1. — Nous donnons, avec ce numéro de notre Revue, ainsi que nous l’avons annoncé, un dessin d’une habitation de Jupiter, † exécuté et gravé par M. Victorien Sardou, comme médium, et nous y ajoutons l’article descriptif qu’il a bien voulu nous donner sur ce sujet. Quelle que puisse être, sur l’authenticité de ces descriptions, l’opinion de ceux qui pourraient nous accuser de nous occuper de ce qui se passe par-delà les mondes inconnus, tandis qu’il y a tant à faire sur la terre, nous prions nos lecteurs de ne pas perdre de vue que notre but, ainsi que l’annonce notre titre, est avant tout l’étude des phénomènes, et qu’à ce point de vue, rien ne doit être négligé. Or, comme fait de manifestation, ces dessins sont incontestablement des plus remarquables, si l’on considère que l’auteur ne sait ni dessiner, ni graver, et que le dessin que nous offrons a été gravé par lui à l’eau-forte sans modèle ni essai préalable, en neuf heures. En supposant même que ce dessin soit une fantaisie de l’Esprit qui l’a fait tracer, le seul fait de l’exécution n’en serait pas moins un phénomène digne d’attention, et, à ce titre, il appartenait à notre Recueil de le faire connaître, ainsi que la description qui en a été donnée par les Esprits, non point pour satisfaire la vaine curiosité des gens futiles, mais comme sujet d’étude pour les gens sérieux qui veulent approfondir tous les mystères de la science spirite. On serait dans l’erreur si l’on croyait que nous faisons de la révélation des mondes inconnus l’objet capital de la doctrine ; ce ne sera toujours pour nous qu’un accessoire que nous croyons utile comme complément d’étude ; le principal sera toujours pour nous l’enseignement moral, et dans les communications d’outre-tombe nous recherchons surtout ce qui peut éclairer l’humanité et la conduire vers le bien, seul moyen d’assurer son bonheur en ce monde et dans l’autre. Ne pourrait-on pas en dire autant des astronomes qui, eux aussi, sondent les espaces, et se demander à quoi il peut être utile, pour le bien de l’humanité, de savoir calculer avec une précision rigoureuse la parabole d’un astre invisible ? Toutes les sciences n’ont donc pas un intérêt éminemment pratique, et pourtant il ne vient à la pensée de personne de les traiter avec dédain, parce que tout ce qui élargit le cercle des idées contribue au progrès. Il en est ainsi des communications spirites, alors même quelles sortent du cercle étroit de notre personnalité.
2.
DES HABITATIONS DE LA PLANÈTE JUPITER.
[Victorien Sardou.]
Un grand sujet d’étonnement pour certaines personnes convaincues d’ailleurs de l’existence des Esprits (je n’ai pas ici à m’occuper des autres), c’est qu’ils aient, comme nous, leurs habitations et leurs villes. On ne m’a pas épargné les critiques : « Des maisons d’Esprits dans Jupiter !… Quelle plaisanterie !… » — Plaisanterie si l’on veut ; je n’y suis pour rien. Si le lecteur ne trouve pas ici, dans la vraisemblance des explications, une preuve suffisante de leur vérité ; s’il n’est pas surpris, comme nous, du parfait accord de ces révélations spirites avec les données les plus positives de la science astronomique ; s’il ne voit, en un mot, qu’une habile mystification dans les détails qui suivent et dans le dessin qu’ils accompagnent, je l’invite à s’en expliquer avec les Esprits, dont je ne suis que l’instrument et l’écho fidèle. Qu’il évoque Palissy ou Mozart, ou un autre habitant de ce bienheureux séjour, qu’il l’interroge, qu’il contrôle mes assertions par les siennes, qu’il discute enfin avec lui ; car pour moi, je ne fais que présenter ici ce qui m’est donné, que répéter ce qui m’est dit ; et, par ce rôle absolument passif, je me crois à l’abri du blâme aussi bien que de l’éloge.
