Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année VIII — Octobre 1865.

(Langue portugaise)

LES FRÈRES DAVENPORT.

1. — Les frères Davenport, qui captivent en ce moment à un si haut degré l’attention, sont deux jeunes gens de vingt-quatre à vingt-cinq ans, nés à Buffalo,  †  dans l’État de New York, et qui se présentent en public comme médiums. Leur faculté, toutefois, est bornée à des effets exclusivement physiques, dont le plus remarquable consiste à se faire lier avec des cordes d’une manière inextricable, et à se trouver déliés instantanément, par une force invisible, malgré toutes les précautions prises pour s’assurer qu’ils sont incapables de le faire eux-mêmes. A cela ils joignent d’autres phénomènes plus connus, comme le transport d’objets à travers l’espace, le jeu spontané d’instruments de musique, l’apparition de mains lumineuses, les attouchements par des mains invisibles, etc.

MM. Didier, les éditeurs du Livre des Esprits, viennent de publier une traduction de leur biographie, contenant le récit détaillé des effets qu’ils produisent, et qui, sauf les cordes, ont d’assez nombreux points de similitude avec ceux de M. Home. L’émotion que leur présence a causée en Angleterre et à Paris  †  donne à cet ouvrage un puissant intérêt d’actualité. Leur biographe anglais, le docteur Nichols, car ce ne sont point eux qui ont écrit ce livre, mais qui en ont fourni les documents, s’étant borné au récit des faits, sans explications, les éditeurs français ont eu l’heureuse idée de joindre à leur publication, pour l’intelligence des personnes étrangères au Spiritisme, nos deux opuscules : le Résumé de la loi des phénomènes Spirites, et le Spiritisme à sa plus simple expression, ainsi que de nombreuses notes explicatives dans le courant du texte. n On trouvera donc, dans cet ouvrage, les renseignements que l’on pourra désirer sur le compte de ces messieurs, et dans le détail desquels nous ne pouvons entrer, ayant à envisager la question à un autre point de vue.

Nous dirons seulement que leur aptitude à la production de ces phénomènes s’est révélée, dès leur enfance, d’une manière spontanée.

Pendant plusieurs années, ils ont parcouru les principales villes de l’Amérique septentrionale, où ils se sont acquis une certaine réputation.

Vers le mois de septembre 1864, ils vinrent en Angleterre, où ils produisirent une vive sensation. Tour à tour ils y furent acclamés, dénigrés, ridiculisés et même injuriés par la presse et le public ; à Liverpool,  †  notamment, ils furent l’objet de la plus insigne malveillance, au point de voir leur sûreté personnelle compromise. Les opinions furent partagées à leur égard ; selon les uns, ce n’étaient que d’habiles charlatans ; selon d’autres, ils étaient de bonne foi, et l’on pouvait admettre une cause occulte à leurs phénomènes ; mais, en somme, ils y ont conquis fort peu de prosélytes à l’idée spirite proprement dite. Dans ce pays, essentiellement religieux, le bon sens naturel repoussait la pensée que des êtres spirituels vinssent révéler leur présence par des exhibitions théâtrales et des tours de force. La philosophie spirite y étant peu connue, le public a confondu le Spiritisme avec ces représentations, et en a conçu une opinion plus contraire que favorable à la doctrine.

Il est vrai qu’en France, le Spiritisme a débuté par les tables tournantes, mais dans des conditions bien différentes ; la médiumnité s’étant immédiatement révélée chez un grand nombre de personnes, de tous âges et de tous sexes, et dans les familles les plus respectables, les phénomènes se sont produits dans des conditions qui excluaient toute pensée de charlatanisme ; chacun a pu s’assurer par soi-même, dans l’intimité, et par des observations multipliées, de la réalité des faits, auxquels un intérêt puissant s’est attaché lorsque, sortant des effets purement matériels, qui ne disaient rien à la raison, on a vu les conséquences morales et philosophiques qui en découlaient. Si, au lieu de cela, ce genre de médiumnité primitive eût été le privilège de quelques individus isolés, et qu’il eût fallu aller acheter la foi devant des tréteaux, il y a longtemps qu’il ne serait plus question des Esprits. La foi naît de l’impression morale. Or, tout ce qui est de nature à produire une mauvaise impression la repousse au lieu de la provoquer. Il y aurait aujourd’hui beaucoup moins d’incrédules, en fait de Spiritisme, si les phénomènes eussent toujours été présentés d’une manière sérieuse.

