1. — On nous écrit de V… :
« Il y a quelque temps, un ecclésiastique est mort dans nos environs ; c’était un adversaire déclaré du Spiritisme, mais non un de ces adversaires furibonds, comme on n’en a que trop vu, qui suppléent au défaut de bonnes raisons par la violence et l’injure. C’était un homme instruit, d’une intelligence supérieure ; il le combattait avec talent, sans acrimonie, et sans s’écarter des convenances ; malheureusement pour lui, malgré tout son savoir et son incontestable mérite, il ne put lui opposer que les lieux communs ordinaires, et n’a trouvé, pour le renverser, aucun de ces arguments qui portent dans l’esprit des masses une irrésistible conviction. Son idée fixe, ou du moins celle qu’il cherchait surtout à faire prévaloir, était que le Spiritisme n’aurait qu’un temps ; que sa rapide propagation n’était qu’un engouement passager, et qu’il tomberait comme toutes les idées utopiques.
« Nous avons eu l’idée de l’évoquer dans notre petit cercle ; sa communication nous a paru instructive, sous plusieurs rapports, c’est pourquoi nous vous l’adressons. Elle porte, selon nous, un cachet incontestable d’identité.
2. — Voici cette communication :
Dem. (au guide du médium) Voudriez-vous avoir la bonté de nous dire si nous pouvons faire l’évocation de M. l’abbé D… ? – Rép. Oui, il va venir ; mais, quoique persuadé de la réalité de vos enseignements, ce dont la mort l’a convaincu, il essaiera encore de vous prouver l’inutilité de vos efforts pour les répandre d’une manière sérieuse. Le voilà prêt à s’appuyer sur des dissensions momentanées suscitées par quelques frères qui s’égarent, pour vous prouver l’insanité de votre doctrine. Ecoutez-le ; son langage vous fera connaître la manière dont vous devrez lui parler.
3. — Évocation. – Cher Esprit de M. D…, nous espérons, qu’avec l’aide de Dieu et des bons Esprits, vous voudrez bien vous communiquer à nous. Tout sentiment de curiosité, comme vous pouvez le voir, est loin de notre pensée. Notre but, en provoquant cet entretien, est d’en tirer une instruction profitable pour nous, et peut-être également pour vous. Nous vous serons donc reconnaissants de ce que vous voudrez bien nous dire. – Rép. Vous avez raison de m’appeler, mais vous aviez tort de croire que je pourrais refuser de venir à vous. Croyez bien que mon titre d’adversaire du Spiritisme n’est pas un motif pour moi de garder le silence ; j’ai de bonnes raisons pour parler.
Ma venue est un aveu, une affirmation de vos enseignements ; je le sais et je le reconnais. Je suis convaincu de la réalité des manifestations que j’expérimente aujourd’hui, mais ce n’est pas une raison pour que j’en reconnaisse l’excellence, et que j’admette comme certain le but que vous vous proposez. Oui, les Esprits se communiquent, et ce ne sont pas seulement les démons, comme nous l’enseignons, et pour cause ; il est inutile que je m’étende à ce sujet, car vous connaissez aussi bien que moi les raisons qui nous portent à agir ainsi. Certainement, les Esprits de toutes sortes se communiquent ; j’en suis une preuve, car, bien que je n’aie pas la vanité de me croire un être supérieur, soit par mes connaissances, soit par ma moralité, j’ai assez conscience de ma valeur pour me priser au-dessus de ces catégories d’Esprits en proie à l’expiation des plus viles imperfections. Je ne suis pas parfait ; j’ai pu, comme tout autre, commettre des fautes ; mais, je le reconnais avec orgueil, si je fus homme de parti, je fus en même temps homme de bien, dans le sens entier de ce mot.
Ecoutez-moi donc. Les prêtres peuvent avoir tort de vous combattre ; je ne sais ce que réserve l’avenir, et je n’entrerai pas en discussion sur le plus ou moins de fondement de leur opposition, véritablement systématique ; mais aussi, en examinant avec soin toutes les conséquences d’une acceptation, ils ne peuvent s’empêcher de reconnaître que vous causeriez leur ruine sociale, ou tout au moins une transformation si absolue, que tout privilège, toute séparation d’avec les autres hommes, seraient de rigueur anéantis. Or, on ne renonce pas de gaieté de cœur à une royauté bien enviable, à un prestige qui élève au-dessus du commun, à des richesses qui, pour être matérielles, n’en sont pas moins aussi nécessaires à la satisfaction du prêtre qu’à celle de l’homme ordinaire. Par le Spiritisme, plus d’oligarchie cléricale ; le prêtre n’est personne et il est chacun ; le prêtre, c’est l’homme de bien qui enseigne la vérité à ses frères ; c’est l’ouvrier charitable qui relève son compagnon tombé ; votre sacerdoce, c’est la foi ; votre hiérarchie, le mérite ; votre salaire, Dieu ! C’est grand ! c’est beau ! mais, il faut bien le dire, tôt ou tard c’est la ruine, non de l’homme, qui ne peut que gagner à ces enseignements, mais de la famille cléricale. On ne renonce pas volontiers, je le répète, à des honneurs, à des respects que l’on est habitué à recueillir. Vous avez raison, je le veux bien ! et cependant je ne puis désapprouver notre attitude vis-à-vis de votre enseignement ; je dis notre, car elle est encore mienne, malgré tout ce que je vois et tout ce que vous pourrez me dire.
