Le Siècle du 4 février contient une lettre du docteur Riboli qui est allé à Caprera † examiner la tête de Garibaldi au point de vue phrénologique. Il n’entre pas dans notre cadre d’apprécier le jugement du docteur, et encore moins le personnage politique ; mais la lecture de cette lettre nous a fourni quelques réflexions qui trouvent naturellement ici leur place.
Le docteur Riboli trouve que l’organisation cérébrale de Garibaldi correspond parfaitement à toutes les éminentes facultés morales et intellectuelles qui le distinguent, et il ajoute :
« Vous pourrez sourire de mon fanatisme, mais je puis vous assurer que ce moment passé à examiner cette tête remarquable est le plus heureux de ma vie ; j’ai vu, mon cher ami, j’ai vu ce grand homme se prêter comme un enfant à tout ce que je lui demandais ; cette tête qui porte tout un monde, je l’ai tenue entre mes mains pendant plus de vingt minutes, sentant à tout instant saillir sous mes doigts les inégalités et les contrastes de son génie…
« Garibaldi a 1 mètre 64 centimètres de hauteur. J’ai mesuré toutes les proportions, la largeur des épaules, la longueur des bras et des jambes, l’épaisseur de la taille ; c’est en un mot l’homme bien proportionné, fort et d’un tempérament nerveux sanguin.
« Le volume de la tête est remarquable ; la phénoménalité principale est la hauteur du crâne mesurée de l’oreille au sommet de la tête, qui est de 20 centimètres. Cette prédominance particulière de toute la partie supérieure de la tête dénote au premier coup d’œil, et sans examen préalable, une organisation exceptionnelle ; le développement du crâne dans sa partie supérieure, siège des sentiments, indique la prépondérance de toutes les facultés nobles sur les instincts. Bref, la craniologie de la tête de Garibaldi, après examen, présente une phénoménalité originale des plus rares, on peut dire sans précédent : l’harmonie de tous les organes parfaite ; et la résultante mathématique de leur assemblage, présente au premier chef : l’abnégation avant tout et partout ; — la prudence et le sang-froid ; — l’austérité naturelle des mœurs ; — la méditation presque perpétuelle ; — l’éloquence grave et exacte ; — la loyauté dominante ; — sa déférence incroyable avec ses amis au point d’en souffrir ; — sa perceptibilité à l’égard des hommes qui l’entourent est surtout dominante.
« En un mot, mon cher, sans vous ennuyer de toutes les comparaisons, de tous les contrastes de causalité, d’habitativité, de constructivité, de destructivité, n c’est une tête merveilleuse, organique, sans défaillances, que la science étudiera et prendra pour modèle, etc. »
Toute la lettre est écrite avec un enthousiasme qui dénote la plus profonde et la plus sincère admiration pour le héros italien. Cependant, nous voulons bien croire que les observations de l’auteur n’ont été influencées par aucune idée préconçue ; mais ce n’est pas ce dont il s’agit : nous acceptons ses données phrénologiques comme exactes, et ne le fussent-elles pas, Garibaldi n’en serait ni plus ni moins ce qu’il est. On sait que les disciples de Gall forment deux écoles : celle des matérialistes et celle des spiritualistes. Les premiers attribuent les facultés aux organes ; pour eux les organes sont la cause, les facultés sont le produit ; d’où il suit qu’en dehors des organes il n’y a pas de facultés, autrement dit, que quand l’homme est mort, tout est mort. Les seconds admettent l’indépendance des facultés ; les facultés sont la cause, le développement des organes est un effet ; d’où il suit que la destruction des organes n’entraîne pas l’anéantissement des facultés. Nous ne savons à laquelle de ces deux écoles appartient l’auteur de la lettre, car son opinion ne se révèle par aucun mot ; mais nous supposons un instant que les observations ci-dessus aient été faites par un phrénologue matérialiste, et nous demandons quelle impression il devait ressentir à l’idée que cette tête, qui porte tout un monde, ne doit son génie qu’au hasard ou au caprice de la nature qui lui aurait donné une plus grande masse cérébrale dans un endroit plutôt que dans un autre ; or, comme le hasard est aveugle, et n’a pas de dessein prémédité, il pouvait tout aussi bien augmenter le volume d’une autre circonvolution du cerveau, et donner ainsi, sans le vouloir, un tout autre cours à ses inclinations. Ce raisonnement s’applique nécessairement à tous les hommes transcendants, à quelque titre que ce soit. Où serait leur mérite s’il ne tenait qu’au déplacement d’un petit morceau de substance cérébrale ? Si un simple caprice de la nature peut, au lieu d’un grand homme, faire un homme vulgaire, au lieu d’un homme de bien faire un scélérat ?
Ce n’est pas tout. En considérant cette tête puissante aujourd’hui, n’y a-til pas quelque chose de terrible à penser que demain peut-être, de ce génie il ne restera rien, absolument rien qu’une matière inerte qui sera la pâture des vers ? Sans parler des funestes conséquences d’un pareil système, s’il était accrédité, nous dirons qu’il fourmille de contradictions inexplicables, et que les faits le démontrent à chaque pas. Tout s’explique au contraire par le système spiritualiste : les facultés ne sont pas le produit des organes, mais les attributs de l’âme dont les organes ne sont que les instruments servant à leur manifestation. La faculté étant indépendante, son activité pousse au développement de l’organe, comme l’exercice d’un muscle en augmente le volume. L’être pensant est l’être principal dont le corps n’est qu’un accessoire destructible. Le talent alors est un mérite réel, parce qu’il est le fruit du travail, et non le résultat d’une matière plus ou moins abondante. Avec le système matérialiste, le travail à l’aide duquel on acquiert le talent, est entièrement perdu à la mort, qui souvent ne laisse pas le temps d’en jouir ; avec l’âme, le travail a sa raison d’être, parce que tout ce que l’âme acquiert sert à son développement ; on travaille pour un être immortel, et non pour un corps qui n’a peut-être que quelques heures à vivre.
Mais, dira-t-on, le génie ne s’acquiert pas : il est inné ; c’est vrai ; mais aussi pourquoi deux hommes nés dans les mêmes conditions sont-ils si disparates au point de vue intellectuel ? Pourquoi Dieu aurait-il favorisé l’un plus que l’autre ? Pourquoi aurait-il donné à l’un les moyens de progresser qu’il aurait refusés à l’autre ? Quel est le système philosophique qui a résolu ce problème ? La doctrine de la préexistence de l’âme peut seule l’expliquer : l’homme de génie a déjà vécu, il a de l’acquis, de l’expérience, et à ce titre il a plus de droits à nos respects que s’il tenait sa supériorité d’une faveur non justifiée de la Providence, ou du caprice de la nature. Nous aimons à croire que le docteur Riboli a vu dans la tête de celui qu’il ne touchait, pour ainsi dire, qu’avec une crainte respectueuse, quelque chose de plus digne de sa vénération qu’une masse de chair, et qu’il ne l’a pas rabaissée au rôle d’une mécanique organisée.
On se rappelle ce chiffonnier philosophe qui, regardant un chien mort au coin d’une borne, se disait à part lui : Ce que c’est que de nous ! Eh bien ! vous tous qui niez l’existence future, voilà à quoi vous nous réduisez les plus grands génies.
Nous renvoyons pour plus de détails sur la question de la phrénologie et de la physiognomonie à l’article publié dans la Revue Spirite du mois de juillet 1860, page 198.
[1]
En voilà des néologismes, qui pourtant ne sont pas plus des barbarismes
que le Spiritisme et le périsprit. [Nota du auteur de l’article, docteur
Riboli.]
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