1. — M. Dombre, le président de la Société spirite de Marmande, † nous mande ce qui suit :
« Avec l’aide des bons Esprits, nous avons délivré en cinq jours d’une obsession très violente et très dangereuse, une jeune fille de treize ans complètement au pouvoir d’un mauvais Esprit depuis le 8 mai dernier. Chaque jour, à cinq heures du soir, sans manquer un seul jour, elle avait des crises terribles, pitoyables à voir. Cette enfant demeure dans un quartier reculé, et les parents, qui considéraient cette maladie comme une épilepsie, n’en parlaient plus. Cependant un des nôtres, qui habite dans le voisinage, en fut informé, et une observation plus attentive des faits en fit aisément reconnaître la véritable cause. D’après le conseil de nos guides spirituels, nous nous sommes mis immédiatement à l’œuvre. Le 11 de ce mois, à huit heures du soir, nos réunions ont commencé pour évoquer l’Esprit, le moraliser, prier pour l’obsesseur et la victime, et exercer sur celle-ci une magnétisation mentale. Les réunions ont eu lieu chaque soir, et le vendredi 15, l’enfant subissait la dernière crise. Il ne lui reste plus que la faiblesse de la convalescence, suite d’aussi longues et aussi violentes secousses, et qui se manifeste par la tristesse, la langueur et les larmes, ainsi que cela nous avait été annoncé. Chaque jour nous étions informés, par les communications des bons Esprits, des différentes phases de la maladie.
« Cette cure, qu’en d’autres temps les uns eussent regardée comme un miracle, et d’autres comme un fait de sorcellerie, pour laquelle nous eussions été, selon l’opinion, sanctifiés ou brûlés, produit une certaine sensation dans la ville. »
Nous félicitons nos frères de Marmande du résultat qu’ils ont obtenu en cette circonstance, et nous sommes heureux de voir qu’ils ont mis à profit les conseils contenus dans la Revue à l’occasion des cas analogues qu’elle a rapportés dernièrement. Ils ont ainsi pu se convaincre de la puissance de l’action collective lorsqu’elle est dirigée par une foi sincère et une ardente charité.
[Revue de mars 1864.]
2.
LA JEUNE OBSÉDÉE DE MARMANDE.
(Suite.)
Nous avons rapporté, dans le précédent numéro (page 46), la remarquable guérison obtenue au moyen de la prière, par les Spirites de Marmande, d’une jeune fille obsédée de cette ville. Une lettre postérieure confirme le résultat de cette cure, aujourd’hui complète. La figure de l’enfant, altérée par huit mois de torture, a repris sa fraîcheur, son embonpoint et sa sérénité.
A quelque opinion qu’on appartienne, quelque idée que l’on ait sur le Spiritisme, toute personne animée d’un sincère amour du prochain a dû se réjouir de voir la tranquillité rentrée dans cette famille, et le contentement succéder à l’affliction. Il est regrettable que M. le curé de la paroisse n’ait pas cru devoir s’associer à ce sentiment, et que cette circonstance lui ait fourni le texte d’un discours peu évangélique dans un de ses prônes. Ses paroles, ayant été dites en public, sont du domaine de la publicité. S’il se fût borné à une critique loyale de la doctrine à son point de vue, nous n’en parlerions pas, mais nous croyons devoir relever les attaques qu’il a dirigées contre les personnes les plus respectables, en les traitant de saltimbanques, à propos du fait ci-dessus.
« Ainsi, a-t-il dit, le premier décrotteur venu pourra donc, s’il est médium, évoquer le membre d’une famille honorable, alors que nul dans cette famille ne pourra le faire ? Ne croyez pas à ces absurdités, mes frères ; c’est de la jonglerie, c’est de la bêtise. Au fait, qui voyez-vous dans ces réunions ? Des charpentiers, des menuisiers, des charrons, que sais-je encore ?… Quelques personnes m’ont demandé si j’avais contribué à la guérison de l’enfant. « Non, leur ai-je répondu ; je n’y suis pour rien ; je ne suis pas médecin. »
« Je ne vois là, disait-il aux parents, qu’une affection organique du ressort de la médecine ; » ajoutant que, s’il avait cru que des prières pussent opérer quelque soulagement, il en aurait fait depuis longtemps.
Si M. le curé ne croit pas à l’efficacité de la prière en pareil cas, il a bien fait de n’en pas dire ; d’où il faut conclure qu’en homme consciencieux, si les parents fussent venus lui demander des messes pour la guérison de leur enfant, il en aurait refusé le prix, car, s’il l’eût accepté, il aurait fait payer une chose qu’il regardait comme sans valeur.
