Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année III — Septembre 1860.

(Langue portugaise)

HISTOIRE DU MERVEILLEUX ET DU SURNATUREL.

PAR LOUIS FIGUIER. n

I.

1. — Il est un peu du mot merveilleux comme du mot âme ; il a un sens élastique qui peut donner lieu à des interprétations diverses ; c’est pourquoi nous avons cru utile de poser quelques principes généraux dans l’article précédent avant d’aborder l’examen de l’histoire qu’en donne M. Figuier.  †  Lorsque cet ouvrage a paru, les adversaires du Spiritisme ont battu des mains en disant que, sans doute, nous allions avoir à faire à forte partie ; dans leur charitable pensée ils nous voyaient déjà morts sans retour ; tristes effets de l’aveuglément passionné et irréfléchi ; car, s’ils se donnaient la peine d’observer ce qu’ils veulent démolir, ils verraient que le Spiritisme sera un jour, et cela plus tôt qu’ils ne le croient, la sauvegarde de la société, et peut-être eux-mêmes lui devront-ils leur salut, nous ne disons pas dans l’autre monde dont ils se soucient assez peu, mais dans celui-ci ! Ce n’est point légèrement que nous disons ces paroles ; le temps n’est pas venu encore de les développer ; mais déjà beaucoup nous comprennent.

Pour en revenir à M. Figuier, nous-même avions pensé trouver en lui un adversaire vraiment sérieux, apportant enfin des arguments péremptoires qui valussent la peine d’une réfutation sérieuse. Son ouvrage comprend quatre volumes ; les deux premiers contiennent d’abord un exposé des principes dans une préface et une introduction, puis une relation de faits parfaitement connus, mais qu’on lira néanmoins avec intérêt, à cause des recherches érudites auxquelles ils ont donné lieu de la part de l’auteur ; c’est, nous le croyons, le récit le plus complet qui en ait été publié. Ainsi le premier volume est presque entièrement consacré à l’histoire d’Urbain Grandier  †  et des religieuses de Loudun  †  ; viennent ensuite les convultionnaires de saint Médar, l’histoire des prophètes protestants, la baguette divinatoire, le magnétisme animal. Le quatrième volume, qui vient de paraître, traite spécialement des tables tournantes et des Esprits frappeurs. Nous reviendrons plus tard sur ce dernier volume, nous bornant, pour aujourd’hui, à une appréciation sommaire de l’ensemble.

La partie critique des histoires que renferment les deux premiers volumes consiste à prouver, par des témoignages authentiques, que l’intrigue, les passions humaines, le charlatanisme, y ont joué un grand rôle ; que certains faits portent un cachet évident de jonglerie ; mais c’est ce que personne ne conteste ; personne ne s’est jamais porté garant de l’intégrité de tous ces faits ; les Spirites, moins que tout autres, et ils doivent même savoir gré à M. Figuier d’avoir rassemblé des preuves qui éviteront de nombreuses compilations ; ils ont intérêt à ce que la fraude soit démasquée, et tous ceux qui la découvriront dans des faits faussement qualifiés de phénomènes Spirites, leur rendront service ; or, pour rendre de pareils services, il n’est rien de tel que les ennemis ; on voit donc que les ennemis mêmes sont bons à quelque chose. Seulement, chez eux le désir de la critique les entraîne quelquefois trop loin, et dans leur ardeur à découvrir le mal, ils le voient souvent où il n’est pas, faute d’avoir examiné la chose avec assez d’attention, ou d’impartialité, ce qui est encore plus rare. Le vrai critique doit se défendre d’idées préconçues, se dépouiller de tout préjugé, autrement il juge à son point de vue qui peut-être n’est pas toujours juste. Prenons un exemple ; supposons l’histoire politique d’événements contemporains écrite avec la plus grande impartialité, c’est-à-dire avec une entière vérité, et supposons cette histoire commentée par deux critiques d’opinions contraires ; par cela même que tous les faits sont exacts, ils froisseront forcément l’opinion de l’un des deux ; de là deux jugements contradictoires : l’un qui portera l’ouvrage aux nues, l’autre qui le dira bon à jeter au feu ; et pourtant l’ouvrage ne contiendra que la vérité. S’il en est ainsi pour des faits patents comme ceux de l’histoire, à plus forte raison quand il s’agit de l’appréciation des doctrines philosophiques ; or, le Spiritisme est une doctrine philosophique, et ceux qui ne le voient que dans le fait des tables tournantes, ou qui le jugent sur des contes absurdes, sur l’abus qu’on en peut faire, qui le confondent avec les moyens de divination, prouvent qu’ils ne le connaissent pas. M. Figuier est-il dans les conditions voulues pour le juger avec impartialité ? C’est ce qu’il s’agit d’examiner.


2. — M. Figuier débute ainsi dans sa préface : « En 1854, quand les tables tournantes et parlantes, importées d’Amérique, firent leur apparition en France, elles y produisirent une impression que personne n’a oubliée. Beaucoup d’esprits sages et réfléchis furent effrayés de ce débordement imprévu de la passion du merveilleux. Ils ne pouvaient comprendre un tel égarement en plein XIXº siècle, avec une philosophie avancée et au milieu de ce magnifique mouvement scientifique qui dirige tout aujourd’hui vers le positif et l’utile. »

Son jugement est prononcé : la croyance aux tables tournantes est un égarement. Comme M. Figuier est un homme positif, on doit penser qu’avant de publier son livre, il a tout vu, tout étudié, tout approfondi, en un mot qu’il parle en connaissance de cause. S’il en était autrement, il tomberait dans le tort de MM. Schiff  †  et Jobert (de Lambale)  †  avec leur théorie du muscle craqueur. (Voir la revue du mois de juin 1859.) Et pourtant, il est à notre connaissance qu’il y a un mois à peine il assistait à une séance où il a prouvé qu’il est étranger aux principes les plus élémentaires du Spiritisme. Se dira-t-il suffisamment éclairé, parce qu’il a assisté à une séance ? Nous ne doutons certes pas de sa perspicacité, mais quelque grande qu’elle soit, nous ne saurions pas plus admettre qu’il puisse connaître et surtout comprendre le Spiritisme en une séance, qu’il n’a appris la physique en une leçon ; si M. Figuier pouvait le faire, nous tiendrions le fait pour un des plus merveilleux. Quand il aura étudié le Spiritisme avec autant de soin qu’on en apporte à l’étude d’une science, qu’il y aura consacré un temps moral nécessaire, qu’il aura assisté à quelques milliers d’expériences, qu’il se sera rendu compte de tous les faits sans exception, qu’il aura comparé toutes les théories, alors seulement il pourra faire une critique judicieuse ; jusque-là son jugement est une opinion personnelle, qui n’aurait pas plus de poids dans le pour que dans le contre.

Prenons la chose à un autre point de vue. Nous avons dit que le Spiritisme repose entièrement sur l’existence en nous d’un principe immatériel, autrement dit, sur l’existence de l’âme. Celui qui n’admet pas un Esprit en soi, ne peut en admettre hors de soi ; par conséquent n’admettant pas la cause, il ne peut admettre l’effet. Nous voudrions donc savoir si M. Figuier pourrait placer en tête de son livre la profession de foi suivante : 1º Je crois en un Dieu, auteur de toutes choses, tout-puissant, souverainement juste et bon, et infini dans ses perfections ; 2º Je crois à la providence de Dieu ; 3º Je crois à l’existence de l’âme survivant au corps, et à son individualité après la mort. J’y crois, non comme à une probabilité, mais comme à une chose nécessaire et conséquente des attributs de la Divinité ; 4º Admettant l’âme et sa survivance, je crois qu’il ne serait ni selon la justice, ni selon la bonté de Dieu, que le bien et le mal fussent traités sur le même pied après la mort, alors que, pendant la vie, ils reçoivent si rarement la récompense ou le châtiment qu’ils méritent ; 5º Si l’âme du méchant et celle du bon ne sont pas traitées de même, il y en a donc qui sont heureuses ou malheureuses, c’est-à-dire qui sont récompensées ou punies selon leurs œuvres.


3. — Si M. Figuier faisait une telle profession de foi nous lui dirions : Cette profession est celle de tous les Spirites, car sans cela le Spiritisme n’aurait aucune raison d’être ; seulement ce que vous croyez théoriquement, le Spiritisme le démontre par les faits ; car tous les faits Spirites sont la conséquence de ces principes. Les Esprits qui peuplent l’espace n’étant autre chose que les âmes de ceux qui ont vécu sur la terre ou dans les autres mondes, du moment qu’on admet l’âme, sa survivance et son individualité, on admet par cela même les Esprits. La base étant reconnue, toute la question est de savoir si ces Esprits ou ces âmes peuvent se communiquer aux vivants ; s’ils ont une action sur la matière ; s’ils influent sur le monde physique et le monde moral ; ou bien s’ils sont voués à une inutilité perpétuelle, ou à ne s’occuper que d’eux-mêmes, ce qui est peu probable, si l’on admet la providence de Dieu, et si l’on considère l’admirable harmonie qui règne dans l’univers, où le plus petit être joue son rôle.

Si la réponse de M. Figuier était négative, ou seulement poliment dubitative, afin, pour nous servir de l’expression de certaines gens, de ne pas heurter trop brusquement des préjugés respectables, nous lui dirions : Vous n’êtes pas plus juge compétent en fait de Spiritisme qu’un musulman en fait de religion catholique ; votre jugement ne saurait être impartial, et ce serait en vain que vous vous défendriez d’apporter des idées préconçues, car ces idées sont dans votre opinion même touchant le principe fondamental que vous rejetez a priori, et avant de connaître la chose.

