1. —
CHAPITRE Ire. — 1. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.
— 2. La terre était uniforme et toute nue ; les ténèbres couvraient
la face de l’abîme, et l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux. —
3. Or Dieu dit : Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite.
— 4. Dieu vit que la lumière était bonne, et sépara la lumière d’avec
les ténèbres. — 5. Il donna à la lumière le nom de jour et aux ténèbres
le nom de nuit ; et du soir et du matin se fit le premier jour.
6. Dieu dit aussi : Que le firmament soit fait au milieu des eaux, et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux. — 7. Et Dieu fit le firmament ; et il sépara les eaux qui étaient sous le firmament d’avec celles qui étaient au-dessus du firmament. Et cela se fit ainsi. — 8. Et Dieu donna au firmament le nom de ciel ; et du soir et du matin se fit le second jour.
9. Dieu dit encore : Que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en un seul lieu, et que l’élément aride paraisse. Et cela se fit ainsi. — 10. Dieu donna à l’élément aride le nom de terre, et il appela mers toutes ces eaux rassemblées. Et il vit que cela était bien. — 11. Dieu dit encore : Que la terre produise de l’herbe verte qui porte de la graine, et des arbres fruitiers qui portent du fruit chacun selon son espèce, et renferment leur semence en eux-mêmes pour se reproduire sur la terre. Et cela se fit ainsi. — 12. La terre produisit donc de l’herbe verte qui portait de la graine selon son espèce, et des arbres fruitiers qui renfermaient leur semence en eux-mêmes, chacun selon son espèce. Et Dieu vit que cela était bon. — 13. Et du soir et du matin se fit le troisième jour.
14. Dieu dit aussi : Que des corps de lumière soient faits dans le firmament du ciel, afin qu’ils séparent le jour d’avec la nuit : et qu’ils servent de signes pour marquer le temps et les saisons, les jours et les années. — 15. Qu’ils luisent dans le firmament du ciel, et qu’ils éclairent la terre. Et cela se fit ainsi. — 16. Dieu fit donc deux grands corps lumineux, l’un plus grand pour présider au jour, et l’autre moindre pour présider à la nuit ; il fit aussi les étoiles ; — 17. Et il les mit dans le firmament du ciel pour luire sur la terre. — 18. Pour présider au jour et à la nuit, et pour séparer la lumière d’avec les ténèbres. Et Dieu vit que cela était bon. — 19. Et du soir et du matin se fit le quatrième jour.
20. Dieu dit encore : Que les eaux produisent des animaux vivants qui nagent dans l’eau, et des oiseaux qui volent sur la terre sous le firmament du ciel. — 21. Dieu créa donc les grands poissons, et tous les animaux qui ont la vie et le mouvement, que les eaux produisirent chacun selon son espèce, et il créa aussi tous les oiseaux selon leur espèce. Il vit que cela était bon. — 22. Et il les bénit en disant : Croissez et multipliez, et remplissez les eaux de la mer ; et que les oiseaux se multiplient sur la terre. — 23. Et du soir et du matin se fit le cinquième jour.
24. Dieu dit aussi : Que la terre produise des animaux vivants chacun selon son espèce, les animaux domestiques, les reptiles et les bêtes sauvages de la terre selon leurs différentes espèces. Et cela se fit ainsi. — 25. Dieu fit donc les bêtes sauvages de la terre selon leurs espèces, les animaux domestiques et tous les reptiles chacun selon son espèce. Et Dieu vit que cela était bon.
26. Il dit ensuite : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance, et qu’il commande aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, aux bêtes, à toute la terre et à tous les reptiles qui se meuvent sur la terre. — 27. Dieu créa donc l’homme à son image, et il le créa à l’image de Dieu, et il le créa mâle et femelle. — 28. Dieu les bénit et leur dit : Croissez et multipliez-vous, remplissez la terre et vous l’assujettissez, et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tous les animaux qui se meuvent sur la terre. — 29. Dieu dit encore : Je vous ai donné toutes les herbes qui portent leur graine sur la terre et tous les arbres qui renferment en eux-mêmes leur semence chacun selon son espèce, afin qu’ils vous servent de nourriture ; — 30. Et à tous les animaux de la terre, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui se meut sur la terre, et qui est vivant et animé, afin qu’ils aient de quoi se nourrir. Et cela se fit ainsi. — 31. Dieu vit toutes les choses qu’il avait faites ; et elles étaient très bonnes. — 32. Et du soir et du matin se fit le sixième jour.
CHAPITRE II. — l. Le ciel et la terre furent donc ainsi achevés avec tous leurs ornements. — 2. Dieu termina au septième jour tout l’ouvrage qu’il avait fait, et il se reposa ce septième jour, après avoir achevé tous ses ouvrages. — 3. Il bénit le septième jour, et il le sanctifia ; parce qu’il avait cessé en ce jour de produire tous les ouvrages qu’il avait créés. — 4. Telle est l’origine du ciel et de la terre, et c’est ainsi qu’ils furent créés au jour que le Seigneur fit l’un et l’autre. — 5. Et qu’il créa toutes les plantes des champs avant qu’elles fussent sorties de la terre, et toutes les herbes de la campagne avant qu’elles eussent poussé. Car le Seigneur Dieu n’avait pas encore fait pleuvoir sur la terre, et il n’y avait point d’homme pour la labourer ; — 6. Mais il s’élevait de la terre une fontaine qui en arrosait toute la surface.
7. Le Seigneur Dieu forma donc l’homme du limon de la terre et il répandit sur son visage un souffle de vie ; et l’homme devint vivant et animé.
2. — Après les développements contenus dans les chapitres précédents sur l’origine et la constitution de l’univers, selon les données fournies par la science pour la partie matérielle, et selon le Spiritisme pour la partie spirituelle, il était utile de mettre en parallèle le texte même de la Genèse de Moïse, afin que chacun pût établir une comparaison et juger en connaissance de cause ; quelques explications complémentaires suffiront pour faire comprendre les parties qui ont besoin d’éclaircissements spéciaux.