Admettons votre doctrine affirmée ; la voici écoutée, étendant partout ses ramifications, chez le peuple comme dans la classe riche, chez l’artisan comme chez le littérateur, et c’est ce dernier qui vous prêtera le concours le plus efficace mais que résultera-t-il de tout cela ? Selon moi, le voici :
Déjà des divisions se sont opérées parmi vous. Deux grandes sectes existent parmi les Spirites : les Spiritualistes de l’école américaine et les Spirites de l’école française ; mais ne considérons que cette dernière.
Est-elle une ? non. Voici, d’un côté, les Puristes ou Kardécistes, qui n’admettent chaque vérité qu’après un examen attentif, et la concordance de toutes les données ; c’est le noyau principal, mais il n’est pas seul ; diverses branches, après s’être infiltrés les grands enseignements du centre, se séparent de la mère commune pour former des sectes particulières ; d’autres, non entièrement détachées du tronc, émettent des opinions subversives. Chaque chef d’opposition a ses alliés ; les camps ne sont pas encore dessinés, mais ils se forment, et bientôt éclatera la scission. Je vous le dis, le Spiritisme, comme les doctrines philosophiques qui l’ont précédé, ne saurait avoir une longue durée. Il a été, il a grandi ; mais maintenant il est au faîte, et descend déjà. Il fait toujours quelques adeptes, mais, comme le Saint-Simonisme, † comme le Fouriérisme, † comme les Théosophes, † il tombera, pour être remplacé peut-être, mais il tombera, je le crois fermement.
Cependant, son principe existe ; les Esprits ; mais n’a-t-il pas aussi ses dangers ? Les Esprits inférieurs peuvent se communiquer, c’est là sa perte.
Les hommes sont avant tout dominés par leurs passions, et les Esprits dont je viens de parler sont habitués à les exciter. Comme il y a plus d’imperfections que de qualités dans notre humanité, il est donc évident que l’Esprit du mal triomphera, et que si le Spiritisme peut quelque chose, ce sera certainement l’envahissement d’un fléau terrible pour tous.
Sur ce, je conclus que, bon par essence, il est mauvais par ses résultats, et qu’il est ainsi prudent de le rejeter.
Le médium. Cher Esprit, si le Spiritisme était une conception humaine, je serais de votre avis ; mais s’il vous est impossible de nier l’existence des Esprits, vous ne pouvez non plus méconnaître, dans le mouvement dirigé par les êtres invisibles, la main puissante de la divinité. Or, à moins de nier vos propres enseignements, alors que vous étiez sur cette terre, vous ne sauriez admettre que l’action de l’homme puisse être un obstacle à la volonté de Dieu, son créateur. De deux choses l’une, ou le Spiritisme est une œuvre d’invention humaine, et comme toute œuvre humaine, il est sujet à la ruine ; ou il est l’œuvre de Dieu, la manifestation de sa volonté, et dans ce cas aucun obstacle ne saurait en empêcher ni même en retarder le développement. Si donc vous reconnaissez qu’il existe des Esprits, et que ces Esprits se communiquent pour nous instruire, ce ne peut être en dehors de la volonté divine, car alors il existerait, à côté de Dieu, une puissance indépendante qui détruirait sa qualité de tout-puissant, et par conséquent de Dieu. Le Spiritisme ne saurait être ruiné, par le fait de quelques dissensions que les intérêts humains pourraient faire naître dans son sein. – Rép. Peut-être avez-vous raison, mon jeune ami (le médium était un tout jeune homme), mais je m’en tiens à ce que j’ai dit ; je cesse toute discussion à ce sujet. Je suis à votre disposition pour toute question que vous voudrez bien me poser, ceci à part.
4. — Le médium. Hé bien ! puisque vous le permettez, sans insister sur un sujet qui vous serait peut-être pénible de poursuivre en ce moment, nous vous prierons de nous décrire votre passage de cette vie dans celle où vous êtes, de nous dire si vous avez été troublé, et si, dans votre position actuelle, nous pouvons vous être utiles. – Rép. Malgré moi je ne puis m’empêcher de reconnaître l’excellence de ces principes qui enseignent à l’homme ce que c’est que la mort, et qui lui donnent de l’affection pour des êtres qui lui sont totalement inconnus. Mais… enfin, mon cher enfant, je vais répondre à votre question. Je ne veux pas abuser de votre temps, et je puis en peu de mots satisfaire à votre désir.