Cette réserve faite et la confiance aux Esprits une fois admise, si l’on accepte comme vérité la seule doctrine vraiment belle et sage que l’évocation des morts nous ait révélée jusqu’ici, c’est-à-dire la migration des âmes de planètes en planètes, leurs incarnations successives et leur progrès incessant par le travail, les habitations dans Jupiter n’auront plus lieu de nous étonner. Du moment qu’un Esprit s’incarne dans un monde soumis comme le nôtre à une double révolution, c’est-à-dire à l’alternative des jours et des nuits et au retour périodique des saisons, du moment qu’il y possède un corps, cette enveloppe matérielle, si frêle qu’elle soit, n’appelle pas seulement une alimentation et des vêtements, mais encore un abri ou tout au moins un lieu de repos, par conséquent une demeure. C’est bien ce qui nous est dit en effet. Comme nous, et mieux que nous, les habitants de Jupiter ont leurs foyers communs et leurs familles, groupes harmonieux d’Esprits sympathiques, unis dans le triomphe après l’avoir été dans la lutte : de là des demeures si spacieuses qu’on peut leur appliquer justement le nom de palais. Comme nous encore, ces Esprits ont leurs fêtes, leurs cérémonies, leurs réunions publiques : de là certains édifices spécialement affectés à ces usages. Il faut s’attendre enfin à retrouver dans ces régions supérieures toute une humanité active et laborieuse comme la nôtre, soumise comme nous à ses lois, à ses besoins, à ses devoirs ; mais avec cette différence que le progrès, rebelle à nos efforts, devient une conquête facile pour des Esprits dégagés comme ils le sont de nos vices terrestres.
Je ne devrais m’occuper ici que de l’architecture de leurs habitations, mais pour l’intelligence même des détails qui vont suivre, un mot d’explication ne sera pas inutile. Si Jupiter n’est abordable qu’à de bons Esprits, il ne s’ensuit pas que ses habitants soient tous excellents au même degré : entre la bonté du simple et celle de l’homme de génie, il est permis de compter bien des nuances. Or, toute l’organisation sociale de ce monde supérieur repose précisément sur ces variétés d’intelligences et d’aptitudes ; et, par l’effet de lois harmonieuses qu’il serait trop long d’expliquer ici, c’est aux Esprits les plus élevés, les plus épurés, qu’appartient la haute direction de leur planète. Cette suprématie ne s’arrête pas là ; elle s’étend jusqu’aux mondes inférieurs, où ces Esprits, par leurs influences, favorisent et activent sans cesse le progrès religieux, générateur de tous les autres. Est-il besoin d’ajouter que pour ces Esprits épurés il ne saurait être question que de travaux d’intelligence, que leur activité ne s’exerce plus que dans le domaine de leur pensée, et qu’ils ont conquis assez d’empire sur la matière pour n’être que faiblement entravés par elle dans le libre exercice de leurs volontés. Le corps de tous ces Esprits, et de tous les Esprits d’ailleurs qui habitent Jupiter, est d’une densité si légère, qu’on ne peut lui trouver de terme de comparaison que dans nos fluides impondérables : un peu plus grand que le nôtre, dont il reproduit exactement la forme, mais plus pure et plus belle, il s’offrirait à nous sous l’apparence d’une vapeur (j’emploie à regret ce mot qui désigne une substance encore trop grossière) ; d’une vapeur, dis-je, insaisissable et lumineuses… lumineuse surtout aux contours du visage et de la tête ; car ici l’intelligence et la vie rayonnent comme un foyer trop ardent ; et c’est bien cet éclat magnétique entrevu par les visionnaires chrétiens et que nos peintres ont traduit par le nimbe ou l’auréole des saints.
On conçoit qu’un tel corps ne gêne que faiblement les communications extra-mondaines de ces Esprits, et qu’il leur permette, sur leur planète même, un déplacement prompt et facile. Il se dérobe si facilement à l’attraction planétaire, et sa densité diffère si peu de celle de l’atmosphère, qu’il peut s’y agiter, aller et venir, descendre ou monter, au caprice de l’Esprit et sans autre effort que celui de sa volonté. Aussi les quelques personnages que Palissy a bien voulu me faire dessiner sont-ils représentés ou rasant le sol, ou à fleur d’eau, ou très élevés dans l’air, avec toute la liberté d’action et de mouvements que nous prêtons à nos anges. Cette locomotion est d’autant plus facile à l’Esprit qu’il est plus épuré, et cela se conçoit sans peine ; aussi rien n’est plus facile aux habitants de la planète que d’estimer à première vue la valeur d’un Esprit qui passe ; deux signes parleront pour lui : la hauteur de son vol et la lumière plus ou moins éclatante de son auréole.