3. — Sur quelques points, il y a certainement une concordance remarquable entre la Genèse de Moïse et la doctrine scientifique ; mais ce serait une erreur de croire qu’il suffit de substituer, aux six jours de vingt-quatre heures de la création, six périodes indéterminées pour trouver une analogie complète ; ce serait une erreur non moins grande de croire que, sauf le sens allégorique de quelques mots, la Genèse et la science se suivent pas à pas et ne sont que la paraphrase l’une de l’autre.
4. — Remarquons d’abord, ainsi que cela a été dit (Chap. VII, nº 14), que le nombre des six périodes géologiques est arbitraire, puisque l’on compte plus de vingt-cinq formations bien caractérisées. 2 Ce nombre ne marque que les grandes phases générales ; il n’a été adopté, dans le principe, que pour rentrer, le plus possible, dans le texte biblique à une époque, peu éloignée du reste, où l’on croyait devoir contrôler la science par la Bible. 3 C’est pour cela que les auteurs de la plupart des théories cosmogoniques, en vue de se faire plus facilement accepter, se sont efforcés de se mettre d’accord avec le texte sacré. 4 Quand la science s’est appuyée sur la méthode expérimentale, elle s’est sentie plus forte, et s’est émancipée ; aujourd’hui, c’est la Bible que l’on contrôle par la science.
5 D’un autre côté, la géologie, ne prenant son point de départ qu’à la formation des terrains granitiques, ne comprend pas, dans le nombre de ses périodes, l’état primitif de la terre. Elle ne s’occupe pas non plus du soleil, de la lune et des étoiles, ni de l’ensemble de l’univers, qui appartiennent à l’astronomie. Pour rentrer dans le cadre de la Genèse, il convient donc d’ajouter une première période embrassant cet ordre de phénomènes, et que l’on pourrait appeler période astronomique.
6 En outre, la période diluvienne n’est pas considérée par tous les géologues comme formant une période distincte, mais comme un fait transitoire et passager qui n’a pas changé notablement l’état climatérique du globe, ni marqué une nouvelle phase dans les espèces végétales et animales, puisque, à peu d’exceptions près, les mêmes espèces se retrouvent avant et après le déluge. On peut donc en faire abstraction sans s’écarter de la vérité.
5. — Le tableau comparatif suivant, dans lequel sont résumés les phénomènes qui caractérisent chacune des six périodes, permet d’embrasser l’ensemble, et de juger les rapports et les différences qui existent entre elles et la Genèse biblique :
SCIENCE | GENÈSE |
I. PÉRIODE ASTRONOMIQUE. — Agglomération de la matière cosmique universelle sur un point de l’espace en une nébuleuse qui a donné naissance, par la condensation de la matière sur divers points, aux étoiles, au soleil, à la terre, à la lune et à toutes les planètes. État primitif fluidique et incandescent de la terre. — Atmosphère immense chargée de toute l’eau en vapeur, et de toutes les matières volatilisables. | 1º JOUR. — Le ciel et la terre. — La lumière. |
II. PÉRIODE PRIMAIRE. — Durcissement de la surface de la terre par le refroidissement ; formation des couches granitiques. — Atmosphère épaisse et brûlante, impénétrable aux rayons du soleil. — Précipitation graduelle de l’eau et des matières solides volatilisées dans l’air. — Absence de toute vie organique. | 2º JOUR — Le firmament. — Séparation des eaux qui sont sous le firmament de celles qui sont au-dessus. |
III. PÉRIODE DE TRANSITION. — Les eaux couvrent toute la surface du globe. — Premiers dépôts de sédiment formés par les eaux. — Chaleur humide. — Le Soleil commence à percer l’atmosphère brumeuse. — Premiers êtres organisés de la constitution la plus rudimentaire. — Lichens, mousses, fougères, lycopodes, plantes herbacées. Végétation colossale. — Premiers animaux marins : zoophytes, polypiers, crustacés. — Dépôts houillers. | 3º JOUR. — Les eaux qui sont sous le firmament se rassemblent ; l’élément aride paraît. — La terre et les mers. — Les plantes. |
IV. PÉRIODE SECONDAIRE — Surface de la terre peu accidentée ; eaux peu profondes et marécageuses. Température moins brûlante ; atmosphère plus épurée. Dépôts considérables de calcaires par les eaux. — Végétations moins colossales ; nouvelles espèces ; plantes ligneuses ; premiers arbres. — Poissons ; cétacés ; animaux à coquille ; grands reptiles aquatiques et amphibies. | 4º JOUR. — Le soleil, la lune et les étoiles. |
V. PÉRIODE TERTIAIRE. — Grands soulèvements de la croûte solide ; formation des continents. Retraite des eaux dans les lieux bas ; formation des mers. — Atmosphère épurée ; température actuelle par la chaleur solaire. — Animaux terrestres gigantesques. Végétaux et animaux actuels. Oiseaux. | 5º JOUR. — Les poissons et les oiseaux. |
DÉLUGE UNIVERSEL |
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VI. PÉRIODE QUATERNAIRE OU POSTDILUVIENNE. — Terrains d’alluvion. — Végétaux et animaux actuels. — L’homme. | 6º JOUR. — Les animaux terrestres. — L’homme. |
6. — Un premier fait qui ressort du tableau comparatif ci-dessus, c’est que l’œuvre de chacun des six jours ne correspond pas d’une manière rigoureuse, comme beaucoup le croient, à chacune des six périodes géologiques. 2 La concordance la plus remarquable est celle de la succession des êtres organiques, qui est à peu de chose près la même, et dans l’apparition de l’homme en dernier ; or c’est là un fait important.
3 Il y a également coïncidence, non avec l’ordre numérique des périodes, mais pour le fait, dans le passage où il est dit que, le troisième jour, « les eaux qui sont sous le ciel se rassemblèrent en un seul lieu, et que l’élément aride parut. » ( † ) C’est l’expression de ce qui eut lieu dans la période tertiaire, quand les soulèvements de la croûte solide mirent à découvert les continents, et refoulèrent les eaux qui ont formé les mers. C’est alors seulement que parurent les animaux terrestres, selon la géologie et selon Moïse.