Je vous avouerai donc qu’au moment de mourir je n’étais pas sans appréhension. Etait-ce la matière qui me portait à regretter cette existence ? était-ce l’ignorance de l’avenir ? je ne vous le cacherai pas, j’avais peur ! Vous me demandez si j’ai été troublé ; comment l’entendez-vous ? Si vous voulez dire par là que l’action violente de la séparation m’a plongé dans une sorte de léthargie morale, dont je suis sorti comme d’un sommeil pénible, oui, j’ai été troublé ; mais si vous entendez un trouble dans les fonctions de l’intelligence : la mémoire, la conscience de soi-même, non, je ne l’ai pas été. Cependant le trouble existe pour certains êtres ; peut-être existera-t-il aussi pour moi, bien que je ne le croie pas. Mais ce que je crois, c’est que, généralement ce phénomène ne doit pas avoir lieu immédiatement après la mort. J’ai été surpris, il est vrai, de voir l’existence de l’Esprit telle que vous l’enseignez, mais ce n’est pas là du trouble. Voici comment j’entends le trouble, et dans quelles circonstances je l’éprouverais.
Si je n’étais assuré de la vérité de ma croyance, si le doute entrait dans mon âme au sujet de ce que j’ai cru jusqu’alors, si une modification brusque s’opérait en moi dans ma manière de voir, là, je serais troublé ; mais mon opinion est que ce trouble ne doit pas se former aussitôt après la mort. Si j’en crois ce que me dit ma raison, l’être, en mourant, doit rester tel qu’il était avant de passer… ; ce n’est que plus tard, alors que l’isolement, le changement qui s’opère graduellement autour de lui, modifient ses opinions, alors que son être éprouve un ébranlement moral qui fait chanceler son assurance primitive, que le trouble commence véritablement.
Vous me demandez si vous pouvez m’être utile à quelque chose ; ma religion m’enseigne que la prière est bonne ; votre croyance dit qu’elle est utile ; priez donc pour moi, et soyez assuré de ma reconnaissance.
Malgré la dissidence qui existe entre nous, je n’en serai pas moins charmé de venir causer quelquefois avec vous.
L’abbé D…
5. — Notre correspondant avait raison de dire que cette communication est instructive ; elle l’est en effet sous bien des rapports, et nos lecteurs saisiront facilement les graves enseignements qui en ressortent, sans que nous ayons besoin de les signaler. Nous y voyons un Esprit qui, de son vivant, avait combattu nos doctrines, et épuisé contre elles tous les arguments que son profond savoir avait pu lui fournir ; savant théologien, il est probable qu’il n’en a négligé aucun. Comme Esprit, depuis peu désincarné, tout en reconnaissant les vérités fondamentales sur lesquelles nous nous appuyons, il n’en persiste pas moins dans son opposition, et cela par les mêmes motifs ; or, il est incontestable que si, plus lucide dans son état spirituel, il eût trouvé des arguments plus péremptoires pour nous combattre, il les aurait fait valoir ; loin de là, il semble avoir peur de voir trop clair, et cependant il pressent une modification dans ses idées. Encore imbu des opinions terrestres, il y rattache toutes ses pensées ; l’avenir l’effraie, c’est pourquoi il n’ose le regarder en face.
Nous lui répondrons comme si, de son vivant, il eût écrit ce qu’il a dicté après sa mort. Nous nous adressons à l’homme autant qu’à l’Esprit, répondant ainsi à ceux qui partagent sa manière de voir, et pourraient nous opposer les mêmes arguments.
Nous-lui dirons donc :
Monsieur l’abbé, bien que vous ayez été notre adversaire déclaré et militant sur la terre, aucun de nous ne vous en veut aujourd’hui et ne vous en a jamais voulu de votre vivant, d’abord parce que notre foi nous fait une loi de la tolérance, et qu’à nos yeux toutes les opinions sont respectables quand elles sont sincères. La liberté de conscience est un de nos principes ; nous la voulons pour les autres, comme nous la voulons pour nous. A Dieu seul appartient de juger la validité des croyances, et nul homme n’a le droit de jeter l’anathème au nom de Dieu. La liberté de conscience n’ôte pas le droit de discussion et de réfutation, mais la charité ordonne de ne maudire personne. En second lieu, nous vous en voulons d’autant moins, que votre opposition n’a porté aucun préjudice à la doctrine ; vous avez servi la cause du Spiritisme à votre insu, comme tous ceux qui l’attaquent, en aidant à le faire connaître, et en prouvant, en raison surtout de votre mérite personnel, l’insuffisance des armes que l’on emploie pour le combattre.
