1. — Un de nos correspondants d’Algérie nous apprend, dans les termes suivants, la mort de M. Bizet, curé de Sétif : †
« M. Bizet, curé de Sétif, est mort le 15 avril à l’âge de quarante-trois ans, victime, sans doute, de son zèle pendant le choléra, et des fatigues qu’il a endurées pendant la famine où il a déployé une activité et un dévouement vraiment exemplaires. Né aux environs de Viviers, † dans le département de l’Ardèche, il était, depuis dix-sept ans, pasteur de cette ville où il avait su se concilier les sympathies de tous les habitants, sans distinction de cultes, par sa prudence, sa modération et la sagesse de son caractère.
« Au début du Spiritisme dans cette localité, et principalement lorsque l’Écho de Sétif eut affirmé hautement cette doctrine, M. Bizet avait eu un instant l’intention de la combattre ; cependant il s’est abstenu d’entrer dans une lutte qu’on était décidé à soutenir. Depuis, il avait lu avec attention vos ouvrages. C’est vraisemblablement à cette lecture qu’on doit attribuer sa réserve pleine de sagesse lorsqu’il lui fut enjoint de lire au prône le fameux mandement de Mgr Pavie, évêque d’Alger, qui qualifiait le Spiritisme de : cette nouvelle honte de l’Algérie. M. Bizet n’a pas voulu lire lui-même ce mandement en chaire ; il en a fait donner lecture par son vicaire, sans y ajouter aucun commentaire. »
2. — Nous extrayons en outre du Journal de Sétif, du 23 avril, le passage suivant de l’article nécrologique qu’il a publié sur M. Bizet.
« Le lendemain de sa mort, 15 avril, ses obsèques ont eu lieu. Une messe de requiem a été chantée, à dix heures du matin, pour le repos de son âme ; un de MM. les grands vicaires, envoyé par Mgr l’évêque depuis quelques jours, officiait. Pas un Sétifien ne manquait ; les différentes religions s’étaient réunies et confondues pour dire un adieu à M. le curé Bizet. Les Arabes, représentés par des caïds et cadhis ; les israélites par le rabbin et les principaux notables parmi eux ; les protestants par leur pasteur, étaient là, rivalisant de zèle et d’empressement pour rendre à M. l’abbé Bizet un dernier témoignage d’estime, d’affection et de regrets.
« La réunion de tant de communions diverses en un même sentiment de sympathie, est un des plus beaux succès remportés par la charité chrétienne, qui, pendant le cours de son apostolat à Sétif, n’a cessé d’animer M. l’abbé Bizet. Vivant au milieu d’une population qui est loin d’être homogène, et parmi laquelle se trouvent des dissidents de toutes sortes, il a su conserver intact le dépôt catholique qui lui avait été confié, tout en ayant avec ceux qui ne partageaient pas ses convictions religieuses des rapports bienveillants et affectueux, qui lui ont valu la sympathie de tous.
« Mais ce qui débordait de tous les cœurs, c’était le souvenir des sentiments de charité chrétienne qui animaient M. l’abbé Bizet. Sa charité était douce, patiente surtout, pendant le long hiver que nous venons de traverser, au milieu d’une misère affreuse qui avait mis à sa charge une foule de malheureux. [Voir La famine en Algérie.] Sa charité croyait tout, espérait tout, supportait tout et ne se décourageait jamais. C’est au milieu de ce dévouement pour secourir de malheureux affamés, menacés tous les jours de mourir de froid et de faim, qu’il a pris le germe de la maladie qui l’a ravi de ce monde, si toutefois il n’était déjà atteint, par suite du zèle exceptionnel qu’il avait déployé pendant le choléra de l’été dernier. »
3. — M. Bizet était-il Spirite ? ostensiblement non ; intérieurement, nous l’ignorons ; s’il ne l’était pas, il avait du moins le bon esprit de ne pas jeter l’anathème à une croyance qui ramène à Dieu les incrédules et les indifférents. Du reste, que nous importe ? C’était un homme de bien, un vrai chrétien, un prêtre selon l’Évangile ; à ce titre, nous eût-il été hostile, les Spirites ne l’en placeraient pas moins au rang des hommes dont l’humanité doit honorer la mémoire et qu’elle doit prendre pour modèles.
4. — La Société spirite de Paris a voulu lui donner un témoignage de sa respectueuse sympathie en l’appelant dans son sein, où il a donné la communication suivante :
Société de Paris, † 14 mai 1868.