7. — Lorsque Moïse dit que la création fut faite en six jours, a-t-il voulu parler de jours de vingt-quatre heures, ou bien a-t-il compris ce mot dans le sens de période, durée ? La première hypothèse est la plus probable, si l’on s’en réfère au texte même ; d’abord, parce que tel est le sens propre du mot hébreu ïôm, traduit par jour ; puis la spécification du soir et du matin, qui limitent chacun des six jours, donne tout lieu de supposer qu’il a voulu parler de jours ordinaires. On ne peut même concevoir aucun doute à cet égard, lorsqu’il dit, verset 5 : « Il donna à la lumière le nom de jour, et aux ténèbres le nom de nuit ; et du soir et du matin se fit le premier jour. » Ceci ne peut évidemment s’appliquer qu’au jour de vingt-quatre heures, divisé par la lumière et les ténèbres. Le sens est encore plus précis quand il dit, verset 17, en parlant du soleil, de la lune et des étoiles : « Il les mit dans le firmament du ciel pour luire sur la terre ; pour présider au jour et à la nuit, et pour séparer la lumière d’avec les ténèbres. Et du soir et du matin se fit le quatrième jour ».
2 D’ailleurs, tout, dans la création, était miraculeux, et dès lors qu’on entre dans la voie des miracles, on peut parfaitement croire que la terre s’est faite en six fois vingt-quatre heures, surtout quand on ignore les premières lois naturelles. 3 Cette croyance a bien été partagée par tous les peuples civilisés jusqu’au moment où la géologie est venue, pièces en main, en démontrer l’impossibilité.
8. — Un des points qui ont été le plus critiqués dans la Genèse, c’est la création du soleil après la lumière. On a cherché à l’expliquer, d’après les données mêmes fournies par la géologie, en disant que, dans les premiers temps de sa formation, l’atmosphère terrestre, étant chargée de vapeurs denses et opaques, ne permettait pas de voir le soleil, qui dès lors n’existait pas pour la terre. Cette raison serait peut-être admissible si, à cette époque, il y avait eu des habitants pour juger de la présence ou de l’absence du soleil ; or, selon Moïse même, il n’y avait encore que des plantes, qui, toutefois, n’auraient pu croître et se multiplier sans l’action de la chaleur solaire.
2 Il y a donc évidemment un anachronisme dans l’ordre que Moïse assigne à la création du soleil ; mais, involontairement ou non, il n’a pas commis d’erreur en disant que la lumière avait précédé le soleil.
3 Le soleil n’est point le principe de la lumière universelle, mais une concentration de l’élément lumineux sur un point, autrement dit du fluide, qui, dans des circonstances données, acquiert les propriétés lumineuses. Ce fluide, qui est la cause, devait nécessairement précéder le soleil, qui n’est qu’un effet. 4 Le soleil est cause pour la lumière qu’il répand, mais il est effet par rapport à celle qu’il a reçue.
5 Dans une chambre obscure, une bougie allumée est un petit soleil. Qu’a-t-on fait pour allumer la bougie ? on a développé la propriété éclairante du fluide lumineux, et on a concentré ce fluide sur un point ; la bougie est la cause de la lumière répandue dans la chambre, mais si le principe lumineux n’eût pas existé avant la bougie, celle-ci n’aurait pu être allumée.
6 Il en est de même du soleil. L’erreur vient de l’idée fausse où l’on a été longtemps que l’univers tout entier a commencé avec la terre, et l’on ne comprend pas que le soleil ait pu être créé après la lumière. 7 On sait maintenant qu’avant notre soleil et notre terre, des millions de soleils et de terres ont existé, qui jouissaient, par conséquent, de la lumière. L’assertion de Moïse est donc parfaitement exacte en principe ; elle est fausse en ce qu’il fait créer la terre avant le soleil ; la terre, étant assujettie au soleil dans son mouvement de translation, a dû être formée après lui : c’est ce que Moïse ne pouvait savoir, puisqu’il ignorait la loi de gravitation.
8 La même pensée se trouve dans la Genèse des anciens Perses. Au premier chapitre du Vendedad, Ormuzd, racontant l’origine du monde, dit : « Je créai la lumière qui alla éclairer le soleil, la lune et les étoiles. » (Dictionnaire de mythologie universelle.) La forme est certainement ici plus claire et plus scientifique que dans Moïse, et n’a pas besoin de commentaire.
9. — Moïse, partageait évidemment les croyances les plus primitives sur la cosmogonie. Comme les hommes de son temps, il croyait à la solidité de la voûte céleste, et à des réservoirs supérieurs pour les eaux. Cette pensée est exprimée sans allégorie ni ambiguïté dans ce passage (versets 6 et suivants) : « Dieu dit : Que le firmament soit fait au milieu des eaux et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux. Dieu fit le firmament, et il sépara les eaux qui étaient sous le firmament de celles qui étaient au-dessus du firmament. » (Voir, ch. V, Systèmes du monde anciens et modernes, nº 3, 4, 5.)
2 Une antique croyance faisait considérer l’eau comme le principe, l’élément générateur primitif ; aussi Moïse ne parle pas de la création des eaux, qui semblent avoir existé déjà. « Les ténèbres couvraient l’abîme, »( † ) c’est-à-dire les profondeurs de l’espace que l’imagination se représentait vaguement occupé par les eaux, et dans les ténèbres avant la création de la lumière ; voilà pourquoi Moïse dit : « L’Esprit de Dieu était porté (ou planait) sur les eaux. » ( † ) La terre étant censée formée au milieu des eaux, il fallait l’isoler ; on supposa donc que Dieu avait fait le firmament, voûte solide qui séparait les eaux d’en haut de celles qui étaient sur la terre.
3 Pour comprendre certaines parties de la Genèse, il faut nécessairement se placer au point de vue des idées cosmogoniques du temps dont elle est le reflet.
10. — Depuis les progrès de la physique et de l’astronomie, une pareille
doctrine n’est pas soutenable. n
Cependant, Moïse prête ces paroles à Dieu même ; or, puisqu’elles
expriment un fait notoirement faux, de deux choses l’une : ou Dieu
s’est trompé dans le récit qu’il fait de son œuvre, ou ce récit n’est
pas une révélation divine. La première supposition n’étant pas admissible,
il en faut conclure que Moïse a exprimé ses propres idées. (Chap.
