1. — Le journal l’Univers, dans son numéro du 13 avril dernier, contient un article de M. l’abbé Chesnel où la question du Spiritisme est longuement discutée. Nous l’aurions laissé passer comme tant d’autres auxquels nous n’attachons aucune importance, s’il s’agissait d’une de ces diatribes grossières qui prouvent tout au moins de la part de leurs auteurs l’ignorance la plus absolue de ce qu’ils attaquent. Nous nous plaisons à reconnaître que l’article de M. l’abbé Chesnel est rédigé dans un tout autre esprit. Par la modération et la convenance de son langage, il mérite une réponse, d’autant plus nécessaire que cet article contient une erreur grave et peut donner une idée très fausse soit du Spiritisme en général, soit en particulier du caractère et de l’objet des travaux de la Société parisienne des études spirites. Nous citons l’article dans son entier.
« Tout le monde connaît le spiritualisme de M. Cousin, cette philosophie destinée à prendre doucement la place de la religion. Aujourd’hui, nous possédons sous le même titre un corps de doctrines révélées, qui va se complétant peu à peu, et un culte fort simple, il est vrai, mais d’une efficacité merveilleuse, puisqu’il mettrait les dévots en communication réelle, sensible et presque permanente avec le monde surnaturel.
« Ce culte a des assemblées périodiques qui s’ouvrent par l’invocation d’un saint canonisé. Après avoir constaté la présence au milieu des fidèles de saint Louis, roi de France, on le supplie d’interdire aux malins esprits l’entrée du temple, et on lit le procès-verbal de la séance précédente. Puis, sur l’invitation du président, un médium monte au bureau près du secrétaire chargé d’écrire les demandes faites par l’un des fidèles et les réponses qui seront dictées au médium par l’esprit invoqué. L’assemblée assiste gravement, pieusement, à cette scène de nécromancie quelquefois très longue, et quand l’ordre du jour est épuisé, on se retire plus persuadé que jamais de la vérité du spiritualisme. Chaque fidèle, dans l’intervalle qui s’écoule jusqu’à la réunion suivante, ne néglige point d’entretenir un commerce assidu, mais privé, avec ceux des esprits qui lui sont ou le plus accessibles ou le plus chers. Les médium abondent, et il n’y a guère de secrets dans l’autre vie que les médium ne finissent par pénétrer. Ces secrets une fois révélés aux fidèles, ne sont pas dérobés au public. La Revue spiritualiste — Google Books, qui paraît régulièrement tous les mois, ne refuse aucun abonnement profane, et le premier venu peut acheter les livres qui contiennent le texte révélé avec son commentaire authentique.
« On serait porté à croire qu’une religion qui consiste uniquement dans l’évocation des morts est fort hostile à l’Église catholique, qui n’a jamais cessé d’interdire la pratique de la nécromancie. Mais ces sentiments étroits, tout naturels qu’ils paraissent, n’en sont pas moins étrangers, assure-t-on, au cœur des spiritualistes. Ils rendent volontiers justice à l’Évangile et à son Auteur ; ils avouent que Jésus a vécu, agi, parlé, souffert comme nos quatre évangélistes le racontent. La doctrine évangélique est vraie ; mais cette révélation dont Jésus fut l’organe, loin d’exclure tout progrès, a besoin d’être complétée. C’est le spiritualisme qui donnera à l’Évangile la saine interprétation qui lui manque et le complément qu’il attend depuis dix-huit siècles.
« Mais aussi, qui assignera des limites au progrès du Christianisme enseigné, interprété, développé tel qu’il l’est par des âmes dégagées de la matière, étrangères aux passions terrestres, à nos préjugés et aux intérêts humains ? L’infini lui-même se découvre à nous ; or, l’infini n’a pas de bornes, et tout nous fait espérer que la révélation de l’infini sera continuée sans interruption ; à mesure que s’écouleront les siècles, on verra les révélations ajoutées aux révélations, sans épuiser jamais ces mystères dont l’étendue et la profondeur semblent grandir à mesure qu’ils se dégagent de l’obscurité qui les avait enveloppés jusqu’ici.
