Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année XI — Mars 1868.

(Langue portugaise)

CORRESPONDANCE INÉDITE DE LAVATER.

AVEC L’IMPÉRATRICE MARIE DE RUSSIE.

Présentation. (1) — Préambule. (2) — Lettre Première : Sur l’état de l’âme après la mort.(3) — Lettre 2e.(4) — Commentaire.(5) — Communication de Paul Ier.(6) — Lettre 3e.(7) — Lettre 4e.(8) — Lettre d’un défunt a son ami sur la Terre, sur l’état des Esprits désincarnés.(9) — Lettre 5e.(10) — Lettre d’un Esprit Bienheureux a son ami de la terre sur la première vue du Seigneur.(11) — Lettre 6e.(12) — Lettre d’un défunt a son ami, sur les rapports qui existent entre les Esprits et ceux qu’ils ont aimés sur la terre. (13) — Commentaire : L’importance de ces lettres de Lavater.(14) — Opinion actuelle de Lavater sur le Spiritisme. (15)


1. [PRÉSENTATION].


Les Spirites sont nombreux à Saint-Pétersbourg,  †  et ils comptent parmi eux des hommes sérieux très éclairés, qui comprennent le but et la haute portée humanitaire de la doctrine. L’un d’eux, que nous n’avions pas l’honneur de connaître, a bien voulu nous adresser un document d’autant plus précieux pour l’histoire du Spiritisme, qu’il était inconnu, et qu’il touche aux plus hautes régions sociales. Voici ce que dit notre honorable correspondant dans sa lettre d’envoi :


« La bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg a publié, en 1858, à un très petit nombre d’exemplaires, un recueil de lettres inédites du célèbre physionomiste Lavater ; ces lettres, jusqu’alors inconnues en Allemagne, ont été adressées à l’impératrice Marie de Russie, épouse de Paul Ier et aïeule de l’empereur régnant. La lecture de ces lettres m’a frappé par les idées philosophiques, éminemment spirites, qu’elles renferment, sur les rapports qui existent entre le monde visible et le monde invisible, la médiumnité intuitive et l’influence des fluides qui la produisent.

« Présumant que ces lettres, probablement inconnues en France, pourraient intéresser les Spirites éclairés de ce pays, en leur apprenant que leurs convictions intimes étaient partagées par l’éminent philosophe suisse et deux têtes couronnées, je prends la liberté, monsieur, de vous envoyer ci-joint la traduction exacte et presque littérale de ces lettres, que vous jugerez peut-être opportun d’insérer dans votre savante et si intéressante publication mensuelle.

« Je profite de cette occasion, monsieur, pour vous exprimer les sentiments de ma profonde et parfaite estime, partagée par les Spirites sincères de tous les pays, qui savent dignement apprécier les services éminents que votre zèle infatigable a rendus au développement scientifique et à la propagation de la sublime et si consolante doctrine spirite. Cette troisième révélation aura pour conséquence la régénération, le progrès moral et la consolidation de la foi dans la pauvre humanité, malheureusement fourvoyée, et qui flotte entre le doute et l’indifférence en matière de religion et de morale.  » — W. de F.


Nous publions intégralement le manuscrit de M. de F. Son étendue nous oblige à en faire l’objet de trois articles.


2. PRÉAMBULE.


Au château grand-ducal de Pawlowsk,  †  situé à vingt-quatre verstes de Pétersbourg, où l’empereur Paul de Russie passa les plus heureuses années de sa vie, et qui, dans la suite, devint la résidence favorite de l’impératrice Marie, son auguste veuve, véritable bienfaitrice de l’humanité souffrante, se trouve une bibliothèque choisie, fondée par le couple impérial, dans laquelle, entre beaucoup de trésors scientifiques et littéraires, se trouve un paquet de lettres autographes de Lavater, restées inconnues aux biographes du célèbre physionomiste.