6. — Permettez-moi, maintenant, de discuter quelques-unes de vos propositions.
Il en est une surtout qui me paraît pécher au premier chef contre la logique ; c’est celle où vous dites que : « Le Spiritisme bon par essence est mauvais par ses résultats. » Vous semblez avoir oublié cette maxime du Christ, devenue proverbiale à force de vérité : « Qu’un bon arbre ne peut donner de mauvais fruits. » ( † ) On ne comprendrait pas qu’une chose bonne dans son essence même, pût être pernicieuse.
Vous dites ailleurs que le danger du Spiritisme est dans la manifestation des mauvais Esprits qui exploiteront, au profit du mal, les passions des hommes. C’était là une des thèses que vous souteniez de votre vivant. Mais à côté des mauvais Esprits, il y a les bons qui excitent au bien, tandis que, selon la doctrine de l’Église, le pouvoir de se communiquer n’est donné qu’aux démons. Si donc vous trouvez le Spiritisme dangereux parce qu’il admet la communication des mauvais Esprits à côté des bons, la doctrine de l’Église, si elle était vraie, serait encore bien plus dangereuse, puisqu’elle n’admet que celle des mauvais.
Du reste, ce n’est pas le Spiritisme qui a inventé la manifestation des Esprits, ni qui est la cause s’ils se communiquent ; il ne fait que constater un fait qui s’est produit dans tous les temps, parce qu’il est dans la nature. Pour que le Spiritisme cessât d’exister, il faudrait que les Esprits cessassent de se manifester. Si cette manifestation offre des dangers, il ne faut pas en accuser le Spiritisme, mais la nature. La science de l’électricité est-elle la cause des dégâts occasionnés par la foudre ? Non assurément ; elle fait connaître la cause de la foudre, et enseigne les moyens de la détourner. Il en est de même du Spiritisme ; il fait connaître la cause d’une influence pernicieuse qui agit sur l’homme à son insu, et lui indique les moyens de s’en préserver, tandis que lorsqu’il l’ignorait, il la subissait et s’y exposait sans défiance.
L’influence des mauvais Esprits fait partie des fléaux auxquels l’homme est en butte ici-bas, comme les maladies et les accidents de toutes sortes, parce qu’il y est sur une terre d’expiation et d’épreuve, où il doit travailler à son avancement moral et intellectuel ; mais à côté du mal, Dieu, dans sa bonté, met toujours le remède ; il a donné à l’homme l’intelligence pour le découvrir ; c’est à cela que conduit le progrès des sciences. Le Spiritisme vient indiquer le remède à l’un de ces maux ; il enseigne que pour s’y soustraire et neutraliser l’influence des mauvais Esprits, il faut devenir meilleur, dompter ses mauvais penchants, pratiquer les vertus enseignées par le Christ : l’humilité et la charité ; est-ce donc là ce que vous appelez de mauvais résultats ?
La manifestation des Esprits est un fait positif, reconnu par l’Église ; or, l’expérience vient aujourd’hui démontrer que les Esprits sont les âmes des hommes, et que c’est la raison pour laquelle il y en a tant d’imparfaits. Si ce fait vient contredire certains dogmes, le Spiritisme n’en est pas plus responsable que ne l’a été la géologie d’avoir démontré que la terre n’a pas été faite en six jours. Le tort est à ces dogmes de n’être pas d’accord avec les lois de la nature. Par ces manifestations, comme par les découvertes de la science, Dieu veut ramener l’homme à des croyances plus vraies ; repousser le progrès, c’est donc méconnaître la volonté de Dieu ; l’attribuer au démon, c’est blasphémer Dieu.
Vouloir, bon gré mal gré, maintenir une croyance contre l’évidence, et faire d’un principe reconnu faux la base d’une doctrine, c’est appuyer une maison sur un étai vermoulu ; peu à peu l’étai se brise, et la maison tombe.
