Il est une chose parmi vous qui excite toujours votre attention et votre curiosité ; ce mystère, puisque c’en est un bien grand pour vous, est la liaison ou plutôt la distance qui existe entre votre âme et celle des animaux, mystère que, malgré toute leur science, Buffon, le plus poétique des naturalistes, et Cuvier, le plus profond, n’ont jamais pu pénétrer, pas plus que le scalpel ne vous détaille l’anatomie du cœur. Or, sachez-le, les animaux vivent, et tout ce qui vit pense. On ne peut donc vivre sans penser.
Ceci établi, il reste à vous démontrer que plus l’homme avance, non selon le temps, mais selon la perfection, plus il pénétrera la science spirituelle, celle qui s’applique, non seulement à vous, mais encore aux êtres qui sont au-dessous de vous : les animaux. Oh ! s’écrieront quelques hommes persuadés que le mot homme signifie tout perfectionnement, mais y a-t-il un parallèle possible entre l’homme et la brute ? Pouvez-vous appeler intelligence ce qui n’est qu’instinct ? sentiment ce qui n’est que sensation ? Pouvez-vous, en un mot, rabaisser l’image de Dieu ? Nous répondrons : Il fut un temps où la moitié du genre humain était regardée comme au rang de la brute, où la bête n’était regardée comme rien ; un temps, qui est maintenant le vôtre, où la moitié du genre humain est regardée comme inférieure et l’animal comme brute.
Eh bien ! au point de vue du monde, il en est ainsi, il est vrai ; au point de vue spirituel, il en est autrement. Ce que diraient les Esprits supérieurs de l’homme terrestre, les hommes le disent des animaux.
Tout est infini dans la nature : le matériel comme le spirituel ; occupons-nous donc un peu de ces pauvres bêtes, spirituellement parlant, et vous verrez que l’animal vit véritablement, puisqu’il pense.
Ceci sert de préface à un petit cours que je vous ferai à ce sujet. Du reste, de mon vivant, j’avais dit que la meilleure partie de l’homme, c’est le chien.
La suite au prochain numéro.
Charlet.
SUR LE § I.
1. — Vous dites : Tout ce qui vit, pense ; on ne ne peut donc vivre sans penser ; cette proposition nous semble un peu absolue, car la plante vit et ne pense pas ; admettez-vous cela en principe ? — R. Sans doute ; je ne parle que de la vie animale, et non de la vie végétale ; vous devez bien le comprendre.
2. — Plus loin vous dites : Vous verrez que l’animal vit véritablement, puisqu’il pense ; n’y a-t-il pas interversion dans la phrase ? Il nous semble que la proposition est celle-ci : Vous verrez que l’animal pense véritablement, puisqu’il vit. — R. Cela est évident.
Le monde est une échelle immense dont l’élévation est infinie, mais dont la base repose dans un affreux chaos ; je veux dire que le monde n’est qu’un progrès constant des êtres ; vous êtes bien bas, toujours, mais il y en a de bien au-dessous de vous ; car, entendez-le bien, je ne parle pas seulement de votre planète, mais encore de tous les mondes de l’univers. Mais n’ayez pas peur, nous nous bornerons à la Terre.
Cependant, avant d’en parler, deux mots sur un monde nommé Jupiter, et dont l’ingénieux et immortel Palissy vous a donné quelques aperçus étranges, et si surnaturels pour votre imagination. Rappelez-vous que dans un de ses charmants dessins il vous a représenté quelques animaux de Jupiter ; n’y a-t-il pas progrès évident, et pouvez-vous ne pas leur accorder un degré de supériorité sur les animaux terrestres ? Et encore ne voyez-vous là qu’un progrès de forme et non d’intelligence, quoique, cependant, le jeu dont ils s’occupent ne puisse pas être exécuté par des animaux terrestres. Je ne vous cite cet exemple que pour vous indiquer déjà une supériorité d’êtres qui sont bien au-dessous de vous.
Que serait-ce si je vous énumérais tous les mondes que je connais, c’est-à-dire cinq ou six ? Mais rien que sur cette terre, voyez la différence qui existe entre eux. Eh bien ! si la forme est si variée, si progressive, puisque même il y a progrès dans la matière, pouvez-vous ne pas admettre le progrès spirituel chez ces êtres ? Or, sachez-le, si la matière progresse, même la plus basse, à plus forte raison l’esprit qui l’anime.
La prochaine fois je continuerai.
Charlet.
Nota. — Nous avons publié, avec le numéro du mois d’août 1858, une planche dessinée et gravée par l’esprit de Bernard Palissy, et représentant la maison de Mozart dans Jupiter, avec une description de cette planète, qui a toujours été désignée comme l’un des mondes les plus avancés de notre tourbillon solaire, moralement et physiquement. Le même Esprit a donné un grand nombre de dessins sur le même sujet ; il en est un entre autres qui représente une scène d’animaux jouant dans la partie qui leur est réservée dans l’habitation de Zoroastre ; c’est sans contredit l’un des plus curieux de la collection. Parmi les animaux qui y sont figurés, il en est dont la forme se rapproche beaucoup de la forme humaine terrestre, et qui tiennent à la fois du singe et du satyre ; leur action dénote l’intelligence, et l’on comprend que leur structure puisse se prêter aux travaux manuels qu’ils exécutent pour le compte des hommes ; ce sont, a-t-il été dit, les serviteurs et les manœuvres, les hommes ne s’occupant que des travaux d’intelligence. C’est à ce dessin, fait il y a plus de trois ans, que Charlet fait allusion dans la communication ci-dessus.
