, c’est plus fâcheux pour le catholicisme que pour le Spiritisme, car celui-ci gagnant tous les jours du terrain, quoi qu’on fasse pour l’arrêter, que fera le catholicisme quand la prévision de M. Leblanc de Prébois sera réalisée ? S’il met tous les Spirites à la porte de l’Église, qui restera dedans ? Mais là n’est pas la question pour le moment ; elle viendra en temps et lieu. Le dernier membre de phrase a une haute portée de la part d’un homme comme monseigneur d’Alger, qui doit peser la portée de toutes ses paroles. Selon lui, il ne peut y avoir dans le Spiritisme que l’une de ces trois choses : jonglerie, hallucination, et, au pis aller, intervention diabolique. Notez bien que ce ne sont pas les trois choses ensemble, mais seulement l’une des trois qui est possible ; monseigneur ne paraît pas être bien certain de laquelle, puisque l’intervention diabolique n’est qu’un pis aller. Or, si c’est de la jonglerie et de l’hallucination, ce n’est rien de sérieux, et il n’y a point d’intervention diabolique ; si c’est l’œuvre du diable, c’est quelque chose de positif, et alors il n’y a ni jonglerie ni hallucination. Dans la première hypothèse, il faut convenir que, faire tant de bruit pour une simple jonglerie ou une illusion, c’est se battre contre des moulins à vent, rôle peu digne de la gravité de l’Église ; dans la seconde, c’est reconnaître au diable une puissance plus grande que celle de l’Église, ou à l’Église une bien grande faiblesse, puisqu’elle ne peut empêcher le diable d’agir, qu’elle n’a même pu, malgré tous les exorcismes, en délivrer les possédés de Morzine.
3. — « Nous en étions là, monsieur le curé, de notre labeur apostolique, lorsque nous avons reçu de nombreux articles de journaux, des brochures, des livres, et notamment un discours (celui du Père Nampon), où, sauf les idées générales, nous avons trouvé très clairement et très nettement exposé tout ce que nous allions vous dire ensuite à propos du Spiritisme. Comme nous n’aimons point à refaire sans nécessité ce que nous jugeons être bien fait, nous vous engageons à vous procurer quelques-uns de ces ouvrages, et au moins un exemplaire de ce discours, qui vous éclairera suffisamment sur les procédés, la doctrine et les conséquences du Spiritisme. »
Nous sommes charmé d’apprendre que l’ouvrage du P. Nampon est jugé, par les princes des prêtres, un ouvrage bien fait et après lequel il n’y a rien de mieux à faire. C’est une tranquillité pour les Spirites, de savoir que le Révérend Père a épuisé tous les arguments et qu’on n’y peut rien ajouter. Or, comme ces arguments, loin d’arrêter l’élan du Spiritisme, lui ont recruté des partisans, c’est de la part de ses antagonistes se montrer satisfaits à bon marché. Quant à éclairer suffisamment messieurs les curés sur la doctrine, nous ne pensons pas que des textes altérés et tronqués, ce dont le P. Nampon ne s’est pas fait faute, ainsi que nous l’avons démontré (Revue de juin 1863), soient propres à leur en donner une idée bien juste. Il faut être bien à court de bonnes raisons pour user de pareils moyens qui discréditent la cause qui s’en sert.
« Avant toute chose, ne serait-il pas déplorable de rencontrer en Algérie des chrétiens sérieux qui hésitassent à se prononcer énergiquement contre le Spiritisme ; les uns sous le prétexte qu’il y a là-dessous quelque chose de vrai, d’autres par ce motif qu’ils ont vu des matérialistes forcenés revenir, au moyen du Spiritisme, à la croyance à l’autre vie ? Illogique naïveté des deux parts ! »
Ainsi ce n’est rien d’avoir ramené à la croyance en Dieu et en la vie future des matérialistes forcenés ; le Spiritisme n’en est pas moins une mauvaise chose. Jésus cependant a dit qu’un mauvais arbre ne peut donner de bons fruits. Est-ce donc un mauvais fruit que de donner la foi à celui qui ne l’a pas ? Puisque vous n’avez pu ramener ces incrédules forcenés, et que le Spiritisme en a triomphé, quel est donc le meilleur des deux arbres ? Il est évident que sans le Spiritisme, ces matérialistes forcenés fussent restés matérialistes ; puisque monseigneur veut à toute force détruire le Spiritisme qui ramène des âmes à Dieu, c’est qu’à ses yeux ces âmes n’ayant pu être ramenées par l’Église, il est préférable qu’elles meurent dans l’incrédulité. Cela nous rappelle cette parole prononcée en chaire dans une petite ville : « J’aime mieux que les incrédules restent hors de l’Église que d’y rentrer par le Spiritisme. » Ce ne sont pas tout à fait les paroles du Christ, qui a dit : « J’aime mieux la miséricorde que le sacrifice. » Et cette autre, prononcée ailleurs : « Je préfère voir les ouvriers sortir saouls (sic) du cabaret que de les savoir Spirites. » Ceci est de la démence ; nous ne serions pas surpris que des accès de rage contre le Spiritisme produisissent une véritable folie.