Dans Jupiter, comme partout, ceux qui volent le plus haut sont les plus rares ; au-dessous d’eux, il faut compter plusieurs couches d’Esprits inférieurs en vertu comme en pouvoir, mais naturellement libres de les égaler un jour en se perfectionnant. Echelonnés et classés suivant leurs mérites, ceux-ci sont voués plus particulièrement aux travaux qui intéressent la planète même, et n’exercent pas sur nos mondes inférieurs l’autorité toute-puissante des premiers. Ils répondent, il est vrai, à une évocation par des révélations sages et bonnes ; mais, à l’empressement qu’ils mettent à nous quitter, au laconisme de leurs paroles, il est facile de comprendre qu’ils ont fort à faire ailleurs, et qu’ils ne sont pas encore assez dégagés pour rayonner à la fois sur deux points si distants l’un de l’autre. Enfin, après les moins parfaits de ces Esprits, mais séparés d’eux par un abîme, viennent les animaux qui, comme seuls serviteurs et seuls ouvriers de la planète, méritent une mention toute spéciale.
Si nous désignons sous ce nom d’animaux les êtres bizarres qui occupent
le bas de l’échelle, c’est que les Esprits eux-mêmes l’ont mis en usage
et que notre langue d’ailleurs n’a pas de meilleur terme à nous offrir.
Cette désignation les ravale un peu trop bas ; mais les appeler
des hommes, ce serait leur faire trop d’honneur ; ce sont en effet
des Esprits voués à l’animalité, peut-être pour longtemps, peut-être
pour toujours ; car tous les Esprits ne sont pas d’accord sur ce
point, et la solution du problème paraît appartenir à des mondes plus
élevés que Jupiter : [v. Le
Livre des Esprits nº 114 et suvaints,] mais quoi qu’il en soit de
leur avenir, il n’y a pas à se tromper sur leur passé. Ces Esprits,
avant d’en venir là, ont successivement émigré, dans nos bas mondes,
du corps d’un animal dans celui d’un autre, par une échelle de perfectionnement
parfaitement graduée. L’étude attentive de nos animaux terrestres, leurs
mœurs, leurs caractères individuels, leur férocité loin de l’homme,
et leur domestication lente mais toujours possible, tout cela atteste
suffisamment la réalité de cette ascension animale.
Ainsi, de quelque côté que l’on se tourne, l’harmonie de l’univers se résume toujours en une seule loi : le progrès partout et pour tous, pour l’animal comme pour la plante, pour la plante comme pour le minéral ; progrès purement matériel au début, dans les molécules insensibles du métal ou du caillou, et de plus en plus intelligent à mesure que nous remontons l’échelle des êtres et que l’individualité tend à se dégager de la masse, à s’affirmer, à se connaître. — Pensée haute et consolante, s’il en fut jamais ; car elle nous prouve que rien n’est sacrifié, que la récompense est toujours proportionnelle au progrès accompli : par exemple, que le dévouement du chien qui meurt pour son maître n’est pas stérile pour son Esprit, car il aura son juste salaire par-delà ce monde.
C’est le cas des Esprits animaux qui peuplent Jupiter ; ils se sont perfectionnés en même temps que nous, avec nous, par notre aide. La loi est plus admirable encore : elle fait si bien de leur dévouement à l’homme la première condition de leur ascension planétaire, que la volonté d’un Esprit de Jupiter peut appeler à lui tout animal qui, dans l’une de ses vies antérieures, lui aura donné des marques d’affection. Ces sympathies qui forment là-haut des familles d’Esprits, groupent aussi autour des familles tout un cortège d’animaux dévoués. Par conséquent, notre attachement ici-bas pour un animal, le soin que nous prenons de l’adoucir et de l’humaniser, tout cela a sa raison d’être, tout cela sera payé : c’est un bon serviteur que nous nous formons d’avance pour un monde meilleur.
