Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année IV — Mars 1861.

(Langue portugaise)

PETIT BONHOMME VIT ENCORE.

A propos de l’article du journal des Débats, par M. Deschanel.

1. — M. Émile Deschanel,  †  dont le nom ne nous était point encore parvenu, a bien voulu nous consacrer vingt-quatre colonnes du feuilleton des Débats dans les numéros des 15 et 29 novembre dernier ; nous le remercions du fait, sinon de l’intention. En effet, après l’article de la Bibliographie catholique et celui de la Gazette de Lyon, qui vomissaient l’anathème et l’injure à pleine bouche, de manière à faire croire au retour du quinzième siècle, nous ne connaissons rien de plus malveillant, de moins scientifique, de plus long surtout, que celui de M. Deschanel. Une si vigoureuse sortie a dû lui faire croire que le Spiritisme, frappé par lui d’estoc et de taille, était à tout jamais bien et dûment mort et enterré ; comme nous ne lui avons pas répondu, que nous ne lui avons fait aucune sommation, que nous n’avons entamé avec lui aucune polémique à outrance, il a pu se méprendre sur les causes de notre silence : nous devons en exposer les motifs. Le premier, c’est qu’à notre avis il n’y avait rien d’urgent, et que nous étions bien aise d’attendre, afin de juger l’effet de cet assaut, pour régler notre réponse ; aujourd’hui que nous sommes complètement édifiés à cet égard, nous en dirons quelques mots.

Le second motif est la conséquence du précédent. Pour réfuter cet article en détail, il eût fallu le reproduire en entier, afin de mettre en regard l’attaque et la défense, ce qui eût déjà absorbé un numéro de notre Revue ; la réfutation en eût au moins absorbé deux ; cela faisait donc trois numéros employés à réfuter quoi ? des raisons ? non, mais les plaisanteries de M. Deschanel : franchement cela n’en valait pas la peine, et nos lecteurs aiment mieux autre chose. Ceux qui désireraient connaître sa logique pourront se contenter en lisant les numéros cités. Et puis, notre réponse n’eût été en définitive que la répétition de ce que nous avons écrit, de ce que nous avons répondu à l’Univers, à M. Oscar Comettant, à la Gazette de Lyon, à M. Louis Figuier, à la Bibliographie catholiquen car toutes ces attaques ne sont que des variantes d’un même thème. Il eût donc fallu redire la même chose en d’autres termes pour n’être pas monotone, et nous n’en avons pas le temps. Ce que nous pourrions dire serait inutile pour les adeptes et ne serait pas assez complet pour convaincre les incrédules ; ce serait donc peine perdue ; nous préférons renvoyer à nos ouvrages ceux qui voudront sérieusement s’éclairer ; ils pourront mettre en parallèle les arguments pour et contre : leur propre jugement fera le reste.

Pourquoi d’ailleurs répondrions-nous à M. Deschanel ? serait-ce pour le convaincre ? Mais nous n’y tenons pas du tout. Ce serait, dit-on, un adepte de plus. Mais que nous fait la personne de M. Deschanel de plus ou de moins ? De quel poids peut-il peser dans la balance, quand les adhésions arrivent par milliers depuis les sommités de l’échelle sociale ? —  Mais c’est un publiciste, et si, au lieu de faire une diatribe, il avait fait un éloge, est-ce que cela n’aurait pas fait beaucoup de bien à la doctrine ? Ceci est une question plus grave, examinons-la.

D’abord est-il bien certain que M. Deschanel nouveau converti eût publié 24 colonnes en faveur du Spiritisme, comme il les a publiées contre ? Nous ne le pensons pas, par deux raisons : la première, qu’il eût craint de se faire tourner en ridicule par ses confrères ; la seconde, que le directeur du journal ne l’eût probablement pas accepté, de peur d’effaroucher certains lecteurs moins effrayés du diable que des Esprits.

Nous connaissons bon nombre de littérateurs et de publicistes qui sont dans ce cas, et n’en sont pas moins de bons et sincères Spirites. On sait que madame Émile de Girardin, qui passe assez généralement pour avoir eu quelque intelligence pendant sa vie, était non seulement très croyante, mais de plus très bon médium, et qu’elle a obtenu d’innombrables communications ; mais elle les réservait pour le cercle intime de ses amis qui partageaient ses convictions ; aux autres, elle n’en parlait pas. Donc, pour nous, un publiciste qui ose bien parler contre, mais qui n’oserait pas parler pour, s’il était convaincu, n’est pour nous qu’un simple individu, et lorsque nous voyons une mère désolée de la perte d’un enfant chéri trouver d’ineffables consolations dans la doctrine, son adhésion à nos principes a pour nous cent fois plus de prix que la conversion d’une illustration quelconque, si cette illustration n’ose rien dire. D’ailleurs les hommes de bonne volonté ne manquent pas ; ils abondent tellement, et il en vient tant à nous, que nous pouvons à peine suffire à leur répondre ; nous ne voyons donc pas pourquoi nous perdrions notre temps avec les indifférents, et à courir après ceux qui ne nous recherchent pas.