« Que, malgré la voix de leur conscience, des hommes, élevés dans les principes du Christianisme et les ayant malheureusement oubliés, niés dans leur cœur, et combattus dans leurs livres, essayent de pactiser avec ces principes, en admettant une immortalité de l’âme, un purgatoire et un enfer tout différents de l’immortalité de l’âme, du purgatoire et de l’enfer des Évangiles, aient gagné, par le Spiritisme, quelque chose pour la foi et pour leur salut, quel chrétien pourra se l’imaginer, puisqu’ils n’ont mis à la place que les plus sacrilèges blasphèmes de croyance ! »
En quoi le purgatoire des Spirites diffère-t-il de celui des Évangiles, puisque les Évangiles n’en disent rien ? Ils en parlent si peu que les Protestants, qui suivent la lettre de l’Évangile, ne l’admettent pas. Quant à l’enfer, l’Évangile est loin d’y avoir placé les chaudières bouillantes qu’y place le catholicisme, et d’avoir dit, comme on nous l’a enseigné dans notre enfance, et comme on l’a prêché il y a trois ou quatre ans à Montpellier, † que « Les anges ôtent les couvercles de ces chaudières pour que les élus se repaissent de la vue des souffrances des damnés. » Voilà un singulier côté de la béatitude des bienheureux ; nous ne sachions pas que Jésus en ait dit un mot. Le Spiritisme, il est vrai, n’admet point de pareilles choses ; si c’est un motif de réprobation, qu’il soit donc réprouvé !
« On leur fera comprendre également que c’est le renouvellement des théories païennes tombées dans le mépris des sages, avant même l’apparition de l’Évangile, qu’en introduisant la métempsycose, ou la transmigration des âmes, le Spiritisme tue l’individualité personnelle, et met à néant la responsabilité morale ; qu’en détruisant l’idée du purgatoire et de l’enfer éternellement personnel, il ouvre la carrière à tous les désordres, à toutes les immoralités. »
Si quelque chose est emprunté aux théories païennes, c’est assurément le tableau des tortures de l’enfer. Puis, nous ne voyons pas clairement comment, après avoir admis un purgatoire quelconque, nous nions l’idée du purgatoire. Quant à la métempsycose des Anciens, loin de l’avoir introduite, le Spiritisme l’a de tout temps combattue, et en a démontré l’impossibilité. Quand donc cessera-t-on de faire dire au Spiritisme le contraire de ce qu’il dit ? La pluralité des existences qu’il admet, non comme un système, mais comme une loi de nature prouvée par des faits, en diffère essentiellement. Or, contre une loi de nature, qui est nécessairement l’œuvre de Dieu, il n’y a ni système qui puisse prévaloir, ni anathèmes qui puissent l’annuler, pas plus qu’ils n’ont annulé le mouvement de la terre et les périodes de la création. La pluralité des existences, la renaissance si l’on veut, est une condition inhérente à la nature humaine, comme celle de dormir, et nécessaire au progrès de l’âme. Il est toujours fâcheux pour une religion, quand elle s’obstine à rester en arrière des connaissances acquises, car il arrive un moment où, étant débordée par le flot irrésistible des idées, elle perd son crédit et son influence sur tous les hommes instruits ; se croire compromise par les idées nouvelles, c’est avouer la fragilité de son point d’appui ; c’est pis encore quand elle sonne l’alarme devant ce qu’elle appelle une utopie. C’est une chose curieuse, en effet, de voir les adversaires du Spiritisme s’escrimer à dire que c’est un rêve creux, sans portée et sans vitalité, et crier sans cesse au feu !