7. — Vous dites que l’opposition de l’Église contre le Spiritisme a sa raison d’être et vous l’approuvez, parce qu’il causerait la ruine du clergé dont la séparation du commun des hommes serait anéantie. « Avec le Spiritisme, dites-vous, plus d’oligarchie cléricale ; le prêtre n’est personne et il est chacun ; c’est l’homme de bien qui enseigne la vérité à ses frères ; c’est l’ouvrier charitable qui relève son compagnon tombé ; votre sacerdoce c’est la foi ; votre hiérarchie, le mérite ; votre salaire, Dieu ! c’est grand ! c’est beau ! Mais on ne renonce pas de gaieté de cœur à une royauté, à un prestige qui vous élève au-dessus du vulgaire, à des respects, à des honneurs que l’on est habitué à recueillir, à des richesses qui, pour être matérielles, n’en sont pas moins aussi nécessaires à la satisfaction du prêtre, qu’à celle de l’homme ordinaire. »
Eh quoi ! le clergé serait-il donc mu par des sentiments aussi mesquins ? Méconnaîtrait-il à ce point ces paroles du Christ : « Mon royaume n’est pas de ce monde, » ( † ) qu’il sacrifierait l’intérêt de la vérité à la satisfaction de l’orgueil, de l’ambition et des passions mondaines ? Il ne croirait donc pas à ce royaume promis par Jésus-Christ, puisqu’il lui préfère celui de la terre. Il prendrait donc son point d’appui dans le ciel, en apparence seulement, et pour se donner un prestige, mais en réalité pour sauvegarder ses intérêts terrestres ! Nous préférons croire que, si tel est le mobile de quelques-uns de ses membres, ce n’est pas le sentiment de la majorité ; s’il en était autrement, son règne serait bien près de finir, et vos paroles seraient sa sentence, car le royaume céleste est seul éternel, tandis que ceux-de la terre sont fragiles et mouvants.
8. — Vous allez bien loin, monsieur l’abbé, dans vos prévisions sur les conséquences du Spiritisme ; plus loin que je n’ai jamais été dans mes écrits. Sans vous suivre sur ce terrain, je dirai simplement, parce que chacun le pressent, que le résultat inévitable sera une transformation de la Société ; il créera un nouvel ordre de choses, de nouvelles habitudes, de nouveaux besoins ; il modifiera les croyances, les rapports sociaux ; il fera, au moral, ce que font, au point de vue matériel, toutes les grandes découvertes de l’industrie et des sciences. Cette transformation vous effraie, et c’est pour cela que, tout en la pressentant, vous l’écartez de votre pensée ; vous voudriez ne pas y croire ; en un mot, vous fermez les yeux pour ne pas voir, et les oreilles pour ne pas entendre. Ainsi en est-il de beaucoup d’hommes sur la terre. Cependant si cette transformation est dans les décrets de la Providence, elle s’accomplira, quoi que l’on fasse ; il faudra la subir de gré ou de force et s’y plier, comme les hommes de l’ancien régime ont dû subir les conséquences de la Révolution, qu’ils niaient aussi et déclaraient impossible avant qu’elle fût accomplie. A qui leur aurait dit qu’en moins d’un quart de siècle tous les privilèges seraient abolis, qu’un enfant ne serait plus colonel en naissant ; qu’on n’achèterait plus un régiment comme un troupeau de bœufs ; que le soldat pourrait devenir maréchal, et le dernier roturier ministre ; que les droits seraient les mêmes pour tous, et que le fermier aurait voix égale dans les affaires de son pays à côté de son seigneur, ils auraient haussé les épaules d’incrédulité, et cependant si l’un d’eux se fût endormi alors et réveillé, comme Epiménide, quarante ans plus tard, il aurait cru se trouver dans un autre monde.
9. — C’est la crainte de l’avenir qui vous fait dire que le Spiritisme n’aura qu’un temps ; vous cherchez à vous faire illusion, vous voulez vous le prouver à vous-même, et vous finissez par le croire de bonne foi, parce que cela vous tranquillise. Mais quelle raison en donnez-vous ? La moins concluante de toutes, ainsi qu’il est aisé de le démontrer.
Ah ! si vous prouviez péremptoirement que le Spiritisme est une utopie, qu’il repose sur une erreur matérielle de fait, sur une base fausse, illusoire, sans fondement, alors vous auriez raison ; mais, au contraire, vous affirmez l’existence du principe, et de plus l’excellence de ce principe ; vous reconnaissez, et l’Église reconnaît comme vous, la réalité du fait matériel sur lequel il repose : Celui des manifestations.
Ce fait peut-il être anéanti ? Non, pas plus qu’on peut anéantir le mouvement de la terre. Puisqu’il est dans la nature, il se produira toujours ; ce fait, incompris jadis, mais mieux étudié et mieux compris de nos jours, porte en lui-même des conséquences inévitables ; si vous ne pouvez l’anéantir, vous êtes forcé d’en subir les conséquences. Suivez-le de proche en proche dans ses ramifications, et vous aboutissez fatalement à une révolution dans les idées ; or, un changement dans les idées en amène forcément un dans l’ordre des choses. (Voy. Qu’est-ce que le Spiritisme, 6º édit., pag. 128.)