I, nº 3.)
11. — Moïse est plus dans le vrai quand il dit que Dieu a formé l’homme avec le limon de la terre. n La science nous montre, en effet (Chap. X), que le corps de l’homme est composé d’éléments puisés dans la matière inorganique, autrement dit dans le limon de la terre.
2 La femme formée d’une côte d’Adam est une allégorie, puérile en apparence, si on la prend à la lettre, mais profonde par le sens. Elle a pour but de montrer que la femme est de la même nature que l’homme, son égale, par conséquent, devant Dieu, et non une créature à part faite pour être asservie et traitée en ilote. Sortie de sa propre chair, l’image de l’égalité est bien plus saisissante que si elle eût été formée séparément du même limon ; c’est dire à l’homme qu’elle est son égale, et non son esclave, qu’il doit l’aimer comme une partie de lui-même.
12. — Pour des esprits incultes, sans aucune idée des lois générales, incapables d’embrasser l’ensemble et de concevoir l’infini, cette création miraculeuse et instantanée avait quelque chose de fantastique qui frappait l’imagination. Le tableau de l’univers tiré du néant en quelques jours, par un seul acte de la volonté créatrice, était pour eux le signe le plus éclatant de la puissance de Dieu. 2 Quelle peinture, en effet, plus sublime et plus poétique de cette puissance que ces paroles : ( † ) « Dieu dit : Que la lumière soit, et la lumière fut ! » 3 Dieu créant l’univers par l’accomplissement lent et graduel des lois de la nature, leur eût paru moins grand et moins puissant ; il leur fallait quelque chose de merveilleux qui sortît des voies ordinaires, autrement ils auraient dit que Dieu n’était pas plus habile que les hommes. Une théorie scientifique et raisonnée de la création les eût laissés froids et indifférents.
4 Ne rejetons donc pas la Genèse biblique ; étudions-la, au contraire, comme on étudie l’histoire de l’enfance des peuples. 5 C’est une épopée riche en allégories dont il faut chercher le sens caché ; qu’il faut commenter et expliquer à l’aide des lumières de la raison et de la science. 6 Tout en faisant ressortir les beautés poétiques, et les instructions voilées sous la forme imagée, il faut en démontrer carrément les erreurs, dans l’intérêt même de la religion. 7 On respectera mieux celle-ci quand ces erreurs ne seront pas imposées à la foi comme des vérités, et Dieu n’en paraîtra que plus grand et plus puissant lorsque son nom ne sera pas mêlé à des faits controuvés.
13. — CHAPITRE II. — 9. Or, le Seigneur Dieu avait planté dès le commencement un jardin délicieux, dans lequel il mit l’homme qu’il avait formé. — Le Seigneur Dieu avait aussi produit de la terre toutes sortes d’arbres beaux à la vue et dont le fruit était agréable au goût, et l’arbre de vie au milieu du paradis, n avec l’arbre de la science du bien et du mal (Il fit sortir, Jéhovah Eloïm, de la terre (min haadama) tout arbre beau à voir et bon à manger, et l’arbre de vie (vehetz hachayim) au milieu du jardin, et l’arbre de la science du bien et du mal).
15. Le Seigneur prit donc l’homme, et le mit dans le paradis de délices, afin qu’il le cultivât et le gardât. — 16. Il lui fit aussi ce commandement, et lui dit : Mangez de tous les arbres du paradis (Il ordonna, Jéhovah Eloïm, à l’homme (hal haadam), disant : De tout arbre du jardin (hagan) tu peux manger). — 17. Mais ne mangez point du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal ; car en même temps que vous en mangerez, vous mourrez très certainement. (Et de l’arbre de la science du bien et du mal (oumehetz hadaat tob vara) tu n’en mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu mourras.)
14. — CHAPITRE III. — 1. Or, le serpent était le plus fin de tous les animaux que le Seigneur Dieu avait formés sur la terre. Et il dit à la femme : Pourquoi Dieu vous a-t-il commandé de ne pas manger du fruit de tous les arbres du paradis ? (Et le serpent (nâhâsch) était rusé plus que tous les animaux terrestres qu’avait faits Jéhovah Eloïm ; il dit à la femme (el haïscha) : Est-ce qu’il a dit, Eloïm : Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin ?) — 2. La femme lui répondit : Nous mangeons des fruits de tous les arbres qui sont dans le paradis. (Elle dit, la femme, au serpent, du fruit (miperi) des arbres du jardin nous pouvons manger). — 3. Mais pour ce qui est du fruit de l’arbre qui est au milieu du paradis, Dieu nous a commandé de n’en point manger, et de n’y point toucher, de peur que nous ne fussions en danger de mourir. — 4. Le serpent repartit à la femme : Assurément, vous ne mourrez point ; — 5. Mais c’est que Dieu sait qu’aussitôt que vous aurez mangé de ce fruit, vos yeux seront ouverts, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal.
6. La femme considéra donc que le fruit de cet arbre était bon à manger ; qu’il était beau et agréable à la vue. Et en ayant pris, elle en mangea, et en donna à son mari qui en mangea aussi. (Elle vit, la femme, qu’il était bon, l’arbre, comme nourriture et qu’il était enviable l’arbre pour COMPRENDRE (leaskil), et elle prit de son fruit, etc.).
8. Et comme ils eurent entendu la voix du Seigneur Dieu, qui se promenait dans le paradis après midi, lorsqu’il s’élève un vent doux, ils se retirèrent au milieu des arbres du paradis pour se cacher de devant sa face.
9. Alors le Seigneur Dieu appela Adam, et lui dit : Où êtes-vous ? — 10. Adam lui répondit : J’ai entendu votre voix dans le paradis, et j’ai eu peur, parce que j’étais nu, c’est pourquoi je me suis caché. — 11. Le Seigneur lui repartit : Et d’où avez-vous su que vous étiez nu, sinon de ce que vous avez mangé du fruit de l’arbre dont je vous avais défendu de manger ? — 12. Adam lui répondit : La femme que vous m’avez donnée pour compagne m’a présenté du fruit de cet arbre, et j’en ai mangé. — 13. Le Seigneur Dieu dit à la femme : Pourquoi avez-vous fait cela ? Elle répondit : Le serpent m’a trompée, et j’ai mangé de ce fruit.