Les Spirites croient à l’efficacité des prières pour les maladies et les obsessions ; ils ont prié, ils ont guéri, et ils n’ont rien demandé ; bien plus, si les parents eussent été dans le besoin, ils auraient donné. « Ce sont, dit-il, des charlatans et des jongleurs. » Depuis quand a-t-il vu les charlatans faire leur métier pour rien ? Ont-ils fait porter à la malade des amulettes ? Ont-ils fait des signes cabalistiques ? Ont-ils prononcé des paroles sacramentelles en y attachant une vertu efficace ? Non, car le Spiritisme condamne toute pratique superstitieuse ; ils ont prié avec ferveur, en communion de pensées ; ces prières étaient-elles de la jonglerie ? Apparemment non ; puisqu’elles ont réussi, c’est qu’elles ont été écoutées.
Que M. le curé traite le Spiritisme et les évocations d’absurdités et de bêtises, il en est le maître, si telle est son opinion, et nul n’a rien à lui dire.
Mais lorsque, pour dénigrer les réunions spirites, il dit qu’on n’y voit que des charpentiers, des menuisiers, des charrons, etc., n’est-ce pas présenter ces professions comme dégradantes, et ceux qui les exercent comme des gens avilis ? Vous oubliez donc, monsieur le curé, que Jésus était charpentier, et que ses apôtres étaient tous de pauvres artisans ou des pêcheurs. Est-il évangélique de jeter du haut de la chaire le dédain sur la classe des travailleurs que Jésus a voulu honorer en naissant parmi eux ?
Avez-vous compris la portée de vos paroles quand vous avez dit : « Le premier décrotteur venu pourra donc évoquer le membre d’une famille honorable ? » Vous le méprisez donc bien, ce pauvre décrotteur, quand il nettoie vos souliers ? Hé quoi ! parce que sa position est humble, vous ne le trouvez pas digne d’évoquer l’âme d’un noble personnage ? Vous craignez donc que cette âme ne soit souillée quand, pour elle, s’étendront vers le ciel des mains noircies par le travail ? Croyez-vous donc que Dieu fait une différence entre l’âme du riche et celle du pauvre ? Jésus n’a-t-il pas dit : Aimez votre prochain comme vous-même ? ( † ) Or, aimer son prochain comme soi-même, c’est ne faire aucune différence entre soimême et le prochain ; c’est la consécration du principe : Tous les hommes sont frères, parce qu’ils sont enfants de Dieu. Dieu reçoit-il avec plus de distinction l’âme du grand que celle du petit ? celle de l’homme à qui vous faites un pompeux service, largement payé, que celle du malheureux à qui vous n’octroyez que les plus courtes prières ?
Vous parlez au point de vue exclusivement mondain, et vous oubliez que Jésus a dit : « Mon royaume n’est pas de ce monde ( † ) ; là, les distinctions de la terre n’existent plus ; là, les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers ? » Quand il a dit : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon père, » ( † ) cela signifie-t-il qu’il y en a une pour le riche et une pour le prolétaire ? une pour le maître et une pour le serviteur ? Non ; mais qu’il y en a une pour l’humble et une autre pour l’orgueilleux, car il a dit : « Que celui qui voudra être le premier dans le ciel soit le serviteur de ses frères sur la terre. » ( † ) Est-ce donc à ceux qu’il vous plaît d’appeler profanes de vous rappeler à l’Évangile ?
Monsieur le curé, en toutes circonstances de telles paroles seraient peu charitables, surtout dans le temple du Seigneur, où ne devraient être prêchées que des paroles de paix et d’union entre tous les membres de la grande famille ; dans l’état actuel de la société, c’est une maladresse, car c’est semer des ferments d’antagonisme. Que vous ayez tenu un tel langage à une époque où les serfs, habitués à plier sous le joug, se croyaient d’une race inférieure, parce qu’on le leur avait dit, on le concevrait ; mais dans la France d’aujourd’hui, où tout honnête homme a le droit de lever la tête, qu’il soit plébéien ou patricien c’est un anachronisme.
Si, comme il est probable, il y avait dans l’auditoire des charpentiers, des menuisiers, des charrons et des décrotteurs, ils ont dû être médiocrement touchés de ce discours ; quant aux Spirites, nous savons qu’ils ont prié Dieu de pardonner à l’orateur ses imprudentes paroles, qu’ils ont eux-mêmes pardonné à celui qui leur disait : Racca ( † ) ; c’est le conseil que nous donnons à tous nos frères.
[Revue de juin 1864.]
3.
Récit complet de la guérison de la jeune obsédée de Marmande.
(Voir les numéros de février et mars 1864.)