SUR LE § II.
3. — Vous rappelez le dessin qui a été fait des animaux de Jupiter ; on en remarque qui ont une analogie frappante avec les satyres de la fable ; est-ce que cette idée des satyres serait une intuition de l’existence de ces êtres dans d’autres mondes, et, dans ce cas, ce ne serait pas alors une création purement fantastique ? — R. Plus le monde était neuf, plus il se souvenait ; l’homme avait l’intuition d’un ordre d’êtres intermédiaires, soit plus bas que lui, soit plus élevés ; c’est ce qu’il appelait les dieux.
4. — Vous admettez alors que les divinités mythologiques n’étaient autres que ce que nous appelons Esprits ? — R. Oui.
5. — Il nous a été dit que, dans Jupiter, on peut se comprendre par la seule transmission de la pensée ; lorsque les habitants de cette planète s’adressent aux animaux, qui sont leurs serviteurs et leurs manœuvres, ont-ils recours à un langage particulier ? Auraient-ils, pour les bêtes, un langage articulé et entre eux un langage de pensée ? — R. Non, il n’y a pas de langage articulé, mais une sorte de magnétisme de fer qui fait courber l’animal et lui fait exécuter les moindres désirs et les ordres de ses maîtres ; l’Esprit tout-puissant ne peut se rabaisser.
6. — Chez nous les animaux ont évidemment un langage, puisqu’ils se comprennent, mais très borné ; ceux de Jupiter ont-ils un langage plus précis, plus positif que les nôtres ; en un mot, ont-ils un langage articulé ? — R. Oui.
7. — Les habitants de Jupiter comprennent-ils mieux que nous le langage des animaux ? — R. Ils voient en eux et les comprennent parfaitement.
8. — Si l’on examine la série des êtres vivants, on trouve une chaîne non interrompue depuis le madrépore, † la plante même, jusqu’à l’animal le plus intelligent ; mais entre l’animal le plus intelligent et l’homme, il y a une lacune évidente qui doit être comblée quelque part, car la nature ne laisse aucun échelon vacant ; d’où vient cette lacune ? — R. Cette lacune des êtres n’est qu’apparente, car elle n’existe pas réellement ; elle provient des races disparues. (Saint Louis.)
9. — Cette lacune peut exister sur la terre, mais assurément elle n’existe pas dans l’ensemble de l’univers et doit être comblée quelque part ; ne le serait-elle pas par certains animaux des mondes supérieurs qui, comme ceux de Jupiter, par exemple, semblent se rapprocher beaucoup de l’homme terrestre par la forme, le langage et d’autres signes ? — R. Dans les sphères supérieures, le germe éclos sur la terre est développé et ne se perd jamais. Vous retrouverez, en devenant Esprits, tous les êtres créés et disparus dans les cataclysmes de votre globe. (Saint Louis.)
Remarque. Puisque ces races intermédiaires ont existé sur la terre et en ont disparu, cela justifie ce que Charlet disait tout à l’heure que plus le monde était neuf, plus il se souvenait. Si elles n’avaient existé que dans les mondes supérieurs, l’homme de la terre, moins avancé, ne pouvait en avoir gardé la mémoire.
Dans les mondes avancés, les animaux sont tellement supérieurs que, pour eux, l’ordre le plus rigoureux se fait avec la parole et vous, trop souvent, avec le bâton. Dans Jupiter, par exemple, une parole suffit, et chez vous bien des coups de fouet ne suffisent pas. Cependant il y a un progrès sensible sur votre terre et qu’on ne n’est jamais expliqué, c’est que l’animal même se perfectionne. Ainsi, autrefois, l’animal était beaucoup plus rebelle à l’homme. Il y a aussi progrès de votre part d’avoir compris instinctivement ce perfectionnement chez les animaux, puisque vous défendez de les frapper. Je disais qu’il y a progrès moral pour l’animal ; il y a aussi progrès de condition. Ainsi un malheureux cheval, battu, frappé par un charretier plus brute que lui, sera comparativement dans une condition beaucoup plus tranquille, plus heureuse que celle de son bourreau. N’estce pas de toute justice, et doit-on s’étonner qu’un animal qui souffre, qui pleure, qui est reconnaissant ou vindicatif selon la douceur ou la cruauté de ses maîtres, ait la récompense d’avoir supporté patiemment une vie remplie de tortures ? Dieu est juste avant tout, et toutes ses créatures sont sous ses lois, et ses lois disent : « Tout être faible qui aura souffert sera dédommagé. » J’entends, toujours comparativement à l’homme, et j’ose ajouter, pour terminer, que l’animal a souvent plus d’âme, plus de cœur que l’homme en bien des circonstances.
Charlet.
SUR LE § III.
10. — Vous dites que tout se perfectionne, et comme preuve du progrès chez l’animal, vous dites qu’autrefois il était plus rebelle à l’homme. L’animal se perfectionne, cela est évident ; mais, sur la terre du moins, il ne se perfectionne que par les soins de l’homme ; abandonné à lui-même il reprend sa nature sauvage, même le chien. — R. Et l’homme, par les soins de quel être se perfectionne-t-il ? N’est-ce pas par les soins de Dieu ? Tout est échelle dans la nature.