Ces lettres sont datées de Zurich,  †  en 1798. Seize ans auparavant, Lavater avait eu l’occasion de faire, à Zurich et à Schaffouse,  †  la connaissance du comte et de la comtesse du Nord  †  (c’est sous ce titre que le grand-duc de Russie et son épouse voyageaient alors en Europe), et, de 1796 à 1800, il envoyait en Russie, à l’adresse de l’impératrice Marie, des réflexions sur la physionomie, auxquelles joignait des lettres ayant pour but de dépeindre l’état de l’âme après la mort.

Dans ces lettres, Lavater prend pour point de départ qu’une âme, ayant quitté son corps, inspire ses idées à un homme de son choix, apte à la lumière (lichtfæhig), et lui fait écrire des lettres adressées à un ami laissé sur la terre, pour l’instruire de l’état dans lequel elle se trouve.

Ces lettres inédites de Lavater furent découvertes pendant une révision de la bibliothèque grand-ducale, par le docteur Minzloff, bibliothécaire de la bibliothèque impériale de Pétersbourg et mises en ordre par ce dernier. Avec l’autorisation du possesseur actuel château du Pawlowsk, S. A. I. le grand-duc Constantin,  †  et sous les auspices éclairés du baron de Korff, actuellement membre du conseil de l’empire, ancien directeur en chef de cette bibliothèque qui lui doit ses plus notables améliorations, elles furent publiées en 1858, à Pétersbourg, sous le titre : Johann-Kaspar Lavater’s briefe, an die kaïserin Maria Feodorowna, gemahlin kaïser Paul I von Russland (Lettres de Jean-Gaspard Lavater à l’impératrice Marie Féodorowna, épouse de l’empereur Paul I de Russie). n Cet ouvrage fut imprimé aux frais de la bibliothèque impériale, et offert en hommage au sénat de l’Université de Iéna,  †  à l’occasion du 300e anniversaire de sa fondation.

Ces lettres, au nombre de six, présentent le plus haut intérêt, en ce qu’elles prouvent positivement que les idées spirites, et notamment celles de la possibilité des rapports entre le monde spirituel et le monde matériel, germaient en Europe il y a bientôt soixante et dix ans, et que non-seulement le célèbre physionomiste avait la conviction de ces rapports, mais qu’il était lui-même ce que, dans le Spiritisme, on appelle un médium intuitif, c’est-à-dire un homme recevant par intuition les idées des Esprits et transcrivant leurs communications. Les lettres d’un ami défunt que Lavater avait jointes à ses propres lettres, sont éminemment spirites ; elles développent et éclaircissent, d’une manière aussi ingénieuse que spirituelle, les idées fondamentales du Spiritisme, et viennent à l’appui de tout ce que cette doctrine offre de plus rationnel, de plus profondément philosophique, religieux et consolant pour l’humanité. Les personnes qui ne connaissent pas le Spiritisme, pourront supposer que ces lettres d’un Esprit à son ami sur la terre, ne sont qu’une forme poétique que Lavater donne à ses propres idées spiritualistes ; mais ceux qui sont initiés aux vérités du Spiritisme, les retrouveront dans ces communications, telles qu’elles ont été et sont encore données par les Esprits, par l’entremise de différents médiums intuitifs, auditifs, écrivains, parlants, extatiques, etc. Il n’est pas naturel de supposer que Lavater ait pu concevoir lui-même et exposer avec une si grande lucidité et tant de précision, des idées abstraites et si élevées sur l’état de l’âme après la mort et ses moyens de communication avec les Esprits incarnés, c’est-à-dire les hommes. Ces idées ne pouvaient provenir que des Esprits désincarnés eux-mêmes. Il est indubitable que l’un deux, ayant gardé des sentiments d’affection pour un ami encore habitant de la terre, lui a donné, par l’intermédiaire d’un médium intuitif (peut-être Lavater lui-même était-il cet ami), des notions sur ce sujet, pour l’initier aux mystères de la tombe dans la mesure de ce qu’il est permis à un Esprit de dévoiler aux hommes, et de ce que ces derniers sont en état de comprendre.