Un seul mot fera connaître si M. Deschanel est un homme sérieux ; voici le début de son second article du 29 novembre : « La doctrine spirite se réfute d’elle-même, il suffit de l’exposer. Après tout, elle n’a pas tort de s’appeler Spirite tout court, car elle n’est ni spirituelle ni spiritualiste. Elle est au contraire fondée sur le matérialisme le plus grossier, et elle n’est amusante que parce qu’elle est ridicule. »

Dire que le Spiritisme est fondé sur un matérialisme grossier, alors qu’il le combat à outrance, qu’il ne serait rien sans l’âme, son immortalité, les peines et les récompenses futures dont il est la démonstration patente, c’est le comble de l’ignorance de la chose qu’on traite ; si ce n’est pas ignorance, c’est mauvaise foi et calomnie. En voyant cette accusation, et à l’entendre citer les textes bibliques, les prophètes, la loi de Moïse qui défend d’interroger les morts, ( † ) — preuve qu’on peut les interroger, car on ne défend pas une chose impossible, — on le croirait d’une orthodoxie furibonde ; mais en lisant le facétieux passage suivant de son article, les lecteurs seront fort embarrassés de se prononcer sur ses opinions :


2. —   Comment des Esprits peuvent-ils tomber sous les sens ? Comment peuvent-ils être vus, être entendus, être palpés ? Et comment peuvent-ils écrire eux-mêmes et nous laisser des autographes de l’autre monde ?

— « Oh ! mais c’est que ces Esprits-là ne sont pas des Esprits comme vous pourriez croire ; des Esprits purement Esprits. « L’Esprit, — entendez bien cela, — n’est point un être abstrait, indéfini, que la pensée seule peut concevoir ; c’est un être réel, circonscrit, qui, dans un certain cas, est appréciable pour les sens de la vue, de l’ouïe et du toucher. »

— « Mais ces Esprits ont donc des corps ?

— « Pas précisément.

— « Mais enfin ?…

— « Il y a dans l’homme trois choses :

« 1º Le corps, ou être matériel, analogue aux animaux, mû par le même principe vital ;

« 2º L’âme, ou être immatériel, Esprit incarné dans le corps ;

« 3º Le lien qui unit l’âme et le corps, principe intermédiaire entre la matière et l’Esprit. »

— « Intermédiaire ? Que diable voulez-vous dire ? On est matière ou on ne l’est pas.

— « Cela dépend.

— « Comment ! cela dépend !

— « Voici la chose : « Le lien, ou périsprit, qui unit le corps et l’Esprit est une sorte d’enveloppe semi-matérielle… »

— « Semi ! semi !

— « La mort est la destruction de l’enveloppe la plus grossière ; l’Esprit conserve la seconde, qui constitue pour lui un corps éthéré, invisible pour nous dans l’état normal, mais qu’il peut rendre accidentellement visible et même tangible, comme cela a lieu dans le phénomène des apparitions. »

— « Éthéré tant que vous voudrez : un corps est un corps. Cela en fait deux. Et la matière est la matière. Subtilisez-la tant qu’il vous plaira, il n’y a point de semi là dedans. L’électricité elle-même n’est que matière, et non semi-matière. Et quant à votre… Comment appelez-vous cela ?

— « Le périsprit ?

— « Oui, votre périsprit… je trouve qu’il n’explique rien, et qu’il a grand besoin lui-même d’explication.

— « Le périsprit sert de première enveloppe à l’Esprit, et unit l’âme et le corps. Tels sont, dans un fruit, le germe, le périsperme et la coquille…Le périsprit est puisé dans le milieu ambiant, dans le fluide universel ; il tient à la fois de l’électricité, du fluide magnétique, et, jusqu’à un certain point, de la matière inerte… » Comprenez-vous ?

— « Pas trop.

— « On pourrait dire que c’est la quintessence de la matière. »

— « Vous avez beau quintessencier, vous n’en tirerez pas de l’esprit, ni du semi-esprit, et c’est pure matière que votre périsprit.