« D’où cette conséquence que le spiritualisme est une religion, puisqu’il nous met intimement en relation avec l’infini et qu’il absorbe, en l’élargissant, le Christianisme, qui, de toutes les formes religieuses présentes ou passées, est, comme on l’avoue sans peine, la plus élevée, la plus pure et la plus parfaite. Mais agrandir le Christianisme est une tâche difficile, qui ne peut être accomplie sans renverser les barrières derrière lesquelles il se tient retranché. Les rationalistes ne respectent aucune barrière ; moins ardents ou mieux avisés, les spiritualistes n’en trouvent que deux dont l’abaissement paraisse indispensable, savoir, l’autorité de l’Église catholique, et le dogme de l’éternité des peines.
« Cette vie est-elle l’unique épreuve qu’il soit donné à l’homme de traverser ? L’arbre demeure-t-il éternellement du côté où il est tombé ? L’état de l’âme, après la mort, est-il définitif, irrévocable et éternel ? Non, répond la nécromancie spiritualiste. A la mort, rien ne finit, tout recommence. La mort est pour chacun de nous le point de départ d’une incarnation nouvelle, d’une nouvelle vie et d’une nouvelle épreuve.
« Dieu, selon le panthéisme allemand, n’est pas l’être, mais le devenir éternel. Quoi qu’il en soit de Dieu, l’homme, d’après les spiritualistes parisiens, n’a pas d’autre destinée que le devenir progressif ou rétrogressif, selon ses mérites et selon ses œuvres. La loi morale ou religieuse a une sanction véritable dans les autres vies, où les bons sont récompensés et les méchants punis, mais durant une période plus ou moins longue d’années ou de siècles, et non pendant l’éternité.
« Le spiritualisme serait-il la forme mystique de l’erreur dont M. Jean Reynaud est le théologien ? Peut-être. Est-il permis d’aller plus loin et de dire qu’entre M. Reynaud et les nouveaux sectaires il existe un lien plus étroit que celui de la communauté de doctrines ? Peut-être encore. Mais cette question, faute de renseignements certains, ne sera pas tranchée ici d’une manière décisive.
« Ce qui importe beaucoup plus que la parenté ou les alliances hérétiques de M. Jean Reynaud, c’est la confusion d’idées dont le progrès du spiritualisme est le signe ; c’est l’ignorance en matière de religion, qui rend possible tant d’extravagance ; c’est la légèreté avec laquelle des hommes, d’ailleurs estimables, accueillent ces révélations de l’autre monde qui n’ont aucun mérite, pas même celui de la nouveauté.
« Il n’est pas nécessaire de remonter jusqu’à Pythagore et aux prêtres de l’Egypte pour découvrir les origines du spiritualisme contemporain. On les trouvera en feuilletant les procès-verbaux du magnétisme animal.
« Dès le XVIIIº siècle, la nécromancie jouait un grand rôle dans les pratiques du magnétisme ; et plusieurs années avant qu’il fût question d’esprits frappeurs en Amérique, certains magnétiseurs français obtenaient, disaient-ils, de la bouche des morts ou des démons, la confirmation des doctrines condamnées par l’Église ; et notamment celle des erreurs d’Origène touchant la conversion future des mauvais anges et des réprouvés.
« Il faut dire aussi que le médium spiritualiste dans l’exercice de ses fonctions diffère peu du sujet sous la main du magnétiseur, et que le cercle embrassé par les révélations du premier ne dépasse pas non plus celui qui borne la vue du second.
« Les renseignements que la curiosité obtient dans les affaires privées, au moyen de la nécromancie, n’apprennent, en général, rien de plus que ce qui était connu auparavant. La réponse du médium spiritualiste est obscure dans les points que nos recherches personnelles n’ont pu éclaircir ; elle est nette et précise dans les choses qui nous sont bien connues ; muette sur tout ce qui s’est dérobé à nos études et à nos efforts. Il semble, en un mot, que le médium a une vue magnétique de notre âme, mais qui ne découvre rien au-delà de ce qu’il y trouve écrit. Mais cette explication, qui paraît bien simple, est pourtant sujette à de graves difficultés. Elle suppose, en effet, qu’une âme peut naturellement lire au fond d’une autre âme sans le secours des signes et indépendamment de la volonté de celui qui deviendrait pour le premier venu un livre ouvert et très lisible. Or les anges, bons ou mauvais, ne possèdent naturellement ce privilège ni par rapport à nous, ni dans les relations directes qu’ils ont entre eux. Dieu seul pénètre immédiatement les esprits et scrute jusqu’au fond des cœurs le plus obstinément fermés à sa lumière.
