(Cinquième et dernier article. — Voir les numéros de décembre 1862,
janvier, février, avril 1863.)
38b. — Ainsi qu’on a pu le remarquer, M. Constant est arrivé à Morzines † avec l’idée que la cause du mal était purement physique ; il pouvait avoir raison, car il serait absurde de supposer à priori une influence occulte à tout effet dont la cause est inconnue. Selon lui, cette cause est tout entière dans les conditions hygiéniques, climatériques et physiologiques des habitants. Nous sommes loin de prétendre qu’il aurait dû venir avec une opinion contraire tout arrêtée, ce qui n’eût pas été plus logique ; nous disons simplement qu’avec son idée préconçue il n’a vu que ce qui pouvait s’y rapporter, tandis que s’il eût été dans ses opinions d’admettre seulement la possibilité d’une autre cause, il aurait vu autre chose.
Quand une cause est réelle, elle doit pouvoir expliquer tous les effets qu’elle produit ; si certains effets viennent la contredire, c’est qu’elle est fausse ou qu’elle n’est pas unique, et alors il faut en chercher une autre.
C’est incontestablement la marche la plus logique ; et la justice, dans ses investigations pour la recherche de la criminalité, ne procède pas autrement. S’il s’agit de constater un crime, arrive-t-elle avec l’idée qu’il a dû être commis de telle ou telle manière, par tel moyen ou telle personne ? Non ; elle observe les plus petites circonstances, et, remontant des effets aux causes, elle écarte celles qui sont inconciliables avec les effets observés, et, de déduction en déduction, il est rare qu’elle n’arrive pas à la constatation de la vérité. Il en est de même dans les sciences ; lorsqu’une difficulté reste insoluble, le plus sage est de suspendre son jugement. Toute hypothèse est permise alors pour essayer de la résoudre ; mais si celte hypothèse ne résout pas tous les cas de la difficulté, c’est qu’elle est fausse : elle n’a le caractère d’une vérité absolue que si elle donne raison à tout. C’est ainsi qu’en Spiritisme, par exemple, toute constatation matérielle à part, en remontant des effets aux causes, on arrive au principe de la pluralité des existences, comme conséquence inévitable, parce que seul il explique clairement ce qu’aucun autre n’a pu expliquer.
En appliquant cette méthode aux faits de Morzines, il est aisé de voir que la cause unique admise par M. Constant est loin de tout expliquer. Il constate, par exemple, que les crises cessent généralement dès que les malades sont hors du territoire de la commune. Si donc le mal tient à la constitution lymphatique et à la mauvaise nourriture des habitants, comment cette cause cesse-t-elle d’agir quand ils ont franchi le pont qui les sépare de la commune voisine ? Si les crises nerveuses n’étaient accompagnées d’aucun autre symptôme, nul doute qu’on pût, selon toute apparence, les attribuer à un état constitutionnel, mais il est des phénomènes que cet état seul ne saurait expliquer.
39. — Le Spiritisme nous offre ici une comparaison frappante. Au début des manifestations, lorsqu’on vit les tables tourner, frapper, se dresser, se soulever dans l’espace sans point d’appui, la première pensée fut que ce pouvait être par l’action de l’électricité, du magnétisme, ou d’un fluide inconnu ; cette supposition n’avait rien de déraisonnable, au contraire : elle offrait toute probabilité. Mais lorsqu’on vit ces mêmes mouvements donner des signes d’intelligence, manifester une volonté propre, spontanée et indépendante, la première hypothèse ne pouvant résoudre cette phase du phénomène, dut être abandonnée, et il fallut bien reconnaître dans un effet intelligent une cause intelligente. Quelle était cette intelligence ? C’est encore par la voie de l’expérimentation qu’on y est arrivé, et non par un système préconçu.
Citons un autre exemple. Lorsque Newton, observant la chute des corps, remarqua qu’ils tombaient tous dans la même direction, il en chercha la cause et fit une hypothèse ; cette hypothèse, résolvant tous les cas du même genre, devint la loi de gravitation universelle, loi purement mécanique, parce que tous les effets étaient mécaniques. Mais supposons qu’en voyant tomber une pomme, celle-ci eût obéi à sa volonté ; qu’à son commandement, au lieu de descendre elle eût monté, fût allée à droite ou à gauche, se fût arrêtée ou mise en mouvement ; qu’elle eût, par un signe quelconque, répondu à sa pensée, il eût bien été forcé de reconnaître autre chose qu’une loi mécanique, c’est-à-dire que la pomme n’étant pas intelligente par elle-même, elle devait obéir à une intelligence. Ainsi en a-t-il été des tables tournantes ; ainsi en est-il des malades de Morzine.