— « C’est le principe de la vie organique, mais ce n’est pas celui de la vie intellectuelle. »

— « Enfin, c’est ce que vous voudrez ; mais votre périsprit est tant de choses, que je ne sais pas trop ce qu’il est, et qu’il pourrait bien n’être rien. »


3. — Le mot périsprit vous offusque, à ce qu’il paraît ? Si vous eussiez vécu au temps où fut inventé le mot périsperme, vous l’eussiez probablement trouvé ridicule aussi ; que ne critiquez-vous ceux que l’on invente chaque jour pour exprimer les idées nouvelles ? Ce n’est pas le mot que je critique, direz-vous, c’est la chose. Soit, vous ne l’avez jamais vu ; mais niez-vous l’âme que vous n’avez jamais vue ? niez-vous Dieu que vous n’avez pas vu davantage ? Eh bien ! si l’on ne peut voir l’âme ou l’Esprit, ce qui est la même chose, on peut voir son enveloppe fluidique ou périsprit quand elle est libre, comme on voit son enveloppe charnelle quand elle est incarnée.

M. Deschanel s’efforce de prouver que le périsprit doit être de la matière ; mais c’est ce que nous disons en toutes lettres. Serait-ce, par hasard, ce qui lui fait dire que le Spiritisme est une doctrine matérialiste  ? Mais la citation même qu’il fait le condamne, puisque nous disons en propres termes, moins ses spirituelles facéties, que ce n’est qu’une enveloppe indépendante de l’Esprit. Où a-t-il vu que nous ayons dit que c’est le périsprit qui pense ? Il ne veut pas de périsprit, soit ; mais qu’il nous dise comment il peut expliquer l’action de l’Esprit sur la matière sans intermédiaire ? Nous ne parlerons pas des apparitions contemporaines auxquelles sans doute il ne croit pas ; mais puisqu’il est si ferré sur la Bible dont il prend si chaudement la défense, c’est qu’il croit à la Bible et à ce qu’elle dit ; qu’il veuille donc nous expliquer les apparitions d’anges dont elle fait à chaque instant mention ? Les anges, selon la doctrine théologique, sont de purs Esprits ; mais quand ils se rendent visibles, dira-t-il que c’est l’Esprit qui se fait voir ? Alors ce serait, pour le coup, matérialiser l’Esprit lui-même, car il n’y a que la matière qui puisse tomber sous les sens. Nous, nous disons que l’Esprit revêt une enveloppe qu’il peut rendre visible et même tangible à volonté ; l’enveloppe seule est matérielle, quoique très éthérée, ce qui n’ôte rien aux qualités propres de l’Esprit. Nous expliquons ainsi un fait jusqu’alors inexpliqué, et nous sommes certes moins matérialistes que ceux qui prétendent que c’est l’Esprit lui-même qui se transforme en matière pour se faire voir et agir. Ceux qui ne croyaient pas à l’apparition des anges de la Bible, peuvent donc y croire maintenant, s’ils croient à l’existence des anges, sans que cela répugne à leur raison ; ils peuvent, par cela même, comprendre la possibilité des manifestations actuelles, visibles, tangibles ou autres, du moment que l’âme ou Esprit possède une enveloppe fluidique, si tant est qu’ils croient à l’existence de l’âme.

Au reste, M. Deschanel a oublié une chose, c’est de donner sa théorie de l’âme, ou de l’Esprit ; en homme judicieux, il aurait dû dire : Vous avez tort par telle ou telle raison ; les choses ne sont pas telles que vous le dites : voilà ce qui est. Alors seulement nous aurions eu quelque chose sur quoi discuter. Mais il est à remarquer que c’est ce que n’a encore fait aucun des contradicteurs du Spiritisme : ils nient, se moquent ou disent des injures : nous ne leur connaissons pas d’autre logique, ce qui est fort peu inquiétant ; aussi ne nous en inquiétons-nous pas du tout ; car, s’ils ne proposent rien, c’est qu’apparemment ils n’ont rien de meilleur à proposer. Les francs matérialistes seuls ont un système arrêté : le néant après la mort ; nous leur souhaitons bien du plaisir si cela les satisfait.