11. — Vous parlez de récompenses pour les animaux qui souffrent des mauvais traitements, et vous dites qu’il est de toute justice qu’il y ait compensation pour eux. Il semblerait, d’après cela, que vous admettez chez l’animal la conscience de son moi après la mort, avec le souvenir de son passé ; cela est contraire à ce qui nous a été dit. Si les choses se passaient telles que vous le dites, il en résulterait que, dans le monde des Esprits, il y aurait des Esprits d’animaux ; alors il n’y aurait pas de raison pour qu’il n’y eût aussi des Esprits d’huîtres. Veuillez donc nous dire si vous voyez autour de vous des Esprits de chiens, de chats, de chevaux ou d’éléphants, comme vous voyez des Esprits humains ? — R. L’âme de l’animal, vous avez parfaitement raison, ne se connaît pas à la mort du corps ; c’est un ensemble confus de germes qui peuvent passer dans le corps de tel ou tel animal, selon le développement qu’il a acquis ; elle n’est pas individualisée. Je vous dirai cependant que chez certains animaux, chez beaucoup même, il y a individualité.
12. — Cette théorie, du reste, ne justifie nullement les mauvais traitements des animaux ; l’homme est toujours coupable de faire souffrir un être sensible quelconque, et la doctrine nous dit qu’il en sera puni ; mais de là à placer l’animal dans une condition supérieure à lui, il y a une grande distance ; qu’en pensez-vous ? — R. Oui, mais établissez cependant toujours une échelle parmi les animaux ; songez qu’il y a des mondes entre certaines races. L’homme est d’autant plus coupable qu’il est plus puissant.
13. — Comment expliquez-vous ce fait que, même dans l’état sauvage, l’homme se fait obéir de l’animal le plus intelligent ? — C’est la nature qui agit surtout en cela ; l’homme sauvage est l’homme de la nature : il connaît l’animal familièrement ; l’homme civilisé l’étudie, et l’animal se courbe devant lui ; l’homme est toujours l’homme devant l’animal, qu’il soit sauvage ou civilisé.
La supériorité de l’homme se manifeste sur votre globe par cette élévation de l’intelligence qui en fait le roi de la terre. A côté de l’homme l’animal est bien faible, bien chétif, et, pauvre sujet de cette terre d’épreuve, il a souvent à supporter les cruels caprices de son tyran : l’homme ! La métempsycose antique était un souvenir bien confus de la réincarnation, et cependant cette même doctrine n’est autre qu’une croyance populaire. Les grands esprits admettaient la réincarnation progressive ; la masse ignorante ne devinant pas comme, eux, l’univers, se disait naturellement : Puisque l’homme se réincarne, ce ne peut être que sur la terre ; donc sa punition, son tartare, son épreuve, c’est la vie dans le corps d’un animal ; absolument, comme au moyen âge, les chrétiens se disaient : C’est dans la grande vallée qu’aura lieu le jugement, après quoi les damnés iront sous terre brûler dans ses entrailles.
Les Anciens croyant à la métempsycose croyaient donc, quelques-uns s’entend, à l’esprit des bêtes, puisqu’ils admettaient le passage de l’âme humaine dans le corps de la brute. Pythagore se ressouvient de son ancienne existence, et reconnaît le bouclier qu’il portait au siège de Troie. † Socrate meurt en prédisant sa nouvelle vie.
Puisque, comme je vous l’ai dit, tout est progrès dans l’univers, puisque les lois de Dieu ne sont et ne peuvent être que les lois du progrès, au point où vous en êtes, au point de vue de vos tendances spiritualistes, ne pas admettre le progrès de ce qu’il y a au-dessous de l’homme serait un non-sens, une preuve d’ignorance ou de complète indifférence.
La bête a-t-elle, comme l’homme, ce que vous appelez la conscience, qui n’est autre chose que la sensation de l’âme lorsqu’elle a bien ou mal fait ? Observez, et voyez si la bête ne fait pas preuve de conscience, toujours relativement à l’homme. Croyez-vous que le chien ne sait pas quand il a bien ou mal fait ? S’il ne le sentait pas, il ne vivrait pas.
Comme je vous l’ai déjà dit, la sensation morale, la conscience, en un mot, existe chez lui comme chez l’homme, sans cela il faut retirer à l’animal la reconnaissance, la souffrance, les regrets, enfin tous les caractères d’une intelligence, caractère que tout homme sérieux est à même d’observer chez tous les animaux, selon leurs degrés différents, car, même parmi eux, il y a des diversités inouïes.
Charlet.
L’homme, roi de la terre par l’intelligence, est un être supérieur aussi sous le rapport matériel ; ses formes sont harmonieuses, et son Esprit a, pour se faire obéir, un organisme admirable : le corps. La tête de l’homme est haute et regarde le ciel, dit la Genèse ; l’animal regarde la terre, et, par la structure de son corps, y semble être plus attaché que l’homme. En outre, l’harmonie magnifique du corps humain n’existe pas chez l’animal. Voyez la variété infinie qui les distingue les uns des autres, variété infinie qui, cependant, ne correspond pas à leur Esprit, car les animaux, j’entends leur immense majorité, ont presque tous le même degré d’intelligence. Ainsi chez l’animal variété dans la forme ; chez l’homme, au contraire, variété dans l’Esprit. Rencontrez deux hommes qui soient pareils de goûts, d’aptitudes, d’intelligence ; et prenez un chien, un cheval, un chat, en un mot, un millier de bêtes, à peine si vous apercevez la différence de leur intelligence. L’Esprit dort donc chez l’animal ; chez l’homme, il éclate en tous sens ; son Esprit devine Dieu et comprend la raison d’être de la perfection.