Ce sera aussi un ouvrier ; car à ses pareils est réservé tout travail matériel, toute peine corporelle : fardeaux ou bâtisse, semailles ou récolte. Et à tout cela la suprême Intelligence a pourvu par un corps qui participe à la fois des avantages de la bête et de ceux de l’homme. Nous pouvons en juger par un croquis de Palissy, qui représente quelques-uns de ces animaux très attentifs à jouer aux boules. Je ne saurais mieux les comparer qu’aux faunes et aux satyres de la Fable ; le corps légèrement velu s’est pourtant redressé comme le nôtre ; les pattes ont disparu chez quelques-uns pour faire place à certaines jambes qui rappellent encore la forme primitive, à deux bras robustes, singulièrement attachés et terminés par de véritables mains, si j’en crois l’opposition des pouces. Chose bizarre, la tête n’est pas à beaucoup près aussi perfectionnée que le reste ! Ainsi, la physionomie reflète bien quelque chose d’humain, mais le crâne, mais la mâchoire et surtout l’oreille n’ont rien qui diffère sensiblement de l’animal terrestre ; il est donc facile de les distinguer entre eux : celui-ci est un chien, celui-là un lion. Proprement vêtus de blouses et de vestes assez semblables aux nôtres, ils n’attendent plus que la parole pour rappeler de bien près certains hommes d’ici-bas ; mais voilà précisément ce qui leur manque, et aussi bien n’en auraient-ils que faire. Habiles à se comprendre entre eux par un langage qui n’a rien du nôtre, ils ne se trompent pas davantage sur les intentions des Esprits qui leur commandent : un regard, un geste suffit. A certaines secousses magnétiques, dont nos dompteurs de bêtes ont déjà le secret, l’animal devine et obéit sans murmure, et qui plus est, volontiers, car il est sous le charme. C’est ainsi qu’on lui impose toute la grosse besogne, et qu’avec son aide tout fonctionne régulièrement d’un bout à l’autre de l’échelle sociale : l’Esprit élevé pense, délibère, l’Esprit inférieur applique avec sa propre initiative, l’animal exécute. Ainsi la conception, la mise en œuvre et le fait s’unissent dans une même harmonie et mènent toute chose à sa plus prompte fin, par les moyens les plus simples et les plus sûrs.
Je m’excuse de cette digression : elle était indispensable à mon sujet, que je puis aborder maintenant.
En attendant les cartes promises, qui faciliteront singulièrement l’étude de toute la planète, nous pouvons, par les descriptions écrites des Esprits, nous faire une idée de leur grande ville, de la cité par excellence, de ce foyer de lumière et d’activité qu’ils s’accordent à désigner sous le nom étrangement latin de Julnius.
« Sur le plus grand de nos continents, dit Palissy, dans une vallée de sept à huit cents lieues de large, pour compter comme vous, un fleuve magnifique descend des montagnes du nord, et, grossi par une foule de torrents et de rivières, forme sur son parcours sept ou huit lacs dont le moindre mériterait chez vous le nom de mer. C’est sur les rives du plus grand de ces lacs, baptisé par nous du nom de la Perle, que nos ancêtres avaient jeté les premiers fondements de Julnius. Cette ville primitive existe encore, vénérée et gardée comme une précieuse relique. Son architecture diffère beaucoup de la vôtre. Je t’expliquerai tout cela en son temps : sache seulement que la ville moderne est à quelque cent mètres au-dessous de l’ancienne. Le lac, encaissé dans de hautes montagnes, se déverse dans la vallée par huit cataractes énormes qui forment autant de courants isolés et dispersés en tout sens. A l’aide de ces courants, nous avons creusé nous-mêmes dans la plaine une foule de ruisseaux, de canaux et d’étangs, ne réservant de terre ferme que pour nos maisons et nos jardins. De là résulte une sorte de ville amphibie, comme votre Venise, et dont on ne saurait dire, à première vue, si elle est bâtie sur la terre ou sur l’eau. Je ne te dis rien aujourd’hui de quatre édifices sacrés construits sur le versant même des cataractes, de sorte que l’eau jaillit à flots de leurs portiques : ce sont là des œuvres qui vous paraîtraient incroyables de grandeur et de hardiesse.
« C’est la ville terrestre que je décris ici, la ville matérielle en quelque sorte, celle des occupations planétaires, celle que nous appelons enfin la Ville basse. Elle a ses rues ou plutôt ses chemins tracés pour le service intérieur ; elle a ses places publiques, ses portiques et ses ponts jetés sur les canaux pour le passage des serviteurs. Mais la ville intelligente, la ville spirituelle, le vrai Julnius enfin, ce n’est pas à terre qu’il faut le chercher, c’est dans l’air.
