1. — Dans cette réunion intime et toute de famille, un des membres, M. Guillaume, a bien voulu exprimer les sentiments des Spirites lyonnais dans l’allocution suivante. En la lisant on comprendra que nous ayons dû hésiter à la publier dans notre Revue, malgré le désir qui nous en a été exprimé ; aussi n’est-ce que sur les instances qui nous ont été faites que nous y avons consenti, craignant en outre, par un refus, de mal reconnaître les témoignages de sympathie que nous avons reçus. Nous prions donc nos lecteurs de faire abstraction de la personne, et de ne voir dans ces paroles qu’un hommage rendu à la doctrine.
« A M. Allan Kardec ; au propagateur zélé de la doctrine Spirite !
« C’est à son courage, à ses lumières et à sa persévérance dévouée, que nous avons le bonheur d’être aujourd’hui réunis à ce banquet sympathique et fraternel ;
« Que tous les Spirites lyonnais n’oublient jamais que s’ils ont le bonheur de se sentir améliorés, malgré toutes les influences pernicieuses qui détournent souvent l’homme de la route du bien, ils le doivent au Livre des Esprits ;
« Que si leur existence est adoucie, et si leur cœur est épuré et plus affectueux ; s’ils en ont chassé la colère et la vengeance, ils le doivent au Livre des Esprits ;
« Que si, dans leur vie privée, ils soutiennent avec courage les revers de la fortune ; s’ils repoussent tout moyen basé sur la ruse et le mensonge pour acquérir les biens de la terre, ils le doivent au Livre des Esprits qui leur a fait comprendre l’épreuve, et a mis en eux la lumière qui chasse les ténèbres.
« Si un jour, qui n’est pas éloigné peut-être, les hommes sont devenus humains, fraternels et dévoilés dans une même foi ; si la charité n’est plus pour eux un vain mot, ils le devront encore au Livre des Esprits, dicté par les meilleurs d’entre eux à M. Allan Kardec, choisi pour répandre la lumière.
« A l’union sincère des Spirites lyonnais ! A la Société spirite parisienne dont le rayonnement nous a tous éclairés, qui est la sentinelle avancée, chargée de déblayer la route si difficile du progrès ! Paris † est la tête du Spiritisme, comme Lyon † doit mériter, par son union, son travail, ses lumières et son amour, d’en être le cœur.
« Lorsque le cœur et l’esprit seront unis dans la même foi pour arriver au même but, il n’y aura bientôt plus en France que des frères aimants et dévoués. Grandissons donc par l’union dans l’amour, et bientôt nos sentiments, nos principes couvriront le monde entier. Le Spiritisme, Mesdames et Messieurs, est le seul moyen pour arriver promptement au règne de Dieu.
« Honneur à la Société spirite parisienne ! Honneur à M. Allan Kardec, le fondateur et le premier anneau de la grande chaîne Spirite ! »
GUILLAUME.
2. RÉPONSE DE M. ALLAN KARDEC.
Mesdames, Messieurs, et vous tous, mes chers et bons frères en Spiritisme.
L’accueil si amical et si bienveillant que je reçois parmi vous depuis mon arrivée serait bien fait pour me donner de l’orgueil, si je ne comprenais que ces témoignages s’adressent moins à la personne qu’à la doctrine dont je ne suis qu’un des plus humbles ouvriers ; c’est la consécration d’un principe, et j’en suis doublement heureux, car ce principe doit assurer un jour le bonheur de l’homme et le repos de la société, lorsqu’il sera bien compris, et encore mieux lorsqu’il sera pratiqué. Ses adversaires ne le combattent que parce qu’ils ne le comprennent pas ; c’est à nous, c’est aux vrais Spirites, à ceux qui voient dans le Spiritisme autre chose que des expériences plus ou moins curieuses, de le faire comprendre et de le répandre, en prêchant d’exemple autant que de paroles. Le Livre des Esprits a eu pour résultat d’en faire voir la portée philosophique ; si ce livre a quelque mérite, il serait présomptueux à moi de m’en glorifier, car la doctrine qu’il renferme n’est point ma création ; tout l’honneur du bien qu’il a fait revient aux Esprits sages qui l’ont dicté et qui ont bien voulu se servir de moi. Je puis donc en entendre l’éloge sans que ma modestie en soit blessée, et sans que mon amour-propre en soit exalté. Si j’avais voulu m’en prévaloir, j’en aurais assurément revendiqué la conception, au lieu de l’attribuer aux Esprits ; et si l’on pouvait douter de la supériorité de ceux qui y ont coopéré, il suffirait de considérer l’influence qu’il a exercée en si peu de temps, par la seule puissance de la logique, et sans aucun des moyens matériels propres à surexciter la curiosité.