Si jamais un corps savant nommait un rapporteur pour examiner la question du Spiritisme, et que ce rapporteur ne fût pas franchement Spiritualiste, autant vaudrait qu’un concile eût choisi Voltaire pour traiter une question de dogme. On s’étonne, soit dit en passant, que les corps savants n’aient pas donné leur avis ; mais on oublie que leur mission est l’étude des lois de la matière et non celle des attributs de l’âme et encore moins de décider si l’âme existe. Sur de tels sujets ils peuvent avoir des opinions individuelles, comme ils peuvent en avoir sur la religion, mais, comme corps, ils n’auront jamais à se prononcer.


4. — Nous ne savons ce que M. Figuier répondrait aux questions formulées dans la profession de foi ci-dessus, mais son livre peut le faire pressentir.

En effet, le second paragraphe de sa préface est ainsi conçu : « Une connaissance exacte de l’histoire du passé aurait prévenu, ou du moins, fort diminué cet étonnement. Ce serait, en effet, une grande erreur de s’imaginer que les idées qui ont enfanté de nos jours la croyance aux tables parlantes et aux Esprits frappeurs, sont d’origine moderne. Cet amour du merveilleux n’est pas particulier à notre époque ; il est de tous les temps et de tous les pays, car il tient à la nature même de l’esprit humain. Par une instinctive et injuste défiance de ses propres forces, l’homme est porté à placer au-dessus de lui d’invisibles puissances s’exerçant dans une sphère inaccessible. Cette disposition native a existé à toutes les périodes de l’histoire de l’humanité, et revêtant, selon les temps, les lieux et les mœurs, des aspects différents, elle a donné naissance à des manifestations variables dans leur forme, mais tenant au fond à un principe identique. »


5. — Puisqu’il dit que c’est par une instinctive et injuste défiance de ses propres forces que l’homme est porté à placer au-dessus de lui d’invisibles puissances s’exerçant dans une sphère inaccessible, c’est reconnaître que l’homme est tout, qu’il peut tout, et qu’au-dessus de lui il n’y a rien ; si nous ne nous trompons, ce n’est pas seulement du matérialisme, mais de l’athéisme. Ces idées, du reste, ressortent d’une foule d’autres passages de sa préface et de son introduction sur lesquelles nous appelons toute l’attention de nos lecteurs, et nous sommes persuadé qu’ils en porteront le même jugement que nous. Dira-t-il que ces paroles ne s’appliquent pas à la Divinité mais aux Esprits ? Nous lui répondrons qu’alors il ne connaît pas le premier mot du Spiritisme, puisque nier les Esprits c’est nier l’âme : les Esprits et les âmes étant une seule et même chose ; que les Esprits n’exercent pas leur puissance dans une sphère inaccessible, puisqu’ils sont à nos côtés, nous touchent, agissent sur la matière inerte, à l’instar de tous les fluides impondérables et invisibles qui sont cependant les moteurs les plus puissants et les agents les plus actifs de la nature. Dieu seul exerce sa puissance dans une sphère inaccessible aux hommes ; nier cette puissance, c’est donc nier Dieu.

Dira-t-il enfin que ces effets, que nous attribuons aux Esprits, sont sans doute dus à quelques-uns de ces fluides ? Ce serait possible ; mais alors nous lui demanderons comment des fluides inintelligents peuvent donner des effets intelligents.

M. Figuier constate un fait capital en disant que cet amour du merveilleux est de tous les temps et de tous les pays, car il tient à la nature même de l’Esprit humain. Ce qu’il appelle amour du merveilleux est tout simplement la croyance instinctive, native, comme il le dit, à l’existence de l’âme et à sa survivance au corps, croyance qui a revêtu des formes diverses selon les temps et les lieux, mais tenant au fond à un principe identique.

Ce sentiment inné, universel chez l’homme, Dieu le lui aurait-il inspiré pour se jouer de lui ? pour lui donner des aspirations impossibles à réaliser ? Croire qu’il en puisse être ainsi, c’est nier la bonté de Dieu, c’est plus, c’est nier Dieu lui-même.


6. — Veut-on d’autres preuves de ce que nous avançons ? voyons encore quelques passages de sa préface : « Au moyen âge, quand une religion nouvelle a transformé l’Europe, le merveilleux prend domicile dans cette religion même. On croit aux possessions diaboliques, aux sorciers et aux magiciens. Pendant une série de siècles cette croyance est sanctionnée par une guerre sans trêve et sans merci, faite aux malheureux que l’on accuse d’un secret commerce avec les démons ou avec les magiciens leurs suppôts.

« Vers la fin du XVIIº siècle, à l’aurore d’une philosophie tolérante et éclairée, le diable a vieilli et l’accusation de magie commence à être un argument usé, mais le merveilleux ne perd pas ses droits pour cela. Les miracles fleurissent à l’envi dans les églises des diverses communions chrétiennes ; on croit, en même temps, à la baguette divinatoire, on s’en rapporte aux mouvements d’un bâton fourchu pour rechercher les objets du monde physique et s’éclairer sur les choses du monde moral. On continue, dans diverses sciences, à admettre l’intervention d’influences surnaturelles, précédemment introduites par Paracelse.

« Au XVIIIº siècle, malgré la vogue de la philosophie cartésienne, tandis que, sur les matières philosophiques, tous les yeux sont ouverts aux lumières du bon sens et de la raison, dans le siècle de Voltaire et de l’encyclopédie, le merveilleux seul résiste à la chute de tant de croyances jusque là vénérées. Les miracles foisonnent encore. »


7. — Si la philosophie de Voltaire, qui a ouvert les yeux à la lumière du bon sens et de la raison, et sapé tant de superstitions, n’a pu déraciner l’idée native d’une puissance occulte, ne serait-ce pas que cette idée est inattaquable ? La philosophie du XVIIIº siècle a flagellé les abus, mais elle s’est arrêtée contre la base. Si cette idée a triomphé des coups que lui a portés l’apôtre de l’incrédulité, M. Figuier espère-t-il être plus heureux ? Nous nous permettrons d’en douter.

M. Figuier fait une singulière confusion des croyances religieuses, des miracles, et de la baguette divinatoire ; tout cela, pour lui, sort de la même source : la superstition, la croyance au merveilleux. Nous n’entreprendrons pas de défendre ici ce petit bâton fourchu qui aurait la singulière propriété de servir à la recherche du monde physique, par la raison que nous n’avons pas approfondi la question, et que nous avons pour principe de ne louer ou critiquer que ce que nous connaissons ; mais si nous voulions raisonner par analogie, nous demanderions à M. Figuier si la petite aiguille d’acier avec laquelle le navigateur trouve sa route, n’a pas une vertu bien autrement merveilleuse que le petit bâton fourchu ? Non, direz-vous, car nous connaissons la cause qui la fait agir, et cette cause est toute physique. D’accord ; mais qui dit que la cause qui agit sur la baguette n’est pas toute physique ?

Avant qu’on ne connût la théorie de la boussole, qu’auriez-vous pensé, si vous eussiez vécu à cette époque, alors que les marins n’avaient pour guides que les étoiles, qui souvent leur faisaient défaut, qu’auriez-vous pensé, disons-nous, d’un homme qui serait venu dire : J’ai là, dans une petite boite, pas plus grande qu’une bonbonnière, une toute petite aiguille avec laquelle les plus gros navires peuvent se diriger à coup sûr ; qui indique la route par tous les temps avec la précision d’une montre ?

Encore une fois nous ne défendons pas la baguette divinatoire, et encore moins le charlatanisme qui s’en est emparé ; mais nous demandons seulement ce qu’il y aurait de plus surnaturel à ce qu’un petit morceau de bois, dans des circonstances données, fut agité par un effluve terrestre invisible, comme l’aiguille aimantée l’est par le courant magnétique qu’on ne voit pas davantage ? Est-ce que cette aiguille ne sert pas aussi à la recherche des choses du monde physique ? Est-ce qu’elle n’est pas influencée par la présence d’une mine de fer souterraine ? Le merveilleux est l’idée fixe de M. Figuier ; c’est son cauchemar ; il le voit partout où il y a quelque chose qu’il ne comprend pas. Mais peut-il seulement, lui, savant, dire comment germe et se reproduit la plus petite graine ? Quelle est la force qui fait tourner la fleur vers la lumière ? Qui, sous terre, attire les racines vers un terrain propice, et cela à travers les obstacles les plus durs ? Étrange aberration de l’esprit humain qui croit tout savoir et ne sait rien ; qui foule aux pieds des merveilles sans nombre, et qui nie un pouvoir surhumain !

La religion étant fondée sur l’existence de Dieu, cette puissance surhumaine qui s’exerce dans une sphère inaccessible ; sur l’âme qui survit au corps, en conservant son individualité, et par conséquent son action, a pour principe ce que M. Figuier appelle le merveilleux. S’il se fut borné à dire que parmi les faits qualifiés de merveilleux il y en a de ridicules, d’absurdes, dont la raison fait justice, nous y applaudirions de toutes nos forces, mais nous ne saurions être de son avis quand il confond dans la même réprobation le principe et l’abus du principe ; quand il dénie l’existence de toute puissance au-dessus de l’humanité.