« Au corps matériel de nos animaux incapables de voler,n il faut la terre ferme ; mais ce que notre corps fluidique et lumineux exige, c’est un logis aérien comme lui, presque impalpable et mobile au gré de notre caprice. Notre habileté a résolu ce problème, à l’aide du temps et des conditions privilégiées que le Grand Architecte nous avait faites. Comprends bien que cette conquête des airs était indispensable à des Esprits comme les nôtres. Notre jour est de cinq heures, et notre nuit de cinq heures également ; mais tout est relatif, et pour des êtres prompts à penser et à agir comme nous le sommes, pour des Esprits qui se comprennent par le langage des yeux et qui savent communiquer magnétiquement à distance, notre jour de cinq heures égalait déjà en activité l’une de vos semaines. C’était encore trop peu à notre avis ; et l’immobilité de la demeure, le point fixe du foyer était une entrave pour toutes nos grandes œuvres. Aujourd’hui, par le déplacement facile de ces demeures d’oiseaux, par la possibilité de transporter nous et les nôtres en tel endroit de la planète et à telle heure du jour qu’il nous plaît, notre existence est au moins doublée, et avec elle tout ce qu’elle peut enfanter d’utile et de grand.
« A certaines époques de l’année, ajoute l’Esprit, à certaines fêtes, par exemple, tu verrais ici le ciel obscurci par la nuée d’habitations qui nous viennent de tous les points de l’horizon. C’est un curieux assemblage de logis sveltes, gracieux, légers, de toute forme, de toute couleur, balancés à toute hauteur et continuellement en route de la ville basse à la ville céleste : Quelques jours après, le vide se fait peu à peu et tous ces oiseaux s’envolent. »
A ces demeures flottantes rien ne manque, pas même le charme de la verdure et des fleurs. Je parle d’une végétation sans exemple chez vous, de plantes, d’arbustes même, destinés, par la nature de leurs organes, à respirer, à s’alimenter, à vivre, à se reproduire dans l’air.
« Nous avons, dit le même Esprit, de ces touffes de fleurs énormes, dont vous ne sauriez imaginer ni les formes ni les nuances, et d’une légèreté de tissu qui les rend presque transparentes. Balancées dans l’air, où de larges feuilles les soutiennent, et armées de vrilles pareilles à celles de la vigne, elles s’assemblent en nuages de mille teintes ou se dispersent au gré du vent, et préparent un charmant spectacle aux promeneurs de la ville basse… Imagine la grâce de ces radeaux de verdure, de ces jardins flottants que notre volonté peut faire ou défaire et qui durent quelquefois toute une saison ! De longues traînées de lianes et de branches fleuries se détachent de ces hauteurs et pendent jusqu’à terre, des grappes énormes s’agitent en secouant leurs parfums et leurs pétales qui s’effeuillent… Les Esprits qui traversent l’air s’y arrêtent au passage : c’est un lieu de repos et de rencontre, et, si l’on veut, un moyen de transport pour achever le voyage sans fatigue et de compagnie. »
Un autre Esprit était assis sur l’une de ces fleurs au moment où je l’évoquais.
« En ce moment, me dit-il, il fait nuit à Julnius, et je suis assis à l’écart sur l’une de ces fleurs de l’air qui ne s’épanouissent ici qu’à la clarté de nos lunes. Sous mes pieds toute la ville basse sommeille ; mais sur ma tête et autour de moi, à perte de vue, il n’y a que mouvement et joie dans l’espace. Nous dormons peu : notre âme est trop dégagée pour que les besoins du corps soient tyranniques ; et la nuit est plutôt faite pour nos serviteurs que pour nous. C’est l’heure des visites et des longues causeries, des promenades solitaires, des rêveries, de la musique. Je ne vois que demeures aériennes resplendissantes de lumières ou radeaux de feuilles et de fleurs chargés de troupes joyeuses… La première de nos lunes éclaire toute la ville basse : c’est une douce lumière comparable à celle de vos clairs de lune ; mais, du côté du lac, la seconde se lève, et celle-ci a des reflets verdâtres qui donnent à toute la rivière l’aspect d’une grande pelouse… »
C’est sur la rive droite de cette rivière, « dont l’eau, dit l’Esprit, t’offrirait la consistance d’une légère vapeur, n » qu’est construite la maison de Mozart, que Palissy a bien voulu me faire dessiner sur cuivre. Je ne donne ici que la façade du midi. La grande entrée est à gauche, sur la plaine ; à droite est la rivière ; au nord et au midi sont les jardins. J’ai demandé à Mozart quels étaient ses voisins. — « Plus haut, a-t-il dit, et plus bas, deux Esprits que tu ne connais pas ; mais à gauche, je ne suis séparé que par une grande prairie du jardin de Cervantès. »