40. — Pour ne parler que des faits observés par M. Constant lui-même, nous demanderons comment une mauvaise nourriture et un tempérament lymphatique peuvent produire l’antipathie religieuse chez des gens naturellement religieux et même dévots ? Si c’était un fait isolé, ce pourrait être une exception, mais on reconnaît qu’il est général et que c’est un des caractères de la maladie là et ailleurs ; voilà un effet, cherchez-en la cause ; vous ne la connaissez pas ? soit ; avouez-le, mais ne dites pas qu’il tient à ce que les habitants mangent des pommes de terre et du pain noir, ni à leur ignorance et à l’étroitesse de leur intelligence, car on vous opposera le même effet chez des gens qui vivent dans l’abondance et ont reçu de l’instruction. S’il suffisait du confortable pour guérir de l’impiété, on s’étonnerait de trouver tant d’impies et de blasphémateurs parmi les gens qui ne se refusent rien.
Le régime hygiénique expliquera-t-il mieux cet autre fait non moins caractéristique et général du sentiment de la dualité qui se traduit d’une manière non équivoque dans le langage des malades ? Certainement non. C’est toujours un tiers qui parle ; toujours une distinction entre lui et la fille, fait constant chez les individus dans le même cas, à quelque classe de la société qu’ils appartiennent. Les remèdes sont inefficaces par une bonne raison, c’est qu’ils sont bons, comme ce tiers le dit, pour la fille, c’est-à-dire pour l’être corporel, mais non pour l’autre, celui qu’on ne voit pas, et qui pourtant la fait agir, la contraint, la subjugue, la terrasse, et se sert de ses membres pour frapper et de sa bouche pour parler. Il dit n’avoir rien vu qui justifie l’idée de la possession, mais les faits étaient devant ses yeux, il les cite lui-même. Peuvent-ils s’expliquer par la cause qu’il leur attribue ? Non ; donc cette cause n’est pas la véritable ; il voyait des effets moraux, il fallait chercher une cause morale.
41. — Un autre médecin, le docteur Chiara, qui, lui aussi, a visité Morzines, et a publié son appréciation n constate les mêmes phénomènes et les mêmes symptômes que M. Constant ; mais pour lui, comme pour ce dernier, les Esprits malins sont dans l’imagination des malades. Nous trouvons dans sa relation le fait suivant, à propos d’une malade :
« L’accès commence par un hoquet et des mouvements de déglutition, par la flexion et le redressement alternatifs de la tête sur le tronc ; puis après plusieurs contorsions qui donnent à sa figure si douce une expression effrayante : « S… médecin, s’écrie-t-elle, je suis le diable…, tu veux me faire sortir de la fille, je ne te crains pas… viens !… il y a quatre ans que je la possède : elle est à moi, j’y resterai. — Que fais-tu dans cette fille ? — Je la tourmente. — Et pourquoi, malheureux, tourmentes-tu une personne qui ne t’a fait aucun mal ? — Parce qu’on m’y a mis pour la tourmenter ? — Tu es un scélérat. » Ici je m’arrête, abasourdi par une avalanche d’injures et d’imprécations. »
En parlant d’une autre malade, il dit :
« Après quelques instants d’une scène muette, d’une pantomime plus ou moins expressive, notre possédée se met à pousser des jurons horribles. Écumante de rage, elle nous injurie tous avec une fureur sans pareille. Mais, disons-le tout de suite, ce n’est pas la fille qui s’exprime ainsi, c’est le diable qui la possède et qui, se servant de son organe, parle en son nom propre. Quant à notre énergumène, † elle n’est qu’un instrument passif chez qui la notion du moi est entièrement abolie. Si on l’interpelle directement, elle reste muette : Belzébuth seul répondra.
« Enfin, après trois minutes environ, ce drame effrayant cesse tout à coup comme par enchantement. La fille B… reprend l’air le plus calme, le plus naturel du monde, comme si rien ne se fût passé. Elle tricotait avant, la voilà qui tricote après, sans qu’elle paraisse avoir interrompu son travail. Je l’interroge ; elle me répond n’éprouver aucune fatigue, et ne se souvient de rien. Je lui parle des injures qu’elle nous a dites : elle les ignore ; mais elle paraît en être contrariée et nous fait ses excuses.