« Si les faits spiritualistes les plus étranges qu’on rapporte sont authentiques, il faudrait donc, pour les expliquer, recourir à d’autres principes. On oublie trop que ces faits se rapportent en général à un objet qui préoccupe fortement le cœur ou l’intelligence, qui a provoqué de longues recherches, et dont on a souvent parlé en dehors de la consultation spiritualiste. Dans ces conditions, qu’il ne faut pas perdre de vue, une certaine connaissance des choses qui nous intéressent ne dépasse nullement les limites naturelles de la puissance des esprits.
« Quoi qu’il en soit, il n’y a pas autre chose, dans le spectacle qui nous est donné aujourd’hui, qu’une évolution du magnétisme qui s’efforce de devenir une religion.
« Sous la forme dogmatique et polémique que la religion nouvelle doit
à M. Jean Reynaud, elle a encouru la condamnation du Concile de Périgueux
[v.
Réponse au Concile de Périgueux, par Jean Reynaud — Google Books],
dont la compétence, on s’en souvient, a été gravement niée par le coupable.
« Dans la forme mystique qu’elle prend aujourd’hui à Paris, elle
mérite d’être étudiée au moins comme un signe des temps où nous vivons.
Le spiritualisme a enrôlé déjà un certain nombre d’hommes parmi lesquels
plusieurs sont honorablement connus dans le monde. Ce pouvoir de séduction
qu’il exerce, le progrès lent, mais non interrompu, qui lui est attribué
par des témoins dignes de foi, les prétentions qu’il affiche, les problèmes
qu’il pose, le mal qu’il peut faire aux âmes, voilà sans doute assez
de motifs réunis pour attirer de ce côté l’attention des catholiques.
Gardons-nous d’attribuer à la nouvelle secte plus d’importance qu’elle
n’en a réellement. Mais pour éviter l’exagération qui grossit tout,
ne tombons pas non plus dans la manie de nier et d’amoindrir toutes
choses. Nolite omni spiritui credere, sed probate spiritus si ex
Deo sint : Quoniam multi pseudoprophetoe exierunt in mundum.
(I Joan. 4:1.)”
L’ABBÉ FRANÇOIS CHESNEL.
2. — L’article que vous avez publié dans l’Univers concernant le Spiritisme, contient plusieurs erreurs qu’il importe de rectifier, et qui proviennent, sans aucun doute, d’une étude incomplète de la matière. Pour les réfuter toutes, il faudrait reprendre, en sous-œuvre, tous les points de la théorie, ainsi que les traits qui lui servent de base, et c’est ce que je n’ai nullement l’intention de faire ici. Je me borne aux points principaux.
2 Vous voulez bien reconnaître que les idées spirites ont enrôlé un certain nombre d’hommes honorablement connus dans le monde ; ce fait, dont la réalité dépasse sans doute de beaucoup ce que vous croyez, mérite incontestablement l’attention de tout homme sérieux, car tant de gens éminents par leur intelligence, leur savoir et leur position sociale, ne se passionneraient pas pour une idée dénuée de tout fondement. La conclusion naturelle en est qu’au fond de tout cela il doit y avoir quelque chose.
3 Vous objecterez sans doute que certaines doctrines, moitié religieuses, moitiés sociales, ont trouvé dans ces dernières années des sectaires dans les rangs même de l’aristocratie intellectuelle, ce qui ne les a pas empêchées de tomber sous le ridicule. Les hommes d’intelligence peuvent donc se laisser séduire par des utopies.