La maison a donc quatre faces comme les nôtres, ce dont on aurait tort néanmoins de faire une règle générale. Elle est construite avec une certaine pierre que les animaux tirent des carrières du nord, et dont l’Esprit compare la couleur à ces tons verdâtres que prend souvent l’azur du ciel au moment où le soleil se couche. Quant à sa dureté, on peut s’en faire une idée par cette observation de Palissy : « qu’elle fondrait sous nos doigts humains aussi vite qu’un flocon de neige ; encore est-ce là une des matières les plus résistantes de la planète ! Sur ce mur les Esprits ont sculpté ou incrusté les étranges arabesques que le dessin cherche à reproduire. Ce sont ou des ornements fouillés dans la pierre et coloriés ensuite, ou des incrustations ramenées à la solidité de la pierre verte, par un procédé qui est en grande faveur maintenant et qui conserve aux végétaux toute la grâce de leurs contours, toute la finesse de leurs tissus, toute la richesse de leur coloris. « Une découverte, ajoute l’Esprit, que vous ferez quelque jour et qui changera chez vous bien des choses. »
La longue fenêtre de droite présente un exemple de ce genre d’ornementation : l’un de ses bords n’est pas autre chose qu’un roseau énorme dont on a conservé les feuilles. Il en est de même du couronnement de la fenêtre principale, qui affecte la forme de clefs de sol : ce sont des plantes sarmenteuses enlacées et pétrifiées. C’est par ce procédé qu’ils obtiennent la plupart des couronnements d’édifices, des grilles, des balustres, etc. Souvent même la plante est placée dans le mur, avec ses racines et dans des conditions à croître librement. Elle grandit, se développe ; ses fleurs s’épanouissent au hasard, et l’artiste ne les fige sur place que lorsqu’elles ont acquis tout le développement voulu pour l’ornementation de l’édifice : la maison de Palissy est presque entièrement décorée de cette manière.
Destiné d’abord aux meubles seuls, puis aux châssis des portes et des fenêtres, ce genre d’ornements s’est perfectionné peu à peu et a fini par envahir toute l’architecture. Aujourd’hui ce n’est pas seulement la fleur et l’arbuste que l’on pétrifie de la sorte, mais l’arbre lui-même, de la racine au faîte ; et les palais comme les édifices n’ont plus guère d’autres colonnes.
Une pétrification de même nature sert aussi à la décoration des fenêtres. Des fleurs ou des feuilles très amples sont habilement dépouillées de leur partie charnue : il ne reste plus que le réseau des fibres, aussi fin que la plus fine mousseline. On le cristallise ; et de ces feuilles assemblées avec art on construit toute une fenêtre, qui ne laisse filtrer à l’intérieur qu’une lumière très douce : ou bien encore on les enduit d’une sorte de verre liquide et coloré de toute nuance qui se durcit à l’air et qui transforme la feuille en une sorte de vitre. De l’assemblage de ces feuilles résultent, pour fenêtres, de charmants bouquets transparents et lumineux !
Quant à la longueur même de ces ouvertures et à mille autres détails qui peuvent surprendre au premier abord, je suis forcé d’en ajourner l’explication : l’histoire de l’architecture dans Jupiter demanderait un volume entier. Je renonce également à parler de l’ameublement, pour ne m’attacher ici qu’à la disposition générale du logis.
Le lecteur a dû comprendre, d’après tout ce qui précède, que la maison du continent ne doit être pour l’Esprit qu’une sorte de pied-à-terre. La ville basse n’est guère fréquentée que par les Esprits de second ordre chargés des intérêts planétaires, de l’agriculture, par exemple, ou des échanges, et du bon ordre à maintenir parmi les serviteurs. Aussi toutes les maisons qui reposent sur le sol n’ont-elles généralement qu’un rez-de-chaussée et un étage : l’un, destiné aux Esprits qui agissent sous la direction du maître, et accessible aux animaux ; l’autre, réservé à l’Esprit seul, qui n’y demeure que par occasion. C’est ce qui explique pourquoi nous voyons dans plusieurs maisons de Jupiter, dans celle-ci par exemple et dans celle de Zoroastre, un escalier et même une rampe. Celui qui rase l’eau comme une hirondelle et qui peut courir sur les tiges de blé sans les courber, se passe fort bien d’escalier et de rampe pour entrer chez lui ; mais les Esprits inférieurs n’ont pas le vol si facile : ils ne s’élèvent que par secousses, et la rampe ne leur est pas toujours inutile. Enfin l’escalier est d’absolue nécessité pour les animaux-serviteurs, qui ne marchent pas autrement que nous. Ces derniers ont bien leurs cases, fort élégantes du reste, qui font partie de toutes les grandes habitations ; mais leurs fonctions les appellent constamment à la maison du maître : il faut bien leur en faciliter l’entrée et le parcours intérieur. De là ces constructions bizarres, qui par la base tiennent encore de nos édifices terrestres et qui en diffèrent absolument par le sommet.