D’un autre côté, le Spiritisme ne plie pas les intelligences sous son joug ; il ne commande point une croyance aveugle ; il veut que la foi s’appuie sur la compréhension ; c’est en cela surtout, monsieur l’abbé, que nous différons de manière de voir. Il laisse donc à chacun une entière liberté d’examen, en vertu de ce principe, que la vérité étant une, doit, tôt ou tard, l’emporter sur ce qui est faux, et qu’un principe fondé sur l’erreur tombe par la force des choses. Les idées fausses, livrées à la discussion, montrent leur côté faible, et s’effacent devant la puissance de la logique. Ces divergences sont inévitables dans un début ; elles sont même nécessaires, parce qu’elles aident à l’épuration et à l’assiette de l’idée fondamentale, et il est préférable qu’elles se produisent dès le commencement, parce que la doctrine vraie en sera plus tôt débarrassée.
Voilà pourquoi nous avons toujours dit aux adeptes : Ne vous inquiétez pas des idées contradictoires qui peuvent être émises ou publiées. Voyez déjà, combien sont mortes en naissant ! combien d’écrits dont on ne parle déjà plus ! Que cherchons-nous ? est-ce le triomphe, quand même, de nos idées ? non, mais celui de la vérité. Si, dans le nombre des idées contraires, il en est qui soient plus vraies que les nôtres, elles l’emporteront, et nous devrons les adopter ; si elles sont fausses, elles ne pourront supporter l’épreuve décisive du contrôle de l’enseignement universel des Esprits, seul critérium de l’idée qui survivra.
10. — L’assimilation que vous établissez entre le Spiritisme et d’autres doctrines philosophiques manque d’exactitude. Ce ne sont pas les hommes qui ont fait le Spiritisme ce qu’il est, ni qui feront ce qu’il sera plus tard ; ce sont les Esprits par leurs enseignements : les hommes ne font que mettre en œuvre et coordonner les matériaux qui leur sont fournis. Cet enseignement n’est point encore complet, et l’on ne doit considérer ce qu’ils ont donné jusqu’à ce jour que comme les premiers jalons de la science ; on peut le comparer aux quatre règles par rapport aux mathématiques, et nous n’en sommes encore qu’aux équations du premier degré ; c’est pourquoi beaucoup de gens n’en comprennent encore ni l’importance ni la portée. Mais les Esprits règlent leur enseignement à leur gré, et il ne dépend de personne de les faire aller plus vite ou plus doucement qu’ils ne veulent ; ils ne suivent pas plus les impatients qu’ils ne se mettent à la remorque des retardataires.
Le Spiritisme n’est pas plus l’œuvre d’un seul Esprit qu’il n’est celle d’un seul homme ; il est l’œuvre des Esprits en général. Il s’ensuit que l’opinion d’un Esprit sur un principe quelconque n’est considérée par les Spirites que comme une opinion individuelle, qui peut être juste ou fausse, et n’a de valeur que lorsqu’elle est sanctionnée par l’enseignement de la majorité, donné sur les divers points du globe. C’est cet enseignement universel qui l’a fait ce qu’il est, et qui fera ce qu’il sera.
Devant ce puissant critérium tombent nécessairement toutes les théories particulières qui seraient le produit d’idées systématiques, soit d’un homme, soit d’un Esprit isolés. Une idée fausse peut, sans doute, grouper autour d’elle quelques partisans, mais elle ne prévaudra jamais contre celle qui est enseignée partout.
Le Spiritisme, qui vient à peine de naître, mais soulève déjà des questions de la plus haute gravité, met nécessairement en effervescence une foule d’imaginations. Chacun voit la chose à son point de vue ; de là la diversité des systèmes éclos à son début, et dont la plupart sont déjà tombés devant la force de l’enseignement général. Il en sera de même de tous ceux qui ne seront pas dans la vérité ; car, à l’enseignement divergent d’un Esprit, donné par un médium, on opposera toujours l’enseignement uniforme de millions d’Esprits, donné par des millions de médiums. C’est la raison pour laquelle certaines théories excentriques ont à peine vécu quelques jours, et ne sont pas sorties du cercle où elles ont pris naissance ; privées de sanction, elles ne rencontrent dans l’opinion des masses ni échos ni sympathies, et si, en outre, elles froissent la logique et le vulgaire bon sens, elles provoquent un sentiment de répulsion qui précipite leur chute.
Le Spiritisme possède donc un élément de stabilité et d’unité qu’il tire de sa nature et de son origine, et qui n’est le propre d’aucune des doctrines philosophiques de conception purement humaine ; c’est le bouclier contre lequel viendront toujours se briser toutes les tentatives faites pour le renverser ou le diviser. Ces divisions ne peuvent jamais être que partielles, circonscrites et momentanées.
11. — Vous parlez des sectes qui, selon vous, divisent les Spirites, d’où vous concluez à la ruine prochaine de leur doctrine ; mais vous oubliez toutes celles qui ont divisé le Christianisme dès sa naissance, qui l’ont ensanglanté, qui le divisent encore, et dont le nombre, jusqu’à ce jour, ne s’élève pas à moins de trois cent soixante. Cependant, malgré les dissidences profondes sur les dogmes fondamentaux, le Christianisme est resté debout, preuve qu’il est indépendant de ces questions de controverse. Pourquoi voudriez-vous que le Spiritisme, qui se rattache par sa base même aux principes du Christianisme, et qui n’est divisé que sur des questions secondaires s’élucidant chaque jour, souffrît de la divergence de quelques opinions personnelles, alors qu’il a un point de ralliement aussi puissant : le contrôle universel ?