Quoi qu’il en soit, Messieurs, la cordialité de votre accueil sera pour moi un puissant encouragement dans la tâche laborieuse que j’ai entreprise et dont je fais l’œuvre de ma vie, car il me donne la certitude consolante que les hommes de cœur ne sont pas aussi rares en ce siècle matériel qu’on se plaît à le dire. Les sentiments que font naître en moi ces témoignages bienveillants se comprennent mieux qu’ils ne peuvent s’exprimer, et ce qui leur donne à mes yeux un prix inestimable, c’est qu’ils n’ont pour mobile aucune considération personnelle. Je vous en remercie du fond du cœur, au nom du Spiritisme, au nom surtout de la Société parisienne des études Spirites qui sera heureuse des marques de sympathie que vous voulez bien lui donner, et fière de compter à Lyon un aussi grand nombre de bons et loyaux confrères. Permettez-moi de retracer en quelques mots les impressions que j’emporte de mon trop court séjour parmi vous.
La première chose qui m’a frappé, c’est le nombre d’adeptes ; je savais bien que Lyon en comptait beaucoup, mais j’étais loin de me douter que le nombre fût aussi considérable, car c’est par centaines qu’on les compte, et bientôt, je l’espère, on ne pourra plus les compter. Mais si Lyon se distingue par le nombre, il ne le fait pas moins par la qualité, ce qui vaut encore mieux. Partout je n’ai rencontré que des Spirites sincères, comprenant la doctrine sous son véritable point de vue. Il y a, messieurs, trois catégories d’adeptes : les uns qui se bornent à croire à la réalité des manifestations, et qui recherchent avant tout les phénomènes ; le Spiritisme est simplement pour eux une série de faits plus ou moins intéressants.
Les seconds y voient autre chose que des faits ; ils en comprennent la portée philosophique ; ils admirent la morale qui en découle, mais ils ne la pratiquent pas ; pour eux la charité chrétienne est une belle maxime, mais voilà tout.
Les troisièmes, enfin, ne se contentent pas d’admirer la morale : ils la pratiquent et en acceptent toutes les conséquences. Bien convaincus que l’existence terrestre est une épreuve passagère, ils tâchent de mettre à profit ces courts instants pour marcher dans la voie du progrès que leur tracent les Esprits, en s’efforçant de faire le bien et de réprimer leurs penchants mauvais ; leurs relations sont toujours sûres, car leurs convictions les éloignent de toute pensée du mal ; la charité est en toute chose la règle de leur conduite ; ce sont là les vrais Spirites, ou mieux, les Spirites chrétiens.
Eh bien ! messieurs, je vous le dis avec bonheur, je n’ai encore rencontré ici aucun adepte de la première catégorie ; nulle part je n’ai vu qu’on s’occupât du Spiritisme par pure curiosité ; nulle part je n’ai vu qu’on se servît des communications pour des sujets futiles ; partout le but est grave, les intentions sérieuses, et, si j’en crois ce que je vois et ce qui m’est dit, il y en a beaucoup de la troisième catégorie. Honneur donc aux Spirites lyonnais d’être aussi largement entrés dans cette voie progressive, sans laquelle le Spiritisme serait sans objet ! Cet exemple ne sera pas perdu, il aura ses conséquences, et ce n’est pas sans raison, je le vois, que les Esprits m’ont répondu l’autre jour, par l’un de vos médiums les plus dévoués, quoique l’un des plus obscurs, alors que je leur exprimais ma surprise : « Pourquoi t’en étonner ? Lyon a été la ville des martyrs ; la foi y est vive ; elle fournira des apôtres au Spiritisme. Si Paris est la tête, Lyon sera le cœur. La coïncidence de cette réponse avec celle qui vous a été faite précédemment, et que M. Guillaume vient de rappeler dans son allocution, a quelque chose de très significatif.