4 A cela je réponds que les utopies n’ont qu’un temps ; tôt ou tard la raison en fait justice ; il en sera de même du Spiritisme, si c’en est une ; si c’est une vérité, il triomphera de toutes les oppositions, de tous les sarcasmes, je dirai même de toutes les persécutions, si les persécutions étaient encore de notre siècle, et les détracteurs en seront pour leurs frais ; il faudra bien que bon gré mal gré les opposants l’acceptent, comme on a accepté tant de choses, contre lesquelles on avait protesté, soi-disant au nom de la raison. 5 Le Spiritisme est-il une vérité ? L’avenir jugera ; déjà il semble se prononcer par la rapidité avec laquelle ces idées se propagent, et remarquez bien que ce n’est pas dans la classe ignorante et illettrée qu’elles trouvent des adhérents, mais bien au contraire parmi les gens éclairés.
6 Il est encore à remarquer que toutes les doctrines philosophiques sont l’œuvre d’hommes à pensées plus ou moins grandes, plus ou moins justes ; toutes ont un chef, autour duquel se sont groupés d’autres hommes partageant la même manière de voir.
7 Quel est l’auteur du Spiritisme ? Quel est celui qui a imaginé cette théorie, vraie ou fausse ? On a cherché à la coordonner, à la formuler, à l’expliquer, c’est vrai ; mais l’idée première, qui l’a conçue ? Personne ; ou pour mieux dire tout le monde, parce que chacun a pu voir et que ceux qui n’ont pas vu, c’est qu’ils n’ont pas voulu voir, ou qu’ils ont voulu voir à leur manière, sans sortir du cercle de leurs idées préconçues, ce qui fait qu’ils ont mal vu et mal jugé. 8 Le Spiritisme découle d’observations que chacun peut faire, qui ne sont un privilège pour personne, c’est ce qui explique son irrésistible propagation ; il n’est le produit d’aucun système individuel, et c’est ce qui le distingue de toutes les autres doctrines philosophiques.
9 Ces révélations de l’autre monde n’ont pas même, dites-vous, le mérite de la nouveauté. Serait-ce donc un mérite que la nouveauté ? Qui a jamais prétendu que ce fût une découverte moderne ? Ces communications étant une conséquence de la nature humaine, et ayant lieu par la volonté de Dieu, font partie des lois immuables par lesquelles il régit le monde ; elles ont donc dû exister depuis qu’il y a des hommes sur la terre ; voilà pourquoi on les retrouve dans la plus haute antiquité, chez tous les peuples, dans l’histoire profane, aussi bien que dans l’histoire sacrée. L’ancienneté et l’universalité de cette croyance sont des arguments en sa faveur ; en tirer contre elle une conclusion défavorable, serait manquer de logique au premier chef.
10 Vous dites ensuite que la faculté des médiums diffère peu de celle du sujet sous la main du magnétiseur, autrement dit du somnambule ; mais admettons même une parfaite identité ; 11 quelle peut être la cause de cette admirable clairvoyance somnambulique, clairvoyance qui ne trouve d’obstacle ni dans la matière, ni dans la distance ; qui s’exerce sans le concours des organes de la vue ? N’est-ce pas la démonstration la plus patente de l’existence et de l’individualité de l’âme, pivot de la religion ? 12 Si j’étais prêtre, et que je voulusse dans un sermon prouver qu’il y a en nous autre chose que le corps, je le démontrerais d’une manière irrécusable par les phénomènes du somnambulisme naturel ou artificiel. Si la médiumnité n’est qu’une variété du somnambulisme, ses effets n’en sont pas moins dignes d’observations. J’y trouverais une preuve de plus en faveur de ma thèse et m’en ferais une arme nouvelle contre l’athéisme et le matérialisme. 13 Toutes nos facultés sont l’œuvre de Dieu ; plus elles sont grandes et merveilleuses, plus elles attestent sa puissance et sa bonté.