14. Alors le Seigneur Dieu dit au serpent : Parce que tu as fait cela, tu es maudit entre tous les animaux et toutes les bêtes de la terre ; tu ramperas sur le ventre, et tu mangeras la terre tous les jours de ta vie. — 15. Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre sa race et la tienne. Elle te brisera la tête et tu tâcheras de la mordre par le talon.
16. Dieu dit aussi à la femme : Je vous affligerai de plusieurs maux pendant votre grossesse ; vous enfanterez dans la douleur ; vous serez sous la domination de votre mari, et il vous dominera.
17. Il dit ensuite à Adam : Parce que vous avez écouté la voix de votre femme, et que vous avez mangé du fruit de l’arbre dont je vous avais défendu de manger, la terre sera maudite à cause de ce que vous avez fait, et vous n’en tirerez de quoi vous nourrir pendant toute votre vie qu’avec beaucoup de travail. — 18. Elle vous produira des épines et des ronces, et vous vous nourrirez de l’herbe de la terre. — 19. Et vous mangerez votre pain à la sueur de votre visage, jusqu’à ce que vous retourniez en la terre d’où vous avez été tiré, car vous êtes poudre, et vous retournerez en poudre.
20. Et Adam donna à sa femme le nom d’Eve, qui signifie la vie, parce qu’elle était la mère de tous les vivants.
21. Le Seigneur Dieu fit aussi à Adam et à sa femme des habits de peaux dont il les revêtit. — 22. Et il dit : Voilà Adam devenu comme l’un de nous, sachant le bien et le mal. Empêchons donc maintenant qu’il ne porte sa main à l’arbre de vie, qu’il ne prenne aussi de son fruit, et que, mangeant de ce fruit, il ne vive éternellement. (Il dit, Jéhovah Eloïm : Voici, l’homme a été comme un de nous pour la connaissance du bien et du mal ; et maintenant il peut tendre la main et prendre de l’arbre de la vie (veata pen ischlachyado velakach mehetz hachayim) ; il en mangera et vivra éternellement.
23. Le Seigneur Dieu le fit sortir du jardin de délices, afin qu’il allât travailler à la culture de la terre d’où il avait été tiré. — 24. Et l’en ayant chassé, il mit des chérubins n devant le jardin de délices, qui faisaient étinceler une épée de feu, pour garder le chemin qui conduisait à l’arbre de vie.
15. — Sous une image puérile et parfois ridicule, si l’on s’arrête à la forme, l’allégorie cache souvent les plus grandes vérités. 2 Est-il une fable plus absurde au premier abord que celle de Saturne, un dieu dévorant des pierres qu’il prend pour ses enfants ? Mais, en même temps, quoi de plus profondément philosophique et vrai que cette figure, si l’on en cherche le sens moral ! Saturne est la personnification du temps ; toutes choses étant l’œuvre du temps, il est le père de tout ce qui existe, mais aussi tout se détruit avec le temps. Saturne dévorant des pierres est l’emblème de la destruction, par le temps, des corps les plus durs qui sont ses enfants, puisqu’ils se sont formés avec le temps.
3 Et qui échappe à cette destruction d’après cette même allégorie ? Jupiter, l’emblème de l’intelligence supérieure, du principe spirituel qui est indestructible. Cette image est même si naturelle, que, dans le langage moderne, sans allusion à la Fable antique, on dit d’une chose détériorée à la longue, qu’elle est dévorée par le temps, rongée, ravagée par le temps.
4 Toute la mythologie païenne n’est, en réalité, qu’un vaste tableau allégorique des divers côtés bons et mauvais de l’humanité. Pour qui en cherche l’esprit, c’est un cours complet de la plus haute philosophie, comme il en est de nos fables modernes. L’absurde était de prendre la forme pour le fond.
16. — Il en est de même de la Genèse, où il faut voir de grandes vérités morales sous des figures matérielles qui, prises à la lettre, seraient aussi absurdes que si, dans nos fables, on prenait à la lettre les scènes et les dialogues attribués aux animaux.
2 Adam est la personnification de l’humanité ; sa faute individualise la faiblesse de l’homme, en qui prédominent les instincts matériels auxquels il ne sait pas résister. n
3 L’arbre, comme arbre de vie, est l’emblème de la vie spirituelle ; 4 comme arbre de la science, c’est celui de la conscience que l’homme acquiert du bien et du mal par le développement de son intelligence et celui du libre arbitre en vertu duquel il choisit entre les deux ; il marque le point où l’âme de l’homme, cessant d’être guidée par les seuls instincts, prend possession de sa liberté et encourt la responsabilité de ses actes.
5 Le fruit de l’arbre est l’emblème de l’objectif des désirs matériels de l’homme ; c’est l’allégorie de la convoitise et de la concupiscence ; il résume sous une même figure les sujets d’entraînement au mal ; en manger, c’est succomber à la tentation. 6 Il croît au milieu du jardin de délices pour montrer que la séduction est au sein même des plaisirs, et rappeler que, si l’homme donne la prépondérance aux jouissances matérielles, il s’attache à la terre et s’éloigne de sa destinée spirituelle. n
7 La mort dont il est menacé, s’il enfreint la défense qui lui est faite, est un avertissement des conséquences inévitables, physiques et morales, qu’entraîne la violation des lois divines que Dieu a gravées dans sa conscience. Il est bien évident qu’il ne s’agit pas ici de la mort corporelle, puisque, après sa faute, Adam vécut encore fort longtemps, mais bien de la mort spirituelle, autrement dit de la perte des biens qui résultent de l’avancement moral, perte dont son expulsion du jardin de délices est l’image.
17. — Le serpent est loin de passer aujourd’hui pour le type de la ruse ; c’est donc ici, par rapport à sa forme plutôt que pour son caractère, une allusion à la perfidie des mauvais conseils qui se glissent comme le serpent, et dont souvent, pour cette raison, on ne se méfie pas. 2 D’ailleurs, si le serpent, pour avoir trompé la femme, a été condamné à ramper sur le ventre, cela voudrait dire qu’auparavant il avait des jambes, et alors ce n’était plus un serpent. 3 Pourquoi donc imposer à la foi naïve et crédule des enfants, comme des vérités, des allégories aussi évidentes, et qui, en faussant leur jugement, leur font plus tard regarder la Bible comme un tissu de fables absurdes ?