L’incrédule, naturellement disposé à la raillerie, ne peut être porté à prendre au sérieux ce qui est entouré de circonstances qui ne commandent ni le respect ni la confiance. La critique, qui ne se donne pas la peine d’approfondir, forme son opinion sur une première apparence défavorable, et confond le bon et le mauvais dans une même réprobation. Bien peu de convictions se sont formées dans les réunions ayant un caractère public, tandis que l’immense majorité est sortie des réunions intimes, dont l’honorabilité notoire des membres pouvait inspirer toute confiance et défier tout soupçon de fraude.


2. — Au printemps dernier, et après avoir exploité l’Angleterre, les frères Davenport vinrent à Paris. Quelque temps avant leur arrivée, une personne vint nous voir, de leur part, pour nous demander de les appuyer dans notre Revue. Mais on sait que nous ne nous enthousiasmons pas facilement, même pour les choses que nous connaissons, à plus forte raison pour celles que nous ne connaissons pas. Nous ne pûmes donc promettre un concours anticipé, ayant pour habitude de ne parler qu’en connaissance de cause. En France, où ils n’étaient connus que par les récits contradictoires des journaux, l’opinion, comme en Angleterre, était partagée sur leur compte ; nous ne pouvions donc formuler prématurément, ni un blâme, qui aurait pu être injuste, ni une approbation dont on aurait pu se prévaloir ; c’est pourquoi nous nous sommes abstenu.

A leur arrivée, ils sont allés habiter le petit château n de Gennevilliers,  †  près Paris, où ils sont restés plusieurs mois sans informer le public de leur présence ; nous ignorons les motifs de cette abstention. Dans les derniers temps, ils y ont donné quelques séances particulières dont les journaux ont rendu compte d’une manière plus ou moins pittoresque.

Leur première séance publique fut enfin annoncée pour le 12 septembre dans la salle Hertz. On connaît la déplorable issue de cette séance qui a renouvelé, sur une plus petite échelle, les scènes tumultueuses de Liverpool, et dans laquelle un des spectateurs, s’élançant sur l’estrade, brisa l’appareil de ces messieurs et montrant une planche, s’écria : « Voilà leur truc. »

Cet acte inqualifiable dans un pays civilisé, mit le comble à la confusion. La séance n’ayant pas abouti, on rendit l’argent au public ; mais comme il avait été donné un assez grand nombre de billets de faveur, et le compte de caisse constatant un déficit de sept cents francs, il fut ainsi prouvé que soixante-dix assistants entrés gratis en étaient sortis avec dix francs de plus dans leurs poches, sans doute pour s’indemniser des frais de déplacement.


3. — La polémique qui s’est établie au sujet des frères Davenport offre plusieurs points instructifs que nous allons examiner.

La première question que les Spirites eux-mêmes se sont posée est celle-ci : ces messieurs sont-ils ou non médiums ? Tous les faits relatés dans leur biographie rentrent dans le cercle des possibilités médianimiques, car des effets analogues, notoirement authentiques, ont été maintes fois obtenus sous l’influence de médiums sérieux. Si les faits, par eux-mêmes, sont admissibles, les conditions dans lesquelles ils se produisent prêtent, il faut en convenir, à la suspicion. Celle qui frappe le plus au premier abord, c’est la nécessité de l’obscurité qui facilite évidemment la fraude ; mais ce ne saurait être-là une objection fondée.

Les effets médianimiques n’ont absolument rien de surnaturel ; tous, sans exception, sont dûs à la combinaison des fluides propres de l’Esprit et du médium ; ces fluides, quoique impondérables, n’en sont pas moins de la matière subtile ; il y a donc là une cause et un effet en quelque sorte matériels, ce qui nous a fait dire de tous temps que les phénomènes spirites étant basés sur des lois naturelles n’ont rien de miraculeux. Ils n’ont paru merveilleux, comme bien d’autres phénomènes, que tant qu’on n’a pas connu ces lois ; ces lois aujourd’hui connues, le surnaturel et le merveilleux disparaissent pour faire place à la réalité. Aussi n’y a-t-il pas un seul Spirite qui s’attribue le don de miracles ; c’est ce que les critiques sauraient s’ils se donnaient la peine d’étudier ce dont ils parlent.