« Je suis heureux, monsieur, du bienveillant appel que vous avez bien voulu m’adresser, et auquel je me fais un honneur en même temps qu’un plaisir de répondre. Si je ne me suis pas rendu immédiatement au milieu de vous, c’est que le trouble de la séparation et le spectacle nouveau dont j’ai été frappé, ne me l’ont point permis. Et puis, je ne savais auquel entendre ; j’ai retrouvé bien des amis dont le sympathique accueil m’a puissamment aidé à me reconnaître ; mais j’ai eu aussi sous les yeux le spectacle atroce de la famine parmi les Esprits. J’ai retrouvé là-haut nombre de ces malheureux, morts dans les tortures de la faim, cherchant encore à satisfaire en vain un besoin imaginaire, luttant les uns contre les autres pour s’arracher un lambeau de nourriture qui se dérobe sous leurs mains, s’entre-déchirant, et, si je puis dire, s’entre-dévorant ; une horrible scène, hideuse, dépassant tout ce que l’imagination humaine peut concevoir de plus désolant !… Nombre de ces malheureux m’ont reconnu, et leur premier cri a été : Du pain ! C’est en vain que j’essayais de leur faire comprendre leur situation ; ils étaient sourds à mes consolations. – Quelle terrible chose que la mort dans de semblables conditions, et comme ce spectacle est bien de nature à faire réfléchir sur le néant de certaines pensées humaines !… Ainsi, tandis que sur terre on pense que ceux qui sont partis sont au moins délivrés de la torture cruelle qu’ils subissaient, on s’aperçoit de l’autre côté qu’il n’en est rien, et que le tableau n’est pas moins sombre, bien que les acteurs aient changé d’apparence.
« Vous me demandez si j’étais Spirite. Si vous entendez par ce mot accepter toutes les croyances que votre doctrine préconise, non, je n’en étais point là. J’admirais vos principes ; je les croyais capables de faire le salut de ceux qui les mettent sincèrement en pratique ; mais je faisais mes réserves sur un grand nombre de points. Je n’ai pas suivi, à votre égard, l’exemple de mes confrères et de certains de mes supérieurs que je blâmais intérieurement, parce que j’ai toujours pensé que l’intolérance était la mère de l’incrédulité, et qu’il était préférable d’avoir une croyance portant à la charité et à la pratique du bien, que de ne pas en avoir du tout. Étais-je Spirite de fait ? Il ne m’appartient pas de me prononcer à cet égard.
« Quant au peu de bien que j’ai pu faire, je suis vraiment confus des éloges exagérés dont il m’a rendu l’objet. Qui n’aurait agi comme moi ?… Ne sont-ils pas plus méritants que moi encore, s’il y a quelque mérite à cela, ceux qui se sont dévoués à secourir les malheureux Arabes, et qui n’y ont été portés que par l’amour du bien ?… La charité était pour moi un devoir, par suite du caractère dont j’étais revêtu. En y manquant, j’aurais été coupable, j’aurais menti à Dieu et aux hommes auxquels j’avais consacré mon existence. Qui aurait pu d’ailleurs rester insensible à tant de misères ?…
« Vous le voyez, on a fait comme toujours : on a grossi énormément les faits ; on m’a entouré d’une sorte de renommée dont je suis confus et chagrin, et dont je souffre dans mon amour-propre ; car enfin je sais bien que je ne mérite pas tout cela, et je suis bien sûr, monsieur, qu’en me connaissant mieux, vous réduirez à sa juste valeur le bruit que l’on a fait autour de moi. Si j’ai quelque mérite, qu’on me l’accorde, j’y consens, mais qu’on ne m’élève pas un piédestal avec une réputation usurpée : je ne saurais y souscrire.
« Comme vous le voyez, monsieur, je suis encore bien neuf dans ce monde nouveau pour moi, bien ignorant surtout, et plus désireux de m’instruire que capable d’instruire les autres. Vos principes me paraissent aujourd’hui d’autant plus justes qu’après en avoir lu la théorie, j’en vois l’application pratique la plus large. Aussi serais-je heureux de me les assimiler complètement, et vous serais-je reconnaissant si vous voulez bien quelquefois m’accepter pour un de vos auditeurs.
« Curé BIZET. »
Remarque. A quiconque ne connaît pas la véritable constitution du monde invisible, il paraîtra étrange que des Esprits qui, selon eux, sont des êtres abstraits, immatériels, indéfinis, sans corps, soient en proie aux horreurs de la famine ; mais l’étonnement cesse quand on sait que ces mêmes Esprits sont des êtres comme nous ; qu’ils ont un corps, fluidique il est vrai, mais qui n’en est pas moins de la matière ; qu’en quittant leur enveloppe charnelle, certains Esprits continuent la vie terrestre avec les mêmes vicissitudes pendant un temps plus ou moins long. Cela paraît singulier, mais cela est, et l’observation nous apprend que telle est la situation des Esprits qui ont plus vécu de la vie matérielle que de la vie spirituelle, situation souvent terrible, car l’illusion des besoins de la chair se fait sentir, et l’on a toutes les angoisses d’un besoin impossible à assouvir. Le supplice mythologique de Tentale accuse, chez les anciens, une connaissance plus exacte qu’on ne le suppose de l’état du monde d’outre-tombe, plus exacte surtout que chez les modernes.