Cette conclusion est d’ailleurs formulée d’une manière non équivoque dans le passage suivant :


8. —   De ces discussions, nous croyons qu’il résultera pour le lecteur la parfaite conviction de la non-existence d’agents surnaturels, et la certitude que tous les prodiges qui ont excité en divers temps la surprise ou l’admiration des hommes, s’expliquent avec la seule connaissance de notre organisation physiologique. La négation du merveilleux, telle est la conclusion à tirer de ce livre, qui pourrait s’appeler le merveilleux expliqué ; et si nous parvenons au but que nous nous sommes proposé d’atteindre, nous aurons la conviction d’avoir rendu un véritable service à bien des gens. »

Faire connaître les abus, démasquer la fraude et l’hypocrisie partout où elles se trouvent, c’est sans contredit rendre un très grand service ; mais nous croyons que c’est en rendre un très mauvais à la société aussi bien qu’aux individus, que d’attaquer le principe, parce qu’on a pu en abuser ; c’est vouloir couper un bon arbre, parce qu’il a donné un fruit véreux. Le Spiritisme bien compris, en faisant connaître la cause de certains phénomènes, montre ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, et par cela même tend à détruire les idées vraiment superstitieuses ; mais en même temps, en démontrant le principe, il donne un but au bien ; il fortifie dans les croyances fondamentales que l’incrédulité cherche à battre en brèche sous le prétexte d’abus ; il combat la plaie du matérialisme qui est la négation du devoir, de la morale et de toute espérance, et c’est en cela que nous disons qu’il sera un jour la sauvegarde de la société.

Nous sommes, du reste, loin de nous plaindre de l’ouvrage de M. Figuier ; sur les adeptes il ne peut avoir aucune influence, parce qu’ils en reconnaîtront tout de suite les points vulnérables ; sur les autres, il aura l’effet de toutes les critiques : celui de provoquer la curiosité. Depuis l’apparition, ou mieux la réapparition du Spiritisme, on a beaucoup écrit contre ; on ne lui a épargné ni les sarcasmes ni les injures ; il n’y a qu’une chose dont il n’ait pas eu l’honneur, c’est le bûcher, grâce aux mœurs du temps ; cela l’a-t-il empêché de progresser ? nullement, car il compte aujourd’hui ses adhérents par millions dans toutes les parties du monde, et tous les jours ils augmentent. A cela la critique a beaucoup contribué sans le vouloir, car son effet, comme nous l’avons dit, et de provoquer l’examen ; on veut voir le pour et le contre, et l’on est tout étonné de trouver une doctrine rationnelle, logique, consolante, calmant les angoisses du doute, résolvant ce qu’aucune philosophie n’a pu résoudre, là où l’on s’attendait à ne trouver qu’une croyance ridicule.

Plus le nom du contradicteur est connu, plus sa critique a de retentissement, et plus elle peut faire de bien en appelant l’attention des indifférents. Sous ce rapport l’ouvrage de M. Figuier est dans les meilleures conditions ; il est en outre écrit d’une manière grave, et ne se traîne pas la dans boue des injures grossières et des personnalités, seuls arguments des critiques de bas étage. Puisqu’il prétend traiter la chose au point de vue scientifique, et sa position le lui permet, on verra donc là le dernier mot de la science contre cette doctrine, et alors le public saura à quoi s’en tenir. Si le savant ouvrage de M. Figuier n’a pas le pouvoir de lui donner le coup de grâce, nous doutons que d’autres soient plus heureux ; pour la combattre avec efficacité, il n’a qu’un moyen, et nous nous faisons un plaisir de le lui indiquer. On ne détruit pas un arbre en en coupant les branches, mais en coupant la racine. Il faut donc attaquer le Spiritisme par la racine et non par les rameaux qui renaissent à mesure qu’on les coupe ; or les racines du Spiritisme, de cet égarement du XIXº siècle, pour nous servir de son expression, sont l’âme et ses attributs ; qu’il prouve donc que l’âme n’existe pas, et ne peut exister, car sans âmes il n’y a plus d’Esprits. Quand il aura prouvé cela, le Spiritisme n’aura plus de raison d’être et nous nous avouerons vaincus.


9. — Si son scepticisme ne va pas jusque-là, qu’il prouve, non par une simple négation, mais par une démonstration mathématique, physique, chimique, mécanique, physiologique ou toute autre : 1º Que l’être qui pense pendant sa vie ne doit plus penser après sa mort ; 2º Que s’il pense, il ne doit plus vouloir se communiquer à ceux qu’il a aimés ; 3º Que s’il peut être partout, il ne peut pas être à nos côtés ; 4º Que s’il est à nos côtés, il ne peut pas se communiquer à nous ; 5º Que par son enveloppe fluidique il ne peut pas agir sur la matière inerte ; 6º Que s’il peut agir sur la matière inerte, il ne peut pas agir sur un être animé ; 7º Que s’il peut agir sur un être animé, il ne peut pas diriger sa main pour le faire écrire ; 8º Que pouvant le faire écrire, il ne peut pas répondre à ses questions et lui transmettre sa pensée.

Quand les adversaires du Spiritisme nous auront démontré que cela ne se peut pas, par des raisons aussi patentes que celles par lesquelles Galilée démontra que ce n’est pas le soleil qui tourne autour de la terre, alors nous pourrons dire que leurs doutes sont fondés ; malheureusement jusqu’à ce jour toute leur argumentation se résume en ces mots : Je ne crois pas, donc cela est impossible. Ils nous diront sans doute que c’est à nous de prouver la réalité des manifestations ; nous la leur prouvons par les faits et par le raisonnement ; s’ils n’admettent ni l’un ni l’autre, s’ils nient ce qu’ils voient, c’est à eux de prouver que notre raisonnement est faux et que les faits sont impossibles.

Dans un autre article nous examinerons la théorie de M. Figuier ; nous souhaitons pour lui qu’elle soit de meilleur aloi de celle du muscle craqueur de Jobert (de Lambale).


[Revue de décembre 1860.]

HISTOIRE DU MERVEILLEUX.

Par M. Louis Figuier.
(Deuxième article ; voir la Revue de septembre 1860.)

II.


10. — En parlant de M. Louis Figuier, dans notre premier article, nous avons cherché avant tout quel était son point de départ, et nous avons démontré, en citant textuellement ses paroles, qu’il s’appuie sur la négation de toute puissance en dehors de l’humanité corporelle ; ses prémices doivent faire pressentir sa conclusion. Son quatrième volume, celui où il devait traiter spécialement la question des tables tournantes et des médiums n’avait pas encore paru, et nous l’attendions pour voir s’il donnerait de ces phénomènes une explication plus satisfaisante que celle de M. Jobert (de Lambale). Nous l’avons lu avec soin, et ce qui en est ressorti de plus clair pour nous, c’est que l’auteur a traité une question qu’il ne connaît pas du tout ; nous n’en voulons d’autre preuve que les deux premières lignes ainsi conçues : Avant d’aborder l’histoire des tables tournantes et des médiums dont les manifestations sont toutes modernes, etc. comment M. Figuier ne sait-il pas que Tertulien parle en termes explicites des tables tournantes et parlantes ; que les Chinois connaissent ce phénomène de temps immémorial ; qu’il est pratiqué chez les Tartares et les Sibériens ; qu’il y a des médiums chez les Tibétains ; qu’il y en avait chez les Assyriens, les Grecs et les Égyptiens ; que tous les principes fondamentaux du Spiritisme se trouvent dans les philosophes Sanscrits ? Il est donc faux d’avancer que ces manifestations sont toutes modernes ; les modernes n’ont donc rien inventé à cet égard, et les Spirites s’appuient sur l’antiquité et l’universalité de leur doctrine, ce que M. Figuier aurait dû savoir avant d’avoir la prétention d’en faire un traité ex professo. Son ouvrage n’en a pas moins eu les honneurs de la presse, qui s’est empressée de rendre hommage à ce champion des idées matérialistes.


11. — Ici se présente une réflexion dont la portée n’échappera à personne.

Rien, dit-on, n’est brutal comme un fait : or en voici un qui a bien sa valeur, c’est le progrès inouï des idées Spirites, auxquelles certes la presse, ni petite ni grande, n’a prêté son concours. Quand elle a daigné parler de ces pauvres imbéciles qui croient avoir une âme, et que cette âme, après la mort, s’occupe encore des vivants, ce n’a été que pour crier haro  ! sur eux, et les envoyer aux Petites-Maisons, perspective peu encourageante pour le public ignorant de la chose. Le Spiritisme n’a donc pas entonné la trompette de la publicité ; il n’a point rempli les journaux de fastueuses annonces ; comment se fait-il donc que, sans bruit, sans éclat, sans l’appui de ceux qui se posent en arbitres de l’opinion, il s’infiltre dans les masses, et qu’après avoir, selon la gracieuse expression d’un critique dont nous ne rappelons pas le nom, infesté les classes éclairées, il pénètre maintenant dans les classes laborieuses ? Qu’on nous dise, comment, sans l’emploi des moyens ordinaires de propagande, la deuxième édition du Livre des Esprits a été épuisée en quatre mois ? On s’engoue, dit-on, des choses les plus ridicules ; soit, mais on s’engoue de ce qui amuse, d’une histoire, d’un roman ; or le Livre des Esprits n’a nullement la prétention d’être amusant. Ne serait-ce pas que l’opinion trouve, dans ces croyances, quelque chose qui défie la critique ?