Celle-ci se distingue surtout par une originalité que nous serions bien incapables d’imiter. C’est une sorte de flèche aérienne qui se balance sur le haut de l’édifice, au-dessus de la grande fenêtre et de son singulier couronnement. Cette frêle nacelle, facile à déplacer, est pourtant destinée, dans la pensée de l’artiste, à ne pas quitter la place qui lui est assignée, car sans reposer en rien sur le faîte, elle en complète la décoration, et je regrette que la dimension de la planche ne lui ait pas permis d’y trouver place. Quant à la demeure aérienne de Mozart, je n’ai ici qu’à en constater l’existence : les bornes de cet article ne me permettent pas de m’étendre sur ce sujet.
Je ne finirai pourtant pas sans m’expliquer, en passant, sur le genre d’ornements que le grand artiste a choisis pour sa demeure. Il est facile d’y reconnaître le souvenir de notre musique terrestre : la clef de sol y est fréquemment répétée, et, chose bizarre, jamais la clef de fa ! Dans la décoration du rez-de-chaussée, nous retrouvons un archet, une sorte de téorbe † ou de mandoline, † une lyre † et toute une portée musicale. Plus haut, c’est une grande fenêtre qui rappelle vaguement la forme d’un orgue † ; les autres ont l’apparence de grandes notes, † et des notes plus petites abondent sur toute la façade.
On aurait tort d’en conclure que la musique de Jupiter soit comparable à la nôtre, et qu’elle se note par les mêmes signes : Mozart s’est expliqué sur elle de manière à ne laisser aucun doute à cet égard ; mais les Esprits rappellent volontiers, dans la décoration de leurs maisons, la mission terrestre qui leur a mérité l’incarnation dans Jupiter et qui résume le mieux le caractère de leur intelligence. Ainsi, dans la maison de Zoroastre, ce sont les astres et la flamme qui font tous les frais de la décoration.
Il y a plus, il paraît que ce symbolisme a ses règles et ses secrets. Tous ces ornements ne sont pas disposés au hasard : ils ont leur ordre logique et leur signification précise ; mais c’est un art que les Esprits de Jupiter renoncent à nous faire comprendre, du moins jusqu’à ce jour, et sur lequel ils ne s’expliquent pas volontiers. Nos vieux architectes employaient aussi le symbolisme dans la décoration de leurs cathédrales ; et la tour de Saint-Jacques † n’est rien moins qu’un poème hermétique, si l’on en croit la tradition. Il n’y a donc pas à nous étonner de l’étrangeté de la décoration architectonique dans Jupiter : si elle contredit nos idées sur l’art humain, c’est qu’il y a en effet tout un abîme entre une architecture qui vit et qui parle, et une maçonnerie comme la nôtre, qui ne prouve rien. En cela, comme en toute autre chose, la prudence nous défend cette erreur du relatif qui veut tout ramener aux proportions et aux habitudes de l’homme terrestre. Si les habitants de Jupiter étaient logés comme nous, s’ils mangeaient, vivaient, dormaient et marchaient comme nous, il n’y aurait pas grand profit à y monter. C’est bien parce que leur planète diffère absolument de la nôtre que nous aimons à la connaître, à la rêver pour notre future demeure !
Pour ma part, je n’aurai pas perdu mon temps, et je serai bien heureux que les Esprits m’aient choisi pour leur interprète, si leurs dessins et leurs descriptions inspirent à un seul croyant le désir de monter plus vite à Julnius, et le courage de tout faire pour y parvenir.
Victorien Sardou.