M. Dombre, de Marmande, nous a transmis le procès-verbal circonstancié de cette guérison dont nous avons déjà entretenu nos lecteurs ; les détails qu’il renferme sont du plus haut intérêt au double point de vue des faits et de l’instruction. C’est tout à la fois, comme on le verra, un cours d’enseignement théorique et pratique, un guide pour les cas analogues, et une source féconde d’observations pour l’étude du monde invisible en général, dans ses rapports avec le monde visible.
Je fus averti, dit M. Dombre dans sa relation, par un des membres de notre société Spirite, des crises violentes qu’éprouvait chaque soir, régulièrement depuis huit mois, la nommée Thérèse B… ; je me rendis, accompagné de M. L…, médium, le 11 janvier dernier, à quatre heures et demie, dans une maison voisine de celle de la malade, pour chercher à être témoin de la crise qui, selon ce qui avait lieu chaque jour, devait arriver à cinq heures. Nous rencontrâmes là la jeune fille et sa mère, en conversation avec des voisins. La demi-heure fut bientôt écoulée ; nous vîmes tout à coup la jeune fille se lever de son siège, ouvrir la porte, traverser la rue et rentrer chez elle suivie de sa mère qui la prit et la déposa tout habillée sur son lit. Les convulsions commencèrent ; son corps se doublait ; la tête tendait à joindre les talons ; sa poitrine se gonflait ; en un mot elle faisait mal à voir. Le médium et moi, rentrés dans la maison voisine, nous demandâmes à l’Esprit de Louis David, guide spirituel du médium, si c’était une obsession ou un cas pathologique. L’Esprit répondit :
4. — Pauvre enfant ! elle se trouve en effet sous une fatale influence, même bien dangereuse ; venez-lui en aide. Opiniâtre et méchant, cet Esprit résistera longtemps. Evitez, autant qu’il sera en votre pouvoir, de la laisser traiter par des médicaments qui nuiraient à l’organisme. La cause est toute morale ; essayez l’évocation de cet Esprit ; moralisez-le avec ménagement : nous vous seconderons. Que toutes les âmes sincères que vous connaissez se réunissent pour prier et combattre la trop pernicieuse influence de cet Esprit méchant. Pauvre petite victime d’une jalousie !
« Louis David. »
D. — Sous quel nom appellerons-nous cet Esprit ? — R. Jules.
Je l’évoquai immédiatement. L’Esprit se présenta d’une manière violente, en nous injuriant, déchirant le papier, et refusant de répondre à certaines interpellations. Pendant que nous nous entretenions avec cet Esprit, M. B…, médecin, qui était allé examiner la crise, arrive près de nous, et nous dit avec un certain étonnement : « C’est singulier ! l’enfant a cessé tout à coup de se tordre ; elle est maintenant étendue sans mouvement sur son lit. — Cela ne m’étonne pas, lui dis-je, parce que l’Esprit obsesseur est en ce moment près de nous. » J’engageai M. B… à retourner vers la malade, et nous continuâmes à interpeller l’Esprit qui, à un moment donné, ne répondit plus. Le guide du médium nous informa qu’il était allé continuer son œuvre ; il nous recommanda de ne plus l’évoquer pendant les crises, dans l’intérêt de l’enfant, parce que, retournant auprès d’elle avec plus de rage, il la torturait d’une manière plus aiguë. Au même instant, le médecin rentra et nous apprit que la crise venait de recommencer plus forte que jamais. Je lui fis lire l’avis qui venait de nous être donné, et nous demeurâmes tous frappés de ces coïncidences, qui ne pouvaient laisser aucun doute sur la cause du mal.
A partir de cette soirée, et sur la recommandation des bons Esprits qui nous assistent dans nos travaux spirites, nous nous réunîmes chaque soir, jusqu’à complète guérison.
5. — Le même jour, 11 janvier, nous reçûmes la communication suivante de l’Esprit protecteur de notre groupe :
« Gardienne vigilante de l’enfance malheureuse, je viens m’associer à vos travaux, unir mes efforts aux vôtres pour délivrer cette jeune fille des étreintes cruelles d’un mauvais Esprit. Le remède est en vos mains ; veillez, évoquez et priez sans jamais vous lasser jusqu’à complète guérison.
« Petite Carita. »
Cet Esprit, qui prend le nom de Petite Carita, est celui d’une jeune fille que j’ai connue, morte à la fleur de l’âge, et qui, dès sa plus tendre enfance, avait donné les preuves du caractère le plus angélique et d’une bonté rare.
L’évocation de l’Esprit obsesseur ne nous valut que les injures les plus grossières et les plus ordurières qu’il est inutile de rapporter ; nos exhortations et nos prières glissèrent sur lui et furent sans effet.