« Chez toutes ces malades, la sensibilité générale est complètement abolie. On a beau les pincer, les piquer, les brûler, elles ne ressentent rien. A l’une d’elles je fis un pli à la peau que je traversai de part en part avec une aiguille ordinaire ; le sang coula, mais elle ne sentit rien.
« A Morzines j’ai encore vu plusieurs de ces malades hors l’état de crise ; c’étaient des jeunes filles, grosses et fraîches, jouissant de la plénitude de leurs facultés physiques et morales. A les voir, il était impossible de supposer chez elle l’existence de la moindre affection. »
Ceci contraste avec l’état rachitique, malingre et souffreteux que M. Constant a cru remarquer. Quant au phénomène de l’insensibilité pendant les crises, ce n’est pas, comme on a pu le voir, le seul rapprochement que ces faits présentent avec l’état cataleptique, le somnambulisme et la double vue.
De toutes ses observations, le docteur Chiara conclut à cette définition du mal :
« C’est un ensemble morbide, formé de différents symptômes, pris un peu dans tout le cadre pathologique des maladies nerveuses et mentales ;
en un mot, c’est une affection sui generis, à laquelle je conserverai, attachant peu d’importance aux dénominations, le nom d’hystérodémonie qu’on lui a déjà donné. »
C’est le cas de dire : « Que celui qui a des oreilles entende. » C’est un mal particulier, formé de différentes parties, et qui a sa source un peu partout. Autant valait dire tout net : « C’est un mal que je ne comprends pas. » C’est un mal sui generis ; nous sommes d’accord ; mais quel est ce genre auquel vous ne savez même quel nom donner ?
42. — Nous pourrions prouver l’insuffisance d’une cause purement matérielle pour expliquer le mal de Morzines, par bien d’autres rapprochements, mais que nos lecteurs feront eux-mêmes. Qu’ils veuillent donc se reporter à nos précédents articles sur le même sujet, à ce que nous disons de la manière dont s’opère l’action des Esprits obsesseurs, des phénomènes qui résultent de cette action, et l’analogie en ressortira avec la dernière évidence. Si, pour les Morzinois, le tiers intervenant est le diable, c’est qu’on leur a dit que c’était le diable, et qu’ils ne connaissent que cela. On sait d’ailleurs que certains Esprits de bas étage s’amusent à prendre des noms infernaux pour effrayer. A ce nom, substituez dans leur bouche le mot Esprit, ou mieux mauvais Esprits, et vous aurez la reproduction identique de toutes les scènes d’obsession et de subjugation que nous avons rapportées. Il est incontestable que, dans un pays où dominerait l’idée du Spiritisme, une épidémie pareille survenant, les malades se diraient sollicités par de mauvais Esprits, et alors ils passeraient aux yeux de certaines gens pour des fous ; ils disent que c’est le diable : c’est une affection nerveuse. C’est ce qui serait arrivé à Morzines si la connaissance du Spiritisme y eût précédé l’invasion de ces Esprits, et c’est alors que ses adversaires auraient crié haro ! sur lui ; mais la Providence n’a pas voulu leur donner cette satisfaction passagère ; elle a voulu au contraire prouver leur impuissance à combattre le mal par les moyens ordinaires.
En fin de compte, on a eu recours à l’éloignement des malades que l’on a dirigés sur les hôpitaux de Thonon, † Chambéry, † Lyon, † Mâcon, † etc.