12. — M. Figuier a trouvé la solution de ce problème : c’est, dit-il, l’amour du merveilleux, et il a raison ; prenons le mot merveilleux dans l’acception qu’il lui donne, et nous serons de son avis. Selon lui, toute la nature étant dans la matière, tout phénomène extra-matériel est du merveilleux : hors la matière point de salut ; par conséquent l’âme, puis tout ce qu’on lui attribue, son état après la mort, tout cela est du merveilleux ; appelons-le donc comme lui du merveilleux. La question est de savoir si ce merveilleux existe ou n’existe pas. M. Figuier, qui n’aime pas le merveilleux, et ne l’admet que dans les contes de Barbe-Bleue, dit que non. Mais si M. Figuier ne tient pas à survivre à son corps ; s’il fait fi de son âme et de la vie future, tout le monde ne partage pas ses goûts, et il ne faut pas qu’il en dégoûte les autres ; il y beaucoup de gens pour qui la perspective du néant a fort peu de charmes, et qui espèrent bien retrouver là-haut ou là-bas leur père, leur mère, leurs enfants ou leurs amis ; M. Figuier n’y tient pas ; on ne peut pas disputer les goûts.


13. — L’homme a instinctivement horreur de la mort, et le désir de ne pas mourir tout à fait est assez naturel, on en conviendra ; on peut même dire que cette faiblesse est générale ; or, comment survivre au corps si l’on ne possède pas ce merveilleux qu’on appelle âme ? Si nous avons une âme, elle a des propriétés quelconques, car sans propriétés elle ne saurait être quelque chose ; ce ne sont pas, malheureusement pour certaines gens, des propriétés chimiques ; on ne peut la mettre en bocal pour la conserver dans les musées anatomiques ; en cela, le grand Ouvrier a vraiment eu tort de ne pas la faire plus saisissable : c’est que probablement il n’a pas pensé à M. Figuier.

Quoi qu’il en soit, de deux choses l’une : cette âme, si âme il y a, vit ou ne vit pas après la mort du corps ; c’est quelque chose ou c’est le néant, il n’y a pas de milieu. Vit-elle pour toujours ou pour un temps  ? Si elle doit disparaître à un temps donné, autant vaudrait qu’elle le fît tout de suite ; un peu plus tôt ou un peu plus tard, l’homme n’en serait pas plus avancé.

Si elle vit, elle fait quelque chose ou elle ne fait rien ; mais comment admettre un être intelligent qui ne fait rien, et cela pendant l’éternité ?

Sans occupation, l’existence future serait par trop monotone. M. Figuier n’admettant pas qu’une chose inappréciable aux sens puisse produire des effets quelconques, il est conduit, en raison de son point de départ, à cette conclusion, que tout effet doit avoir une cause matérielle ; c’est pourquoi il range dans le domaine du merveilleux, c’est-à-dire de l’imagination, tous les effets attribués à l’âme, et, par suite, l’âme ellemême, ses propriétés, ses faits et gestes d’outre-tombe. Les simples qui ont la sottise de vouloir vivre après la mort, aiment naturellement tout ce qui flatte leurs désirs et vient confirmer leurs espérances ; c’est pourquoi ils aiment le merveilleux. Jusqu’à présent, on s’était contenté de leur dire : « Tout ne meurt pas avec le corps, soyez tranquilles, nous vous en donnons notre parole d’honneur. » C’était bien rassurant, sans doute, mais une petite preuve n’aurait rien gâté à l’affaire ; or, voilà que le Spiritisme, avec ses phénomènes, vient leur donner cette preuve, ils l’acceptent avec joie ; voilà tout le secret de sa rapide propagation ; il donne la réalité à une espérance : celle de vivre, et mieux que cela, de vivre plus heureux ; tandis que vous, M. Figuier, vous vous efforcez de leur prouver que tout cela n’est que chimère et illusion ; il relève le courage et vous l’abattez ; croyez-vous qu’entre les deux le choix soit douteux ?

Le désir de revivre après la mort est donc, chez l’homme, la source de son amour pour le merveilleux, c’est-à-dire pour tout ce qui le rattache à la vie d’outre-tombe. Si quelques hommes, séduits par des sophismes, ont pu douter de l’avenir, ne croyez pas que ce soit de gaîté de cœur ; non, car cette idée leur inspire de l’effroi, et c’est avec terreur qu’ils sondent les profondeurs du néant ; le Spiritisme calme leurs inquiétudes, dissipe leurs doutes ; ce qui était vague, indécis, incertain, prend une forme, devient une réalité consolante ; voilà pourquoi, en quelques années, il a fait le tour du monde, et voilà pourquoi, en quelques années encore, il sera accepté par tout le monde, parce que tout le monde veut vivre, et que l’homme préférera toujours les maximes qui le rassurent à celles qui l’épouvantent.


14. — Revenons à l’ouvrage de M. Figuier, et disons d’abord que son quatrième volume, consacré aux tables tournantes et aux médiums, est aux trois quarts rempli d’histoires qui n’y ont aucun rapport, si bien que le principal y devient l’accessoire. Cagliostro, l’affaire du collier, qui y figure on ne sait pourquoi, la fille électrique, les escargots sympathiques, y occupent treize chapitres sur dix-huit ; il est vrai que ces histoires y sont traitées avec un véritable luxe de détails et d’érudition qui les fera lire avec intérêt, toute opinion spirite à part. Son but étant de prouver l’amour de l’homme pour le merveilleux, il recherche tous les contes que le bon sens a, de tout temps, pris pour ce qu’ils valent, et s’efforce de prouver qu’ils sont absurdes, ce que personne ne conteste, et il s’écrie : « Voilà le Spiritisme foudroyé ! » A l’entendre, on croirait que les prouesses de Cagliostro et les contes d’Offmann sont pour les Spirites des articles de foi, et que les escargots sympathiques ont toutes leurs sympathies.

M. Figuier ne rejette point tous les faits, tant s’en faut ; à l’encontre d’autres critiques qui nient tout carrément, ce qui est plus commode, parce que cela dispense de toute explication, il admet parfaitement les tables tournantes et les médiums, tout en faisant une large part à la duperie ; Mlles Fox, par exemple, sont d’insignes jongleuses, parce quelles ont été bafouées par des journaux américains peu galants ; il admet même le magnétisme, comme agent matériel, bien entendu, la puissance fascinatrice de la volonté et du regard, le somnambulisme, la catalepsie, l’hypnotisme, tous les phénomènes de biologie ; qu’il y prenne garde ! il va passer pour un illuminé aux yeux de ses confrères.

Mais, conséquent avec lui-même, il veut tout ramener aux lois connues de la physique et de la physiologie. Il cite, il est vrai, quelques témoignages authentiques et des plus honorables à l’appui des phénomènes spirites, mais il s’étend avec complaisance sur toutes les opinions contraires, surtout sur celles des savants qui, comme M. Chevreul et autres, en ont cherché les causes dans la matière ; il tient en grande estime la théorie du muscle craqueur de MM. Jobert et consorts. Sa théorie, comme la lanterne magique de la fable, pèche par un point capital, c’est qu’elle se perd dans un dédale d’explications qui demanderaient elles-mêmes des explications pour être comprises. Un autre défaut, c’est qu’elle est à chaque pas contredite par des faits dont elle ne peut rendre compte et que l’auteur passe sous silence, par une raison très simple, c’est qu’il ne les connaît pas ; il n’a rien vu, ou peu vu par lui-même ; en un mot, il n’a rien approfondi, de visu, avec la sagacité, la patience et l’indépendance d’idées de l’observateur consciencieux ; il s’est contenté des récits plus ou moins fantastiques qu’il a trouvés dans certains ouvrages qui ne brillent pas par l’impartialité ; il ne tient aucun compte des progrès que la science a faits depuis quelques années ; il la prend à son début, alors qu’elle marchait en tâtonnant, que chacun y apportait une opinion incertaine et prématurée, et qu’elle était loin de connaître tous es faits ; absolument comme s’il voulait juger la chimie d’aujourd’hui par ce qu’elle était il y a un siècle. A notre avis, M. Figuier, tout savant qu’il est, manque donc de la première qualité d’un critique, celle de connaître à fond la chose dont il parle, condition encore plus nécessaire quand on veut l’expliquer.

Nous ne le suivrons pas dans tous ses raisonnements ; nous préférons renvoyer à son ouvrage que tout Spirite peut lire sans le moindre danger pour ses convictions ; nous ne citerons que le passage où il explique sa théorie des tables tournantes, qui résume à peu près celle de tous les autres phénomènes.


15. —  Vient ensuite la théorie qui explique les mouvements des tables par les Esprits. Si la table tourne après un quart d’heure de recueillement et d’attention de la part des expérimentateurs, c’est dit-on, que les esprits bons ou mauvais, anges ou démons, sont entrés dans la table et l’ont mise en branle. Le lecteur tient-il à ce que nous discutions cette hypothèse ? Nous ne le pensons pas. Si nous entreprenions de prouver à grands renforts d’arguments logiques que le diable n’entre pas dans les meubles pour les faire danser, il nous faudrait également entreprendre de démontrer que ce ne sont pas les esprits qui, introduits dans notre corps, nous font agir, parler, sentir, etc. n Tous ces faits sont du même ordre, et celui qui admet l’intervention du démon pour faire tourner une table, doit recourir à la même influence surnaturelle pour expliquer les actes qui n’ont lieu qu’en vertu de notre volonté et par le secours de nos organes. Personne n’a jamais voulu attribuer sérieusement les effets de la volonté sur nos organes, quelque mystérieuse que soit l’essence de ce phénomène, à l’action d’un ange ou d’un démon. C’est pourtant à cette conséquence que sont conduits ceux qui veulent rapporter la rotation des tables à une cause surhumaine.