Ainsi donc, chez l’homme, harmonie simple dans la forme, commencement de l’infini dans l’Esprit ; et voyez maintenant la supériorité de l’homme qui domine la brute, matériellement par sa structure admirable et intellectuellement par ses facultés immenses. Il semble que Dieu, chez les animaux, se soit plu davantage à varier la forme en enfermant l’Esprit ; chez l’homme, au contraire, à faire du corps humain même la manifestation matérielle de l’Esprit.
Egalement admirable dans ces deux créations, la Providence est infinie dans le monde matériel comme dans le monde spirituel. L’homme est à l’animal ce que la fleur et tout le règne végétal sont à la matière brute.
J’ai voulu établir, dans ces quelques lignes, le rang que doit occuper l’animal dans l’échelle de la perfection ; nous verrons comment il peut parvenir, comparativement à l’homme.
Charlet.
SUR LE § V.
14. — (A Charlet.) Nous n’avons rien à dire sur ce paragraphe qui nous semble très rationnel ; avez-vous quelque chose à y ajouter ? — R. Je n’ai pas autre chose à ajouter que ceci : les animaux ont toutes les facultés que j’ai indiquées, mais chez eux le progrès s’accomplit par l’éducation qu’ils reçoivent de l’homme et non par eux-mêmes ; l’animal, abandonné à l’état sauvage, reprend le type qu’il avait au sortir des mains du Créateur ; soumis à l’homme, il se perfectionne, voilà tout.
15. — Ceci est parfaitement
vrai pour les individus et les espèces ; mais si l’on considère l’ensemble
de l’échelle des êtres, il y a une marche ascendante évidente qui ne
s’arrête pas aux animaux de la terre, puisque ceux de Jupiter †
sont supérieurs aux nôtres physiquement et intellectuellement. — R.
Chaque race est parfaite en elle-même et n’émigre pas dans les races
étrangères ; dans Jupiter, ce sont les mêmes types, formant des races
distinctes, mais ce ne sont pas les Esprits des animaux défunts.
16. — Que devient alors le principe intelligent des animaux défunts ? — R. Il retourne à la masse où chaque nouvel animal puise la portion d’intelligence qui lui est nécessaire. Or, c’est là précisément ce qui distingue l’homme de l’animal ; c’est qu’en lui l’Esprit est individualisé et progressif par lui-même, et c’est aussi ce qui lui donne la supériorité sur tous les animaux ; voilà pourquoi l’homme, même sauvage, comme vous l’avez fait remarquer, se fait obéir même des animaux les plus intelligents.
Comment l’Esprit s’élève-t-il ? Par l’abaissement, par l’humilité. Ce qui perd l’homme, c’est la raison orgueilleuse qui le pousse à mépriser tout subalterne, à envier tout supérieur. L’envie est l’expression la plus vive de l’orgueil ; ce n’est pas la jouissance de l’orgueil, c’est ce désir maladif, incessant de pouvoir en jouir ; les envieux sont les plus orgueilleux quand ils deviennent puissants. Regardez votre maître à tous, Christ, l’homme par excellence, mais dans la plus haute phase de la sublimité ; Christ, dis-je, au lieu de venir avec audace et insolence pour renverser l’ancien monde, vient sur la terre s’incarner dans une famille pauvre, et naît parmi les animaux ; car vous les retrouverez partout, ces pauvres bêtes, à tous les instants où l’homme vit simplement avec la nature, en un mot, en pensant à Dieu. Il naît parmi les animaux, et ceux-ci exaltent sa puissance dans leur langage si expressif, si naturel et si simple. Voyez quel sujet de réflexion ! L’Esprit encore abaissé qui les anime pressent le Christ, c’est-à-dire l’Esprit dans toute son essence de perfection. Balaam, le faux prophète, l’orgueil humain dans toute sa corruption, a blasphémé Dieu, il bat sa créature ; soudain l’Esprit illumine l’Esprit encore bien vague de l’âne, et il parle ; il devient pour un instant l’égal de l’homme, et, par sa parole, il est ce qu’il sera dans plusieurs milliers d’années. On pourrait citer bien d’autres faits, mais celui-ci me semble assez frappant à propos de ce que j’avançais sur l’orgueil de l’homme, qui nie jusqu’à son âme, parce qu’il ne peut la comprendre, et qui va jusqu’à nier le sentiment chez les êtres inférieurs parmi lesquels le Christ a préféré naître.
Charlet.
SUR LE § VI.
17. — Vous donnez l’histoire de Balaam comme un fait positif ; qu’en pensez-vous sérieusement ? — R. C’est une pure allégorie ou plutôt une fiction pour flageller l’orgueil ; on a fait parler l’âne de Balaam comme La Fontaine a fait parler bien d’autres bêtes.