14 Pour moi qui, pendant trente-cinq ans, ai fait du somnambulisme une étude spéciale, qui en ai fait une non moins approfondie de toutes les variétés de médiums, je dis, comme tous ceux qui ne jugent pas sur la vue d’une seule face, que le médium est doué d’une faculté particulière, qui ne permet pas de le confondre avec le somnambule, et que la complète indépendance de sa pensée est prouvée par des faits de la dernière évidence, pour quiconque se place dans les conditions voulues pour observer sans partialité. 15 Abstraction faite des communications écrites, quel est le somnambule qui a jamais fait jaillir une pensée d’un corps inerte ? qui a produit des apparitions visibles et même tangibles ? qui a pu maintenir un corps grave dans l’espace sans point d’appui ? Est-ce par un effet somnambulique qu’un médium a dessiné, il y a quinze jours, chez moi, en présence de vingt témoins, le portrait d’une jeune personne morte depuis dix-huit mois et qu’il n’avait jamais connue, portrait reconnu par le père présent à la séance ? Est-ce par un effet somnambulique qu’une table répond avec précision aux questions proposées, à des questions mentales, même ? 16 Assurément, si l’on admet que le médium soit dans un état magnétique, il me paraît difficile de croire que la table soit somnambule.
17 Vous dites que le médium ne parle clairement que de choses connues. Comment expliquer le fait suivant et cent autres du même genre qui se sont maintes fois reproduits à ma connaissance personnelle ? Un de mes amis, très bon médium écrivain, demande à un Esprit si une personne qu’il a perdue de vue depuis quinze ans est encore de ce monde. « Oui, elle vit encore, lui est-il répondu ; elle demeure à Paris, telle rue, tel numéro. » Il va, et trouve la personne à l’adresse indiquée. Est-ce de l’illusion ? Sa pensée pouvait-elle lui suggérer cette réponse ? Si, dans certains cas, les réponses peuvent s’accorder avec la pensée, est-il rationnel d’en conclure que ce soit une loi générale ? En cela, comme en toutes choses, les jugements précipités sont toujours dangereux, parce qu’ils peuvent être infirmés par les faits que l’on n’a pas observés.
18 Au reste, monsieur l’abbé, mon intention n’est point ici de faire un cours de Spiritisme, ni d’en discuter l’erreur ou la vérité. Il me faudrait, comme je l’ai dit tout à l’heure, rappeler les faits innombrables que j’ai cités dans la Revue Spirite, ainsi que les explications que j’en ai données dans mes divers écrits.
19 J’arrive donc à la partie de votre article qui me paraît la plus grave.
Vous intitulez votre article : Une religion nouvelle à Paris. En supposant que tel fût en effet le caractère du Spiritisme, il y aurait là une première erreur, attendu qu’il est loin d’être circonscrit dans Paris. † Il compte plusieurs millions d’adhérents répandus dans les cinq parties du monde, et Paris n’en a pas été le foyer primitif.
20 En second lieu est-ce une religion ? Il est aisé de démontrer le contraire.
Le Spiritisme est fondé sur l’existence d’un monde invisible, formé d’êtres incorporels qui peuplent l’espace, et qui ne sont autres que les âmes de ceux qui ont vécu sur la Terre ou dans les autres globes où ils ont laissé leur enveloppe matérielle. Ce sont ces êtres auxquels nous avons donné, ou mieux qui se sont donné le nom d’Esprits. Ces êtres, qui nous entourent sans cesse, exercent sur les hommes à leur insu une grande influence ; ils jouent un rôle très actif dans le monde moral, et jusqu’à un certain point dans le monde physique. 21 Le Spiritisme est donc dans la nature, et l’on peut dire que, dans un certain ordre d’idées, c’est une puissance, comme l’électricité en est une à un autre point de vue, comme la gravitation universelle en est une autre.
22 Il nous dévoile le monde des invisibles, comme le microscope nous a dévoilé le monde des infiniment petits que nous ne soupçonnions pas. Les phénomènes dont ce monde invisible est la source ont donc dû se produire, et se sont produits dans tous les temps, voilà pourquoi l’histoire de tous les peuples en fait mention. Seulement, dans leur ignorance, les hommes ont attribué ces phénomènes à des causes plus ou moins hypothétiques, et donné sous ce rapport un libre cours à leur imagination, comme ils l’ont fait pour tous les phénomènes dont la nature leur était imparfaitement connue.