4. — Pour en revenir à la question de l’obscurité, on sait qu’en chimie il est des combinaisons qui ne peuvent s’opérer à la lumière ; que des compositions et des décompositions ont lieu sous l’action du fluide lumineux ; or, tous les phénomènes Spirites étant, comme nous l’avons dit, le résultat de combinaisons fluidiques, et ces fluides étant de la matière, il n’y aurait rien d’étonnant à ce que, dans certains cas, le fluide lumineux fût contraire à cette combinaison.


5. — Une objection plus sérieuse, c’est la ponctualité avec laquelle les phénomènes se produisent à jours et heures fixes et à volonté. Cette soumission au caprice de certains individus est contraire à tout ce que l’on sait de la nature des Esprits, et la répétition facultative d’un phénomène quelconque a toujours été considérée, et doit être, en principe, considérée comme légitimement suspecte, même en cas de désintéressement, à plus forte raison quand il s’agit d’exhibitions publiques faites dans un but de spéculation, et auxquelles il répugne à raison de penser que des Esprits puissent se soumettre.


6. — La médiumnité est une aptitude naturelle inhérente au médium, comme la faculté de produire des sons est inhérente à un instrument ; mais de même que pour qu’un instrument joue un air il faut un musicien, pour qu’un médium produise des effets médianimiques, il faut des Esprits. Les Esprits venant quand ils veulent et quand ils le peuvent, il en résulte que le médium le mieux doué peut parfois ne rien obtenir ; il est alors comme un instrument sans musicien. C’est ce qui se voit tous les jours ; c’est ce qui arrivait à M. Home qui était souvent des mois entiers sans rien produire, malgré son désir, et fût-il même en présence d’un souverain.

Il résulte donc de l’essence même de la médiumnité, et l’on peut poser en principe ABSOLU, qu’un médium n’est jamais certain d’obtenir un effet déterminé quelconque, par la raison que cela ne dépend pas de lui ; affirmer le contraire serait prouver l’ignorance complète des principes les plus élémentaires de la science spirite. Pour promettre la production d’un phénomène à point nommé, il faut avoir à sa disposition des moyens matériels qui ne viennent pas des Esprits. Est-ce le cas des frères Davenport ? Nous l’ignorons ; c’est à ceux qui ont suivi leurs expériences d’en juger.


7. — On a parlé de défis, d’enjeux proposés à qui ferait les tours les plus forts ; les Esprits ne sont pas des faiseurs de tours, et jamais un médium sérieux n’entrera en lutte avec personne, et encore moins avec un prestidigitateur ; celui-ci dispose de moyens qui lui appartiennent en propre, l’autre est l’instrument passif d’une volonté étrangère, libre, indépendante, et dont nul ne peut disposer sans son consentement. Si le prestidigitateur dit qu’il fait plus que les médiums, laissez-le dire ; il a raison, puisqu’il agit à coup sûr ; il amuse son public : c’est son état ; il se vante : c’est son rôle ; il fait de la réclame : c’est une nécessité de la position ; le médium sérieux, sachant qu’il n’y a aucun mérite personnel dans ce qu’il fait, est modeste ; il ne peut tirer vanité de ce qui n’est pas le produit de son talent, ni promettre ce qui ne dépend pas de lui.

Les médiums cependant font quelque chose de plus ; par leur intermédiaire les bons Esprits inspirent la charité et la bienveillance pour tous ; ils apprennent aux hommes à se regarder comme des frères, sans distinction de castes ni de sectes, à pardonner à ceux qui leur disent des injures, à vaincre leurs mauvais penchants, à supporter avec patience les misères de la vie, à regarder la mort sans crainte par la certitude de la vie future ; ils donnent des consolations aux affligés, du courage aux faibles, de l’espérance à ceux qui ne croyaient pas, etc. Voilà ce que n’apprennent ni les tours des prestidigitateurs, ni ceux de MM. Davenport.