Je vous ai entretenus pendant quelque temps sur ce que je vous avais promis. Comme je vous l’ai dit en commençant, je n’ai pas parlé au point de vue anatomique ou médical, mais uniquement de l’essence spirituelle qui existe chez les animaux. J’aurai encore à vous parler sur plusieurs autres points qui, tout en étant différents, n’en sont pas moins utiles pour la doctrine. Permettez-moi une dernière recommandation, c’est de réfléchir un peu sur ce que je vous ai dit ; ce n’est ni long ni pédant, et, croyez-moi, ce n’en est pas pour cela moins utile. Qu’un jour, lorsque le bon Pasteur divisera ses brebis, il puisse vous compter parmi les bonnes et excellentes bêtes qui auront le mieux suivi ses préceptes.
Pardonnez-moi cette image un peu vive. Encore une fois, il vous faut réfléchir à ce que je vous ai dit ; du reste, je continuerai à vous parler autant que vous le désirerez. J’aurai à vous dire autre chose la prochaine fois pour définir ma pensée sur l’intelligence des animaux.
Tout à vous,
Charlet.
Tout ce que je puis vous dire, amis, en ce moment, c’est que je vois avec plaisir la ligne de conduite que vous suivez. Que la charité, cette vertu des âmes vraiment franches et nobles, soit toujours votre guide, car c’est là le signe de la véritable supériorité. Persévérez dans cette voie qui doit nécessairement vous amener tous, malgré des efforts dont vous ne soupçonnez pas la force, à la vérité et à l’unité.
La modestie est un don aussi bien difficile à acquérir, n’est-ce pas, messieurs ? C’est une vertu assez rare parmi les hommes. Songez que pour avancer dans la voie du bien, dans la voie du progrès, vous n’avez à opposer que la modestie ; sans Dieu, sans ses divins préceptes, que seriez-vous ? Un peu moins que ces pauvres bêtes dont je vous ai déjà parlé, et sur lesquelles j’ai l’intention de vous entretenir encore. Ceignez vos reins, et préparez-vous à lutter de nouveau, mais ne faiblissez pas ; songez que ce n’est pas contre Dieu que vous luttez, comme Jacob, mais bien contre l’Esprit du mal qui envahit tout et vous-mêmes à chaque instant.
Ce que j’ai à vous dire serait trop long pour ce soir. J’ai l’intention de vous expliquer la chute morale des animaux après la chute morale de l’homme. Je l’intitulerai, pour finir ce que je vous ai déjà dit sur les animaux : Le premier homme féroce et le premier animal devenu féroce.
Défiez-vous des Esprits mauvais ; vous ne soupçonnez pas leur force, vous ai-je dit tout à l’heure, et quoique cette dernière phrase ne soit pas en rapport avec celle qui précède, elle n’en est pas moins très vraie et très à propos ; maintenant, réfléchissez.
Charlet.
Remarque. L’Esprit a cru devoir interrompre ce jour-là le sujet principal qu’il traite pour faire cette dictée incidente, motivée par une circonstance particulière dont il a voulu saisir l’à propos. Nous la donnons, malgré cela, parce qu’elle n’en renferme pas moins d’utiles instructions.
Lorsque le premier homme fut créé, tout était harmonie dans la nature.
La toute-puissance du Créateur avait mis dans chaque être une parole de bonté, de générosité et d’amour. L’homme était radieux ; les animaux désiraient son regard céleste, et leurs caresses étaient toutes les mêmes pour lui et sa céleste compagne. La végétation était luxuriante ; le soleil dorait et illuminait toute la nature, comme le soleil mystérieux de l’âme, l’étincelle de Dieu, illuminait intérieurement l’intelligence de l’homme ; en un mot, tous les règnes de la nature pressentaient ce calme infini qui semblait comprendre Dieu ; tout semblait avoir assez d’intelligence pour exalter la toute-puissance du Créateur. Le ciel sans nuages était comme le cœur de l’homme, et l’eau limpide et bleue avait des reflets infinis, comme l’âme de l’homme avait les reflets de Dieu.
Bien longtemps après, tout sembla changer subitement ; la nature oppressée poussa un long soupir, et, pour la première, fois, la voix de Dieu se fit entendre ; terrible jour de malheur où l’homme, qui n’avait entendu jusqu’alors que la grande voix de Dieu qui lui disait dans tout : « Tu es immortel, » fut effrayé de ces terribles paroles : « Caïn, pourquoi as-tu tué ton frère ? » [v. Genèse, chap. 4] Tout changea aussitôt : le sang d’Abel se répandit sur toute la terre ; les arbres changèrent de couleur ; la végétation, si riche, si colorée, se ternit ; le ciel devint noir.
Pourquoi l’animal devint-il féroce ? Magnétisme tout puissant, invincible, qui saisit alors chaque être, la soif du sang, le désir du carnage, brillèrent dans ses yeux, jadis si doux, et l’animal devint féroce comme l’homme. Puisque l’homme avait été roi de la terre, n’avait-il pas montré l’exemple ? La bête suivit son exemple, et la mort plana désormais sur la terre, mort qui devint hideuse, au lieu d’une transformation douce et spirituelle ; le corps de l’homme devait se disperser dans l’air comme le corps du Christ, il se dispersa dans la terre, dans cette terre arrosée du sang d’Abel, et l’homme travailla, et la bête travailla.
Charlet.