23 Le Spiritisme, mieux observé depuis qu’il est vulgarisé, vient jeter la lumière sur une foule de questions jusqu’ici insolubles ou mal résolues. Son véritable caractère est donc celui d’une science et non d’une religion, 24 et la preuve en est, c’est qu’il compte parmi ses adhérents des hommes de toutes les croyances et qui n’ont point pour cela renoncé à leurs convictions : des catholiques fervents qui n’en pratiquent pas moins tous les devoirs de leur culte, des protestants de toutes les sectes, des israélites, des musulmans et jusqu’à des bouddhistes et des brahmistes ; il y a de tout, excepté des matérialistes et des athées, parce que ces idées sont incompatibles avec les observations spirites.
25 Le Spiritisme repose donc sur des principes généraux indépendants de toute question dogmatique. 26 Il a, il est vrai, des conséquences morales comme toutes les sciences philosophiques ; ces conséquences sont dans le sens du Christianisme, parce que le Christianisme est de toutes les doctrines la plus éclairée, la plus pure, et c’est pour cette raison que de toutes les sectes religieuses du monde, les chrétiens sont les plus aptes à le comprendre dans sa véritable essence. 27 Le Spiritisme n’est donc point une religion : autrement il aurait son culte, ses temples, ses ministres. 28 Chacun sans doute peut se faire une religion de ses opinions, interpréter à son gré les religions connues, mais de là à la constitution d’une nouvelle Église, il y a loin, et je crois qu’il serait imprudent d’en donner l’idée. 29 En résumé, le Spiritisme s’occupe de l’observation des faits, et non des particularités de telle ou telle croyance, de la recherche des causes, de l’explication que ces faits peuvent donner de phénomènes connus, dans l’ordre moral comme dans l’ordre physique, et n’impose pas plus un culte à ses partisans que l’astronomie n’impose le culte des astres, ni la pyrotechnie celui du feu.
30 Bien plus : de même que le sabéisme est né de l’astronomie mal comprise, le Spiritisme, mal compris dans l’antiquité, a été la source du polythéisme. 31 Aujourd’hui que, grâce aux lumières du Christianisme, nous pouvons le juger plus sainement, il nous met en garde contre les systèmes erronés, fruits de l’ignorance ; 32 et la religion elle-même peut y puiser la preuve palpable de beaucoup de vérités contestées par certaines opinions ; voilà pourquoi, contrairement à la plupart des sciences philosophiques, un de ses effets est de ramener aux idées religieuses ceux qui sont égarés par un scepticisme exagéré.
33 La Société dont vous parlez définit son objet par son titre même ; le nom de : Société parisienne des études spirites ne ressemble guère à celui d’une secte ; elle en a si peu le caractère que son règlement lui interdit de s’occuper de questions religieuses ; elle est rangée dans la catégorie des sociétés scientifiques, parce qu’en effet son but est d’étudier et d’approfondir tous les phénomènes qui résultent des rapports entre le monde visible et le monde invisible ; elle a son président, son secrétaire, son trésorier, comme toutes les sociétés ; elle ne convie point le public à ses séances ; on n’y fait aucun discours, ni rien qui ait le caractère d’un culte quelconque. Elle procède à ses travaux avec calme et recueillement, d’abord parce que c’est une condition nécessaire pour les observations ; secondement, parce qu’elle sait le respect que l’on doit à ceux qui ne vivent plus sur la Terre. Elle les appelle au nom de Dieu, parce qu’elle croit en Dieu, en sa toute-puissance, et qu’elle sait que rien ne se fait en ce monde sans sa permission. Elle ouvre sa séance par un appel général aux bons Esprits, parce que, sachant qu’il y en a de bons et de mauvais, elle tient à ce que ces derniers ne viennent pas se mêler frauduleusement aux communications qu’elle reçoit et l’induire en erreur.