« Amis, ne vous découragez point ; il se croit fort parce qu’il vous voit dégoûtés de son langage grossier. Abstenez-vous de lui parler morale pour le moment. Causez avec lui familièrement et sur un ton amical ; vous gagnerez ainsi sa confiance, sauf à revenir au sérieux plus tard. Amis, de la persévérance.
« Vos Guides. »
Conformément à cette recommandation, nous devînmes légers dans nos interpellations, auxquelles il répondit sur le même ton.
Le lendemain, 12 janvier, la crise fut aussi longue et aussi violente que celle des jours précédents ; elle dura à peu près une heure et demie.
L’enfant se dressait sur son lit, elle repoussait avec force l’Esprit en lui disant : « Va-t’en ! va-t’en ! » La chambre de la malade était pleine de monde. Nous étions, quelques-uns de nous, auprès du lit pour observer attentivement les phases de la crise.
A la réunion du soir, nous eûmes la communication suivante :
« Mes amis, je vous engage à suivre, comme vous l’avez fait, pas à pas, cette obsession qui est un fait nouveau pour vous. Vos observations vous seront d’un grand secours, car des cas semblables pourront se multiplier, et où vous aurez à intervenir.
« Cette obsession, toute physique, d’abord, sera, je le crois, suivie de quelque obsession morale, mais sans danger. Vous verrez bientôt des moments de joie au milieu de ces tortures exercées par ce mauvais Esprit : Reconnaissez-y la présence et la main des bons Esprits. Si les tortures durent encore, vous remarquerez, après la crise, la paralysation complète du corps, et, après cette paralysation, une joie sereine et une extase qui adouciront la douleur de l’obsession.
« Observez beaucoup ; d’autres symptômes se manifesteront, et vous y trouverez de nouveaux sujets d’étude.
« Le Seigneur a dit à ses anges : Allez porter ma parole aux enfants des hommes. Nous avons frappé la terre de la verge, et la terre enfante des prodiges. Courbez-vous, enfants : C’est la toute-puissance de l’Éternel qui se manifeste à vous.
« Amis, veillez et priez ; nous sommes près de vous et près du lit des souffrances pour sécher les larmes.
« Petite CARITA. »
6. — L’Esprit de Jules évoqué a été moins intraitable que la veille ; à la vérité, nous avons répondu à ses facéties par des facéties, ce qui lui plaisait. Avant de nous quitter, nous lui avons fait promettre d’être moins dur à l’égard de sa victime. « Je tâcherai de me modérer, » a-t-il dit ; et comme nous lui promettions à notre tour de faire pour lui des prières, il nous a répondu : « J’accepte, bien que je ne connaisse pas la valeur de cette marchandise. »
(A l’Esprit). Puisque vous ne connaissez pas la prière, voulez-vous apprendre à la connaître, et en écrire une sous ma dictée ? — R. Je le veux bien.
L’Esprit écrivit sous la dictée la prière suivante : « O mon Dieu ! je promets d’ouvrir mon âme au repentir ; veuillez faire pénétrer dans mon cœur un rayon d’amour pour mes frères, qui, seul, peut me purifier ; et, comme garantie de ce désir, je fais ici la promesse de… » (la fin de la phrase était : Cesser mon obsession ; mais l’Esprit n’a pas écrit ces trois derniers mots.) « Halte là ! a-t-il ajouté ; vous voudriez m’engager sans m’avertir ; prenez garde ! je n’aime pas les pièges ; vous marchez trop vite. » Et, comme nous voulions savoir l’origine de sa jalousie et de la vengeance qu’il exerçait, il reprit : « Ne me parlez jamais de l’enfant ; vous ne feriez que m’éloigner de vous. »
La crise du 13 ne dura qu’une demi-heure, et la lutte avec l’Esprit fut suivie de sourires de bonheur, d’extase et de larmes de joie ; l’enfant, les yeux grand-ouverts, joignant ses deux mains, se soulevait sur son lit, et, regardant le ciel, présentait un tableau ravissant. Les prédictions de petite Carita se trouvaient en tous points réalisées.
Dans l’évocation qui eut lieu le soir, comme les jours précédents, l’Esprit de Jules se montra plus doux, plus soumis, et promit de nouveau de se modérer dans ses attaques contre l’enfant, dont il ne voulut jamais nous dire l’histoire ; il promit même de prier.
Le guide du médium nous dit : « Ne vous fiez pas trop à ses paroles ; elles peuvent être sincères, mais il pourrait bien aussi vous donner le change pour se débarrasser de vous ; restez sur vos gardes ; tenez-lui compte de ses promesses, et si vous aviez plus tard des reproches à lui adresser, faites-le avec douceur, afin qu’il sente les bons sentiments que vous avez à son égard.