Nous donnons ici la traduction exacte des lettres de Lavater, écrites en allemand, ainsi que celle des communications d’outre-tombe, qu’il adressait à l’impératrice Marie, d’après le désir que celle-ci avait exprimé de connaître les idées du philosophe allemand sur l’état de l’âme après la mort du corps.


3. LETTRE PREMIÈRE.

SUR L’ÉTAT DE L’AME APRÈS LA MORT.

IDÉES GÉNÉRALES.


Très vénérée Marie de Russie !

Daignez m’accorder la permission de ne pas vous donner le titre de majesté, qui vous est dû de la part du monde, mais ne s’harmonise pas avec la sainteté du sujet dont vous avez désiré que je vous entretinsse, et afin de pouvoir vous écrire avec franchise et toute liberté.

Vous désirez connaître quelques-unes des mes idées sur l’état des âmes après la mort.

Malgré le peu qu’il est donné au plus sage et au plus docte d’entre nous d’en savoir, puisqu’aucun de ceux qui sont partis pour le pays inconnu n’en est revenu, l’homme pensant, le disciple de Celui qui est descendu chez nous du ciel, est pourtant en état d’en dire autant qu’il nous est nécessaire de savoir pour nous encourager, nous tranquilliser et nous faire réfléchir.

Pour cette fois-ci je me bornerai à vous exposer, à ce sujet, quelques-unes des idées les plus générales.

Je pense qu’il doit exister une grande différence entre l’état, la manière de penser et de sentir d’une âme séparée de son corps matériel, et l’état dans lequel elle se trouvait pendant son union avec ce dernier. Cette différence doit être au moins aussi grande que celle qui existe entre l’état d’un enfant nouveau-né et celui d’un enfant vivant dans le sein de sa mère.

Nous sommes liés à la matière, et ce sont nos sens et nos organes qui donnent à notre âme les perceptions et l’entendement.

D’après la différence qui existe entre la construction du télescope, du microscope et des lunettes, dont se servent nos yeux pour voir, les objets que nous regardons par leur entremise nous apparaissent sous une forme différente. Nos sens sont les télescopes, les microscopes et les lunettes nécessaires à notre vie actuelle, qui est une vie matérielle.

Je pense que le monde visible doit disparaître pour l’âme séparée de son corps, tout comme il lui échappe pendant le sommeil. Ou bien le monde, que l’âme entrevoyait pendant son existence corporelle, doit apparaître à l’âme dématérialisée sous un aspect tout autre.

Si, pendant quelque temps, elle pouvait rester sans corps, le monde matériel n’existerait pas pour elle. Mais si elle est, aussitôt après avoir quitté son corps, ce que je trouve très vraisemblable, pourvue d’un corps spirituel, qu’elle aurait retiré de son corps matériel, le nouveau corps lui donnera indispensablement une tout autre perception des choses. Si, ce qui peut aisément arriver aux âmes impures, ce corps restait, pendant quelque temps, imparfait et peu développé, tout l’univers apparaîtrait à l’âme dans un état trouble, comme vu à travers un verre dépoli.

Mais si le corps spirituel, le conducteur et l’intermédiaire de ses nouvelles impressions, était ou devenait plus développé ou mieux organisé, le monde de l’âme lui paraîtrait, d’après la nature et les qualités de ses nouveaux organes, ainsi que d’après le degré de son harmonie et de sa perfection, plus régulier et plus beau.

Les organes se simplifient, acquièrent de l’harmonie entre eux et sont plus appropriés à la nature, au caractère, aux besoins et aux forces de l’âme, selon qu’elle se concentre, s’enrichit et s’épure ici-bas, en poursuivant un seul but et agissant dans un sens déterminé. L’âme perfectionne elle-même, en existant sur la terre, les qualités du corps spirituel, du véhicule dans lequel elle continuera d’exister après la mort de son corps matériel, et qui lui servira d’organe pour concevoir, sentir et agir dans sa nouvelle existence. Ce nouveau corps approprié à sa nature intime, la rendra pure, aimante, vivace et apte à mille belles sensations, impressions, contemplations, actions et jouissances.