Le moyen était bon ; car, quand ils furent tous transportés, on put se flatter de dire qu’il n’y en avait plus dans le pays. Cette mesure pouvait être fondée sur un fait observé, celui de la cessation des crises hors de la commune, mais elle paraît l’avoir été sur une autre considération : l’isolement des malades. Du reste, l’opinion de M. Constant est catégorique ; il dit : « Il devrait y avoir une sorte de lazaret où l’on pourrait enfouir, aussitôt qu’ils se montrent, les désordres moraux et nerveux dont la propriété contagieuse est établie, a dit mon ancien ami le docteur Bouchut. En attendant mieux, ce lazaret est tout trouvé, c’est l’asile d’aliénés ; c’est le seul lieu vraiment convenable pour le traitement rationnel et complet des malades qui m’occupent, soit que l’on admette que leur maladie est bien une forme, une variété de l’aliénation, et quand bien même encore on ne voudrait pas qu’elles fussent, à aucun titre, prises pour des aliénées ; il faut produire sur elles un certain degré d’intimidation, occuper leur esprit de manière à laisser le moins de temps possible à leurs préoccupations par d’autres préoccupations ; les soustraire absolument à toute influence religieuse irréfléchie et non mesurée, aux conversations, avis ou observations susceptibles d’entretenir leur erreur, qu’il faut au contraire combattre tous les jours ; leur donner un régime approprié ; les obliger enfin à se soumettre aux prescriptions qu’il pourrait être utile d’associer à un traitement purement moral et avoir les moyens d’exécution. Où trouver réunies toutes ces conditions nécessaires, essentielles, ailleurs que dans un asile ? On a craint pour ces malades le contact avec de vraies aliénées ; ce contact eût été moins fâcheux qu’on ne l’a pensé, et il eût été facile, après tout, de consacrer provisoirement un quartier aux seules malades de Morzines. Si leur agglomération avait eu quelques inconvénients, on aurait pu trouver des compensations dans la réunion elle-même, et je reste convaincu que le nom d’asile, de maison de fous, eût peut-être seul amené plus d’une guérison, et qu’il se fût rencontré peu de diables qu’une douche n’eût mis en fuite. »
Nous sommes loin de partager l’optimisme de M. Constant sur l’innocuité du contact des aliénés et l’efficacité des douches en pareil cas ; nous sommes persuadé, au contraire, qu’un tel régime peut produire une folie véritable là où il n’y a qu’une folie apparente ; or, remarquez bien qu’en dehors des crises, les malades ont tout leur bon sens et sont sains de corps et d’esprit ; il n’y a donc chez eux qu’un trouble passager qui n’a aucun des caractères de la folie proprement dite. Leur cerveau, nécessairement affaibli par les secousses fréquentes qu’il éprouve, serait encore plus facilement impressionné par la vue des fous et par l’idée seule d’être avec des fous. M. Constant attribue le développement et l’entretien de la maladie à l’imitation, à l’influence des conversations que les malades ont entre eux, et il conseille de les mettre avec des fous ou de les parquer dans un quartier d’hôpital ! N’est-ce pas une contradiction évidente, et est-ce là ce qu’il entend par traitement moral ?
Selon nous, le mal est dû à une tout autre cause et doit requérir des moyens curatifs tout différents. Il a sa source dans la réaction incessante qui existe entre le monde visible et le monde invisible qui nous entoure et au milieu duquel nous vivons, c’est-à-dire entre les hommes et les Esprits, qui ne sont autres que les âmes de ceux qui ont vécu et parmi lesquels il y en a de bons et de mauvais. Cette réaction est une des forces, une des lois de la nature, et produit une foule de phénomènes psychologiques, physiologiques et moraux incompris, parce que la cause était inconnue ; le Spiritisme nous fait connaître cette loi, et dès lors que des effets sont soumis à une loi de la nature, ils n’ont rien de surnaturel. Vivant au milieu de ce monde, qui n’est point aussi immatériel qu’on se le figure, puisque ces êtres, quoique invisibles, ont des corps fluidiques semblables aux nôtres, nous en ressentons l’influence ; celle des bons Esprits est salutaire et bienfaisante, celle des mauvais est pernicieuse comme le contact des gens pervers dans la société.
Nous disons donc qu’à Morzines, une nuée de ces êtres invisibles malfaisants s’est momentanément abattue sur cette localité, comme cela a eu lieu en beaucoup d’autres, et ce n’est ni avec des douches, ni avec une nourriture succulente qu’on les chassera. Les uns les appellent diables ou démons ; nous les appelons simplement mauvais Esprits ou Esprits inférieurs, ce qui n’implique point une meilleure qualité, mais ce qui est très différent pour les conséquences, attendu que l’idée attachée aux démons est celle d’êtres à part, en dehors de l’humanité, et perpétuellement voués au mal, tandis qu’ils ne sont autres que les âmes d’hommes qui ont été mauvais sur la terre, mais qui finiront par s’améliorer un jour ; en venant dans cette localité, ils font, comme Esprits, ce qu’ils auraient fait s’ils y fussent venus de leur vivant, c’est-à-dire le mal que ferait une bande de malfaiteurs. Il faut donc les chasser comme on chasserait une troupe d’ennemis.