« Louis David. »
Le 14, la crise fut aussi courte que la veille et encore moins vive ; elle fut également suivie d’extase et de manifestations de joie ; les larmes qui coulaient le long des joues de l’enfant, causaient chez tous les assistants une émotion qu’ils ne pouvaient cacher.
Réunis le soir à huit heures, comme d’habitude, nous reçûmes au début la communication suivante :
« Comme vous avez dû le remarquer, un mieux sensible s’est produit aujourd’hui chez l’enfant. Nous devons vous dire que notre présence influe beaucoup sur l’Esprit ; nous lui avons rappelé sa promesse d’hier. La jeune fille a puisé de nouvelles connaissances dans l’extase, et elle a essayé de repousser les attaques de son obsesseur. Dans l’évocation de Jules, ne mettez pas de détours ; évitez les détails qui fatiguent les uns et les autres ; soyez francs et bienveillants avec lui, vous l’aurez plus tôt. Il a fait un grand pas vers son avancement, ce que nous avons pu remarquer dans cette dernière crise.
« Petite Carita. »
7. — Évocation de Jules. — R. Me voilà, messieurs.
1. D. Comment sont vos dispositions aujourd’hui ? — R. Elles sont bonnes.
2. D. Vous avez dû ressentir l’effet de nos prières ? — R. Pas trop.
3. D. Pardonnez à votre victime, et vous éprouverez une satisfaction que vous ne connaissez pas ; c’est ce que nous éprouvons dans le pardon des injures. — R. Moi, c’est tout le contraire ; je trouvais ma satisfaction dans la vengeance d’une injure ; j’appelle cela payer ses dettes.
4. D. Mais le sentiment de haine que vous conservez dans votre âme est un sentiment pénible qui est loin de vous laisser la tranquillité ? — R. Si je vous disais que c’est de l’attachement, me croiriez-vous ?
5. D. Nous vous croyons ; cependant, faites-nous le plaisir de nous expliquer comment vous conciliez cet attachement avec la vengeance que vous exercez. Qu’était pour vous l’Esprit de cet enfant dans une autre existence, et que vous a-t-elle fait pour mériter cette rigueur ? — R. Inutile que vous me le demandiez ; je vous l’ai déjà dit : ne me parlez pas de cette enfant.
6. D. Eh bien ! il n’en sera plus question ; mais nous devons vous féliciter du changement qui s’est opéré en vous ; nous en sommes heureux. — R. J’ai fait des progrès à votre école… Que vont dire les autres ?… Il vont me siffler et me crier : Ah ! tu te fais ermite !
7. D. Que vous importe leur persiflage, si vous avez les louanges des bons Esprits ? — R. C’est vrai.
8. D. Tenez ! pour prouver aux mauvais Esprits, vos anciens compagnons, que vous rompez complètement avec eux, vous devriez pardonner tout à fait, à compter de ce jour ; vous montrer généreux et bon en délaissant d’une manière absolue la jeune fille à laquelle nous nous intéressons. — R. Mon cher monsieur, c’est impossible ; cela ne peut venir d’une manière si prompte. Laissez-moi me défaire peu à peu de ce qui est un besoin pour moi. Savez-vous ce que vous risqueriez, si je cessais subitement ? de m’y voir revenir tout à coup. Cependant, je veux vous promettre une chose, c’est de ménager l’enfant et de le torturer demain encore moins qu’aujourd’hui ; mais j’y mets une condition : c’est de n’être point amené ici par force ; je veux me rendre à votre appel librement, et si je manque à ma parole, je consens à perdre cette faveur.
Je dois vous dire que ce changement en moi est dû à cette figure riante qui est là, près de vous, et que je vois aussi près du lit de la jeune fille, tous les jours, au moment de la lutte. On est touché malgré soi ; sans cela, vous et vos saints, vous auriez du fil à retordre pour quelques jours. (L’Esprit voulait parler de la petite Carita.)
9. D. Elle est donc belle ? — R. Belle, bien belle, oh oui !
10. D. Mais elle n’est pas seule auprès de vous pendant les luttes ? — R. Oh non ! Il y a les autres, les anciens du corps, les amis ; ça ne rit jamais, ça ; mais je me moque bien d’eux, maintenant.
Remarque. — L’interrogateur voulait sans doute parler des autres bons Esprits, mais Jules fait allusion aux Esprits mauvais, ses compagnons.
11. D. Allons ! avant de nous quitter, nous vous promettons de dire pour vous ce soir une prière. — R. J’en demande dix, et dites de bon cœur, et vous serez contents de moi demain.