8. — Les conditions inhérentes à la médiumnité ne sauraient donc se prêter à la régularité et à la ponctualité, qui sont la condition indispensable des séances à heure fixe, où il faut à tout prix satisfaire le public. Si cependant des Esprits se prêtaient à des manifestations de ce genre, ce qui ne serait pas radicalement impossible, puisqu’il y en a de tous les degrés possibles d’avancement, ce ne pourrait être, dans tous les cas, que des Esprits de bas étage, car il serait souverainement absurde de penser que des Esprits tant soit peu élevés vinssent s’amuser à faire la parade. Mais, dans cette hypothèse même, le médium n’en serait pas moins à la merci de ces Esprits, qui peuvent le quitter au moment où leur présence serait le plus nécessaire, et faire manquer la représentation ou la consultation. Or, comme avant tout il faut contenter celui qui paye, si les Esprits font défaut, on tâche de s’en passer ; avec un peu d’adresse, il est aisé de donner le change ; c’est ce qui est arrivé maintes fois à des médiums doués à l’origine de facultés réelles, mais insuffisantes pour le but qu’ils se proposaient.


9. — De tous les phénomènes Spirites, ceux qui se prêtent le mieux à l’imitation sont les effets physiques ; or, bien que les manifestations réelles aient un caractère distinctif et ne se produisent que dans des conditions spéciales bien déterminées, l’imitation peut approcher de la réalité au point de faire illusion aux personnes surtout qui ne connaissent pas les lois des phénomènes véritables. Mais de ce qu’on peut les imiter, il serait aussi illogique de conclure qu’ils n’existent pas qu’il le serait de prétendre qu’il n’y a pas de vrais diamants, parce qu’il y a du strass.

Nous ne faisons ici aucune application personnelle ; nous posons des principes fondés sur l’expérience et la raison, et d’où nous tirons cette conséquence : qu’un examen scrupuleux, fait avec une parfaite connaissance des phénomènes Spirites, peut seul faire distinguer la supercherie de la médiumnité réelle. Et nous ajoutons que la meilleure de toutes les garanties c’est le respect et la considération qui s’attachent à la personne du médium, sa moralité, son honorabilité notoire, son désintéressement absolu, matériel et moral. Nul ne disconviendra qu’en pareille circonstance les qualités de l’individu ne constituent un précédent qui impressionne favorablement, parce qu’elles écartent jusqu’au soupçon de la fraude.


10. — Nous ne jugeons pas MM. Davenport, et loin de nous de mettre en doute leur honorabilité ; mais à part les qualités morales, que nous n’avons aucun motif de suspecter, il faut avouer qu’ils se présentent dans des conditions peu favorables pour accréditer leur titre de médiums, et que c’est au moins avec une grande légèreté que certains critiques se sont hâtés de les qualifier d’apôtres et de grands prêtres de la doctrine. Le but de leur voyage en Europe est clairement défini par ce passage de leur biographie :

« Je crois, sans commettre d’erreur, que ce fut le 27 août que les frères Davenport quittèrent New York,  †  emmenant avec eux, par suite d’une débilité survenue à M. William Davenport, un aide en la personne de M. William Fay, qu’il ne faut pas confondre avec M. H. Melleville Fay, qui, suivant je ne sais quel genre d’autorité, fut, dit-on, découvert au Canada, tentant de produire des manifestations semblables, ou du moins qui le paraissaient. Ils étaient accompagnés de M. Palmer, très connu comme impresario et agent d’affaires dans le monde dramatique et lyrique, et à qui, grâce à son expérience, fut confiée la partie matérielle et économique de l’entreprise. »

Il est donc avéré que ce fut une entreprise conduite par un impresario et agent d’affaires dramatiques. Les faits relatés dans la biographie sont, avons-nous dit, dans les possibilités médianimiques ; l’âge et les circonstances dans lesquels ils ont commencé à se manifester éloignent la pensée de la supercherie. Tout tend donc à prouver que ces jeunes gens étaient bien réellement des médiums à effets physiques, comme on en trouve beaucoup dans leur pays, où l’exploitation de cette faculté est passée en habitude et n’a rien de choquant pour l’opinion. Ont-ils amplifié leurs facultés naturelles, comme l’ont fait d’autres médiums exploiteurs, pour augmenter leur prestige et suppléer au défaut de flexibilité de ces mêmes facultés, c’est ce que nous n’affirmons pas, parce que nous n’en avons aucune preuve ; mais, en admettant l’intégrité de ces facultés, nous dirons qu’ils se sont fait illusion sur l’accueil qu’y ferait le public européen, présentées sous forme de spectacle de curiosité, et dans des conditions aussi contraires aux principes du Spiritisme philosophique, moral et religieux. Les Spirites sincères et éclairés qui y sont nombreux, en France surtout, ne pouvaient les acclamer dans de telles conditions, ni les considérer comme des apôtres, en supposant même une parfaite sincérité de leur part. Quant aux incrédules, dont le nombre est grand aussi, et qui tiennent encore le haut du pavé dans la presse, l’occasion d’exercer leur verve railleuse était trop belle pour la laisser échapper. Ces messieurs ont donc offert le flanc le plus large à la critique, et lui ont donné le droit que chacun achète à la porte d’un spectacle quelconque. Nul doute que s’ils se fussent présentés dans des conditions plus sérieuses, ils eussent reçu un autre accueil ; ils auraient fermé la bouche aux détracteurs.