La rapidité avec laquelle la doctrine s’est propagée dans ces derniers temps, malgré l’opposition qu’elle rencontre encore, ou peut-être à cause même de cette opposition, peut en faire présager l’avenir ; évitons donc, par notre prudence, tout ce qui pourrait produire une impression fâcheuse, et, je ne dis pas perdre une cause désormais assurée, mais en retarder le développement ; suivons en cela les conseils des Esprits sages, et n’oublions pas que, dans ce monde, beaucoup de succès ont été compromis par trop de précipitation ; n’oublions pas non plus que nos ennemis de l’autre monde, aussi bien que de celui-ci, peuvent chercher à nous entraîner dans une voie périlleuse.
Vous avez bien voulu me demander quelques avis ; je me ferai un plaisir de vous donner ceux que l’expérience pourra me suggérer ; ce ne sera toujours qu’une opinion personnelle que je vous engage à peser dans votre sagesse, et dont vous ferez l’usage que vous jugerez à propos, n’ayant pas la prétention de me poser en arbitre absolu.
Vous aviez l’intention de former une grande société ; je vous ai déjà dit à ce sujet ma façon de penser, je me borne à la résumer ici.
Il est reconnu que les meilleures communications s’obtiennent dans les réunions peu nombreuses, dans celles surtout où règnent l’harmonie et une communauté de sentiments ; or, plus le nombre est grand plus cette homogénéité est difficile à obtenir. Comme il est impossible qu’au début d’une science, si nouvelle encore, il ne surgisse pas quelques divergences dans la manière d’apprécier certaines choses, de cette divergence naîtrait infailliblement un malaise qui pourrait amener la désunion. Les petits groupes, au contraire, seront toujours plus homogènes ; on s’y connaît mieux, on y est plus en famille ; on y admet mieux qui l’on veut ; et, comme en définitive, tous tendent au même but, ils peuvent parfaitement s’entendre, et ils s’entendront d’autant mieux qu’il n’y aura pas ce froissement incessant, incompatible avec le recueillement et la concentration d’esprit. Les mauvais Esprits qui cherchent sans cesse à semer la discorde, en irritant la susceptibilité, y auront toujours moins de prise que dans un milieu nombreux et mélangé ; en un mot l’unité de vue et de sentiment y sera plus facile à établir.
La multiplicité des groupes a un autre avantage, c’est d’obtenir une bien plus grande variété dans les communications, par la diversité d’aptitude des médiums. Que ces réunions partielles se fassent part réciproquement de ce qu’elles obtiennent chacune de leur côté, et toutes profiteront ainsi de leurs travaux mutuels. Il viendra un temps d’ailleurs où le nombre des adhérents ne permettrait plus une seule réunion qui devrait se fractionner par la force des choses, c’est pourquoi il vaut mieux faire immédiatement ce qu’on serait forcé de faire plus tard.
Au point de vue de la propagande, il est encore un fait certain, c’est que ce n’est pas dans les grandes réunions que les novices peuvent puiser des éléments de conviction, mais bien dans l’intimité ; il y a donc double motif pour préférer les petits groupes qui peuvent se multiplier à l’infini ; or, vingt groupes de dix personnes, par exemple, obtiendront sans contredit plus, et feront plus de prosélytes qu’une seule assemblée de deux cents membres.