Tout autre est la position de ceux qui, dès cette vie, se sont dématérialisés par l’élévation de leurs pensées et leur identification avec la vie future ; toutes les douleurs de la vie corporelle cessent avec le dernier soupir, et l’Esprit plane aussitôt, radieux, dans le monde éthéré, heureux comme le prisonnier délivré de ses chaînes.
Qui nous a dit cela ? Est-ce un système, une théorie ? Quelqu’un a-t-il dit qu’il en devait être ainsi, et le croit-on sur parole ? Non ; ce sont les habitants eux-mêmes du monde invisible qui le répètent sur tous les points du globe pour l’enseignement des incarnés.
Oui, des légions d’Esprits continuent la vie corporelle avec ses tortures et ses angoisses ; mais lesquels ? Ceux qui sont encore trop inféodés à la matière pour s’en détacher instantanément. Est-ce une cruauté de l’Être suprême ? Non, c’est une loi de nature inhérente à l’état d’infériorité des Esprits et nécessaire à leur avancement ; c’est une prolongation mixte de la vie terrestre pendant quelques jours, quelques mois, quelques années, selon l’état moral des individus. Seraient-ils bien venus à taxer de barbarie cette législation, ceux qui préconisent le dogme des peines éternelles, irrémissibles, et les flammes de l’enfer comme un effet de la souveraine justice ? Peuvent-ils le mettre en parallèle avec une situation temporaire, toujours subordonnée à la volonté de l’individu de progresser, à la possibilité de s’avancer par de nouvelles incarnations ? Ne dépend-il pas d’ailleurs de chacun d’échapper à cette vie intermédiaire qui n’est franchement ni la vie matérielle ni la vie spirituelle ? Les Spirites y échappent naturellement, parce que, comprenant l’état du monde spirituel avant d’y entrer, ils se rendent immédiatement compte de leur situation.
Les évocations nous montrent une foule d’Esprits qui croient être encore de ce monde : des suicidés, des suppliciés qui ne se doutent pas qu’ils sont morts, et souffrent de leur genre de mort ; d’autres qui assistent à leur enterrement comme à celui d’un étranger ; des avares qui gardent leurs trésors, des souverains qui croient encore commander et qui sont furieux de n’être pas obéis ; après de grands désastres maritimes, des naufragés qui luttent contre la fureur des flots ; après une bataille, des soldats qui se battent, et à côté de cela des Esprits radieux, qui n’ont plus rien de terrestre, et sont aux incarnés ce que le papillon est à la chenille. Peut-on demander à quoi servent les évocations alors qu’elles nous font connaître, jusque dans ses plus infimes détails, ce monde qui nous attend tous au sortir de celui-ci ? C’est l’humanité incarnée qui converse avec l’humanité désincarnée ; le prisonnier qui cause avec l’homme libre. Non, certes, elles ne servent à rien à l’homme superficiel qui n’y voit qu’un amusement ; elles ne lui servent pas plus que la physique et la chimie amusantes ne servent à son instruction ; mais pour le philosophe, l’observateur sérieux qui pense au lendemain de la vie, c’est une grande et salutaire leçon ; c’est tout un monde nouveau qui se découvre ; c’est la lumière jetée sur l’avenir ; c’est la destruction des préjugés séculaires sur l’âme et la vie future ; c’est la sanction de la solidarité universelle qui relie tous les êtres. On peut être trompé, diton ; sans doute, comme on peut l’être sur toutes choses, même sur celles que l’on voit et que l’on touche : tout dépend de la manière d’observer.
Le tableau que présente M. le curé Bizet n’a donc rien d’étrange ; il vient, au contraire, confirmer, par un grand exemple de plus, ce que l’on savait déjà ; et, ce qui écarte toute idée de répercussion de pensées, c’est qu’il l’a fait spontanément, sans que personne songeât à porter son attention sur ce point. Pourquoi donc serait-il venu le dire sans qu’on le lui demandât, si cela n’était pas ? Il y a sans doute été poussé pour notre instruction. Toute la communication, d’ailleurs, porte un cachet de gravité, de sincérité et de modestie qui est bien dans son caractère et qui n’est pas le propre des Esprits mystificateurs.