11. — Un médium est fort quand il peut dire hardiment : « combien vous en a-t-il coûté pour venir ici, et qui vous a forcé de venir ? Dieu m’a donné une faculté qu’il peut me retirer quand il lui plaira, comme il peut me retirer la vue ou la parole. Je n’en use que pour le bien, dans l’intérêt de la vérité, et non pour satisfaire la curiosité ou servir mes intérêts ; je n’en recueille que la peine du dévouement ; je n’y cherche pas même la satisfaction de l’amour-propre, puisqu’elle ne dépend pas de moi. Je la considère comme une chose sainte, parce qu’elle me met en rapport avec le monde spirituel, et qu’elle me permet de donner la foi aux incrédules et des consolations aux affligés. Je regarderais comme un sacrilège d’en trafiquer, parce que je ne me crois pas le droit de vendre l’assistance des Esprits qui viennent gratuitement. Puisque je n’en tire aucun profit, je n’ai donc aucun intérêt à vous abuser. » Le médium qui peut parler ainsi est fort, nous le répétons ; c’est une réponse sans réplique et qui commande toujours le respect.


12. — La critique, en cette circonstance, a été plus que malveillante ; elle a été injuste et injurieuse, et elle a englobé dans la même réprobation tous les Spirites et tous les médiums auxquels elle n’a pas épargné les épithètes les plus outrageantes, sans songer jusqu’à qu’elle hauteur elle frappait et qu’elle atteignait les familles les plus honorables. Nous ne relèverons pas des expressions qui ne déshonorent que ceux qui les prononcent. Toutes les convictions sincères sont respectables ; et vous tous qui proclamez incessamment la liberté de conscience, comme un droit naturel, respectez-la, au moins, dans autrui. Discutez les opinions : c’est votre droit ; mais l’injure a toujours été le plus mauvais de tous les arguments, et n’est jamais celui d’une bonne cause.

Toute la presse n’est point solidaire de ces écarts de bienséance ; parmi les critiques, à l’endroit des frères Davenport, il en est où l’esprit n’exclut ni les convenances ni la modération, et qui portent juste. Celle que nous allons citer fait précisément ressortir le côté faible dont nous avons parlé. Elle est tirée du Courrier de Paris du Monde illustré, numéro du 16 septembre 1865, et signée Neuter.

« Une première objection me semblait suffire à démontrer que les bons jeunes gens qui donnèrent une séance publique à la salle Hertz, étaient d’adroits garçons aux exercices desquels les mondes supérieurs restaient complètement étrangers. Cette objection, je la tire de la régularité même avec laquelle ils exploitaient leur prétendu pouvoir miraculeux. Comment ! ce sont, assurait-on, des Esprits qui venaient se produire en public à leur bénéfice, et voilà que les frères Davenport traitaient ces Esprits, qui ne sont pas leurs employés après tout, avec autant de sans gêne qu’un directeur de théâtre dictant des lois à ses choristes ! Sans demander à leurs compères surhumains si le jour leur convenait, s’ils n’étaient pas fatigués, si la chaleur ne les incommodait pas, ils affichaient pour une date fixe, pour une heure déterminée, et il fallait que les êtres fluidiques se dérangeassent à cette date, entrassent en scène à cette heure, exécutassent leurs cocasseries musicales avec la précision d’un musicien à qui son café-concert octroie un cachet de cent sous !