« Disons, pour terminer cette courte discussion, que la raison défend de recourir à une cause surnaturelle, partout où une cause naturelle peut suffire. Une cause naturelle, normale, physiologique, peut-elle être invoquée pour l’explication du tournoiement des tables ? Là est toute la question.

« Nous voici donc amené à exposer ce qui nous semble rendre compte du phénomène étudié dans cette dernière partie de notre livre.

« L’explication du fait des tables tournantes, considéré dans sa plus grande simplicité, nous semble être fournie par ces phénomènes dont le nom a beaucoup varié jusqu’ici, mais dont la nature est, au fond, identique, c’est-à-dire par ce que l’on a tour à tour appelé hypnotisme avec le docteur Braid, biologisme avec M. Philips, suggestion avec M. Carpenter. Rappelons que, par suite de la forte tension cérébrale résultant de la contemplation, longtemps soutenue, d’un objet immobile, le cerveau tombe dans un état particulier, qui a reçu successivement les noms d’état magnétique, de sommeil nerveux et d’état biologique, noms différents qui désignent certaines variantes particulières d’un état généralement identique.

« Une fois amené à cet état, soit par les passes d’un magnétiseur, comme on le fait depuis Mesmer, soit par la contemplation d’un corps brillant, comme opérait Braid, imité depuis par M. Philips, et comme opèrent encore les sorciers arabes et égyptiens, soit simplement enfin par une forte contention morale, comme nous en avons cité plus d’un exemple, l’individu tombe dans cette passivité automatique qui constitue le sommeil nerveux. Il a perdu la puissance de diriger et de contrôler sa propre volonté, il est au pouvoir d’une volonté étrangère. On lui présente un verre d’eau en affirmant avec autorité que c’est un délicieux breuvage, et il le boit en croyant boire du vin, une liqueur ou du lait, selon la volonté de celui qui s’est fortement emparé de son être. Ainsi privé du secours de son propre jugement, l’individu demeure presque étranger aux actions qu’il exécute, et une fois revenu à son état naturel, il a perdu le souvenir des actes qu’il a accomplis pendant cette étrange et passagère abdication de son moi. Il est sous l’influence des suggestions, c’est-à-dire qu’acceptant, sans pouvoir la repousser, une idée fixe qui lui est imposée par une volonté extérieure, il agit, et est forcé d’agir sans idée et sans volonté propre, par conséquent sans conscience. Ce système soulève une grave question de psychologie, car l’homme ainsi influencé a perdu son libre-arbitre, et n’a plus la responsabilité des actions qu’il exécute. Il agit, déterminé par des images intruses qui obsèdent son cerveau, analogues à ces visions que Cuvier suppose fixées dans le sensorium de l’abeille, et qui lui représentent la forme et les proportions de la cellule que l’instinct la pousse à construire. Le principe des suggestions rend parfaitement compte des phénomènes, si variés et parfois si terribles de l’hallucination, et montre en même temps le peu d’intervalle qui sépare l’halluciné du monomane.  †  Il ne faudra plus s’étonner si, chez un assez grand nombre de tourneurs de tables, l’hallucination a survécu à l’expérience et s’est transformée en folie définitive.

« Ce principe des suggestions, sous l’influence du sommeil nerveux, nous paraît fournir l’explication du phénomène de la rotation des tables, pris dans sa plus grande simplicité. Considérons ce qui se passe dans la chaîne des personnes qui se livrent à une expérience de ce genre. Ces personnes sont attentives, préoccupées, fortement émues de l’attente du phénomène qui doit se produire. Une grande attention, un recueillement complet d’esprit leur est recommandé. A mesure que cette attente se prolonge, et que la contention morale reste longtemps entretenue chez les expérimentateurs, leur cerveau se fatigue de plus en plus, leurs idées éprouvent un léger trouble. Quand nous avons assisté, pendant l’hiver de l’année 1860, aux expériences faites à Paris  †  par M. Philips ; quand nous avons vu les dix ou douze personnes auxquelles il confiait un disque métallique, avec l’injonction de considérer fixement et uniquement ce disque placé dans le creux de leur main pendant une demi-heure, nous n’avons pu nous défendre de trouver dans ces conditions reconnues indispensables pour la manifestation de l’état hypnotique, la fidèle image de l’état où se trouvent les personnes formant silencieusement la chaîne, pour obtenir la rotation d’une table. Dans l’un et l’autre cas, il y a une forte contention d’esprit, une idée exclusivement poursuivie pendant un temps considérable. Le cerveau humain ne peut résister longtemps à cette excessive tension, à cette accumulation anormale de l’influx nerveux. Sur les dix ou douze personnes qui sont livrées à cette opération, la plupart abandonnent l’expérience, forcées d’y renoncer par la fatigue nerveuse qu’elles éprouvent. Quelques-unes seulement, une ou deux, qui y persévèrent, tombent en proie à l’état hypnotique ou biologique, et donnent lieu alors aux phénomènes divers que nous avons examinés en parlant dans le cours de cet ouvrage, de l’hypnotisme et de l’état biologique.

« Dans cette réunion de personnes fixement attachées, pendant vingt minutes ou une demi-heure, à former la chaîne, les mains posées à plat sur une table sans avoir la liberté de distraire un instant leur attention de l’opération à laquelle elles prennent part, le plus grand nombre n’éprouve aucun effet particulier. Mais il est bien difficile que l’une d’elles, une seule si l’on veut, ne tombe pas, pour un moment, en proie à l’état hypnotique ou biologique. Il ne faut peut-être qu’une seconde de durée de cet état, pour que le phénomène attendu se réalise. Le membre de la chaîne tombé dans ce demi-sommeil nerveux, n’ayant plus conscience de ses actes, et n’ayant d’autre pensée que l’idée fixe de la rotation de la table, imprime à son insu le mouvement au meuble ; il peut, en ce moment, déployer une force musculaire relativement considérable, et la table s’élance. Cette impulsion donnée, cet acte inconscient accompli, il n’en faut pas davantage. L’individu, ainsi passagèrement biologisé, peut ensuite revenir à son état ordinaire ; car à peine ce mouvement de déplacement mécanique s’est-il manifesté dans la table qu’aussitôt toutes les personnes composant la chaîne se lèvent et suivent ses mouvements, autrement dit font marcher la table en croyant seulement la suivre. Quant à l’individu cause involontaire, inconsciente du phénomène, comme on ne conserve aucun souvenir des actes que l’on a exécutés dans l’état de sommeil nerveux, il ignore lui-même ce qu’il a fait, et il s’indigne de très bonne foi, si on l’accuse d’avoir poussé la table. Il soupçonne même les autres membres de la chaîne d’avoir joué le mauvais tour dont ont l’accuse. De là ces fréquentes discussions, et même ces disputes graves auxquelles a donné lieu si souvent la distraction des tables tournantes.

« Telle est l’explication que nous croyons pouvoir présenter en ce qui concerne le fait de la rotation des tables, pris dans sa plus grande simplicité. Quant aux mouvements de la table répondant à des questions : les pieds qui se soulèvent aux commandements, et qui, par le nombre des coups, répondent aux questions posées, le même système en rend compte, si l’on admet que parmi les membres de la chaîne, il en est un chez qui l’état de sommeil nerveux conserve une certaine durée. Cet individu, hypnotisé à son insu, répond aux questions et aux ordres qui lui sont donnés, en inclinant la table, ou en lui faisant frapper des coups, conformément aux demandes. Revenu ensuite à son état naturel, il a oublié tous les actes ainsi accomplis, de même que tout individu magnétisé, hypnotisé, a perdu le souvenir des actes qu’il a exécutés durant cet état. L’individu qui joue ce rôle à son insu, est donc une sorte de dormeur éveillé ; il n’est point sui compos, il est dans un état mental qui participe du somnambulisme et de la fascination. Il ne dort pas, il est charmé ou fasciné à la suite de la forte concentration morale qu’il s’est imposée : c’est un médium. Comme ce dernier exercice est d’un ordre supérieur au premier, il ne peut être obtenu dans tous les groupes. Pour que la table réponde aux questions posées, en soulevant un de ses pieds et frappant des coups, il faut que les individus qui opèrent aient pratiqué avec suite le phénomène de la table tournante, et que parmi eux, il se trouve un sujet particulièrement apte à tomber en cet état, qui y tombe plus vite par l’habitude et y persévère plus longtemps : il faut, en un mot, un médium éprouvé.