SUR LE § IX
n
18. — Dans ce passage, Charlet semble s’être laissé entraîner par son imagination, car le tableau qu’il fait de la dégradation morale de l’animal est plus fantastique que scientifique. En effet, l’animal n’est féroce que par besoin, et c’est pour satisfaire à ce besoin que la nature lui a donné une organisation spéciale. Si les uns doivent se nourrir de chair, c’est par une vue providentielle, et parce qu’il était utile à l’harmonie générale que certains éléments organiques fussent absorbés. L’animal est donc féroce par sa constitution, et l’on ne concevrait pas que la chute morale de l’homme ait pu faire pousser des dents canines au tigre et raccourci ses intestins, car alors il n’y aurait pas de raison pour quelle n’eût pas eu le même résultat sur le mouton. Disons plutôt que l’homme, sur la terre, étant peu avancé, s’y trouve avec des êtres inférieurs sous tous les rapports, et dont le contact est pour lui une cause d’inquiétudes, de souffrances, et, par suite, une source d’épreuves qui aident à son avancement futur.
Que pense Charlet de ces réflexions ? — R. Je ne puis que les approuver. J’étais un peintre, et non pas un littérateur ni un savant : voilà pourquoi je me laisse aller de temps à autre au plaisir nouveau pour moi d’écrire de belles phrases, même aux dépens de la vérité ; mais ce que vous dites là est très juste et bien inspiré. Dans le tableau que j’ai tracé, j’ai brodé sur certaines idées reçues pour ne froisser aucune conviction. La vérité est que les premiers âges étaient des âges de fer bien éloignés de ces prétendues douceurs ; la civilisation, en découvrant chaque jour les trésors accumulés par la bonté de Dieu, dans l’espace aussi bien que dans la terre, fait conquérir à l’homme la véritable terre promise, celle que Dieu accordera à l’intelligence et au travail, et qu’il n’a pas livrée toute parée aux mains des hommes enfants, qui avaient à la découvrir par leur propre intelligence. Du reste, cette erreur que j’ai commise ne pouvait être nuisible aux yeux des gens éclairés, qui devaient aisément la reconnaître ; pour les ignorants, elle passait inaperçue. Cependant j’ai eu tort, j’en conviens ; j’ai agi légèrement, et cela vous prouve à quel point vous devez contrôler les communications que vous recevez.
EXAMEN CRITIQUE.
Des dissertations de Charlet sur les animaux.
REMARQUE GÉNÉRALE.
Un enseignement important, au point de vue de la science spirite, ressort de ces communications. La première chose qui frappe, en les lisant, c’est un mélange d’idées justes, profondes, et portant le cachet de l’observateur, à côté d’autres idées évidemment fausses, et fondées sur l’imagination plus que sur la réalité. Charlet était sans contredit un homme au-dessus du vulgaire, mais, comme Esprit, il n’est pas plus universel qu’il ne l’était de son vivant, et il peut se fourvoyer, parce que, n’étant pas encore assez élevé, il n’envisage les choses qu’à son point de vue ; il n’y a, du reste, que les Esprits arrivés au dernier degré de perfection qui soient exempts d’erreurs ; les autres, quelque bons qu’ils soient, ne savent pas tout et peuvent se tromper ; mais alors, quand ils sont vraiment bons, ils le font de bonne foi et en conviennent franchement, tandis qu’il y en a qui le font sciemment et s’obstinent dans les idées les plus absurdes. C’est pourquoi il faut se garder d’accepter ce qui vient du monde invisible sans l’avoir soumis au contrôle de la logique ; les bons Esprits le recommandent sans cesse, et ne se formalisent jamais de la critique, parce que, de deux choses l’une, ou ils sont sûrs de ce qu’ils disent, et alors ils ne la craignent pas, ou ils n’en sont pas sûrs, et, s’ils ont la conscience de leur insuffisance, ils recherchent eux-mêmes la vérité ; or, si les hommes peuvent s’instruire avec les Esprits, certains Esprits peuvent aussi s’instruire avec les hommes. Les autres, au contraire, veulent dominer, espérant faire accepter leurs utopies à la faveur de leur titre d’Esprits ; alors, soit présomption de leur part, soit mauvaise intention, ils ne souffrent pas la contradiction ; ils veulent être crus sur parole, parce qu’ils savent bien qu’ils ne peuvent que perdre à l’examen ; ils s’offusquent du moindre doute sur leur infaillibilité, et menacent superbement de vous abandonner comme indignes de les entendre ; aussi n’aiment-ils que ceux qui se mettent à genoux devant eux. N’y a-t-il pas des hommes ainsi faits, et doit-on s’étonner de les trouver avec leurs travers dans le monde des Esprits ? Chez les hommes un tel caractère est toujours, aux yeux des gens sensés, un indice d’orgueil, de vaine suffisance, de sotte vanité, et partant de petitesse dans les idées et d’un faux jugement ; ce qui est un signe d’infériorité morale chez eux ne saurait être un signe de supériorité chez les Esprits.
Charlet, comme on vient de le voir, se prête volontiers la controverse ; il écoute et admet les objections, et y répond avec bienveillance ; il développe ce qui était obscur et reconnaît loyalement ce qui n’est pas exact ; en un mot, il ne veut pas se faire passer pour plus savant qu’il n’est, et, en cela, il prouve plus d’élévation que s’il s’obstinait dans des idées fausses, à l’exemple de certains Esprits qui se scandalisent à la seule annonce que leurs communications paraissent susceptibles de commentaires.