« Franchement, c’était se faire du monde Spirite une bien mesquine idée que de nous le représenter ainsi comme peuplé de génies sur commande, de farfadets-commis qui allaient en ville sur un signe du patron. Eh quoi ! jamais de relâche pour ces figurants supra-terrestres ! Quand la fluxion du plus humble cabotin lui donne le droit de faire changer le spectacle, les âmes de la troupe Davenport étaient des esclaves à qui il était interdit de prendre un pauvre petit congé. C’est bien la peine d’habiter des planètes fantastiques pour en être réduit à ce degré d’asservissement.

« Et pour quelle besogne les convoquait-on, ces malheureuses âmes d’outre-tombe ! Pour leur faire passer leurs mains – des mains d’âmes ! ! ! – à travers la lucarne d’une armoire ! Pour les ravaler jusqu’à des parades de saltimbanque ! pour les contraindre à jongler avec des guitares, ces instruments grotesques dont ne veulent plus même les troubadours qui roucoulent dans les cours en faisant l’œil aux pièces de cinq centimes !… »


13. — N’est-ce pas, en effet, mettre le doigt sur la plaie ? Si M. Neuter avait su que le Spiritisme dit précisément la même chose, quoique d’une manière moins spirituelle, n’aurait-il pas dit : « Mais ce n’est pas là du Spiritisme ! » absolument comme en voyant un empirique, il se dit : « Ce n’est pas là la médecine. » Or, de même que ni la science ni la religion ne sont solidaires de ceux qui en abusent, le Spiritisme n’est point solidaire de ceux qui en prennent le nom. La mauvaise impression de l’auteur vient donc, non de la personne des frères Davenport, mais des conditions dans lesquelles ils se placent vis-à-vis du public, et de l’idée ridicule que des expériences faites dans de telles conditions donnent du monde spirituel, que l’incrédulité elle-même est choquée de voir exploiter et traîner sur les planches. Cette impression a été celle de la critique en général, qui l’a traduite en termes plus ou moins polis ; elle sera la même toutes les fois que des médiums ne seront pas dans des conditions de nature à faire respecter la croyance qu’ils professent.

L’échec des frères Davenport est une bonne fortune pour les adversaires du Spiritisme, qui se hâtent pourtant un peu trop de chanter victoire, et bafouent à qui mieux mieux ses adeptes en leur criant qu’il est frappé à mort, comme si le Spiritisme était incarné dans les frères Davenport. Le Spiritisme n’est incarné dans personne ; il est dans la nature, et il ne dépend de personne d’en enrayer la marche, car ceux qui tentent de le faire travaillent à son avancement. Le Spiritisme ne consiste pas à se faire attacher par des cordes, pas plus que dans telle ou telle expérience physique ; n’ayant jamais pris ces messieurs sous son patronage, et ne les ayant jamais présentés comme les colonnes de la doctrine, qu’ils ne connaissent même pas, il ne reçoit aucun démenti de leur mésaventure. Leur échec n’en est donc pas un pour le Spiritisme, mais pour les exploiteurs du Spiritisme.

De deux choses l’une, ou ce sont d’habiles jongleurs, ou ce sont des médiums véritables. Si ce sont des charlatans, nous devons savoir gré à tous ceux qui aident à les démasquer ; sous ce rapport, nous devons des remerciements particuliers à M. Robin, car il rend en cela un service signalé au Spiritisme qui n’eût pu que souffrir dans le cas où leurs fraudes se fussent accréditées. Toutes les fois que la presse a signalé des abus, des exploitations ou des manœuvres de nature à compromettre la doctrine, les Spirites sincères, loin de s’en plaindre, y ont applaudi. Si ce sont des médiums véritables, les conditions dans lesquelles ils se présentent étant de nature à produire une impression défavorable, ils ne peuvent servir utilement la cause. Dans l’un et l’autre cas, le Spiritisme n’a aucun intérêt à prendre fait et cause pour eux.


14. — Maintenant quel sera le résultat définitif de tout ce tapage ? Le voici :

La chronique qui, par ce temps de chaleur tropicale, chômait d’aliments, y gagne un sujet qu’elle s’est empressée de saisir pour remplir ses colonnes veuves d’événements politiques, de nouvelles théâtrales ou de salons.