Ceux qui admettent l’âme sont malheureusement dans l’impuissance de résoudre les questions les plus vitales d’après leur seule théorie, c’est pourquoi ils n’ont d’autre recours que la foi aveugle, raison peu concluante pour ceux qui aiment les raisons, et le nombre en est grand par ce temps de lumières ; or, les spiritualistes n’expliquant rien d’une manière satisfaisante pour les penseurs, ceux-ci concluent qu’il n’y a rien, et que les matérialistes ont peut-être raison : c’est ce qui conduit tant de gens à l’incrédulité, tandis que ces mêmes difficultés trouvent une solution toute simple et toute naturelle par la théorie spirite. Le matérialisme dit : Il n’y a rien en dehors de la matière ; le spiritualisme dit : Il y a quelque chose, mais il ne le prouve pas ; le Spiritisme dit : Il y a quelque chose et il le prouve, et à l’aide de son levier il explique ce qui jusqu’alors était inexplicable ; c’est ce qui fait que le Spiritisme ramène tant d’incrédules au spiritualisme. Nous ne demandons à M. Deschanel qu’une chose, c’est de donner carrément sa théorie, et de répondre non moins carrément aux diverses questions que nous avons adressées à M. Figuier.

En somme, les objections de M. Deschanel sont puériles ; s’il eût été un homme sérieux, s’il eût tenu à faire de la critique en connaissance de cause, et à ne pas s’exposer à commettre une aussi lourde bévue que de taxer le Spiritisme de doctrine matérialiste, il aurait cherché à approfondir ; il serait venu nous trouver, comme tant d’autres, nous demander des éclaircissements que nous nous serions fait un plaisir de lui donner ; mais il a préféré parler d’après ses propres idées qu’il regarde sans doute comme le régulateur suprême, comme l’unité métrique de la raison humaine ; or, comme son opinion personnelle nous est indifférente, nous ne tenons nullement à lui en faire changer, c’est pourquoi nous n’avons fait aucun pas pour cela, nous ne l’avons convié à aucune réunion, à aucune démonstration ; s’il avait tenu à savoir, il serait venu ; il n’est pas venu, c’est donc qu’il n’y tenait pas, et nous n’y tenions pas plus que lui.

Un autre point à examiner est celui-ci : Une critique aussi virulente et aussi longue, fondée ou non, dans un journal aussi important que les Débats, ne peut-elle nuire à la propagation des idées nouvelles ? Voyons.

Il faut d’abord remarquer qu’il n’en est pas d’une doctrine philosophique comme d’une marchandise. Si un journal affirmait, avec preuves à l’appui, que tel marchand vend des denrées avariées ou frelatées, personne ne serait tenté d’aller essayer si cela est vrai ; mais toute théorie métaphysique est une opinion qui, fût-elle de Dieu même, trouverait des contradicteurs. N’a-t-on pas vu les meilleures choses, les vérités les plus incontestables aujourd’hui, tournées en ridicule à leur apparition par les hommes les plus capables ? Cela les a-t-il empêchées d’être des vérités et de se propager ? Tout le monde sait cela ; c’est pourquoi l’opinion d’un journaliste sur des questions de ce genre n’est toujours qu’une opinion personnelle, et l’on se dit que si tant de savants se sont trompés sur des choses positives, M. Deschanel peut bien se tromper sur une chose abstraite ; et pour peu qu’on ait une idée, même vague, du Spiritisme, son accusation de matérialisme est sa propre condamnation. Il en résulte qu’on veut voir et juger par soi-même : c’est tout ce que nous demandons. Sous ce rapport M. Deschanel a donc rendu, sans le vouloir, un véritable service à notre cause, et nous l’en remercions, parce qu’il nous épargne des frais de publicité, n’étant pas assez riches pour payer un feuilleton de 24 colonnes. Quelque répandu qu’il soit, le Spiritisme n’a pas encore pénétré partout ; il y a bien des gens qui n’en ont jamais entendu parler ; un article de cette importance attire l’attention, le fait pénétrer même dans le camp ennemi où il cause des désertions, car on se dit naturellement qu’on ne frappe pas ainsi une chose sans valeur ; en effet, on ne s’amuse pas à dresser des batteries formidables contre une place qu’on peut prendre à coups de fusil. On juge la résistance par le déploiement des forces d’attaque, et c’est ce qui éveille l’attention sur des choses qui eussent peut-être passé inaperçues.

Ceci n’est que du raisonnement ; voyons si les faits viennent le contredire.

On juge du crédit d’un journal, des sympathies qu’il trouve dans l’opinion publique par le nombre de ses lecteurs. Il doit en être de même du Spiritisme représenté par quelques ouvrages spéciaux ; nous ne parlerons que des nôtres, parce que nous en savons le chiffre exact ; eh bien ! le Livre des Esprits, qui passe pour contenir l’exposé le plus complet de la doctrine, a été publié en 1857 ; la 2º édition en avril 1860, la 3º en août 1860, c’est-à-dire quatre mois plus tard, et en février 1861 la 4º était en vente ; ainsi trois éditions en moins d’un an prouvent que tout le monde n’est pas de l’avis de M. Deschanel. Notre nouvel ouvrage, le Livre des Médiums, a paru le 15 janvier 1861 et déjà il faut songer à préparer une nouvelle édition ; il est demandé en Russie, en Allemagne, en Italie, en Angleterre, en Espagne, aux États-Unis, au Mexique, au Brésil, etc.