Le Spiritisme serait donc aujourd’hui divisé en vingt sectes, ce qui n’est pas et ne sera pas, que cela ne tirerait à aucune conséquence, parce que c’est le travail de l’enfantement. Si des divisions étaient suscitées par des ambitions personnelles, par des hommes dominés par la pensée de se faire chefs de secte, ou d’exploiter l’idée au profit de leur amour-propre ou de leurs intérêts, ce seraient sans contredit les moins dangereuses.
Les ambitions personnelles meurent avec les individus, et si ceux qui auront voulu s’élever n’ont pas pour eux la vérité, leurs idées mourront avec eux, et peut-être avant eux ; mais la vérité vraie ne saurait mourir.
Vous êtes dans le vrai, monsieur l’abbé, en disant qu’il y aura des ruines dans le Spiritisme, mais ce n’est pas comme vous l’entendez. Ces ruines seront celles de toutes les opinions erronées qui bouillonnent et se font jour ; si toutes sont dans l’erreur, elles tomberont toutes, cela est inévitable ; mais s’il en est une seule qui soit dans le vrai, elle surnagera infailliblement.
Deux divisions assez tranchées, et auxquelles on pouvait réellement donner le nom de sectes, s’étaient formées il y a quelques années sur l’enseignement de deux Esprits qui, en s’affublant de noms vénérés, avaient capté la confiance de quelques personnes ; aujourd’hui, il n’en est plus question. Devant quoi sont-elles tombées ? Devant le bon sens et la logique des masses d’une part, et devant l’enseignement général des Esprits d’accord avec cette même logique.
12. — Contesterez-vous la valeur de ce contrôle universel par la raison que les Esprits n’étant pas les âmes des hommes sont également sujets à erreur ? Mais vous seriez en contradiction avec vous-même. N’admettez-vous pas qu’un concile général a plus d’autorité qu’un concile particulier, parce qu’il est plus nombreux ; que son opinion prévaut sur celle de chaque prêtre, de chaque évêque, et même sur celle du Pape ? Que la majorité fait loi dans toutes les assemblées des hommes ? Et vous ne voudriez pas que les Esprits, qui gouvernent le monde sous les ordres de Dieu eussent aussi leurs conciles, leurs assemblées ? Ce que vous admettez chez les hommes comme sanction de la vérité, vous le refuseriez aux Esprits ? Oubliez-vous donc que si, parmi eux, il en est d’inférieurs, ce n’est pas à eux que Dieu confie les intérêts de la terre, mais aux Esprits supérieurs qui ont franchi les étapes de l’humanité et dont le nombre est incalculable ? Et comment nous transmettent-ils les instructions de la majorité ? Est-ce par la voix d’un seul Esprit ou d’un seul homme ? Non, mais, comme je l’ai dit, par celle de millions d’Esprits et de millions d’hommes. Est-ce dans un seul centre, dans une ville, dans un pays, dans une caste, chez un peuple privilégié comme jadis chez les Israélites ? Non, c’est partout, dans tous les pays, dans toutes les religions, chez les riches et chez les pauvres. Comment voudriez-vous que l’opinion de quelques individus, incarnés ou désincarnés, pût l’emporter sur cet ensemble formidable de voix ?
Croyez-moi, monsieur l’abbé, cette sanction universelle vaut bien celle d’un concile œcuménique.
Le Spiritisme est fort, précisément parce qu’il s’appuie sur cette sanction et non sur les opinions isolées. Se proclame-t-il immuable dans ce qu’il enseigne aujourd’hui, et dit-il qu’il n’a plus rien à apprendre ?
Non, car il a suivi jusqu’à ce jour, et il suivra dans l’avenir, l’enseignement progressif qui lui sera donné, et là encore est pour lui une cause de force, puisqu’il ne se laissera jamais distancer par le progrès.
Attendez encore un peu, monsieur l’abbé, et avant un quart de siècle, vous verrez le Spiritisme cent fois moins divisé que ne l’est aujourd’hui le Christianisme après dix-huit siècles.
13. — Des fluctuations que vous avez remarquées dans les sociétés ou réunions spirites, vous avez, à tort, conclu à l’instabilité de la doctrine.