4 Il faut remarquer, en outre, que le mot hébreu nâhâsch, traduit par le mot serpent, vient de la racine nâhâsch qui signifie : faire des enchantements, deviner les choses cachées, et peut signifier : enchanteur, devin. On le trouve, avec cette acception, dans la Genèse,, chap. XLIV, v. 5 et 15, à propos de la coupe que Joseph fit cacher dans le sac de Benjamin : « La coupe que vous avez dérobée est celle dans laquelle mon Seigneur boit, et dont il se sert pour deviner (nâhâsch.) : n — Ignorez-vous qu’il n’y a personne qui m’égale dans la science de deviner (nâhâsch) ? » — Au livre des Nombres, chap. XXIII, v. 23 : « Il n’y a point d’enchantements (nâhâsch) dans Jacob, ni de devins dans Israël. » Par suite, le mot nâhâsch a pris aussi la signification de serpent, reptile que les charmeurs prétendaient enchanter, ou dont ils se servaient dans leurs enchantements.
5 Ce n’est que dans la version des Septante, — qui, selon Hutcheson, ont corrompu le texte hébreu en beaucoup d’endroits, — écrite en grec au deuxième siècle avant l’ère chrétienne, que le mot nâhâsch a été traduit par serpent. Les inexactitudes de cette version tiennent, sans doute, aux modifications que la langue hébraïque avait subies dans l’intervalle ; car l’hébreu du temps de Moïse était alors une langue morte, qui différait de l’hébreu vulgaire, autant que le grec ancien et l’arabe littéraire diffèrent du grec et de l’arabe modernes. n
6
Il est donc probable que Moïse a entendu, par le séducteur de la femme,
le désir indiscret de connaître les choses cachées suscité par l’Esprit
de divination, ce qui s’accorde avec le sens primitif du mot nâhâsch,
deviner ; et, d’autre part, avec ces paroles : ( † )
« Dieu sait qu’aussitôt que vous avez mangé de ce fruit, vos yeux
seront ouverts, et vous serez comme des dieux. — Elle vit, la
femme, qu’il était enviable l’arbre pour comprendre (léaskil),
et elle prit de son fruit. » 7
Il ne faut pas oublier que Moïse voulait proscrire, chez les Hébreux,
l’art de la divination, en usage chez les Egyptiens, ainsi que le prouve
sa défense d’interroger les morts, et l’Esprit de Python. (Ciel
et Enfer selon le Spiritisme, chap. XII.)
18. — Le passage où il est dit que : ( † ) « Le Seigneur se promenait dans le paradis, après midi, lorsqu’il s’élève un vent doux, » est une image naïve et quelque peu puérile, que la critique n’a pas manqué de relever ; mais elle n’a rien qui doive surprendre si l’on se reporte à l’idée que les Hébreux des temps primitifs se faisaient de la Divinité. Pour ces intelligences frustes, incapables de concevoir des abstractions, Dieu devait revêtir une forme concrète, et ils rapportaient tout à l’humanité comme au seul point connu. Moïse leur parlait donc comme à des enfants, par des images sensibles. 2 Dans le cas dont il s’agit, c’était la puissance souveraine personnifiée, comme les Païens personnifiaient, sous des figures allégoriques, les vertus, les vices et les idées abstraites. Plus tard, les hommes ont dépouillé l’idée de la forme, comme l’enfant, devenu adulte, cherche le sens moral dans les contes dont on l’a bercé. 3 Il faut donc considérer ce passage comme une allégorie de la Divinité surveillant elle-même les objets de sa création. Le grand rabbin Wogue, le traduit ainsi : « Ils entendirent la voix de l’Eternel Dieu, parcourant le jardin du côté d’où vient le jour ».
19. — Si la faute d’Adam est littéralement d’avoir mangé un fruit, elle ne saurait incontestablement, par sa nature presque puérile, justifier la rigueur dont elle a été frappée. 2 On ne saurait non plus rationnellement admettre que ce soit le fait que l’on suppose généralement ; autrement Dieu, considérant ce fait comme un crime irrémissible, aurait condamné son propre ouvrage, puisqu’il avait créé l’homme pour la propagation. 3 Si Adam eût entendu dans ce sens la défense de toucher au fruit de l’arbre et qu’il s’y fût scrupuleusement conformé, où serait l’humanité, et qu’en aurait-il été des desseins du Créateur ?
4 Dieu n’avait point créé Adam et Eve pour rester seuls sur la terre ; et la preuve en est dans les paroles mêmes qu’il leur adresse immédiatement après leur formation, alors qu’ils étaient encore dans le paradis terrestre :
« Dieu les bénit et leur dit : Croissez et multipliez-vous, remplissez la terre et vous l’assujettissez. » (Ch, I, v. 28.) 5 Puisque la multiplication de l’homme était une loi dès le paradis terrestre, son expulsion ne peut avoir pour cause le fait supposé.
6 Ce qui a donné du crédit à celle supposition, c’est le sentiment de honte dont Adam et Eve ont été saisis à la vue de Dieu et qui les a portés à se cacher. Mais cette honte elle-même est une figure par comparaison : elle symbolise la confusion que tout coupable éprouve en présence de celui qu’il a offensé.
20. — Quelle est donc, en définitive, cette faute si grande qu’elle a pu frapper de réprobation à perpétuité tous les descendants de celui qui l’a commise ? Caïn le fratricide ne fut pas traité si sévèrement. Aucun théologien n’a pu la définir logiquement, parce que tous, ne sortant pas de la lettre, ont tourné dans un cercle vicieux.
2 Aujourd’hui, nous savons que cette faute n’est point un acte isolé, personnel à un individu, mais qu’elle comprend, sous un fait allégorique unique, l’ensemble des prévarications dont peut se rendre coupable l’humanité encore imparfaite de la terre, et qui se résument en ces mots : infraction à la loi de Dieu. Voilà pourquoi la faute du premier homme, symbolisant l’humanité, est symbolisée elle-même par un acte de désobéissance.