« Mais, dira-t-on, vingt minutes ou une demi-heure ne sont pas toujours nécessaires pour obtenir le phénomène de la rotation d’un guéridon ou d’une table. Souvent, au bout de quatre ou cinq minutes, la table se met en marche. A cette remarque nous répondrons qu’un magnétiseur, quand il a affaire à son sujet habituel ou à un somnambule de profession, fait tomber celui-ci en somnambulisme en une minute ou deux, sans passes, sans appareil, et par la seule imposition fixe de son regard. Ici, c’est l’habitude qui a rendu le phénomène facile et prompt. De même, les médiums exercés peuvent en très peu de temps, arriver à cet état de demi-sommeil nerveux, qui doit rendre inévitable le fait de la rotation de la table ou le mouvement imprimé par lui à ce meuble, conformément à la demande posée. »


Nous ne savons comment M. Figuier appliquerait sa théorie aux mouvements qui ont lieu, aux bruits qui se font entendre, au déplacement des objets, sans le contact du médium, sans la participation de sa volonté, contre son gré ; mais il y a bien d’autres choses qu’il n’explique pas. Au reste, en acceptant même sa théorie, elle révélerait un phénomène physiologique des plus extraordinaires, et bien digne de l’attention des savants ; pourquoi donc l’ont-ils dédaignée ?

M. Figuier termine son Traité du merveilleux par une courte notice sur le Livre des Esprits. Il le juge naturellement à son point de vue ; «  la philosophie, dit-il, en est surannée, et la morale endormante. » Il aurait sans doute mieux aimé une morale égrillarde et réveillante ; mais qu’y faire ? C’est une morale à l’usage de l’âme ; du reste, elle aura toujours eu un avantage : celui de le faire dormir ; c’est pour lui une recette en cas d’insomnie.


[Revue de avril 1861.]

APPRÉCIATION DE L’HISTOIRE DU MERVEILLEUX.

De M. Louis Figuier, par M. Escande, rédacteur de la Mode Nouvelle.
Il y a une image de ce article dans le service Google — Recherche de livres (Revue Spirite 1861).

16. — Dans les articles que nous avons publiés sur cet ouvrage, nous nous sommes principalement attaché à chercher le point de départ de l’auteur, et il ne nous a pas été difficile, en citant ses propres paroles, de prouver qu’il se base sur les idées matérialistes. La base étant fausse, au point de vue du moins de l’immense majorité des hommes, les conséquences qu’il en tire contre les faits qu’il qualifie de merveilleux sont par cela même entachées d’erreur. Cela n’a pas empêché quelques-uns de ses confrères de la presse d’exalter le mérite, la profondeur et la sagacité de l’ouvrage. Tous cependant ne sont pas de cet avis. Nous trouvons sur ce sujet, dans la Mode Nouvelle  n journal plus sérieux que son titre, un article aussi remarquable par le style que par la justesse des appréciations. Son étendue ne nous permet pas de le citer en entier, et d’ailleurs l’auteur en promet d’autres, car dans celui-ci il ne s’occupe guère que du premier volume. Nos lecteurs nous sauront gré de leur en donner quelques fragments.


I.


17. —  Ce livre a de grandes prétentions, et il n’en justifie aucune. Il voudrait passer pour érudit, il affecte la science, il affiche un luxe apparent de recherches, et son érudition est superficielle, sa science incomplète, ses recherches hâtives, mal digérées. M. Louis Figuier s’est donné la spécialité de recueillir, un à un, les mille petits faits qui poussent, au jour le jour, autour des académies, comme ces longues rangées de champignons qui naissent du soir au matin sur les couches cryptogamifères, et il en compose ensuite des livres qui font concurrence à la Cuisinière bourgeoise et aux traités du Bonhomme Richard. Rompu à ce travail de compositions faciles, — inférieur au travail de compilation de ce bon abbé Trublet  †  dont Voltaire s’est spirituellement moqué, — et qui lui laisse forcément des loisirs, il s’est dit qu’il ne lui serait pas plus difficile d’exploiter la passion du surnaturel qui enfièvre plus que jamais les imaginations, qu’il ne lui était difficile d’utiliser les partages presque toujours oiseux de la seconde classe de l’Institut. Habitué à rédiger des revues scientifiques avec les redites d’autrui, avec des abrégés de comptes rendus qu’il abrégé à son tour, avec des thèses et des mémoires qu’il analyse ; habile à brocher plus tard en volumes ces réductions de réductions, il s’est donc mis à l’œuvre ; et fidèle à son passé, il a compulsé, à la hâte, tous les traités sur la matière qui lui sont tombés sous la main, les a émiettés, puis il a repétri ces miettes à sa façon, et en a composé un livre, après quoi nous ne mettons pas en doute qu’il ne se soit écrié avec Horace : Exegi monumentum ; « moi aussi, j’ai élevé mon monument, et il sera plus durable que l’airain ! »

« Et il aurait raison d’être fier de son chiffonnage, si la qualité se mesurait à là quantité ! En effet, elle ne forme pas moins de quatre forts volumes, cette histoire du merveilleux, et elle ne contient que l’histoire du merveilleux dans les temps modernes, depuis 1630 jusqu’à nos jours, à peine deux siècles, ce qui en supposerait au moins un peu plus du double que les plus volumineuses encyclopédies, si elle contenait l’histoire du merveilleux dans tous les temps et chez tous les peuples ! Aussi, quand on pense que ce fragment de monographie d’une si vaste étendue ne lui a coûté que quelques mois de travail, on est d’abord tenté de croire que cet enfantement, à la fois si gros et si hâtif, est plus merveilleux que les merveilles qu’il contient. Mais cette fécondité cesse d’être un prodige, lorsqu’on étudie de près le procédé de composition dont il a fait usage, et, à vrai dire, il lui est si familier, qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’il en employât un autre. Au lieu de condenser les faits, de les exposer sommairement, de négliger les détails inutiles, de s’attacher surtout à mettre en relief les circonstances caractéristiques, et de les discuter ensuite, il s’est étudié uniquement à écrire un feuilleton plus long que ceux qu’il écrit hebdomadairement dans la Presse. Armé d’une paire de ciseaux, il a découpé, dans les ouvrages antérieurs au sien, ce qui favorisait les idées préconçues qu’il désirait faire triompher, écartant ce qui pouvait contrarier l’opinion qu’il s’était formée à priori sur cette importante question, ce qui surtout pouvait contrarier l’explication naturelle qu’il se proposait de donner des manifestations qualifiées surnaturelles par ce que les libres penseurs sont unanimes à appeler la crédulité publique. Car c’est encore une des prétentions de son livre, — et cette prétention n’est pas mieux justifiée que les autres, — que celle d’en donner une solution physique ou médicale nouvelle, trouvée par lui, solution triomphante, inattaquable, désormais à l’abri des objections des hommes assez simples pour croire que Dieu est plus puissant que nos savants. Il le répète en cent endroits de son ouvrage, afin que nul ne l’ignore, et avec l’espoir qu’on finira par le croire, quoiqu’il se borne à répéter ce qu’ont dit à cet égard, avant lui, tous ceux, physiciens ou médecins, philosophes ou chimistes, qui ont plus horreur du surnaturel que Pascal n’avait horreur du vide.

« Il en résulte que cette histoire du merveilleux manque à la fois et d’autorité et de proportions. Au point de vue dogmatique, elle ne dépasse pas les dénégations des dénégateurs antérieurs, elle n’ajoute aucun argument aux arguments qu’ils ont déjà développés, et en cette question comme en toute autre, nous ne comprenons pas l’utilité des échos. Il y a plus : tourmenté du désir de paraître faire mieux que Calmeil, Esquiros, Montègre, Hecquet et tant d’autres qui l’ont précédé et seront toujours ses maîtres, M. Louis Figuier s’égare souvent dans le labyrinthe confus des démonstrations qu’il leur emprunte, en voulant se les approprier, et finit parfois par rivaliser de logique avec M. Babinet. Quant aux faits, il les y a accumulés en immense quantité, quoiqu’un peu au hasard, tronquant, les uns, écartant les autres, s’attachant à reproduire de préférence ceux qui pouvaient offrir un certain attrait à la lecture ; ce qui prouve qu’il a principalement visé à un succès facile, à lutter d’intérêt avec les romanciers du jour, et nous sommes à nous demander comment il n’a pas engagé l’éditeur à comprendre son ouvrage dans l’amusante Bibliothèque des chemins de fer, afin qu’il allât plus droit à l’adresse de cette foule de lecteurs qui lisent pour se distraire et nullement pour s’instruire.

« Et son livre est amusant, nous ne le contestons pas, s’il suffit à un livre, pour posséder ce mérite, de ressembler à un ana composé d’historiettes accumulées en vue du pittoresque, sans trop de souci de la vérité ; ce qui ne l’empêche pas de s’y vanter à tout propos et hors de propos de son impartialité, de sa véracité : — une prétention de plus à ajouter à toutes celles que nous avons relevées, et dans laquelle il se drape avec d’autant plus d’affectation, qu’il ne se dissimule pas combien elle lui fait défaut. — Tel qu’il est, nous ne saurions mieux le comparer qu’à ces restaurants-omnibus, prodigues de comestibles, qui n’ont guère de séduisant que l’apparence, et qu’ils servent aux consommateurs un peu au hasard de la fourchette. Plus superficiel que profond, l’important y est sacrifié au futile, le principal à l’accessoire, le côté dogmatique au côté épisodique ; les lacunes y abondent d’ailleurs autant que les choses inutiles, et afin que rien n’y manque, il est plein de contradictions, affirmant ici ce qu’il dénie plus loin, si bien qu’on serait tenté de croire que, différent en cela au célèbre Pic de la Mirandole,  †  — capable de disserter de omni re simili [sur toutes les choses connues], — M. Louis Figuier a entrepris d’enseigner aux autres ce qu’il ne savait pas lui-même.