12. D. Eh bien ! soit, dix. Et puisque vous êtes en si bonnes dispositions, voulez-vous écrire de cœur une prière de trois mots, sous ma dictée ? — R. Volontiers.
L’Esprit écrivit : « O mon Dieu, donnez-moi la force de pardonner. »
8. — Le 15 janvier, la crise eut lieu, comme toujours, à cinq heures de l’après-midi, mais ne dura qu’un quart d’heure. La lutte fut faible, et fut suivie d’extase, de sourires et de larmes qui exprimaient la joie et le bonheur.
Dans la réunion du soir, petite Carita nous donna la communication suivante :
« Mes chers protégés, comme nous vous l’avions fait espérer, le phénomène spirite qui se passe sous vos yeux se modifie, s’améliore chaque jour en perdant son caractère de gravité. Un conseil d’abord : Que ce soit pour vous un sujet d’étude, au point de vue des tortures physiques, et d’études morales. Ne faites point aux yeux du monde de signes extérieurs ; ne dites point de paroles inutiles. Que vous importe ce que l’on dira ! Laissez la discussion aux oisifs. Que le but pratique, c’est-à-dire la délivrance de cette jeune enfant et l’amélioration de l’Esprit qui l’obsède, soit l’élément de vos entretiens intimes et sérieux ; ne parlez pas de guérison à haute voix ; demandez-la à Dieu dans le recueillement de la prière.
« Cette obsession, je suis heureuse de vous le dire, touche à sa fin. L’Esprit de Jules s’est sensiblement amélioré. J’ai aussi, de tout mon pouvoir, agi sur l’Esprit de l’enfant, afin que ces deux natures si opposées fussent plus compatibles entre elles. La combinaison des fluides n’offrira plus aucun danger réel par rapport à l’organisme ; l’ébranlement que ressentait ce jeune corps au contact fluidique disparaît sensiblement. Votre travail n’est pas fini ; la prière de tous doit toujours précéder et suivre l’évocation.
« Petite Carita. »
9. — Après l’évocation de Jules, et la prière où il est qualifié d’Esprit mauvais, il dit :
« Me voilà ! Je demande, au nom de la justice, la réforme de certains mots dans votre prière. J’ai reformé mes actes, réformez les qualifications que vous m’adressez. »
1. D. Vous avez raison ; nous n’y manquerons pas. Êtes-vous venu sans contrainte aujourd’hui ? — R. Oui, je suis venu librement ; j’avais tenu mes promesses.
2. D. Maintenant que vous êtes calme et dans de bons sentiments, vous convient-il de nous confier les motifs de votre rigueur à l’égard de cette entant ? — R. Laissez donc le passé, s’il vous plaît ; quand le mal est cautérisé, à quoi bon raviver la plaie ? Ah ! je sens que l’homme doit devenir meilleur. J’ai horreur de mon passé et regarde l’avenir avec espérance.
Quand une bouche d’ange vous dit : La vengeance est une torture pour celui qui l’exerce ; l’amour est le bonheur pour celui qui le prodigue ; eh bien ! ce levain qui aigrit et flétrit le cœur s’évanouit : il faut aimer.
« Vous êtes étonnés de mes paroles ? elles ne sont point de mon cru ; on me les a apprises, et j’ai du plaisir à vous les redire. Ah ! que vous seriez heureux d’apercevoir seulement une minute cet ange, rayonnante comme un soleil, bonne, douce comme une rosée rafraîchissante qui tombe en gouttelettes fines sur une plante brûlée par les feux du jour ! Comme vous le voyez, je ne suis point en peine de causer, je puise à la source.
« Un coup d’œil rapide sur ma vie vagabonde :
« Né au sein de la misère soudée au vice, je goûtai de bonne heure les amours grossiers de la vie. Je suçai avec le lait le breuvage empoisonné que m’offraient toutes les passions. J’errais sans foi, sans loi, sans honneur. Quand on doit vivre au hasard, tout est bon. La poule du paysan, comme le mouton du châtelain, servait à nos repas. La maraude était mon occupation, lorsque le hasard sans doute, car je ne crois pas que la Providence veille sur de pareils scélérats, me prit et m’équipa. Fier du costume râpé qui remplaçait mes haillons, la hallebarde au bras, je me rangeai dans une bande de… de mauvais compagnons, vivant aux dépens d’un seigneur peureux qui, à son tour, prélevait la taille sur les campagnards ; mais que nous importait, à nous, la source d’où coulaient dans nos mains la monnaie et les provisions ! Je n’entrerai pas dans le détail des faits qui me sont personnels : ils sont méchants, hideux et indignes d’être racontés. Comprenez-vous qu’élevé à une pareille école on puisse devenir un homme de bien ?