34 Qu’est-ce que cela prouve ? Que nous ne sommes pas des athées ; mais cela n’implique nullement que nous soyons des religionnaires ; c’est ce dont aurait pu se convaincre la personne qui vous a rapporté ce qui se fait parmi nous, si elle eût suivi nos travaux, et si surtout elle les eût jugés moins légèrement, et peut-être avec un esprit moins prévenu et moins passionné.
35 Les faits protestent donc d’eux-mêmes contre la qualification de nouvelle secte que vous donnez à la Société, faute sans doute de la mieux connaître.
36 Vous terminez votre article en appelant l’attention des catholiques sur le mal que le Spiritisme peut faire aux âmes. Si les conséquences du Spiritisme étaient la négation de dieu, de l’âme, de son individualité après la mort, du libre arbitre de l’homme, des peines et des récompenses futures, ce serait une doctrine profondément immorale ; loin de là, il prouve, non par le raisonnement, mais par les faits, ces bases fondamentales de la religion dont le plus dangereux ennemi est le matérialisme. 37 Il fait plus : par ses conséquences il apprend à supporter avec résignation les misères de cette vie ; il calme le désespoir ; il apprend aux hommes à s’aimer comme des frères selon les divins préceptes de Jésus. 38 Si vous saviez comme moi combien il a ramené d’incrédules endurcis, combien il a arraché de victimes au suicide par la perspective du sort réservé à ceux qui abrègent leur vie contrairement à la volonté de Dieu ; combien il a calmé de haines et rapproché d’ennemis ! Est-ce là ce que vous appelez faire du mal aux âmes ? Non, vous ne pouvez penser ainsi, et j’aime à croire que si vous le connaissiez mieux, vous le jugeriez tout autrement.
39 La religion, direz-vous, peut faire tout cela. Loin de moi de le contester ; mais croyez-vous qu’il eût été plus heureux pour ceux qu’elle a trouvés rebelles, d’être restés dans une incrédulité absolue ? Si le Spiritisme en a triomphé, s’il leur a rendu clair ce qui était obscur, évident ce qui était douteux, où est le mal ? Pour moi, je dis qu’au lieu de perdre des âmes il en a sauvé.
Agréez, etc.
Allan Kardec.
[Revue de juillet 1859.]
3.
RÉPONSE À LA RÉPLIQUE DE M. L’ABBÉ CHESNEL, DANS L’UNIVERS.
Le journal l’Univers a inséré, dans son numéro du 28 mai dernier, la réponse que nous avons faite à l’article de M. l’abbé Chesnel sur le Spiritisme, et l’a fait suivre d’une réplique de ce dernier. Ce second article reproduisant tous les arguments du premier, moins l’urbanité des formes à laquelle tout le monde s’était plu à rendre justice, nous n’y pourrions répondre qu’en répétant ce que nous avons déjà dit, ce qui nous paraît complètement inutile. M. l’abbé Chesnel s’efforce toujours de prouver que le Spiritisme est, doit être et ne peut être qu’une religion nouvelle, parce qu’il en découle une philosophie, et qu’on s’y occupe de la constitution physique et morale des mondes. A ce compte, toutes les philosophies seraient des religions. Or, comme les systèmes abondent et qu’ils ont tous des partisans plus ou moins nombreux, cela rétrécirait singulièrement le cercle du catholicisme. Nous ne savons pas jusqu’à quel point il n’est pas imprudent et dangereux d’émettre une telle doctrine ; car c’est proclamer une scission qui n’existe pas ; c’est au moins en donner l’idée. Voyez un peu à quelle conséquence vous arrivez. Lorsque la science est venue contester le sens du texte biblique des six jours de la création, on a crié à l’anathème, on a dit que c’était attaquer la religion ; aujourd’hui, que les faits ont donné raison à la science, qu’il n’y a pas plus moyen de les contester que de nier la lumière, l’Église s’est mise d’accord avec la science. Supposons qu’alors on eût dit que cette théorie scientifique était une religion nouvelle, une secte, parce qu’elle paraissait en contradiction avec les livres sacrés, qu’elle renversait une interprétation donnée depuis des siècles, il en serait résulté qu’on ne pouvait être catholique et adopter ces idées nouvelles. Songez donc à quoi se réduirait le nombre des catholiques, si l’on en retranchait tous ceux qui ne croient pas que Dieu a fait la terre en six fois vingt-quatre heures !