21. — En disant à Adam qu’il tirera sa nourriture de la terre à la sueur de son front, Dieu symbolise l’obligation du travail ; mais pourquoi fait-il du travail une punition ? Que serait l’intelligence de l’homme, s’il ne la développait pas par le travail ? Que serait la terre, si elle n’était pas fécondée, transformée, assainie par le travail intelligent de l’homme ?
2 Il est dit (Ch. II, v. 5 et 7) : « Le Seigneur Dieu n’avait pas encore fait pleuvoir sur la terre, et il n’y avait point d’homme pour la labourer. Le Seigneur forma donc l’homme du limon de la terre. » Ces paroles, rapprochées de celles-ci : Remplissez la terre, prouvent que l’homme était, dès l’origine, destiné à occuper toute la terre et à la cultiver ; et, en outre, que le paradis n’était pas un lieu circonscrit sur un coin du globe. 3 Si la culture de la terre devait être une conséquence de la faute d’Adam, il en serait résulté que, si Adam n’eût pas péché, la terre serait restée inculte, et que les vues de Dieu n’auraient pas été accomplies.
4 Pourquoi dit-il à la femme que, parce qu’elle a commis la faute, elle enfantera dans la douleur ? Comment la douleur de l’enfantement peut-elle être un châtiment puisqu’elle est une conséquence de l’organisme, et qu’il est prouvé physiologiquement qu’elle est nécessaire ? Comment une chose qui est selon les lois de la nature peut-elle être une punition ? C’est ce que les théologiens n’ont point encore expliqué, et ce qu’ils ne pourront faire tant qu’ils ne sortiront pas du point de vue où ils se sont placés ; et cependant ces paroles, qui semblent si contradictoires, peuvent être justifiées.
22. — Remarquons d’abord que si, au moment de la création d’Adam et Eve, leur âme venait d’être tirée du néant, comme on l’enseigne, ils devaient être novices en toutes choses ; ils ne devaient pas savoir ce que c’est que mourir. Puisqu’ils étaient seuls sur la terre, tant qu’ils vécurent dans le paradis terrestre, ils n’avaient vu mourir personne ; comment donc auraient-ils pu comprendre en quoi consistait la menace de mort que Dieu leur faisait ? 2 Comment Eve aurait-elle pu comprendre qu’enfanter dans la douleur serait une punition, puisque, venant de naître à la vie, elle n’avait jamais eu d’enfants et qu’elle était la seule femme au monde ?
3 Les paroles de Dieu ne devaient donc avoir pour Adam et Eve aucun sens. A peine tirés du néant, ils ne devaient savoir ni pourquoi ni comment ils en étaient sortis ; ils ne devaient comprendre ni le Créateur ni le but de la défense qu’il leur faisait. 4 Sans aucune expérience des conditions de la vie, ils ont péché comme des enfants qui agissent sans discernement, ce qui rend plus incompréhensible encore la terrible responsabilité que Dieu a fait peser sur eux et sur l’humanité tout entière.
23. — Ce qui est une impasse pour la théologie, le Spiritisme l’explique
sans difficulté et d’une manière rationnelle par l’antériorité de l’âme
et la pluralité des existences, loi sans laquelle tout est mystère et
anomalie dans la vie de l’homme. 2
En effet, admettons qu’Adam et Eve aient déjà vécu, tout se trouve justifié :
Dieu ne leur parle point comme à des enfants, mais comme à des êtres
en état de le comprendre et qui le comprennent, preuve évidente qu’ils
ont un acquis antérieur. 3
Admettons, en outre, qu’ils aient vécu dans un monde plus avancé et
moins matériel que le nôtre, où le travail de l’Esprit suppléait au
travail du corps ; que par leur rébellion à la loi de Dieu, figurée
par la désobéissance, ils en aient été exclus et exilés par punition
sur la terre, où l’homme, par suite de la nature du globe, est astreint
à un travail corporel, Dieu avait raison de leur dire : Dans le
monde où vous allez vivre désormais, « vous cultiverez la terre
et en tirerez votre nourriture à la sueur de votre front ; »
et à la femme : « Vous enfanterez dans la douleur, »
parce que telle est la condition de ce monde. (Chap.
XI, nº 31 et suiv.)
4
Le paradis terrestre, dont on a inutilement cherché les traces sur la
terre, était donc la figure du monde heureux où avait vécu Adam, ou
plutôt la race des Esprits dont il est la personnification. 5
L’expulsion du paradis marque le moment où ces Esprits sont venus s’incarner
parmi les habitants de ce monde, et le changement de situation qui en
a été la suite. 6
L’ange armé d’une épée flamboyante, qui défend l’entrée du paradis,
symbolise l’impossibilité où sont les Esprits des mondes inférieurs
de pénétrer dans les mondes supérieurs avant de l’avoir mérité par leur
épuration. (Voir ci-après chap.
XIV, nº 8 et suiv.)
24. — Caïn (après le meurtre d’Abel) répondit au Seigneur : Mon iniquité est trop grande pour pouvoir en obtenir le pardon. — Vous me chassez aujourd’hui de dessus la terre, et j’irai me cacher de devant votre face. Je serai fugitif et vagabond sur la terre, quiconque donc me trouvera me tuera. — Le Seigneur lui répondit : Non, cela ne sera pas ; car quiconque tuera Caïn en sera puni très sévèrement. Et le Seigneur mit un signe sur Caïn, afin que ceux qui le trouveraient ne le tuassent point.
Caïn, s’étant retiré de devant la face du Seigneur, fut vagabond sur
la terre, et il habita vers la région orientale de l’Eden. — Et ayant
connu sa femme, elle conçut et enfanta Hénoch. Il bâtit (vaïehi bôné ;
litt. : il était bâtissant) une ville qu’il appela Hénoch
(Enochia) du nom de son fils. (Chap.
IV, v. de 13 à 16.)