« La bande, divisée par la mort, alla se reconstituer dans le monde des Esprits. Loin d’éviter les occasions de faire le mal, nous les recherchions ; dans mes promenades errantes, j’ai rencontré une prise à faire ; je l’ai faite : vous savez le reste.
« Priez aussi pour la bande, messieurs, s’il vous plaît. Vous vous étonnez souvent qu’un pays recèle plus de malfaiteurs que d’autres pays ; c’est tout simple. Ne voulant point se séparer, ils s’abattent sur une contrée comme une nuée de sauterelles : aux loups les forêts, aux pigeons les colombiers.
« J’avais vécu de cette existence terrestre sous Louis XIII. † Ma dernière existence se passa sous l’empire. Je fus guérillas ; le tromblon et le chapeau conique enrubanné me plaisaient fort. J’aimais le danger, le vol et les prises hasardeuses. Triste goût, direz-vous ; mais que faire ailleurs ? J’étais habitué à vivre dans les bandes. Vous devez être étonnés de ce changement subit : c’est l’ouvrage d’un ange.
« Je ne vous promets rien pour demain ; vous me jugerez à mes actes. Une prière, s’il vous plaît ; je vais de mon côté en faire une :
« Petit ange, ouvre tes ailes ; prends ton essor vers le trône du Seigneur ; demande-lui mon pardon en mettant à ses pieds mon repentir.
« Jules. »
3. D. Puisque vous êtes en si bonne voie, priez Dieu pour la pauvre enfant… — R. Je ne puis… ce serait de la dérision ou de la cruauté que le bourreau embrassât sa victime.
Le lendemain 16 janvier, l’enfant n’eut point de crise, mais seulement des langueurs d’estomac. A nos yeux, la délivrance était opérée.
10. — Le soir, à huit heures, l’Esprit de Jules, répondant à notre appel, nous donna la communication suivante :
« Mes amis, permettez-moi ce nom ; moi, l’Esprit obsesseur, l’Esprit méchant, rusé et pervers ; moi qui, il y a encore bien peu de jours, croupissais dans le mal et m’y plaisais, je vais, avec l’aide de l’ange, vous faire de la morale. Je me trouve moi-même surpris de ce changement ; je me demande si c’est bien moi qui parle.
« Je croyais tout sentiment éteint dans mon âme ; une fibre vibrait encore ; l’ange l’a devinée et l’a touchée ; je commence à voir et à sentir. Le mal me fait horreur. J’ai jeté un regard sur mon passé, je n’y ai vu que crimes. Une voix douce m’a dit : Espère ; contemple la joie et le bonheur des bons Esprits ; purifie-toi ; pardonne au lieu de te venger ; aime au lieu de haïr. Je t’aimerai aussi, moi, si tu veux aimer, si tu te rends meilleur. Je me suis senti attendri. Je comprends maintenant le bonheur qu’éprouveront les hommes, lorsqu’ils sauront pratiquer la charité.
« Jeune enfant (il s’adresse à sa victime présente à la séance), toi que j’avais choisie pour ma proie, comme le vautour la douce colombe, prie pour moi, et que le nom de réprouvé s’efface de ta mémoire. J’ai reçu le baptême d’amour des mains de l’ange du Seigneur, et aujourd’hui je revêts la robe d’innocence. Pauvre enfant, je désire que tes prières adressées pour moi au Seigneur me délivrent bientôt du remords qui va me suivre comme une expiation justement méritée.
« Mes amis, veuillez continuer aussi vos prières pour mes misérables compagnons qui me poursuivent de leur jalousie méchante, parce que je leur échappe. Hier encore, je me demandais ce qu’ils diraient de moi ; aujourd’hui je leur dis : J’ai vaincu ; mon passé m’est pardonné, parce que j’ai su me repentir. Faites comme moi, livrez bataille au mal qui vous retient captifs dans ce lieu de tourments et de désespoir ; sortez-en vainqueurs. Si ma main criminelle a trempé comme la vôtre dans le sang, elle vous portera l’eau sainte de la prière qui lave les stigmates du réprouvé. Mon Dieu, pardon !
« Merci, mes anis, pour le bien que vous m’avez fait. Je vous demanderai à rester près de vous, à compter d’aujourd’hui, à assister à vos réunions. J’ai besoin de puiser à bonne source des conseils pour remplir une nouvelle existence que je demanderai à Dieu quand j’aurai subi l’expiation de mon passé infâme que ma conscience me reproche.