J’ai parlé tout à l’heure des divergences qui peuvent surgir, et j’ai dit qu’elles ne devaient point apporter d’obstacle à la parfaite entente des différents centres ; en effet, ces divergences ne peuvent porter que sur des points de détail et non sur le fond ; le but est le même : l’amélioration morale ; le moyen est le même : l’enseignement donné par les Esprits. Si cet enseignement était contradictoire ; si, évidemment, l’un devait être faux et l’autre vrai, remarquez bien que cela ne saurait altérer le but qui est de conduire l’homme au bien pour son plus grand bonheur présent et futur ; or le bien ne saurait avoir deux poids et mesures. Au point de vue scientifique, ou dogmatique, il est cependant utile, ou tout au moins intéressant de savoir qui a tort ou raison ; eh bien ! vous avez un critérium infaillible pour l’apprécier, qu’il s’agisse de simples détails, ou de systèmes plus radicalement divergents ; et ceci s’applique non seulement aux systèmes Spirites, mais à tous les systèmes philosophiques.
Examinez d’abord celui qui est le plus logique, celui qui répond le mieux à vos aspirations, qui peut le mieux atteindre le but ; le plus vrai sera évidemment celui qui explique le mieux, qui rend le mieux raison de tout. Si l’on peut opposer à un système un seul fait en contradiction avec sa théorie, c’est que sa théorie est fausse ou incomplète. Examinez ensuite les résultats pratiques de chaque système ; la vérité doit être du côté de celui qui produit le plus de bien, qui exerce l’influence la plus salutaire, qui fait le plus d’hommes bons et vertueux, qui excite au bien par les motifs les plus purs et les plus rationnels. Le but constant auquel aspire l’homme, c’est le bonheur ; la vérité sera du côté du système qui procure la plus grande somme de satisfaction morale, en un mot qui rend le plus heureux.
L’enseignement venant des Esprits, les différents groupes, aussi bien que les individus, se trouvent sous l’influence de certains Esprits qui président à leurs travaux, ou les dirigent moralement. Si ces Esprits ne s’accordent pas, la question est de savoir quel est celui qui mérite le plus de confiance ; ce sera évidemment celui dont la théorie ne peut soulever aucune objection sérieuse, en un mot celui qui, sur tous les points, donne le plus de preuves de sa supériorité. Si tout est bon, rationnel dans cet enseignement, peu importe le nom que prend l’Esprit, et sous ce rapport la question d’identité est tout à fait secondaire. Si sous un nom respectable l’enseignement pèche par les qualités essentielles, vous pouvez hardiment en conclure que c’est un nom apocryphe et que c’est un Esprit imposteur ou qui s’amuse. Règle générale : le nom n’est jamais une garantie ; la seule, la véritable garantie de supériorité c’est la pensée et la manière dont elle est exprimée. Les Esprits trompeurs peuvent tout imiter, tout, excepté le vrai savoir et le vrai sentiment.
Je n’ai pas l’intention, Messieurs, de vous faire ici un cours de Spiritisme, et j’abuse peut-être de votre patience par tous ces détails ; cependant, je ne puis m’empêcher d’y ajouter encore quelques mots.
Il arrive souvent que pour faire adopter certaines utopies, des Esprits font parade d’un faux savoir, et pensent en imposer en puisant dans l’arsenal des mots techniques tout ce qui peut fasciner celui qui croit trop facilement. Ils ont encore un moyen plus certain, c’est d’affecter les dehors de la vertu ; à la faveur des grands mots de charité, de fraternité, d’humilité, ils espèrent faire passer les plus grossières absurdités, et c’est ce qui arrive très souvent quand on n’est pas sur ses gardes ; il faut donc éviter de se laisser prendre aux apparences aussi bien de la part des Esprits que de celle des hommes ; or, je l’avoue, c’est là une des plus grandes difficultés ; mais on n’a jamais dit que le Spiritisme fût une science facile ; il a ses écueils que l’on ne peut éviter que par l’expérience. Pour éviter de tomber dans le piège il faut d’abord se garder de l’enthousiasme qui aveugle, de l’orgueil qui porte certains médiums à se croire seuls les interprètes de la vérité ; il faut tout examiner froidement, tout peser mûrement, tout contrôler, et si l’on se défie de son propre jugement, ce qui est souvent le plus sage, il faut en référer à d’autres, selon le proverbe que quatre yeux voient mieux que deux ; un faux amour-propre, ou une obsession, peuvent seuls faire persister dans une idée notoirement fausse, et que le bon sens de chacun repousse.