Les articles du Journal des Débats ont paru en novembre dernier ; s’ils avaient exercé la moindre influence sur l’opinion, c’est assurément sur la Revue Spirite, que nous publions, qu’elle se serait fait sentir ; or le 1º janvier 1861, époque des renouvellements annuels, il y avait un tiers d’abonnés inscrits de plus qu’à la même époque de l’année précédente, et chaque jour elle en reçoit de nouveaux qui, chose digne de remarque, demandent tous les collections des années antérieures, si bien qu’il a fallu les faire réimprimer ; donc cela prouve qu’elle ne leur semble pas par trop ridicule. De tous les côtés, à Paris, en province, à l’étranger, se forment des réunions Spirites ; nous en connaissons plus de cent dans les départements, et nous sommes loin de les connaître toutes, sans compter toutes les personnes qui s’en occupent isolément ou dans l’intérieur des familles. Que diront à cela MM. Deschanel, Figuier et consorts ? que le nombre des fous augmente. Oui, il augmente tellement qu’avant peu les fous seront plus nombreux que les gens sensés ; mais ce que ces Messieurs, si pleins de sollicitude pour le bon sens humain, doivent déplorer, c’est de voir que tout ce qu’ils ont fait pour arrêter le mouvement produit un résultat tout contraire. Veulent-ils en connaître la cause ? Elle est bien simple. Ils prétendent parler au nom de la raison et n’offrent rien de mieux ; les uns donnent pour perspective le néant, les autres les flammes éternelles, deux alternatives qui plaisent à bien peu de personnes ; entre les deux on choisit ce qui est le plus rassurant.

Étonnez-vous donc, après cela, de voir les hommes se jeter dans les bras du Spiritisme ! Ces Messieurs ont cru le tuer, nous avons tenu à leur prouver que Petit Bonhomme vit encore, et vivra longtemps.

L’expérience nous ayant donc démontré que les articles de M. Deschanel, loin de nuire à la cause du Spiritisme, l’ont servie, en excitant chez ceux qui n’en avaient pas entendu parler le désir de le connaître, nous jugeons superflu de discuter une à une ses assertions. Toutes les armes ont été employées contre cette doctrine : on l’a attaquée au nom de la religion, qu’elle sert au lieu de lui nuire, au nom de la science, au nom du matérialisme ; on lui a prodigué tour à tour l’injure, la menace, la calomnie, et elle a résisté à tout, même au ridicule ; sous la nuée des traits qu’on lui lance, elle fait paisiblement le tour du monde et s’implante partout, à la barbe de ses ennemis les plus acharnés ; n’y a-t-il pas là matière à sérieuse réflexion, et n’est-ce pas la preuve qu’elle trouve de l’écho dans le cœur de l’homme, en même temps qu’elle est sous la sauvegarde d’une puissance contre laquelle viennent se briser les efforts humains ?

Il est remarquable qu’à l’époque où parurent les articles du Journal des Débats, des communications spontanées eurent lieu de différents côtés à Paris et dans les départements ; toutes expriment la même pensée. La suivante a été faite dans la Société le 30 novembre dernier :


4. —   Ne vous inquiétez pas de ce que le monde peut écrire contre le Spiritisme ; ce n’est pas à vous que s’attaquent les incrédules, c’est à Dieu même, mais Dieu est plus puissant qu’eux. C’est une ère nouvelle, entendez-vous bien, qui s’ouvre devant vous, et ceux qui cherchent à s’opposer aux desseins de la Providence seront bientôt renversés. Comme on vous l’a parfaitement dit, loin de nuire au Spiritisme, le scepticisme se frappe de sa propre main, et c’est lui-même qui se tuera. Puisque le monde veut rendre la mort toute-puissante par le néant, laissez-le dire, n’opposez que de l’indifférence à son amer pédantisme. Pour vous la mort ne sera plus cette déesse atroce qu’ont rêvée les poètes : la mort se présentera à vous comme l’aurore aux doigts de rose d’Homère. »

André CHENIER.