II.


18. —  Nous pourrions borner là l’examen de cette histoire du merveilleux, si nous ne tenions pas à justifier ces sévères mais justes appréciations. Et d’abord avons-nous besoin d’ajouter que celui qui l’a écrite ne croit pas à la possibilité du surnaturel ? nous ne le pensons pas. En sa qualité d’académicien surnuméraire, — un surnumérariat qui ne se terminera probablement qu’avec sa vie ; — en vertu des pouvoirs que lui confère son titre de feuilletoniste scientifique, il ne pouvait soutenir d’autre thèse, sans s’exposer à être mis à l’index par l’armée dés incrédules dont il s’estime susceptible de faire partie. Lui non plus ne croit pas, et, à cet égard, son incroyance est au-dessus du soupçon. Il est du nombre « de ces esprits sages qui, témoins du débordement imprévu du merveilleux contemporain, ne peuvent comprendre un tel égarement en plein dixneuvième siècle, avec une philosophie avancée, et au milieu de ce magnifique mouvement scientifique qui dirige tout aujourd’hui vers le positif et l’utile. » — Nous reconnaissons qu’il doit être pénible pour « ces esprits sages  » de voir que l’esprit public se refuse ainsi à dépouiller ses vieux préjugés, et persiste à avoir des croyances autres que celles du positivisme philosophique, qui sont cependant celles de tous les animaux. Ce déboire ne date pas, du reste, seulement de nos jours. M. Louis Figuier en fait l’aveu, non sans dépit, lorsqu’il se demande, en termes ahuris, comment il a pu se faire que le merveilleux ait résisté au dix-huitième siècle, « dans le siècle de Voltaire et de l’Encyclopédie, tandis que les yeux s’ouvraient aux lumières du bon sens et de la raison. » Qu’y faire ? Elle est si vivace cette croyance au merveilleux, consacrée par toutes les religions, qui a été celle de tous les temps, de tous les peuples, sous toutes les latitudes et sur tous les continents, que les libres penseurs, satisfaits de l’avoir secouée par eux-mêmes et pour eux-mêmes, feraient sagement de s’abstenir désormais d’un prosélytisme dont ils savent l’inévitable insuccès.

« Mais M. Louis Figuier n’est pas de ces cœurs pusillanimes qui s’effraient à l’avance de l’inutilité de leurs efforts. Plein de confiance et de suffisance dans sa force, il s’est flatté de réaliser ce que Voltaire, Diderot, Lamétrie, Dupuis, Volney, Dulaure, Pigault-Lebrun, ce que Dulaurens avec son Compère Mathieu, ce que les chimistes avec leurs alambics, les physiciens avec leurs piles électriques, les astronomes avec leurs compas, les panthéistes avec leurs sophismes et les mauvais plaisants avec leur scepticisme de mauvais aloi, ont été impuissants à accomplir. Il s’est proposé de démontrer à nouveau et triomphalement cette fois que « le surnaturel n’existe pas, qu’il n’a jamais existé, » et par suite que « les prodiges anciens et contemporains peuvent être tous rapportés à une cause naturelle. » L’entreprise est ardue, les plus intrépides ont jusqu’ici succombé à la peine ; mais « une pareille conclusion, qui évincerait nécessairement tout agent surnaturel, serait une victoire remportée par la science sur l’esprit de superstition, au grand bénéfice de la raison et de la dignité humaines, » et cette victoire a flatté son ambition ; — victoire aisée à tout prendre, plus aisée que nous le supposions, si M. Louis Figuier ne s’est pas mépris lorsqu’il dit, dans son introduction, que « notre siècle s’inquiète assez peu des matières théologiques et des disputes religieuses. » Alors à quoi bon s’armer en guerre contre une croyance qui n’existe pas ? à quoi bon s’attaquer à des opinions de théologie dont nous n’avons nul souci ? à quoi bon s’en prendre à des superstitions religieuses qui ne nous préoccupent plus ? « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, » dit le poète, et il ne convient pas de faire sonner trop haut la trompette guerrière, si l’on n’a à combattre que des moulins à vent. Que voulez-vous ? M. Louis Figuier avait oublié, en écrivant ceci, ce qu’il avait écrit plus haut, lorsqu’il avouait, la honte au front, que notre siècle, sourd aux leçons de l’Encyclopédie et aux enseignements de la presse irréligieuse, s’était subitement épris du merveilleux et croyait plus que ses devanciers au surnaturel, aberration incompréhensible dont il ambitionnait de le guérir. Mais cette contradiction est si minime qu’elle ne valait peut-être pas la peine d’être relevée : nous en verrons bien d’autres, et encore serons-nous obligé d’en négliger beaucoup !

« Donc M. Louis Figuier nie qu’il se produise de nos jours et qu’il se soit produit en aucun temps des manifestations surnaturelles. En fait de miracles, il n’y a que la science qui ait le pouvoir d’en faire : le pouvoir de Dieu n’a jamais été jusque-là. Encore quand nous disons que Dieu n’a pas ce pouvoir, avons-nous une sorte de scrupule de traduire incomplètement sa pensée. Reconnaît-il un autre dieu que le dieu nature, si admirable dans son intelligence aveugle, et qui accomplit des merveilles sans s’en douter, dieu chéri des savants, parce qu’il est assez débonnaire pour leur laisser croire qu’ils usurpent journellement un lambeau de sa souveraineté ? C’est une question que nous ne nous permettrons pas d’approfondir.

« Médiocrement merveilleuse, cette histoire du merveilleux débute par une introduction que M. Louis Figuier appelle un coup d’œil rapide jeté sur le surnaturel dans l’antiquité et au moyen âge, dont nous ne dirons rien, parce que nous aurions trop à en dire. Les manifestations les plus importantes y sont défigurées, sous prétexte de résumé, et l’on comprend qu’il nous faudrait trop de temps et d’espace pour restituer leur véritable physionomie aux milliers de faits qui n’y figurent qu’à l’état de raccourci.

« L’édifice est digne du péristyle ; cette histoire du merveilleux, pendant ces deux derniers siècles, s’ouvre par le récit de l’affaire d’Urbain Grandier et des religieuses de Loudun  †  ; viennent ensuite la baguette divinatoire, les Trembleurs des Cévennes, les Convulsionnaires jansénistes,  †  Cagliostro, le magnétisme et les tables tournantes. Mais de la possession de Louviers pas un mot, et pas un mot non plus des illuminés, des Martinistes, du swedenborgisme, des sygmatisés du Tyrol, de la remarquable manifestation des enfants en Suède, il n’y a pas cinquante ans ; à peine y est-il dit un mot des exorcismes du prêtre Gassner [v. Le curé Gassner], et moins d’une page insignifiante y est consacrée à la voyante de Prevorst. M. Louis Figuier aurait mieux fait d’intituler son livre : Épisodes de l’histoire du merveilleux dans les temps modernes ; encore les épisodes qu’il a choisis peuvent-ils donner lieu à de sérieuses objections. Personne n’a jamais attribué aux tours de passe-passe de Cagliostro une signification surnaturelle. C’était un habile intrigant, qui possédait quelques secrets curieux, dont il sut habilement se servir pour éblouir ceux qu’il voulait exploiter, et qui possédait surtout de nombreux compères. Cagliostro méritait plutôt de trouver place dans la galerie des précurseurs révolutionnaires que dans le pandémonium des sorciers. Nous ne voyons pas également ce que le magnétisme a à faire dans cette histoire du merveilleux, surtout au point de vue où M. Louis Figuier s’est placé. Le magnétisme ressort de l’Académie de médecine et de l’Académie des sciences, qui l’ont trop dédaigné ; mais il ne peut intéresser le surnaturalisme qu’à l’occasion de quelques-unes de ses manifestations, celles que M. Louis Figuier a négligées du reste, afin de réserver l’espace qu’il lui a consacré au récit de la vie de Mesmer, des expériences du marquis de Puységur et de l’incident relatif au fameux rapport de M. Husson. Nous avons traité, il y a deux ans, cette importante question, et nous n’y reviendrons pas, parce que nous ne pourrions que nous répéter. Nous laisserons aussi de côté celle des tables tournantes, que nous avons examinée à la même époque. Il y aurait cependant beaucoup à dire sur l’explication naturelle et physique que M. Louis Figuier prétend fournir de cette danse des tables et des manifestations qui en sont la suite ; mais il faut savoir se borner. Laissons-le donc se débattre avec la Revue spiritualiste et avec la Revue spirite, deux revues publiées à Paris par les adeptes de la croyance à la manifestation des Esprits, qui l’accusent d’avoir écrit son réquisitoire sans avoir au préalable entendu les témoins et consulté les pièces du procès. L’une et l’autre prétendent qu’il n’a jamais assisté qu’à une seule séance spiritualiste, et qu’à son arrivée, il eut soin de déclarer que son opinion était arrêtée, que rien ne l’en ferait changer.