« Jules. »
Le 17 janvier, selon la promesse de Jules, la jeune fille n’éprouva absolument aucun malaise ni aucune langueur d’estomac. Petite Carita nous annonça qu’elle subirait une épreuve morale, soit à cinq heures du soir, pendant quelques jours, soit pendant son sommeil, épreuve qui n’aurait rien de pénible pour elle, et dont les seuls symptômes seraient des sourires et de douces larmes, ce qui eut lieu, en effet, pendant deux jours. Les jours suivants il y eut absence complète du plus petit indice de crise. Nous n’en continuâmes pas moins à observer l’enfant et à prier.
11. — Le 18 février, Petite Carita nous dicta l’instruction suivante :
« Mes bons amis, bannissez toute crainte ; l’obsession est finie et bien finie ; un ordre de choses étranges pour vous, mais qui vous paraîtront bientôt toutes naturelles, sera peut-être la conséquence de cette obsession, mais non l’ouvrage de Jules. Quelques développements sont nécessaires ici comme enseignement.
« L’obsession ou la subjugation de l’être matériel se présente à vos yeux, aujourd’hui que vous connaissez la doctrine, non comme un phénomène surnaturel, mais simplement avec un caractère différent des maladies organiques.
« L’Esprit qui subjugue pénètre le périsprit de l’être sur lequel il veut agir. Le périsprit de l’obsédé reçoit comme une enveloppe le corps fluidique de l’Esprit étranger, et, par ce moyen, est atteint dans tout son être ; le corps matériel éprouve la pression exercée sur lui d’une manière indirecte.
« Il a paru étonnant que l’âme pût agir physiquement sur la matière animée ; c’est elle pourtant qui est l’auteur de tous ces faits. Elle a pour attributs l’intelligence et la volonté ; par sa volonté elle dirige, et le périsprit, d’une nature semi-matérielle, est l’instrument dont elle se sert.
« Le mal physique est apparent, mais la combinaison fluidique que vos sens ne peuvent saisir recèle un nombre infini de mystères qui se révéleront avec le progrès de la doctrine considérée au point de vue scientifique.
« Lorsque l’Esprit abandonne sa victime, sa volonté n’agit plus sur le corps, mais l’empreinte qu’a reçue le périsprit par le fluide étranger dont il a été chargé, ne s’efface pas tout à coup, et continue encore quelque temps d’influer sur l’organisme. Dans le cas de votre jeune malade : tristesses, larmes, langueurs, insomnies, troubles vagues, tels sont les effets qui pourront se produire à la suite de cette délivrance, mais rassurez-vous, rassurez l’enfant et sa famille, car ces conséquences seront pour elle sans danger.
« Mon devoir m’appelle d’une manière spéciale à mener à bonne fin le travail que j’ai commencé avec vous ; il faut maintenant agir sur l’Esprit même de l’enfant, par une douce et salutaire influence moralisatrice.
« Quant à vous, mes amis, continuez de prier et d’observer attentivement tous ces phénomènes ; étudiez sans cesse ; le champ est ouvert, il est vaste. Faites connaître et comprendre toutes ces choses, et les idées spirites se glisseront peu à peu dans l’esprit de vos frères que l’apparition de la doctrine a trouvés incrédules ou indifférents.
« Petite Carita. »
Remarque. — Nous devons un juste tribut d’éloges à nos frères de Marmande, pour le tact, la prudence et le dévouement éclairé dont ils ont fait preuve en cette circonstance. Par cet éclatant succès, Dieu a récompensé leur foi, leur persévérance et leur désintéressement moral, car ils n’y ont cherché aucune satisfaction d’amour-propre ; il n’en aurait probablement point été de même si l’orgueil eût terni leur bonne action.
Dieu retire ces dons à quiconque n’en use pas avec humilité ; sous l’empire de l’orgueil, les plus éminentes facultés médianimiques se pervertissent, s’altèrent et s’éteignent, parce que les bons Esprits retirent leur concours ; les déceptions, les déboires, les malheurs effectifs dès cette vie, sont souvent la conséquence du détournement de la faculté de son but providentiel ; nous en pourrions citer plus d’un triste exemple parmi les médiums qui donnaient les plus belles espérances.
A ce sujet, on ne saurait trop se pénétrer des instructions contenues dans l’Imitation de l’Évangile, nos 285, 326 et suiv., 333, 392 et suiv.
Nous recommandons aux prières de tous les bons Spirites l’Esprit cidevant obsesseur de Jules, afin de le fortifier dans ses bonnes résolutions, et de lui faire comprendre ce que l’on gagne à faire le bien.
[Voir le cas de la jeune fille Valentine Laurent, dans
la Revue de janvier 1865 :
Nouvelle cure d’une jeune obsédée de Marmande.]