Saint Louis avait dit précédemment sur le même sujet : « De semblables articles ne font de mal qu’à ceux qui les écrivent, ils n’en font aucun au Spiritisme qu’ils contribuent à répandre même parmi ses ennemis. »

Un autre Esprit répondit à un médecin Spirite de Nîmes,  †  qui lui demandait ce qu’il pensait de ces articles : « Vous devez en être très satisfaits ; si vos ennemis s’occupent tant de vous, c’est qu’ils vous reconnaissent quelque valeur, et qu’ils vous craignent. Laissez-les donc dire et faire ce qu’ils voudront ; plus ils parleront, plus ils vous feront connaître, et le temps n’est pas loin où ils seront bien forcés de se taire. Leur colère prouve leur faiblesse ; la véritable force seule sait se posséder : elle a le calme de la confiance ; la faiblesse cherche à s’étourdir en faisant beaucoup de bruit. »

Veut-on maintenant un échantillon de l’usage que certains savants font de la science au profit de la Société ? citons un exemple.

Un de nos collègues de la Société parisienne des Études Spirites, M. Indermuhle, de Berne,  †  nous écrit ce qui suit : « M. Schiff,  †  professeur d’anatomie, (je ne sais si c’est le même qui a si ingénieusement découvert le muscle craqueur, dont M. Jobert de Lambale  †  s’est fait l’éditeur responsable), n a fait ici, il y a quelques semaines, un cours public sur la digestion. Le cours n’était certes pas sans intérêt ; mais après avoir longtemps parlé de cuisine et de chimie à propos des aliments, et prouvé qu’aucune matière ne s’anéantit ; qu’elle peut se diviser et se transformer, mais qu’on la retrouve dans la composition de l’air, de l’eau et des tissus organiques, il vient à la solution suivante : « Ainsi donc, dit-il, l’âme, telle que le vulgaire l’entend, est juste dans ce sens que ce qu’on appelle l’âme, après la mort du corps, se dissout, comme le corps matériel ; elle se décompose pour rejoindre les matières contenues, soit dans l’air, soit dans les autres corps, c’est seulement dans ce sens que le mot immortalité est justifié, autrement, non. »

« C’est ainsi qu’en 1861, les savants, chargés d’instruire et d’éclairer les hommes, leur offrent des pierres au lieu de pain. Il faut dire, à la louange de l’humanité, que les auditeurs étaient, pour la plupart, très peu édifiés et satisfaits de cette conclusion amenée si brusquement ; que beaucoup en ont été scandalisés ; moi, j’ai eu pitié de cet homme. S’il eût attaqué le Gouvernement, on l’eût interdit, on l’eût puni même ; comment peut-on tolérer l’enseignement public du matérialisme, ce dissolvant de la société ? »

À ces judicieuses réflexions de notre collègue nous ajouterons qu’une société matérialiste, telle que certains hommes s’efforcent de rendre la société actuelle, n’ayant aucun frein moral, est la plus dangereuse pour toute espèce de gouvernement ; jamais peut-être le matérialisme n’a été professé avec autant de cynisme ; ceux qu’un peu de pudeur retient s’en dédommagent en traînant dans la boue ce qui peut le détruire ; mais ils auront beau faire, ce sont les convulsions de son agonie ; et, quoi qu’en dise M. Deschanel, c’est le Spiritisme qui lui donnera le coup de grâce.


5. — Nous nous sommes borné à adresser à M. Deschanel la lettre suivante : Monsieur, Vous avez publié deux articles dans le Journal des Débats des 15 et 29 novembre dernier, dans lesquels vous appréciez le Spiritisme à votre point de vue. Le ridicule que vous jetez sur cette doctrine, sur moi par contrecoup, et sur tous ceux qui la professent, m’autorisait à vous adresser une réfutation que j’aurais pu vous prier d’insérer ; je ne l’ai pas fait, parce que, quelque étendue que j’y eusse donnée, elle eût toujours été insuffisante pour les personnes étrangères à cette science, et elle eût été inutile pour celles qui la connaissent. La conviction ne peut s’acquérir que par une étude sérieuse, faite sans prévention, sans idées préconçues et par des observations nombreuses, faites avec la patience et la persévérance de quiconque veut réellement savoir et comprendre. Il m’aurait donc fallu faire à vos lecteurs un véritable cours qui eût dépassé les bornes d’un article ; mais, comme je vous crois trop homme d’honneur pour vouloir attaquer sans admettre la défense, je me bornerai à leur dire, par cette simple lettre, que je vous prie de vouloir bien publier dans le même journal, qu’ils trouveront, soit dans le Livre des Esprits, soit dans le Livre des Médiums, que je viens de publier chez MM. Didier et Cie, une réponse suffisante, à mon avis ; je laisse à leur jugement le soin de mettre en parallèle vos arguments et les miens. Ceux qui voudraient, au préalable, en avoir une idée succincte et à peu de frais, pourront lire la petite brochure intitulée : Qu’est-ce que le Spiritisme ? et qui ne coûte que 60 centimes, ainsi que la Lettre d’un catholique sur le Spiritisme par M. le docteur Grand, ancien vice-consul de France. Ils trouveront encore quelques réflexions sur votre article dans le nº du mois de mars de la Revue Spirite que je publie. [Ce même article.]