Ce qui est encore le propre de ces Esprits orgueilleux, c’est l’espèce de fascination qu’ils exercent sur leurs médiums, et à l’aide de laquelle ils parviennent quelquefois à leur faire partager les mêmes sentiments.
Nous disons à dessein leurs médiums, parce qu’ils s’en emparent et veulent avoir en eux des instruments qui agissent les yeux fermés ; ils ne s’accommoderaient nullement d’un médium scrutateur ou qui verrait trop clair ; n’est-ce pas encore parmi les hommes ? Lorsqu’ils l’ont trouvé, craignant qu’il ne leur échappe, ils lui inspirent de l’éloignement pour quiconque pourrait l’éclairer ; ils l’isolent en quelque sorte, afin d’avoir leurs coudées franches, ou ne le rapprochent que de ceux dont ils n’ont rien à craindre ; et, pour mieux capter sa confiance, ils font les bons apôtres en usurpant les noms d’Esprits vénérés dont ils cherchent à imiter le langage ; mais ils ont beau faire, l’ignorance ne pourra jamais contrefaire le vrai savoir, ni une mauvaise nature la vraie vertu ; toujours l’orgueil percera sous le manteau d’une feinte humilité, et c’est parce qu’ils craignent d’être démasqués qu’ils évitent la discussion et en détournent leurs médiums.
Il n’est personne, jugeant froidement et sans prévention, qui ne reconnaisse comme mauvaise une telle influence, car il tombe sous le plus vulgaire bon sens qu’un Esprit véritablement bon et éclairé ne cherchera jamais à l’exercer. On peut donc dire que tout médium qui y cède est sous l’empire d’une obsession dont il doit chercher à se débarrasser au plus tôt. Ce que l’on veut avant tout, ce ne sont pas des communications quand même, mais des communications bonnes et vraies ; or, pour avoir de bonnes communications, il faut de bons Esprits, et pour avoir de bons Esprits, il faut avoir des médiums libres de toute mauvaise influence. La nature des Esprits qui assistent d’habitude un médium est donc une des premières choses à considérer ; pour la connaître exactement, il y a un critérium infaillible, et ce n’est ni dans des signes matériels, ni dans des formules d’évocation ou de conjuration qu’on le trouvera : ce critérium est dans les sentiments que l’Esprit inspire au médium ; par la manière d’agir de ce dernier, on peut juger la nature des Esprits qui le dirigent, et par conséquent le degré de confiance que méritent ses communications.
Ceci n’est point une opinion personnelle, un système, mais un principe déduit de la plus rigoureuse logique, si l’on admet ces prémisses : qu’une mauvaise pensée ne peut être suggérée par un bon Esprit. Tant qu’on n’aura pas prouvé qu’un bon Esprit peut inspirer le mal, nous dirons que tout acte qui s’écarte de la bienveillance, de la charité et de l’humilité, où perce la haine, l’envie, la jalousie, l’orgueil blessé ou la simple acrimonie, ne peut être inspiré que par un mauvais Esprit, alors même que celui-ci prêcherait hypocritement les plus belles maximes, car, s’il était vraiment bon, il le prouverait en mettant ses actes en harmonie avec ses paroles. La pratique du Spiritisme est entourée de tant de difficultés, les Esprits trompeurs sont si rusés, si astucieux, et en même temps si nombreux, qu’on ne saurait s’entourer de trop de précautions pour les déjouer ; il importe donc de rechercher avec le plus grand soin tous les indices par lesquels ils peuvent se trahir ; or ces indices sont tout à la fois dans leur langage et dans les actes qu’ils sollicitent.
Ayant soumis ces réflexions à l’Esprit de Charlet, voici ce qu’il en dit : « Je ne puis qu’approuver ce que vous venez de dire et engager tous ceux qui s’occupent du Spiritisme à suivre d’aussi sages conseils, évidemment dictés par de bons Esprits, mais qui ne sont pas du tout, vous pouvez bien le croire, du goût des mauvais, car ils savent très bien que c’est le moyen le plus efficace de combattre leur influence ; aussi font-ils tout ce qu’ils peuvent pour en détourner ceux qu’ils veulent mettre dans leurs filets. »
Charlet dit qu’il s’est laissé aller au plaisir nouveau pour lui d’écrire de belles phrases, même aux dépens de la vérité. Qu’en serait-il advenu si nous eussions publié son travail sans commentaires ? On eût accusé le Spiritisme d’accréditer des idées ridicules, et nous-même de ne pas savoir distinguer le vrai du faux. Beaucoup d’Esprits sont dans le même cas ; ils trouvent une satisfaction d’amour-propre à mettre au jour par l’entremise de médiums, ne pouvant le faire par eux-mêmes, des œuvres littéraires, scientifiques, philosophiques ou dogmatiques de longue haleine ; mais quand ces Esprits n’ont qu’un faux savoir, ils écrivent des choses absurdes tout aussi bien que le feraient des hommes. C’est surtout dans ces ouvrages suivis qu’on peut les juger, parce que leur ignorance les rend incapables de soutenir longtemps leur rôle, et qu’ils révèlent eux-mêmes leur insuffisance en blessant à chaque pas la logique et la raison. A travers une foule d’idées fausses, il s’en trouve parfois de très bonnes, sur lesquelles ils comptent pour faire passer les autres. Cette incohérence seule prouve leur incapacité ; ce sont des maçons qui savent bien aligner les pierres d’un bâtiment, mais qui seraient incapables d’élever un palais. C’est quelquefois une chose curieuse de voir le dédale inextricable de combinaisons et de raisonnements dans lequel ils s’engagent, et d’où ils ne peuvent se tirer qu’à force de sophismes et d’utopies. Nous en avons vu qui, à bout d’expédients, ont laissé là leur travail ; mais d’autres ne se tiennent pas pour battus, et veulent le pousser jusqu’au bout, dût-il faire rire aux dépens de ceux qui le prennent au sérieux.