Je n’ignore pas, Messieurs, que j’ai ici beaucoup d’ennemis ; cela vous étonne, et pourtant rien n’est plus vrai ; oui, il y en a ici qui m’écoutent avec rage ; je ne dis pas parmi vous, Dieu merci ! où j’espère bien n’avoir jamais que des amis ; je veux parler des Esprits trompeurs qui m’en veulent de vous donner les moyens de les démasquer, parce que je dévoile leurs ruses ; parce qu’en vous mettant sur vos gardes, je leur ôte l’empire qu’ils pourraient prendre sur vous. A ce sujet, Messieurs, je vous dirai que ce serait une erreur de croire qu’ils n’exercent cet empire que sur les médiums ; soyez bien assurés que les esprits étant partout, ils agissent incessamment sur nous à notre insu, que l’on soit ou non Spirite ou médium. La médiumnité ne les attire pas ; elle donne au contraire le moyen de connaître son ennemi qui se trahit toujours ; toujours, entendez-vous bien, et qui n’abuse que ceux qui se laissent abuser.
Ceci, Messieurs, me conduit à compléter ma pensée sur ce que je vous ai dit tout à l’heure au sujet des dissidences qui pourraient surgir entre les différents groupes, par suite de la diversité d’enseignement. Je vous ai dit que, malgré quelques divergences, ils pouvaient s’entendre, et ils doivent s’entendre si ce sont des vrais Spirites. Je vous ai donné le moyen de contrôler la valeur des communications ; voici celui d’apprécier la nature des influences qui s’exercent sur chacun. Étant donné que toute bonne influence émane d’un bon Esprit, que tout ce qui est mal vient d’une mauvaise source, que les mauvais Esprits sont les ennemis de l’union et de la concorde, le groupe qui sera assisté par l’Esprit du mal, sera celui qui jettera la pierre à l’autre, et ne lui tendra pas la main. Quant à moi, Messieurs, je vous regarde tous comme des frères, que vous soyez dans la vérité ou dans l’erreur ; mais, je vous le déclare hautement, je serai de cœur et d’âme avec ceux qui montreront le plus de charité, le plus d’abnégation ; s’il y en avait, ce qu’à Dieu ne plaise, qui entretinssent des sentiments de haine, d’envie, de jalousie, je les plaindrais, parce qu’ils seraient sous une mauvaise influence, et j’aimerais encore mieux croire que ces mauvaises pensées leur viennent d’un Esprit étranger que de leur propre cœur ; mais cela seul me rendrait suspecte la véracité des communications qu’ils pourraient recevoir, en vertu de ce principe qu’un Esprit vraiment bon ne peut suggérer que de bons sentiments.
Je terminerai, Messieurs, cette allocution, déjà trop longue sans doute, par quelques considérations sur les causes qui doivent assurer l’avenir du Spiritisme.
Vous comprenez tous par ce que vous avez sous les yeux, et par ce que vous ressentez en vous-mêmes, qu’un jour à venir le Spiritisme doit exercer une immense influence sur l’état social ; mais celui où cette influence sera généralisée est encore loin, sans doute ; il faut des générations pour que l’homme se dépouille du vieil homme. Cependant, dès aujourd’hui, si le bien ne peut encore être général, il est déjà individuel, et c’est parce que ce bien est effectif que la doctrine qui le procure est acceptée avec autant de facilité ; je puis même dire avec autant d’empressement par beaucoup. En effet, à part sa rationalité, quelle philosophie est plus capable de détacher la pensée de l’homme des liens terrestres, d’élever son âme vers l’infini ? Quelle est celle qui lui donne une idée plus juste, plus logique et appuyée sur des preuves plus patentes, de sa nature et de sa destinée ? Que ses adversaires y substituent donc quelque chose de mieux, une doctrine plus consolante, qui s’accorde mieux avec la raison, qui remplace la joie ineffable de savoir que les êtres qui nous furent chers sur la terre sont auprès de nous, qu’ils nous voient, nous écoutent, nous parlent et nous conseillent ; qui donne un motif plus légitime à la résignation ; qui fasse moins redouter la mort ; qui procure plus de calme dans les épreuves de la vie ; qui remplace enfin cette douce quiétude que l’on éprouve quand on peut se dire : Je me sens meilleur. Devant une doctrine qui fera mieux que tout cela, le Spiritisme mettra bas les armes.