Toutefois, il est un point que je ne saurais passer sous silence ; c’est le passage de votre article où vous dites que le Spiritisme est fondé sur le plus grossier matérialisme. Je mets de côté les expressions offensantes et peu parlementaires auxquelles j’ai l’habitude de ne prêter aucune attention, et je me borne à dire que ce passage contient une erreur, je ne dirai pas grossière, le mot serait incivil, mais capitale, et qu’il m’importe de relever pour l’édification de vos lecteurs. En effet, le Spiritisme a pour base essentielle, et sans laquelle il n’aurait aucune raison d’être, l’existence de Dieu, celle de l’âme, son immortalité, les peines et les récompenses futures ; or, ces points sont la négation la plus absolue du matérialisme, qui n’en admet aucun. La doctrine Spirite ne se borne pas à les affirmer, elle ne les admet pas à priori, elle en est la démonstration patente ; c’est pourquoi elle a déjà ramené un si grand nombre d’incrédules qui avaient abjuré tout sentiment religieux.

Elle peut n’être pas spirituelle, mais à coup sûr, elle est essentiellement spiritualiste, c’est-à-dire contraire au matérialisme, car on ne concevrait pas une doctrine de l’âme immortelle, fondée sur la non-existence de l’âme. Ce qui conduit tant de gens à l’incrédulité absolue, c’est la manière dont l’âme et son avenir sont présentés ; je vois tous les jours des gens me dire : « Si dès mon enfance on m’avait enseigné ces choses comme vous le faites, je n’aurais jamais été incrédule, parce qu’à présent je comprends, et qu’avant je ne comprenais pas ; » aussi ai-je tous les jours la preuve qu’il suffit d’exposer cette doctrine pour lui conquérir de nombreux partisans.

Agréez, etc.


6. ENCORE UN MOT SUR M. DESCHANEL.

(DU JOURNAL DES DÉBATS.) [Revue d’Avril 1861.]

Dans le précédent numéro de la Revue Spirite, nos lecteurs ont pu voir, à côté de nos réflexions sur l’article de M. Deschanel, la lettre personnelle que nous lui avons adressée. Cette lettre, très courte, dont nous lui demandions l’insertion, avait pour objet de rectifier une erreur grave qu’il avait commise dans son appréciation. En présentant la doctrine Spirite comme étant fondée sur le plus grossier matérialisme, c’était en dénaturer complètement l’esprit, puisqu’elle tend au contraire à détruire les idées matérialistes. Il y avait dans soit article bien d’autres erreurs que nous aurions pu relever, mais celle-là était trop capitale pour rester sans réponse ; elle avait une gravité réelle en ce qu’elle tendait à jeter une véritable défaveur sur les nombreux adeptes du Spiritisme. M. Deschanel n’a pas cru devoir obtempérer à notre demande, et voici la réponse qu’il nous a adressée :

« Monsieur,

« J’ai reçu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, en date du 25 février. Votre éditeur, M. Didier, a bien voulu me charger de vous expliquer que c’était sur sa demande réitérée que j’avais consenti à rendre compte dans les Débats de votre Livre des Esprits, sauf à le critiquer tant que je voudrais ; c’était notre convention. Je vous remercie d’avoir compris que, dans ces circonstances, user de votre droit de contre-exposition eût été strictement légal, mais moins délicat assurément que l’abstention à laquelle vous avez accédé, ainsi que M. Didier me l’apprend ce matin.

« Veuillez agréer, etc.