Il est dans la nature de ces Esprits d’être antipathiques à la religion, parce
qu’ils en redoutent la puissance, comme les criminels sont antipathiques
à la loi et aux juges qui les condamnent, et ils expriment ces sentiments
par la bouche de leurs victimes, véritables médiums inconscients qui
sont strictement dans le vrai quand ils disent n’être que des échos
; le patient est réduit à un état passif ; il est dans la situation
d’un homme terrassé par un ennemi plus fort, qui le contraint à faire
sa volonté ; le moi de l’Esprit étranger neutralise momentanément le
moi personnel ; il y a subjugation obsessionnelle et non possession.
[Voir sur la possession
Un cas de possession. – Mademoiselle Julie ; et dans la Genèse :
Obsessions et possessions.]
Quelle absurdité ! diront certains docteurs. Absurdité, tant que vous voudrez, mais qui n’en est pas moins aujourd’hui tenue pour une vérité par un grand nombre de médecins. Un temps viendra, moins éloigné qu’on ne pense, où, l’action du monde invisible étant généralement reconnue, l’influence des mauvais Esprits sera rangée parmi les causes pathologiques ; il sera tenu compte du rôle important que joue le périsprit dans la physiologie, et une nouvelle voie de guérison sera ouverte pour une foule de maladies réputées incurables.
S’il en est ainsi, dira-t-on, d’où vient l’inutilité des exorcismes ? Cela prouve une chose, c’est que les exorcismes tels qu’ils sont pratiqués ne valent pas mieux que les médecines, et cela parce que leur efficacité n’est pas dans l’acte extérieur, dans la vertu des paroles et des signes, mais dans l’ascendant moral exercé sur les mauvais Esprits. Les malades ne disaient-ils pas : « Ce ne sont pas des remèdes qu’il nous faut, mais de saints prêtres ; » et ils insultaient ceux-ci disant qu’ils n’étaient pas assez saints pour avoir action sur les démons. Etait-ce la nourriture de pommes de terre qui les faisait parler ainsi ? Non, mais bien l’intuition de la vérité. L’inefficacité de l’exorcisme en pareil cas est constatée par l’expérience ; et pourquoi cela ? parce qu’il consiste dans des cérémonies et des formules dont se rient les mauvais Esprits, tandis qu’ils cèdent à l’ascendant moral qui leur impose ; ils voient qu’on veut les maîtriser par des moyens impuissants, et ils veulent se montrer les plus forts ; ils sont comme le cheval ombrageux qui jette par terre le cavalier inhabile, tandis qu’il plie quand il a trouvé son maître.
43. — Dans une de ces cérémonies, dit le docteur Chiara, il y eut dans l’église où l’on avait réuni tous les malades un affreux tumulte. Toutes ces femmes tombèrent en crise simultanément, renversant, brisant les bancs de l’église et se roulant par terre, pêle-mêle avec les enfants et les hommes, qui s’efforçaient vainement de les contenir. Elles profèrent des jurements effroyables, inouïs ; interpellent le prêtre dans les termes les plus injurieux. »
Les cérémonies publiques d’exorcisme cessèrent de ce moment, mais on alla exorciser à domicile, à toute heure du jour et de la nuit, ce qui ne produisit pas de meilleurs résultats, et y fit définitivement renoncer.
Nous avons cité plusieurs exemples de la puissance morale en pareil cas, et quand nous n’en aurions pas eu maintes preuves sous les yeux, il suffirait de rappeler celle qu’exerçait le Christ qui, pour chasser les démons, n’avait qu’à leur commander de se retirer. Comparez, dans l’Évangile, les possédés de son temps avec ceux de nos jours, et vous verrez une frappante similitude. Jésus les guérissait par des miracles, direz-vous ; soit, mais voici un fait que vous appellerez d’autant moins miraculeux qu’il s’est passé chez les schismatiques. †
M. A…, de Moscou, † qui n’avait point lu notre relation, nous racontait, il y a peu de jours, que dans ses propriétés les habitants d’un village furent atteints d’un mal en tout semblable à celui de Morzines ; mêmes crises, mêmes convulsions, mêmes blasphèmes, mêmes injures contre les prêtres, mêmes effets de l’exorcisme, même impuissance de la science médicale. Un de ses oncles, M. R…, de Moscou, puissant magnétiseur, homme de bien par excellence, très pieux par le cœur, étant venu visiter ces malheureux, arrêtait les convulsions les plus violentes par la seule imposition des mains qu’il accompagnait toujours d’une fervente prière.