Il en est de même du Spiritisme ; si vous le regardez comme une religion nouvelle, c’est qu’à vos yeux il n’est pas catholique. Or, suivez bien mon raisonnement. De deux choses l’une : ou c’est une réalité, ou c’est une utopie. Si c’est une utopie, il n’y a pas à s’en préoccuper, parce qu’il tombera de lui-même ; si c’est une réalité, toutes les foudres ne l’empêcheront pas d’être, pas plus qu’elles n’ont jadis empêché la terre de tourner. S’il y a véritablement un monde invisible qui nous entoure, si l’on peut communiquer avec ce monde et en obtenir des renseignements sur l’état de ceux qui l’habitent, et tout le Spiritisme est là dedans, avant peu cela paraîtra aussi naturel que de voir le soleil en plein midi ou de trouver des milliers d’êtres vivants et invisibles dans une goutte d’eau limpide ; cette croyance deviendra si vulgaire que vous-même serez forcé de vous rendre à l’évidence. Si, à vos yeux, cette croyance est une religion nouvelle, elle est en dehors du catholicisme ; car elle ne peut être à la fois la religion catholique et une religion nouvelle. Si, par la force des choses et de l’évidence, elle devient générale, et il ne peut en être autrement si c’est une des lois de la nature, à votre point de vue il n’y aura plus de catholiques, et vous-même ne serez plus catholique, car vous serez forcé de faire comme tout le monde. Voilà, monsieur l’abbé, le terrain sur lequel nous entraîne votre doctrine, et elle est si absolue que vous me gratifiez déjà du titre de grand-prêtre de cette religion, honneur dont, vraiment, je ne me doutais guère. Mais vous allez plus loin : selon vous, tous les médiums sont les prêtres de cette religion. Ici je vous arrête au nom de la logique. Il m’avait semblé jusqu’à présent que les fonctions sacerdotales étaient facultatives, qu’on n’était prêtre que par un acte de sa propre volonté, qu’on ne l’était pas malgré soi et en vertu d’une faculté naturelle. Or la faculté des médiums est une faculté naturelle qui tient à l’organisation, comme la faculté somnambulique ; qui ne requiert ni sexe, ni âge, ni instruction, puisqu’on la rencontre chez les enfants, les femmes et les vieillards, chez les savants comme chez les ignorants. Comprendrait-on que de jeunes garçons et de jeunes filles fussent des prêtres et des prêtresses sans le vouloir et sans le savoir ? En vérité, M. l’abbé, c’est abuser du droit d’interpréter les mots. Le Spiritisme, comme je l’ai dit, est en dehors de toutes les croyances dogmatiques, dont il ne se préoccupe pas ; nous ne le considérons que comme une science philosophique qui nous explique une foule de choses que nous ne comprenons pas, et par cela même, au lieu d’étouffer en nous les idées religieuses, comme certaines philosophies, les fait naître chez ceux en qui elles n’existent pas ; mais si voulez à toute force l’élever au rang d’une religion, vous le poussez vous-même dans une voie nouvelle. C’est ce que comprennent parfaitement beaucoup d’ecclésiastiques qui, loin de pousser au schisme, s’efforcent de concilier les choses, en vertu de ce raisonnement : si les manifestations du monde invisible ont lieu, ce ne peut être que par la volonté de Dieu, et nous ne pouvons pas aller contre sa volonté, à moins de dire que, dans le monde, quelque chose arrive sans sa permission, ce qui serait une impiété. Si j’avais l’honneur d’être prêtre, je m’en servirais en faveur de la religion ; je m’en ferais une arme contre l’incrédulité, et je dirais aux matérialistes et aux athées : Vous demandez des preuves ? Ces preuves, les voici : c’est Dieu qui les envoie.
Il y a une image de ces articles dans le service Google — Recherche de livres (Revue Spirite 1859.) (Mai 1859.) — (Réponse
à la réplique de M. l’abbé Chesnel, dans L’Univers.) (Juillet
1859.)