Le Spiritisme rend donc souverainement heureux ; avec lui plus d’isolement, plus de désespoir ; il a déjà épargné bien des fautes, empêché plus d’un crime, ramené la paix dans plus d’une famille, corrigé bien des travers ; que sera-ce donc quand les hommes seront nourris dans ces idées-là ! Car alors la raison venant, ils s’y fortifieront et ne renieront plus leur âme. Oui, le Spiritisme rend heureux, et c’est ce qui lui donne une irrésistible puissance et assure son triomphe à venir. Les hommes veulent le bonheur, le Spiritisme le leur donne, ils se jetteront dans les bras du Spiritisme. Veut-on l’anéantir ? qu’on donne à l’homme une source plus grande de félicité et d’espérance. Voilà pour les individus.
Deux autres puissances semblent avoir redouté son apparition : l’autorité civile et l’autorité religieuse ; et pourquoi cela ? parce qu’on ne le connaissait pas. Aujourd’hui l’Église commence à voir qu’elle y trouvera une arme puissante pour combattre l’incrédulité ; la solution logique de plus d’un dogme embarrassant, et finalement qu’il ramène déjà à leurs devoirs de chrétiens bon nombre de brebis égarées. Le pouvoir civil, de son côté, commence à avoir des preuves de sa bienfaisante influence sur la moralité des classes laborieuses auxquelles cette doctrine inculque, par la conviction, des idées d’ordre, de respect pour la propriété, et fait comprendre le néant des utopies ; témoin de métamorphoses morales presque miraculeuses, il entreverra bientôt dans la diffusion de ces idées, un aliment plus utile à la pensée que les joies du cabaret ou le tumulte de la place publique, et par conséquent une sauvegarde pour la société. Ainsi, peuple, Église et pouvoir, y voyant un jour une digue contre la brutalité des passions, une garantie d’ordre et de tranquillité, un retour aux idées religieuses qui s’éteignent, personne n’aura d’intérêt à l’entraver. Chacun, au contraire, y cherchera un appui.
Qui pourrait d’ailleurs arrêter le cours de ce fleuve d’idées qui roule déjà ses eaux bienfaisantes sur les cinq parties du monde ?
Telles sont, mes chers confrères, les considérations que je désirais vous soumettre. Je termine en vous remerciant de nouveau de votre bienveillant accueil dont le souvenir sera toujours présent à ma mémoire. Je remercie également les bons Esprits de toute la satisfaction qu’ils m’ont procurée pendant mon voyage, car partout où je me suis arrêté j’ai aussi trouvé de bons et sincères Spirites, et j’ai pu constater, par mes propres yeux, l’immense développement de ces idées, et combien elles prennent facilement racine ; partout j’ai trouvé des gens heureux, des affligés consolés, des chagrins calmés, des haines apaisées, partout la confiance et l’espérance succédant aux angoisses du doute et de l’incertitude. Encore une fois le Spiritisme est la clef du vrai bonheur, et c’est là le secret de son irrésistible puissance. Est-ce donc une utopie qu’une doctrine qui fait de tels prodiges ? Que Dieu, dans sa bonté, mes chers amis, daigne nous envoyer de bons Esprits pour vous assister dans vos communications, afin que ceux-ci vous éclairent sur les vérités que vous êtes chargés de répandre ! Vous récolterez un jour au centuple les fruits du bon grain que vous aurez semé.
Que ce repas d’amis, mes bien-aimés confrères, comme les anciennes agapes, soit le gage de l’union entre tous les vrais Spirites.
Je porte un toast aux Spirites lyonnais, tant en mon nom qu’en celui de la Société parisienne des études Spirites.
Allan Kardec.