M. Robin y trouve, pour son théâtre de prestidigitation, une excellente réclame  [Voir : Les apparitions simulées au théâtre,] qu’il a fort habilement exploitée, et que nous lui souhaitons très fructueuse, car tous les jours il y parle des Spirites et du Spiritisme.

La critique y perd quelque peu de considération par l’excentricité et l’incivilité de sa polémique.

Les plus mal partagés, matériellement parlant, seront peut-être MM. Davenport, dont la spéculation se trouve singulièrement compromise.

Quant au Spiritisme, c’est lui qui y gagnera évidemment le plus. Ses adeptes le comprennent si bien qu’ils ne s’émeuvent nullement de ce qui se passe et en attendent le résultat avec confiance. En province, où ils sont, plus encore qu’à Paris, en butte aux railleries de leurs adversaires, ils se contentent de leur répondre : Attendez, et avant peu vous verrez qui sera mort et enterré.

Le Spiritisme y gagnera d’abord une immense popularité, et d’être connu, au moins de nom, d’une foule de gens qui n’en avaient pas entendu parler. Mais dans le nombre, beaucoup ne se contentent pas du nom ; leur curiosité est excitée par ce feu roulant d’attaques ; ils veulent savoir ce qu’il en est de cette doctrine soi-disant si ridicule ; ils iront à la source, et quand ils verront qu’on ne leur en a donné que la parodie, ils se diront que ce n’est pas là une si mauvaise chose. Le Spiritisme y gagnera donc d’être mieux compris, mieux jugé et mieux apprécié.

Il y gagnera encore de mettre en évidence les adeptes sincères, dévoués et sur lesquels on peut compter, et de les distinguer des adeptes de nom, qui ne prennent de la doctrine que les apparences ou la surface.

Ses adversaires ne manqueront pas d’exploiter la circonstance pour susciter des divisions ou des défaillances réelles ou simulées, à l’aide desquelles ils espèrent ruiner le Spiritisme. Après avoir échoué par tous les autres moyens, c’est là leur suprême et dernière ressource, mais qui ne leur réussira pas mieux, car ils ne détacheront du tronc que les branches mortes qui ne donnaient aucune sève, et le tronc privé des rameaux parasites n’en sera que plus vigoureux.

Ces résultats, et plusieurs autres, que nous nous abstenons d’énumérer, sont inévitables, et nous ne serions pas surpris que les bons Esprits n’aient provoqué tout ce remue-ménage que pour y arriver plus promptement.


[Revue de novembre.]

15 DE LA CRITIQUE À PROPOS DES FRÈRES DAVENPORT.

(2º article.)

L’agitation causée par les frères Davenport commence à se calmer.

Après la bordée lancée par la presse contre eux et le Spiritisme, il ne reste plus que quelques tirailleurs qui brûlent, par-ci par-là, leurs dernières cartouches, en attendant qu’un autre sujet vienne alimenter la curiosité publique. A qui est la victoire ? Le Spiritisme est-il mort ?

C’est ce que l’on ne tardera pas à savoir. Supposons que la critique ait tué MM. Davenport, ce qui ne nous regarde pas, qu’en résultera-t-il  ?

Ce que nous avons dit dans notre précédent article. [v. Allocution à la reprise des travaux de la Société de Paris.] Dans son ignorance de ce que c’est que le Spiritisme, elle a tiré sur ces messieurs, absolument comme un chasseur qui tire sur un chat croyant tirer sur un lièvre ; le chat est mort, mais le lièvre court toujours.

Ainsi en est-il du Spiritisme, qui n’a point été et ne pouvait être atteint par des coups qui portaient à côté. La critique s’est donc méprise, ce qu’elle eût facilement évité si elle eût pris la peine de vérifier l’étiquette.

Les avertissements cependant ne lui ont pas manqué ; quelques écrivains ont même avoué l’affluence des réfutations qui leur arrivaient de toutes parts, et cela de la part des gens les plus honorables. Cela n’aurait-il pas dû leur faire ouvrir les yeux ? Mais non ; ils s’étaient engagés dans une voie, ils ne voulaient pas reculer ; il fallait avoir raison quand même.