« Est-ce vrai ? nous ne savons. Tout ce que nous pouvons affirmer, c’est qu’après avoir repoussé, avec juste raison, la solution de M. Babinet, par les mouvements naissants et inconscients, il finit par l’adopter pour son propre compte, tant il est inconscient lui-même de ce qu’il pense et de ce qu’il écrit, et la preuve la voici. « Dans ces réunions de personnes fixement attachées, dit-il, pendant vingt minutes ou une demi-heure, à former la chaîne, les mains posées à plat sur une table, sans avoir la liberté de distraire un instant leur attention de l’opération à laquelle elles prennent part, le plus grand nombre n’éprouve aucun effet particulier. Mais il est bien difficile que l’une d’elles, une seule si l’on veut, ne tombe pas, pour un moment, en proie à l’état hypnotique ou biologique. (L’hypnotisme lui fournit une réponse à tout, ainsi que nous le verrons plus tard.) Il ne faut peut-être qu’une seconde de durée de cet état pour que le phénomène attendu se réalise. Le membre de la chaîne tombé dans ce demi-sommeil nerveux, n’ayant plus conscience de ses actes, et n’ayant d’autre pensée que l’idée fixe de la rotation de la table, imprime à son insu le mouvement au meuble. » Que ne commençait-il alors par se moquer de lui-même, puisqu’il lui plaisait de se moquer de M. Babinet ? C’eût été logique, surtout après avoir annoncé qu’il venait éclaircir le mystère, et du moment qu’il ne plaçait dans sa lanterne qu’un lumignon aussi ridicule que celui qu’avait précédemment allumé le savant académicien. Mais la logique et M. Louis Figuier ont divorcé dans cette histoire du merveilleux. Hélas ! les échos ont beau prétendre qu’ils vont parler, leurs efforts n’aboutissent qu’à répéter ce qu’ils entendent.

« Quant aux longs chapitres qu’il consacre à la baguette divinatoire, et en particulier à Jacques Aymar, nous nous permettrons d’abord de lui faire observer qu’il s’abuse s’il pense que ce problème a été suffisamment étudié par M. Chevreul. C’est une illusion qu’il peut laisser, si bon lui semble, à ce savant ; mais en dehors de l’Académie des sciences, il ne trouvera personne qui admette que la théorie du pendule explorateur réponde à toutes les objections. Le mot prêté à Galilée : « Et cependant elle tourne ! » n’est pas sans une application possible à la baguette divinatoire. Elle a tourné et elle tourne, en dépit des sceptiques qui nient le mouvement, parce qu’ils se refusent à le voir ; et les milliers d’exemples que nous pourrons citer, — et que M. Louis Figuier cite lui-même, — attestent la réalité du phénomène. Tourne-t-elle par une impulsion diabolique ou spirite, comme on dirait aujourd’hui, ou bien sous l’impression qu’elle reçoit de quelques effluves inconnus ? Volontiers nous rejetterons toute influence surnaturelle, quoiqu’elle puisse être admise dans certains cas. Ce qui ne nous paraît pas prouvé, c’est la non-existence de fluides inconnus. Le fluide magnétique compte, entre autres, de nombreux partisans, dont les affirmations méritent autant d’autorité que les négations de leurs adversaires. Quoi qu’il en soit, la baguette divinatoire a accompli des merveilles qui peuvent n’avoir rien de surnaturel, mais que la science est incapable d’expliquer, elle qui en explique d’ailleurs fort peu de toutes celles que nous voyons se produire chaque jour autour de nous, dans la vie du moindre brin d’herbe. La modestie est une vertu qui lui fait défaut, et qu’elle ferait sagement d’acquérir.

« Entre autres merveilles, celles qu’accomplissait Jacques Aymar, dont nous parlions tantôt, mériteraient d’être rapportées au long. Un jour, entre autres, il est appelé à Lyon, au lendemain d’un grand crime commis dans cette ville. Armé de sa baguette, il explore la cave qui en avait été le théâtre, déclare que les assassins étaient au nombre de trois ; puis il se met à suivre leurs traces, qui le conduisent chez un jardinier dont la maison était située sur le bord du Rhône, et affirme qu’ils y sont entrés, qu’ils y ont même bu une bouteille de vin. Le jardinier proteste du contraire ; mais ses jeunes enfants interrogés avouent que trois individus sont venus, en l’absence de leur père, et qu’ils leur ont vendu du vin. Alors Aymar se remet en route, — toujours conduit par sa baguette, — découvre l’endroit où ils se sont embarqués sur le Rhône,  †  se jette lui-même dans une nacelle, descend à tous les endroits où ils sont descendus, se rend au camp de Sablon, entre Vienne  †  et Saint-Vallier, trouve qu’ils y ont séjourné quelques jours, se remet à leur poursuite, et arrive d’étape en étape jusqu’à Beaucaire,  †  en pleine foire, dont il parcourt les rues encombrées de monde et s’arrête devant la porte de la prison où il entre et désigne un petit bossu comme étant l’un des meurtriers. Ses investigations lui firent ensuite trouver que les autres s’étaient dirigés du côté de Nîmes  †  ; mais les agents de l’autorité ne voulurent pas alors pousser plus loin leurs recherches. Le bossu, conduit à Lyon, confessa son forfait, et fut rompu vif.

« Voilà l’exploit de Jacques Aymar, et les exploits aussi surprenants que celui-là sont nombreux dans sa vie. M. Louis Figuier l’admet dans toutes ses circonstances. Il ne pouvait d’ailleurs faire autrement, puisqu’il est attesté par des centaines de témoignages dont il n’est pas permis de suspecter la véracité, « par trois relations et plusieurs lettres concordantes écrites par les témoins et par des magistrats, hommes également honorables et désintéressés, et que personne, dans le public contemporain, n’a soupçonné d’un concert véritablement impossible entre eux. » Mais comme ici une explication physique ne pouvait même être essayée, il s’est vu obligé de renoncer à son procédé ordinaire, et s’est jeté dans un labyrinthe de suppositions plus ingénieuses que vraisemblables. Il transforme Jacques Aymar en un agent de police d’une perspicacité à distancer celle de M. de Sartines, quelque célèbre qu’elle soit. Auprès de lui nos chefs de la police de sûreté les plus intelligents ne seraient que des écoliers. Il suppose donc que ce tourneur de baguette, pendant trois ou quatre heures qu’il passa à Lyon, avant de commencer ses expériences, eut le temps de prendre des informations et de découvrir ce que les autorités judiciaires ignoraient elles-mêmes. Il se rendit chez le jardinier, parce qu’il était présumable que les assassins s’étaient embarqués sur le Rhône, afin de s’éloigner plus vite ; il devina qu’ils y avaient bu du vin, parce qu’ils devaient avoir soif ; il aborda le long de ce fleuve partout où l’on sut plus tard qu’ils avaient réellement abordé, parce que les lieux habituels d’abordage lui étaient connus ; il s’arrêta au camp de Sablon, parce qu’il était évident qu’ils avaient voulu se donner le spectacle de cette réunion de troupes ; il se rendit à Beaucaire, parce qu’il était certain que le désir d’y faire quelque bon coup de leur métier les y avait conduits ; il s’arrêta enfin devant la porte de la prison, parce qu’il était probable que quelqu’un d’entre eux avait eu la maladresse de se faire arrêter. « Voilà pourquoi votre fille est muette ! » dit Sganarelle ; et M. Louis Figuier ne dit pas mieux ni autrement. Il croit surtout triompher, parce que Jacques Aymar, ayant été appelé plus tard à Paris, sur le bruit de sa renommée, y vit sa perspicacité subir des échecs réels, à côté de quelques réussites réelles aussi. Mais ces éclipses, qui lui valurent alors une certaine défaveur, M. Louis Figuier devait, moins que tout autre, lui en faire un reproche ; moins que tout autre, il pouvait s’en autoriser pour le déclarer un imposteur, lui qui sait mieux que personne, lui qui reconnaît, à propos du magnétisme, que ces sortes d’expériences sont capricieuses, et réussissent un jour pour échouer un autre. A cette inconséquence il en ajoute enfin une seconde, moins excusable. Non content d’accuser Jacques Aymar de charlatanisme, il prononce la même condamnation contre presque tous les tourneurs de baguette dont il raconte les faits et gestes, et dans la discussion, il dit cependant : « Parmi les nombreux adeptes praticiens, un petit nombre seulement étaient de mauvaise foi ; encore ne l’étaient-ils pas toujours ; le plus grand nombre opérait avec une entière sincérité. La baguette tournait positivement entre leurs mains, indépendante de tout artifice, et le phénomène, en tant que fait, était bien réel. » Bien, très bien, on ne peut mieux, la vérité est là. Mais comment et pourquoi tournait-elle  ? Impossible d’échapper à cette interrogation indiscrète. Or M. Louis Figuier y répond ainsi : « Ce mouvement du bâton s’opérait en vertu d’un acte de leur pensée et sans qu’ils eussent aucune conscience de cette action secrète de leur volonté. » Toujours cette inconscience plus merveilleuse que le merveilleux qu’on repousse ! Y croira qui voudra. » [v. La Bibliographie catholique contre le Spiritisme.]

ESCANDE.



[1] [Histoire du merveilleux dans les temps modernes — Google Books, par Louis Figuier.]


[2] Ce ne sont pas des Esprits qui nous font agir et penser, mais un Esprit qui est notre âme. Nier cet esprit, c’est nier l’âme ; nier l’âme c’est proclamer le matérialisme pur. Il paraît que M. Figuier pense que, comme lui, personne ne croit avoir une âme immortelle, ou qu’il croit être tout le monde.


[3] Bureau, rue Sainte-Anne, 63, nº du 22 février 1861. Prix, par nº, 1 fr.


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