En réitérant cet acte il finit par les guérir presque tous radicalement.
Cet exemple n’est pas le seul ; comment l’expliquer, si ce n’est par l’influence magnétique secondée par la prière, remède dont usent peu nos matérialistes, parce qu’il ne se trouve ni dans le codex ni dans nos pharmacies ? remède puissant cependant quand il part du cœur et non des lèvres, et qu’il s’appuie sur une foi vive et un ardent désir de faire le bien. En décrivant l’obsession dans nos premiers articles, nous avons expliqué l’action fluidique qui s’exerce en cette circonstance, et nous en concluons, par analogie, que c’eût été un puissant auxiliaire à Morzines.
44. — Quoi qu’il en soit, le mal paraît arrivé à son terme, les conditions du pays restant cependant les mêmes. Pourquoi cela ? c’est ce qu’il nous est pas encore permis de dire ; mais, comme on le reconnaîtra plus tard, il aura, plus qu’on ne pense, servi la cause du Spiritisme, ne fût-ce qu’à prouver, par un grand exemple, que ceux qui ne le connaissent pas ne sont pas préservés de l’action des mauvais Esprits, et l’impuissance des moyens ordinaires employés pour les chasser.
Nous terminerons en rassurant certains habitants du pays sur la prétendue influence que quelques-uns d’entre eux auraient pu exercer en donnant le mal, comme ils le disent ; la croyance aux jeteurs de sorts doit être reléguée parmi les croyances superstitieuses. Qu’ils soient pieux de cœur, et que ceux qui sont chargés de les conduire s’efforcent de les élever moralement, c’est le plus sûr moyen de neutraliser l’influence des mauvais Esprits, et de prévenir le retour de ce qui s’est passé. Les mauvais Esprits ne s’adressent qu’à ceux qu’ils savent pouvoir maîtriser, et non à ceux que la supériorité morale, nous ne disons pas intellectuelle, cuirasse contre leurs atteintes.
Ici se présente une objection toute naturelle qu’il est utile de prévenir.
On se demandera peut-être pourquoi tous ceux qui font le mal ne sont pas atteints de possession ? A cela nous répondrons qu’en faisant le mal, ils subissent d’une autre manière la pernicieuse influence des mauvais Esprits dont ils écoutent les conseils, et ils en seront punis avec d’autant plus de sévérité qu’ils agissent avec plus de connaissance de cause. Ne croyez à la vertu d’aucun talisman, d’aucune amulette, d’aucun signe, d’aucune parole pour écarter les mauvais Esprits ; la pureté du cœur et de l’intention, l’amour de Dieu et de son prochain, voilà le meilleur talisman, parce qu’il leur ôte tout empire sur nos âmes.
Voici la communication qu’a donnée sur ce sujet l’Esprit de saint Louis, guide spirituel de la Société spirite de Paris :
45. — Les possédés de Morzines sont réellement sous l’influence des mauvais Esprits attirés dans cette contrée par des causes que vous connaîtrez un jour, ou, mieux, que vous reconnaîtrez un jour vous-mêmes. La connaissance du Spiritisme y fera prédominer la bonne influence sur la mauvaise ; c’est-à-dire que les Esprits guérisseurs et consolateurs, attirés par les fluides sympathiques, remplaceront la maligne et cruelle influence qui désole cette population. Le Spiritisme est appelé à rendre de grands services ; il sera le guérisseur de ces maux dont on ne connaissait pas la cause auparavant, et devant lesquels la science demeure impuissante ; il sondera les plaies morales, et leur prodiguera le baume réparateur ; en rendant les hommes meilleurs, il écartera d’eux les mauvais Esprits attirés par les vices de l’humanité. Si tous les hommes étaient bons, les mauvais Esprits s’en éloigneraient, parce qu’ils sauraient ne pouvoir les induire au mal. La présence des hommes de bien les fait fuir, celle des hommes vicieux les attire, tandis que c’est le contraire pour les bons Esprits. Soyez donc bons si vous voulez n’avoir que de bons Esprits autour de vous . » (Médium, Madame Costel.)
[2]
Les Diables de Morzine, chez, Mégret, quai de l’Hôspital, 51, à Lyon.
[Les
diables de Morzine en 1861, ou Les nouvelles possédées - Google
Books.]
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