3. — L’auteur de cette intéressante description est un de ces adeptes fervents et éclairés qui ne craignent pas d’avouer hautement leurs croyances, et se mettent au-dessus de la critique des gens qui ne croient à rien de ce qui sort du cercle de leurs idées. Attacher son nom à une doctrine nouvelle en bravant les sarcasmes, est un courage qui n’est pas donné à tout le monde, et nous félicitons M. V. Sardou de l’avoir. Son travail révèle l’écrivain distingué qui, quoique jeune encore, s’est déjà conquis une place honorable dans la littérature, et joint au talent d’écrire les profondes connaissances du savant ; preuve nouvelle que le Spiritisme ne se recrute pas parmi les sots et les ignorants. Nous faisons des voeux pour que M. Sardou complète, le plus tôt possible, son travail si heureusement commencé. Si les astronomes nous dévoilent, par leurs savantes recherches, le mécanisme de l’univers, les Esprits, par leurs révélations, nous en font connaître l’état moral, et cela, comme ils le disent, dans le but de nous exciter au bien, afin de mériter une existence meilleure.
4.
DESSIN DE LA MAISON DE MOZART EN JUPITER.
OBSERVATIONS SUR LE DESSIN DE LA MAISON
DE MOZART.
[Revue septembre 1858.]
5. — Un de nos abonnés nous écrit ce qui suit à propos du dessin que nous avons publié dans notre dernier numéro :
« L’auteur de l’article dit, [Victorien Sardou], page 231 : La clé de SOL y est fréquemment répétée, et, chose bizarre, jamais la clé de FA. † Il paraîtrait que les yeux du médium n’auraient pas aperçu tous les détails du riche dessin que sa main a exécuté, car un musicien nous assure qu’il est facile de reconnaître, droite et renversée, la clé de fa dans l’ornementation du bas de l’édifice, au milieu de laquelle plonge la partie inférieure de l’archet, † ainsi que dans le prolongement de cette ornementation à gauche de la pointe du téorbe. † Le même musicien prétend en outre que la clé d’ut, † ancienne forme, figure, elle aussi, sur les dalles qui avoisinent l’escalier de droite. »
Remarque. — Nous insérons d’autant plus volontiers cette
observation, qu’elle prouve jusqu’à quel point la pensée du médium est
restée étrangère à la confection du dessin. En examinant les détails
des parties signalées, on y reconnaît en effet des clés de fa et
d’ut dont l’auteur a orné son dessin sans s’en douter. Quand
on le voit à l’œuvre, on conçoit aisément l’absence de toute conception
préméditée et de toute volonté ; sa main, entraînée par une force
occulte, donne au crayon ou au burin la marche la plus irrégulière et
la plus contraire aux préceptes les plus élémentaires de l’art, allant
sans cesse avec une rapidité inouïe d’un bout à l’autre de la planche
sans la quitter, pour revenir cent fois au même point ; toutes
les parties sont ainsi commencées et continuées à la fois, sans qu’aucune
soit achevée avant d’en entreprendre une autre. Il en résulte, au premier
abord, un ensemble incohérent dont on ne comprend le but que lorsque
tout est terminé. Cette marche singulière n’est point le propre de M.
Sardou ; nous avons vu tous les médiums dessinateurs procéder de
la même manière. Nous connaissons une dame, peintre de mérite et professeur
de dessin, qui jouit de cette faculté. Quand elle dessine comme médium,
elle opère, malgré elle, contre les règles, et par un procédé qu’il
lui serait impossible de suivre lorsqu’elle travaille sous sa propre
inspiration et dans son état normal. Ses élèves, nous disait-elle, riraient
bien si elle leur enseignait à dessiner à la façon des Esprits. [v.
Jupiter et quelques autres mondes; idem : Bernard
Palissy.]
Allan Kardec.
Paris. Typ. de COSSON ET Cie, rue du Four-Saint-Germain, 43. †
[1] Il faut pourtant en excepter certains animaux munis d’ailes et réservés pour le service de l’air et pour les travaux qui exigeraient chez nous l’emploi de charpentes. C’est une transformation de l’oiseau, comme les animaux décrits plus haut sont une transformation des quadrupèdes.
[2] La densité de Jupiter étant de 0.23, c’est-à-dire un peu moins du quart de celle de la Terre, l’Esprit ne dit rien ici que de très vraisemblable. On conçoit que tout est relatif, et que sur ce globe éthéré tout soit éthéré comme lui.
Il y a une image de ce article dans le service Google — Recherche de livres (Revue Spirite 1858). — (Observations sur le dessin de la maison de Mozart.) (Septembre 1858.)