Selon la maxime : « On reconnaît la qualité de l’arbre à son fruit, » ( † ) la meilleure manière de juger les choses, c’est d’en étudier les effets. Si donc, comme on le prétend, la négation de l’enfer éternellement personnel ouvre la carrière à tous les désordres et à toutes les immoralités, il s’ensuit : 1º que la croyance à cet enfer ouvre la carrière à toutes les vertus ; 2º que quiconque se livre à des actes immoraux ne craint pas les peines éternelles, et s’il ne les craint pas, c’est qu’il n’y croit pas. Or, qui doit y croire mieux que ceux qui les enseignent ? qui doit être pénétré de cette crainte, impressionné par le tableau des tortures sans fin, mieux que ceux qui sont nuit et jour bercés dans cette croyance ? Où cette croyance et cette crainte devraient-elles être dans toute leur force ? où devrait-il y avoir plus de retenue et de moralité, si ce n’est au centre même de la catholicité ? Si tous ceux qui professent ce dogme et en font une condition de salut étaient exempts de reproches, leurs paroles auraient assurément plus de poids, mais quand on voit de si scandaleux désordres parmi ceux-là mêmes qui prêchent la crainte de l’enfer, il en faut bien conclure qu’ils ne croient pas à ce qu’ils prêchent.
Comment espèrent-ils persuader ceux qui sont enclins au doute ? Ils tuent le dogme par sa propre exagération et par leur exemple. Le dogme des peines éternelles jugé par ses fruits, n’en donnant pas de bons, c’est une preuve que l’arbre est mauvais ; et parmi ces mauvais fruits il faut placer le nombre immense d’incrédules qu’il fait chaque jour. L’Église s’y cramponne comme à une corde de salut, mais cette corde est si usée, que bientôt elle laissera aller le vaisseau à la dérive. Si jamais l’Église devait péricliter, ce serait par l’absolutisme de ses dogmes de l’enfer, des peines éternelles, et de la suprématie qu’elle accorde au diable dans le monde. Si l’on ne peut être catholique sans croire à cet enfer et à la damnation éternelle, il faut convenir que le nombre des vrais catholiques est dès aujourd’hui singulièrement réduit, et que plus d’un Père de l’Église peut être considéré comme entaché d’hérésie.
4. — « Il ne sera pas inutile d’ajouter, monsieur le curé, que la paix des familles est gravement troublée par la pratique du Spiritisme ; qu’un grand nombre de têtes y ont déjà perdu le sens, et que les maisons d’aliénés d’Amérique, d’Angleterre et de France regorgent, dès à présent, de ses trop nombreuses victimes ; en telle sorte que si le Spiritisme propageait ses conquêtes, il faudrait changer le nom Petites-Maisons en celui de Grandes-Maisons. »
Si Mgr d’Alger avait puisé ses renseignements ailleurs qu’à des sources
intéressées, il aurait su ce qu’il en est de ces prétendus fous, et
ne se serait pas rendu l’écho d’un conte inventé par la mauvaise foi,
et dont le ridicule ressort de l’exagération même. Un premier journal
a parlé de quatre cas, disait-on, constatés dans un hospice ; [Voir :
Sur la folie spirite] ; un autre journal, citant le premier, en
a mis quarante ; un troisième, citant le second, en a mis quatre cents,
et ajoute qu’on va agrandir l’hospice, et tous les journaux hostiles
de répéter à l’envi cette histoire ; puis Mgr d’Alger, emporté par son
zèle, la reprenant en sous-œuvre, l’amplifie encore en disant que les
maisons d’aliénés de France, d’Angleterre et d’Amérique regorgent des
victimes de la nouvelle doctrine. Chose curieuse ! il cite l’Angleterre
qui est un des pays où le Spiritisme est le moins répandu, et où il
y a certainement moins d’adeptes qu’en Italie, en Espagne et en Russie.
Qu’une brochure éphémère et sans portée, qu’un journal peu difficile sur la source des nouvelles qu’il rapporte, avancent un fait hasardé pour le besoin de la cause, il n’y a à cela rien d’étonnant, quoique cela n’en soit pas plus moral ; mais un document épiscopal, ayant un caractère officiel, ne devrait contenir que des choses d’une authenticité tellement avérée, qu’il devrait échapper jusqu’au soupçon d’inexactitude, même involontaire.
Quant à la paix des familles troublée par la pratique du Spiritisme, nous ne connaissons dans ce cas que celles où les femmes, circonvenues par leurs confesseurs, ont été sollicitées d’abandonner le toit conjugal pour se soustraire aux influences démoniaques apportées par leurs maris spirites. Par contre, les exemples sont nombreux de familles jadis divisées, dont les membres se sont rapprochés d’après les conseils de leurs Esprits protecteurs et sous l’influence de la doctrine qui, à l’exemple de Jésus, prêche l’union, la concorde, la douceur, la tolérance, l’oubli des injures, l’indulgence pour les imperfections d’autrui, et ramène la paix là où régnait la zizanie. C’est encore là le cas de dire qu’on juge la qualité de l’arbre à son fruit. C’est un fait avéré que, lorsqu’il y a division dans les familles, la scission part toujours du côté de l’intolérance religieuse. [Voir : Exemples de l’action moralisatrice du Spiritisme.]