Beaucoup de ces réfutations nous ont été adressées ; toutes se distinguent par une modération qui contraste avec le langage de nos adversaires, et la plupart sont d’une parfaite justesse d’appréciation. Nul assurément n’a prétendu imposer son opinion à ces messieurs ; mais l’impartialité fait toujours un devoir d’admettre les rectifications pour mettre le public à même de juger le pour et le contre ; or, comme il est plus commode d’avoir raison quand on parle tout seul, bien peu de ces rectifications ont vu le jour de la publicité ; qui sait même si la plupart ont été lues ? Il faut donc savoir gré aux journaux qui se sont montrés moins exclusifs. De ce nombre est le Journal des Pyrénées-Orientales, qui, dans son numéro du 8 octobre, contient la lettre suivante :


« Perpignan,  †  le 5 octobre 1865.

« Monsieur le Gérant,

« Je ne viens pas me lancer dans la polémique, je sollicite seulement de votre équité de me permettre, pour une seule fois, de répondre aux vives attaques que contient la lettre parisienne, publiée dans le dernier numéro de votre journal, contre les Spirites et le Spiritisme.

« Les vrais Spirites, comme les vrais catholiques, ne se donnent pas en spectacle public ; ils sont pénétrés du respect de leur foi, aspirent au progrès moral de tous, et savent que ce n’est pas sur les tréteaux que se font les prosélytes.

« Voilà pour ce qui concerne les frères Davenport.

« Il y aurait trop à dire pour réfuter les erreurs de l’auteur de ces attaques ironiques ; je dirai seulement que Dieu ayant donné le libre arbitre à l’homme, attenter à sa liberté de croire, de penser, c’est se placer au-dessus de Dieu, par conséquent un énorme péché d’orgueil.

« Dire que cette nouvelle science a fait des progrès immenses, que beaucoup de villes comptent un grand nombre d’adeptes, qui ont leurs bureaux, leurs présidents, et que ces réunions contiennent des hommes savants, éminents par leur position dans la société civile et militaire, dans le barreau, dans la magistrature, n’est-ce pas avouer que le Spiritisme est basé sur la vérité ?

« Si le Spiritisme n’est qu’une erreur, pourquoi donc tant vous en occuper ? L’erreur n’a qu’une durée éphémère, c’est un feu follet qui dure quelques heures et qui disparaît. Si, au contraire, c’est une vérité, vous aurez beau faire, vous ne pourrez ni la détruire ni l’arrêter ; la vérité est comme la lumière : il n’y a que les aveugles qui en nient la beauté.

« On dit aussi que le Spiritisme a occasionné des cas d’aliénation mentale ; je dirai ceci : le Spiritisme n’a pas plus occasionné la folie que le Christianisme ou les autres cultes ne sont causes des cas d’idiotisme que l’on rencontre souvent parmi les pratiquants des différentes religions ; les esprits mal conformés sont sujets à l’exaltation et aux dérangements. Laissons donc, une fois pour toutes, ce dernier argument à l’arsenal avec les armes hors d’usage.

« Je termine cette réponse en disant que le Spiritisme ne vient rien détruire, si ce n’est la croyance aux châtiments éternels. Il nous affermit dans la foi en Dieu ; il nous rend évident que l’âme est immortelle et que l’esprit s’épure et progresse par les réincarnations ; il nous prouve que les différentes positions sociales ont leur raison d’être ; il nous apprend à supporter nos épreuves, quelles qu’elles soient ; enfin, il nous démontre qu’il n’y a qu’une seule voie qui mène à Dieu : l’amour du bien, la charité !

« Agréez, Monsieur le Gérant, mes remerciements et mes salutations empressées.

« J’ai l’honneur d’être votre serviteur,

« Bruex. »


Toutes les réfutations que nous avons sous les yeux, et qui toutes ont été adressées aux journaux, protestent contre la confusion que l’on a faite entre le Spiritisme et les séances de MM. Davenport. Si donc la critique persiste à les rendre solidaires, c’est qu’elle le veut bien.


Nota. – Dans un autre article, que le défaut d’espace nous force de remettre au prochain numéro, nous examinerons les propositions les plus importantes qui ressortent de la polémique soulevée à propos de MM. Davenport. [Voir : Les Quiproquos.]



[1] Voir au Bulletin bibliographique.


[2] [Le Collège Pasteur a été construit sur le site du Château de Gennevilliers.]


Il y a une image de ces articles dans le service Google — Recherche de livres (Revue Spirite 1865) (Octobre 1865) — De la critique à propos des frères Davenport (Novembre 1865)


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