Ces réflexions nous sont suggérées comme principe général, et l’on aurait tort d’y voir une application quelconque. Parmi les nombreux écrits qui ont été publiés sur le Spiritisme, il en est, sans doute, qui pourraient donner lieu à une critique fondée ; mais nous n’avons garde de les mettre tous sur la même ligne ; nous indiquons un moyen de les apprécier, c’est à chacun de le faire comme il l’entendra. Si nous n’avons pas encore entrepris d’en faire l’examen dans notre Revue, c’est par la crainte qu’on ne se méprît sur le mobile de la critique que nous en aurions pu faire ; nous avons donc préféré attendre que le Spiritisme fût mieux connu et surtout mieux compris ; alors notre opinion, s’appuyant sur une base généralement admise, ne pourra être suspectée de partialité.
Ce que nous attendons se produit chaque jour, car nous voyons qu’en beaucoup de circonstances le jugement de l’opinion devance le nôtre ; aussi, nous applaudissons-nous de notre réserve. Nous entreprendrons cet examen quand nous croirons le moment opportun ; mais on peut voir déjà quelle sera notre base d’appréciation : cette base est la logique, dont chacun peut faire usage soi-même, car nous n’avons pas la sotte prétention de la posséder par privilège. La logique, en effet, est le grand critérium de toute communication spirite, comme elle l’est de tous les travaux humains. Nous savons bien que celui même qui raisonne à faux croit être logique ; il l’est à sa manière, mais il ne l’est que pour lui et non pour les autres ; quand une logique est rigoureuse comme celle de deux et deux font quatre, et que les conséquences sont déduites d’axiomes évidents, le bon sens général fait tôt ou tard justice de tous ces sophismes. Nous croyons que les propositions suivantes ont ce caractère : 1º Les bons Esprits ne peuvent enseigner et inspirer que le bien ; donc tout ce qui n’est pas rigoureusement bien ne peut venir d’un bon Esprit ; 2º Les Esprits éclairés et vraiment supérieurs ne peuvent enseigner des choses absurdes ; donc toute communication entachée d’erreurs manifestes ou contraires aux données les plus vulgaires de la science et de l’observation, atteste par cela seul l’infériorité de son origine ; 3º La supériorité d’un écrit quelconque est dans la justesse et la profondeur des idées, et non dans l’enflure et la redondance du style ; donc toute communication spirite où il y a plus de mots et de phrases brillantes que de pensées solides ne peut venir d’un Esprit vraiment supérieur ; 4º L’ignorance ne peut contrefaire le vrai savoir, ni le mal contrefaire le bien d’une manière absolue ; donc tout Esprit qui, sous un nom vénéré, dit des choses incompatibles avec le titre qu’il se donne, est convaincu de fraude ; 5º Il est de l’essence d’un Esprit élevé de s’attacher plus à la pensée qu’à la forme et à la matière, d’où il suit que l’élévation de l’Esprit est en raison de l’élévation des idées ; donc tout Esprit méticuleux dans les détails de forme, qui prescrit des puérilités, en un mot, qui attache de l’importance aux signes et aux choses matérielles, accuse, par cela même, une petitesse d’idées, et ne peut être vraiment supérieur ; 6º Un Esprit vraiment supérieur ne peut se contredire ; donc si deux communications contradictoires sont données sous un même nom respectable, l’une des deux est nécessairement apocryphe ; si l’une est vraie, ce ne peut être que celle qui ne dément en rien la supériorité de l’Esprit dont le nom est mis en avant.
La conséquence à tirer de ces principes, c’est qu’en dehors des questions morales il ne faut accueillir qu’avec réserve ce qui vient des Esprits, et que, dans tous les cas, il ne faut jamais l’accepter sans examen. De là découle la nécessité d’apporter la plus grande circonspection dans la publication des écrits émanés de cette source, quand surtout, par l’étrangeté des doctrines qu’ils contiennent, ou l’incohérence des idées, ils peuvent prêter au ridicule. Il faut se défier du penchant de certains Esprits pour les idées systématiques et de l’amour-propre qu’ils mettent à les répandre ; c’est donc surtout dans les théories scientifiques qu’il faut mettre une extrême prudence, et se garder de donner précipitamment comme vérités des systèmes souvent plus séduisants que réels, et qui tôt ou tard peuvent recevoir un démenti officiel. Qu’on les présente comme des probabilités, si elles sont logiques, et comme pouvant servir de base à des observations ultérieures, soit ; mais il y aurait imprudence à les donner prématurément comme des articles de foi. Un proverbe dit : Rien n’est plus dangereux qu’un imprudent ami. Or, c’est le cas de ceux qui, dans le Spiritisme, se laissent emporter par un zèle plus ardent que réfléchi.
[1]
[v. Remarque
du compilateur.]
[2] [C’est
le § XI, du originel.]