Le Spiritisme n’est point une théorie spéculative, fondée sur une idée préconçue ; c’est une question de fait, et par conséquent de conviction personnelle ; quiconque admet le fait et ses conséquences est Spirite, sans qu’il soit besoin de faire partie d’une société. On peut être parfait Spirite sans cela. L’avenir du Spiritisme est dans son principe même, principe impérissable, parce qu’il est dans la nature et non dans des réunions, formées souvent dans des conditions peu favorables, composées d’éléments hétérogènes, et par conséquent subordonnés à une foule d’éventualités.
Les sociétés sont utiles, mais aucune n’est indispensable, et toutes viendraient à cesser d’exister que le Spiritisme n’en poursuivrait pas moins sa marche, attendu que ce n’est pas dans leur sein que se forme le plus grand nombre de convictions. Elles sont bien plus pour les croyants qui y cherchent des centres sympathiques, que pour les incrédules. Les sociétés sérieuses et bien dirigées sont surtout utiles pour neutraliser la mauvaise impression de celles où le Spiritisme est mal présenté ou défiguré. La Société de Paris ne fait pas exception à la règle, car elle ne s’arroge aucun monopole. Elle ne consiste pas dans le plus ou moins grand nombre de ses membres, mais dans l’idée mère qu’elle représente ; or, cette idée est indépendante de toute réunion constituée, et, quoi qu’il arrive, l’élément propagateur n’en subsistera pas moins. On peut donc dire que la Société de Paris est partout où l’on professe les mêmes principes, depuis l’Orient jusqu’à l’Occident, et que si elle mourait matériellement, l’idée survivrait.
Le Spiritisme est un enfant qui grandit, dont les premiers pas sont nécessairement chancelants ; mais, comme les enfants précoces, il a de bonne heure fait pressentir sa force ; c’est pour cela que certaines personnes s’en effraient, et voudraient l’étouffer au berceau. S’il se fût présenté comme un être aussi débile que vous le supposez, il n’aurait pas causé tant d’émoi, ni soulevé tant d’animosités, et vous-même n’auriez pas cherché à le combattre. Laissez donc grandir l’enfant, et vous verrez ce que donnera l’adulte.
14. — Vous lui avez prédit sa fin prochaine ; mais d’innombrables incarnés et désincarnés lui ont dit aussi son horoscope, dans un autre sens. Ecoutez donc leurs prévisions, qui se succèdent sans interruption, depuis dix ans, et se répètent sur tous les points du globe.
« Le Spiritisme vient combattre l’incrédulité, qui est l’élément dissolvant de la société, en substituant à la foi aveugle, qui s’éteint, la foi raisonnée qui vivifie.
« Il apporte l’élément régénérateur de l’humanité, et sera la boussole des générations futures.
« Comme toutes les grandes idées rénovatrices, il devra lutter contre l’opposition des intérêts qu’il froissera et des idées qu’il renversera. On lui suscitera toutes sortes d’entraves ; on emploiera contre lui toutes les armes, loyales ou déloyales, que l’on croira propres à le renverser. Ses premiers pas seront semés de ronces et d’épines. Ses adeptes seront dénigrés, bafoués, en butte à la trahison, à la calomnie, à la persécution ; ils auront des déboires et des déceptions. Heureux ceux dont la foi n’aura pas été ébranlée dans ces jours néfastes ; qui auront souffert et combattu pour le triomphe de la vérité, car ils seront récompensés de leur courage et de leur persévérance.
« Cependant le Spiritisme continuera sa marche à travers les embûches et les écueils ; il est inébranlable, comme tout ce qui est dans la volonté de Dieu, parce qu’il s’appuie sur les lois mêmes de la nature, qui sont les lois éternelles de Dieu, tandis que tout ce qui est contraire à ces lois tombera.
« Par la lumière qu’il jette sur les points obscurs et controversés des Écritures, il amènera les hommes à l’unité de croyance.
« En donnant les lois mêmes de la nature pour base aux principes d’égalité, de liberté et de fraternité, il fondera le règne de la véritable charité chrétienne, qui est le règne de Dieu sur la terre, prédit par Jésus-Christ.
« Beaucoup le repoussent encore, parce qu’ils ne le connaissent pas ou ne le comprennent pas ; mais lorsqu’ils reconnaîtront qu’il réalise les plus chères espérances de l’avenir de l’humanité, ils l’acclameront, et, comme le Christianisme a trouvé un soutien dans saint Paul, il trouvera des défenseurs parmi ses adversaires de la veille. De la foule surgiront des hommes d’élite qui prendront sa cause en main, et l’autorité de leur parole imposera silence à ses détracteurs.
« La lutte durera longtemps encore, parce que les passions, surexcitées par l’orgueil et les intérêts matériels, ne peuvent s’apaiser subitement. Mais ces passions s’éteindront avec les hommes, et la fin de ce siècle ne se passera pas avant que la nouvelle croyance n’ait conquis une place prépondérante parmi les peuples civilisés, et, du siècle prochain datera l’ère de la régénération. »
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