5. — La lettre pastorale est terminée par l’ordonnance suivante :
« A ces causes, et l’Esprit-Saint invoqué, nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
« Art. 1er . La pratique du Spiritisme ou l’invocation des morts est interdite à tous et à chacun dans le diocèse d’Alger.
« Art. 2. Les confesseurs refuseront l’absolution à quiconque ne renoncerait pas à toute participation, soit comme médium, soit comme adepte, soit comme simple témoin à des séances privées ou publiques, ou, enfin, à une opération quelconque de Spiritisme.
« Art. 3. Dans toutes les villes de l’Algérie et dans les paroisses rurales où le Spiritisme s’est introduit avec quelque éclat, messieurs les curés liront publiquement cette lettre en chaire, le premier dimanche après sa réception. Partout ailleurs on la communiquera en particulier, suivant les besoins.
« Donné à Alger, le 18 août 1863. »
C’est la première ordonnance lancée à l’effet d’interdire officiellement le Spiritisme dans une localité. Elle est du 18 août 1863 ; cette date marquera dans les annales du Spiritisme, comme celle du 9 octobre 1860, jour à jamais mémorable de l’auto-da-fé de Barcelone, ordonné par l’évêque de cette ville. Les attaques, les critiques, les sermons n’ayant rien produit de satisfaisant, on a voulu frapper un coup par l’excommunication officielle. Voyons si le but sera mieux atteint.
Par le premier article, l’ordonnance s’adresse à tous et à chacun dans le diocèse d’Alger, c’est-à-dire que la défense de s’occuper du Spiritisme est faite à tous les individus sans exception. Mais la population ne se compose pas seulement de catholiques fervents ; elle comprend, sans parler des juifs, des protestants et des musulmans, tous les matérialistes, panthéistes, incrédules, libres penseurs, douteurs et indifférents dont le nombre est incalculable ; ils figurent dans le contingent nominal du catholicisme, parce qu’ils sont nés et baptisés dans cette religion, mais en réalité ils se sont eux-mêmes mis hors de l’Église ; à ce compte M. Renan et tant d’autres figurent dans la population catholique. Sur tous les individus qui ne sont pas dans la stricte orthodoxie, l’ordonnance est donc sans portée ; ainsi en sera-t-il partout où pareille défense sera faite.
Etant donc matériellement impossible qu’une interdiction de cette nature, de quelque part qu’elle vienne, atteigne tout le monde, pour un qui en sera détourné, il y en aura cent qui continueront à s’en occuper.
Puis on met de côté les Esprits qui viennent sans qu’on les appelle, même auprès de ceux à qui on défend de les recevoir ; qui parlent à ceux qui ne veulent pas les écouter ; qui passent à travers les murs quand on leur ferme la porte. Là est la plus grande difficulté, pour laquelle il manque un article à l’ordonnance ci-dessus. Cette ordonnance ne touche donc que les catholiques fervents ; or, nous l’avons souvent répété, le Spiritisme vient donner la foi à ceux qui ne croient à rien ou qui sont dans le doute ; à ceux qui ont une foi bien arrêtée et à qui cette foi suffit, il dit : gardez-la, et il ne cherche point à les en détourner ; il ne dit à personne : « Quittez votre croyance pour venir à moi ; » il a assez à moissonner dans le champ des incrédules. Ainsi la défense ne peut atteindre ceux auxquels s’adresse le Spiritisme, et elle n’atteint que ceux auxquels il ne s’adresse pas. Jésus n’a-t-il pas dit : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecins. » Si ces derniers viennent à lui, sans qu’il les cherche, c’est qu’ils y trouvent des consolations et des certitudes qu’ils ne trouvent pas ailleurs, et dans ce cas ils passeront sur la défense.
Voici bientôt trois mois que cette ordonnance est rendue, et l’on peut déjà
en apprécier l’effet. Depuis son apparition, plus de vingt lettres nous
ont été écrites d’Algérie qui toutes confirment le résultat prévu. Nous
verrons ce qu’il en est dans le prochain numéro. [Le
Spiritisme en Algérie.]
[1] [Lettre circulaire et ordonnance de Mgr Pavy, évèque d’Alger, sur la superstition dile spiritisme, In-8º, 8 p. Alger, impr. et libr. Bastide ; Constantine, libr. Alessi et Arnolet ; Paris, libr. Challamel alné. — Voir aussi la 1re Pastorale d’Évêque d’Alger sur le Spiritisme et Mort de M. Bizet, curé de Sétif.]
[2] [Vie de Jésus, par Ernest Renan - Google Books.]
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