Tout ce qu’on peut, et tout ce que nous ne pouvons pas encore dire sur l’état de l’âme après la mort, se basera toujours sur ce seul axiome permanent et général : L’homme récolte ce qu’il a semé.

Il est difficile de trouver un principe plus simple, plus clair, plus abondant et plus propre à être appliqué à tous les cas possibles.

Il existe une loi générale de la nature, étroitement liée, même identique, au principe ci-dessus mentionné, concernant l’état de l’âme après la mort, une loi équivalente dans tous les mondes, dans tous les états possibles, dans le monde matériel et dans le monde spirituel, visible et invisible, savoir :

« Ce qui se ressemble tend à se réunir. Tout ce qui est identique s’attire réciproquement, s’il n’existe pas d’obstacles qui s’opposent à leur union. »

Toute la doctrine sur l’état de l’âme après la mort est basée sur ce simple principe ; tout ce que nous appelons ordinairement : jugement préalable, compensation, félicité suprême, damnation, peut être expliqué de cette manière : « Selon que tu as semé le bien en toi-même, en d’autres et en dehors de toi, tu appartiendras à la société de ceux qui, comme toi, ont semé le bien en eux-mêmes et en dehors d’eux ; tu jouiras de l’amitié de ceux auxquels tu as ressemblé dans leur manière de semer le bien. »

Chaque âme séparée de son corps, délivrée des chaînes de la matière, s’apparaît à elle-même telle qu’elle est en réalité. Toutes les illusions, toutes les séductions qui l’empêchaient de se reconnaître et de voir ses forces, ses faiblesses et ses défauts disparaîtront. Elle éprouvera une tendance irrésistible à se diriger vers les âmes qui lui ressemblent et à s’éloigner de celles qui lui sont dissemblables. Son propre poids intérieur, comme obéissant à la loi de la gravitation, l’attirera dans des abîmes sans fond (au moins c’est ainsi que cela lui semblera) ; ou bien, d’après le degré de sa pureté, elle s’élancera, comme une étincelle emportée par sa légèreté dans les airs, et passera rapidement dans les régions lumineuses, fluidiques et éthérées.

L’âme se donne à elle-même un poids qui lui est propre, par son sens intérieur ; son état de perfection la pousse en avant, en arrière ou de côté ; son propre caractère, moral ou religieux, lui inspire certaines tendances particulières. Le bon s’élèvera vers les bons ; le besoin qu’il ressent du bien l’attirera vers eux. Le méchant est forcément poussé vers les méchants. La chute précipitée des âmes grossières, immorales et irréligieuses vers des âmes qui leur ressemblent, sera tout aussi rapide et inévitable que la chute d’une enclume dans un abîme, quand rien ne l’arrête.

C’est assez pour cette fois-ci.

Zurich,  †  1. VIII. 1798

JEAN-GASPAR LAVATER.

(Avec la permission de Dieu, la suite tous les huit jours.)


4. LETTRE DEUXIÈME.


Les besoins éprouvés par l’esprit humain, durant son exil dans le corps matériel, restent les mêmes aussitôt après qu’il l’a quitté. Sa félicité consistera dans la possibilité de pouvoir satisfaire ses besoins spirituels ; sa damnation dans l’impossibilité de pouvoir satisfaire ses appétits charnels, dans un monde moins matériel.

Les besoins non satisfaits constituent la damnation ; leur satisfaction constitue la félicité suprême.

Je voudrais dire à chaque homme : « Analyse la nature de tes besoins ; donne-leur leur véritable nom ; demande à toi-même : sont-ils admissibles dans un monde moins matériel ? Peuvent-ils y trouver leur satisfaction ? Et si véritablement ils pouvaient y être contentés, seraientils de ceux qu’un Esprit intellectuel et immortel puisse avouer honorablement et en désirer la satisfaction, sans ressentir une honte profonde devant d’autres êtres intellectuels et immortels comme lui ?