25. — Si l’on s’en rapporte à la lettre de la Genèse, voici à quelles conséquences on arrive : Adam et Eve étaient seuls dans le monde après leur expulsion du paradis terrestre ; ce n’est que postérieurement qu’ils eurent pour enfants Caïn et Abel. Or Caïn, ayant tué son frère et s’étant retiré dans une autre contrée, ne revit plus son père et sa mère, qui furent de nouveau seuls ; ce n’est que longtemps après, à l’âge de cent trente ans, qu’Adam eut un troisième fils, appelé Seth. Après la naissance de Seth, il vécut encore, selon la généalogie biblique, huit cents ans, et eut des fils et des filles.
2 Lorsque Caïn vint s’établir à l’orient de l’Eden, il n’y avait donc sur la terre que trois personnes : son père et sa mère, et lui seul de son côté. Cependant il eut une femme et un enfant ; quelle pouvait être cette femme et où avait-il pu la prendre ? Le texte hébreu dit : Il était bâtissant une ville, et non il bâtit, ce qui indique une action présente et non ultérieure ; mais une ville suppose des habitants, car il n’est pas à présumer que Caïn la fit pour lui, sa femme et son fils, ni qu’il ait pu la construire à lui seul.
3 Il faut donc inférer de ce récit même que la contrée était peuplée ; or ce ne pouvait être par les descendants d’Adam, qui alors n’en avait pas d’autre que Caïn.
4
La présence d’autres habitants ressort également de cette parole de
Caïn : « Je serai fugitif et vagabond, et quiconque me trouvera
me tuera, » et de la réponse que Dieu lui fit. Par qui pouvait-il
craindre d’être tué, et à quoi bon le signe que Dieu mit sur lui pour
le préserver, s’il ne devait rencontrer personne ? 5
Si donc il y avait sur la terre d’autres hommes en dehors de la famille
d’Adam, c’est qu’ils y étaient avant lui ; d’où cette conséquence,
tirée du texte même de la Genèse, qu’Adam n’est ni le premier, ni l’unique
père du genre humain. (Chap.
XI, nº 34.) n
26. — Il fallait les connaissances que le Spiritisme a apportées touchant les rapports du principe spirituel et du principe matériel, 2 sur la nature de l’âme, 3 sa création à l’état de simplicité et d’ignorance, 4 son union avec le corps, 5 sa marche progressive indéfinie à travers des existences successives, et à travers les mondes qui sont autant d’échelons dans la voie du perfectionnement, 6 son affranchissement graduel de l’influence de la matière par l’usage de son libre arbitre, 7 la cause de ses penchants bons ou mauvais et de ses aptitudes, 8 le phénomène de la naissance et de la mort, 9 l’état de l’Esprit dans l’erraticité, 10 enfin l’avenir qui est le prix de ses efforts pour s’améliorer et de sa persévérance dans le bien, pour jeter la lumière sur toutes les parties de la Genèse spirituelle.
11 Grâce à cette lumière, l’homme sait désormais d’où il vient, où il va, pourquoi il est sur la terre et pourquoi il souffre ; il sait que son avenir est entre ses mains, et que la durée de sa captivité ici-bas dépend de lui. 12 La Genèse, sortie de l’allégorie étroite et mesquine, lui apparaît grande et digne de la majesté, de la bonté et de la justice du Créateur. Considérée de ce point de vue, la Genèse confondra l’incrédulité et la vaincra.
[1] Quelque grossière que soit l’erreur d’une telle croyance, on n’en berce pas moins encore de nos jours les enfants comme d’une vérité sacrée. Ce n’est qu’en tremblant que les instituteurs osent hasarder une timide interprétation. Comment veut-on que cela ne fasse pas, plus tard, des incrédules ?
[2] Le mot hébreu haadam, homme, d’où l’on a fait Adam, et le mot haadama, terre, ont la même racine.
[3] A la suite de quelques versets on a placé la traduction littérale du texte hébreu, qui rend plus fidèlement la pensée primitive. Le sens allégorique en ressort plus clairement.
[4] Paradis, du latin paradisus, fait du grec paradeisos, jardin, verger, lieu planté d’arbres. Le mot hébreu employé dans la Genèse est hagan, qui a la même signification.
[5] De l’hébreu cherub, keroub, boeuf, charab, labourer : anges du deuxième choeur de la première hiérarchie, que l’on représentait avec quatre ailes, quatre faces et des pieds de boeuf.
[6] Il est bien reconnu aujourd’hui que le mot hébreu haadam n’est pas un nom propre, mais qu’il signifie : l’homme en général, l’humanité, ce qui détruit tout l’échafaudage bâti sur la personnalité d’Adam.
[7] Dans aucun texte, le fruit n’est spécialisé par la pomme ; ce mot ne se trouve que dans les versions enfantines. Le mot du texte hébreu est peri, qui a les mêmes acceptions qu’en français, sans spécification d’espèce, et peut être pris dans le sens matériel, moral, allégorique au propre et au figuré. Chez les Israélites, il n’y a pas d’interprétation obligatoire ; lorsqu’un mot a plusieurs acceptions, chacun l’entend comme il veut, pourvu que l’interprétation ne soit pas contraire à la grammaire. Le mot peri a été traduit en latin par malum, qui se dit de la pomme et de toute espèce de fruits. Il est dérivé du grec mélon, participe du verbe mélo, intéresser, prendre soin, attirer.
[8]
Ce fait donnerait à penser que la médiumnité au verre d’eau était
connue des Egyptiens ? (Revue
spirite de juin 1868, p. 161.)
[9] Le mot nâhâsch existait dans la langue égyptienne, avec la signification de nègre, probablement parce que les nègres avaient le don des enchantements et de la divination. C’est peut-être aussi pour cela que les sphinx, d’origine assyrienne, étaient représentés avec une figure de nègre.
[10] Cette idée n’est pas nouvelle. La Peyrère, savant théologien du dix-septième siècle, dans son livre des Préadamites, écrit en latin et publié en 1655, a tiré du texte original même de la Bible, altéré par les traductions, la preuve évidente que la terre était peuplée avant la venue d’Adam. Cette opinion est aujourd’hui celle de beaucoup d’ecclésiastiques éclairés.
Il y a deux images de ce chapitre dans le service Google
- Recherche de livres (Première
édition - 1868) et (Cinquième
édition - 1872.)