E. DESCHANEL.  »


Cette lettre manque d’exactitude sur plusieurs points. Il est vrai que M. Didier a remis à M. Deschanel un exemplaire du Livre des Esprits, comme cela se pratique d’éditeur à journaliste ; mais ce qui n’est pas exact, c’est que M. Didier se soit chargé de ne nous rien expliquer sur ses prétendues instances réitérées pour qu’il en fût rendu compte, et si M. Deschanel a cru devoir y consacrer vingt-quatre colonnes de railleries, il nous permettra de croire que ce n’est ni par condescendance ni par déférence pour M. Didier. Au reste, nous l’avons dit, ce n’est pas ce dont nous nous plaignons : la critique était dans son droit ; et du moment qu’il ne partage pas notre manière de voir, il était libre d’apprécier l’ouvrage à son point de vue, ainsi que cela a lieu tous les jours ; une chose est portée aux nues par les uns, décriée par les autres, mais ni l’un ni l’autre de ces jugements n’est sans appel ; le seul juge en dernier ressort, c’est le public, et surtout le public à venir, qui est étranger aux passions et aux intrigues du moment. Les éloges obséquieux des coteries ne l’empêchent pas d’enterrer à tout jamais ce qui est réellement mauvais, et ce qui est vraiment bon survit en dépit des diatribes de l’envie et de la jalousie.

« De cette vérité deux fables feront foi, Tant la chose en preuves abonde,  » aurait dit La Fontaine ; nous ne citerons pas deux fables, mais deux faits.

A son apparition, la Phèdre de Racine eut contre elle la cour et la ville, et fut bafouée ; l’auteur fut abreuvé de tant de dégoûts, qu’à l’âge de trente-huit ans il renonça à écrire pour le théâtre ; la Phèdre de Pradon, au contraire, fut prônée outre mesure ; quel est aujourd’hui le sort de ces deux ouvrages ? Un autre livre plus modeste, Paul et Virginie, fut déclaré mort-né par l’illustre Buffon qui le trouvait fade et insipide, et pourtant on sait si jamais livre fut plus populaire. Par ces deux exemples, notre but est simplement de prouver que l’opinion d’un critique, quel que soit son mérite, est toujours une opinion personnelle qui n’est pas toujours ratifiée par la postérité. Mais revenons de Buffon à M. Deschanel, sans comparaison, car Buffon s’est lourdement trompé, tandis que M. Deschanel croit sans doute qu’on n’en dira pas autant de lui.

M. Deschanel, dans sa lettre, reconnaît que notre droit de contre-exposition eût été strictement légal, mais il trouve plus de délicatesse de notre part à ne pas l’exercer ; il se trompe encore complètement quand il dit que nous avons accédé à une abstention, ce qui donnerait à entendre que nous nous sommes rendu à une sollicitation, et même que M. Didier aurait été chargé de le lui apprendre ; or rien n’est moins exact. Nous n’avons pas cru devoir exiger l’insertion d’un exposé contradictoire ; libre à lui de trouver notre doctrine mauvaise, détestable, absurde, de le crier sur les toits, mais nous attendions de sa loyauté la publication de notre lettre pour rectifier une allégation fausse, et pouvant porter atteinte à notre considération, en ce qu’il nous accuse de professer et de propager les doctrines mêmes que nous combattons, comme subversives de l’ordre social et de la morale publique. Nous ne lui demandions pas une rétractation à laquelle son amour-propre se fût peut-être refusé, mais simplement d’insérer notre protestation ; nous n’abusions certes pas du droit de réponse, puisqu’en échange de vingt-quatre colonnes nous ne lui demandions que trente à quarante lignes. Nos lecteurs sauront apprécier son refus ; s’il a bien voulu voir de la délicatesse dans notre procédé, nous ne saurions juger le sien de la même manière.

Quand M. l’abbé Chesnel publia dans l’Univers, en 1858, son article sur le Spiritisme, il donna de la Société parisienne des Études spirites une idée également fausse en la présentant comme une secte religieuse ayant son culte et ses prêtres ; cette allégation dénaturait complètement son but et ses tendances et pouvait tromper l’opinion publique ; elle était d’autant plus erronée que le règlement de la Société lui interdit de s’occuper de matières religieuses ; on ne concevrait pas en effet une Société religieuse qui ne pourrait pas s’occuper de religion. Nous protestâmes contre cette assertion, non par quelques lignes, mais par un article entier et longuement motivé que, sur notre simple demande, l’Univers se fit un devoir d’insérer. Nous regrettons qu’en pareille circonstance, M. Deschanel, du journal des Débats, se croie moins moralement obligé de rétablir la vérité que Messieurs de l’Univers ; si ce n’était une question de droit, ce serait toujours une question de loyauté ; se réserver le droit d’attaque sans admettre la défense, c’est un moyen facile pour lui de faire croire à ses lecteurs qu’il a raison.



[1] A l’Univers : mai et juillet 1859 ; à M. Oscar Comettant : décembre 1859 ; à la Gazette de Lyon : octobre 1860 ; à M. Louis Figuier : septembre et décembre 1860 ; à la Bibliographie catholique : janvier 1861.

[2] Voy. la Revue Spirite, juin 1859.


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