Le besoin que ressent l’âme de satisfaire les aspirations spirituelles d’autres âmes immortelles ; de leur procurer les pures jouissances de la vie, de leur inspirer l’assurance de la continuation de leur existence après la mort, de coopérer par là au grand plan de la sagesse et de l’amour suprêmes, le progrès acquis par cette noble activité, si digne de l’homme, ainsi que le désir désintéressé du bien, donnent aux âmes humaines l’aptitude, et, partant, le droit d’être reçues dans les groupes et les cercles d’Esprits plus élevés, plus purs, plus saints.

Quand nous avons, très vénérée impératrice, l’intime persuasion que le besoin le plus naturel, et pourtant bien rare, qui puisse naître dans une âme immortelle : celui de Dieu, la nécessité de s’en approcher de plus en plus sous tous les rapports, et de ressembler au Père invisible de toutes les créatures, est une fois devenu prédominant en nous, oh ! alors, nous ne devons pas éprouver la moindre crainte concernant notre état futur, quand la mort nous aura débarrassé de notre corps, ce mur épais qui nous cachait Dieu. Ce corps matériel qui nous séparait de lui est abattu, et le voile qui nous dérobait la vue du plus saint des saints est déchiré.

L’Être adorable que nous aimions au-dessus de tout, avec toutes ses grâces resplendissantes, aura alors libre entrée dans notre âme affamée de lui et le recevant avec joie et amour.

Aussitôt que l’amour sans bornes pour Dieu aura pris le dessus dans notre âme, par suite des efforts qu’elle aura faits pour s’en approcher et lui ressembler dans son amour vivifiant de l’humanité, et par tous les moyens qu’elle avait en son pouvoir, cette âme, débarrassée de son corps, passant nécessairement par bien des degrés pour se perfectionner toujours davantage, montera avec une facilité et une rapidité étonnantes vers l’objet de sa plus profonde vénération et de son amour illimité, vers la source inépuisable et la seule suffisante pour la satisfaction de tous ses besoins, de toutes ses aspirations.

Aucun œil faible, malade ou voilé, n’est en état de regarder le soleil en face ; de même aucun Esprit non épuré, encore enveloppé du brouillard matériel dont une vie exclusivement matérielle l’entourait, même au moment de sa séparation du corps, ne serait en état de supporter la vue du plus pur soleil des Esprits, dans sa clarté resplendissante, son symbole, son foyer, d’où s’échappent ces flots de lumière qui pénètrent même les êtres finis du sentiment de leur infinité.

Qui mieux que vous, madame, sait que les bons ne sont attirés que par les bons ! Que seules les âmes élevées savent jouir de la présence d’autres âmes d’élite ! Tout homme connaissant la vie et les hommes, celui qui souvent fut obligé de se trouver dans la société de ces flatteurs malhonnêtes, efféminés, manquant de caractère, toujours empressés à relever et faire valoir la parole la plus insignifiante, la moindre allusion de ceux dont ils briguent la faveur, ou bien de ces hypocrites, tâchant de pénétrer astucieusement les idées des autres, pour les interpréter ensuite dans un sens tout à fait contraire, celui-là, dis-je, doit savoir combien ces âmes viles et esclaves s’embarrassent subitement d’une simple parole prononcée avec fermeté et dignité ; combien un seul regard sévère les confond, en leur faisant sentir profondément qu’on les connaît et qu’on les juge à leur juste valeur ! Comme il leur devient pénible alors de supporter la présence d’un honnête homme ! Aucune âme fourbe et hypocrite n’est heureuse par le contact d’une âme probe et énergique qui la pénètre. Chaque âme impure ayant quitté son corps, doit, selon sa nature intime, comme poussée par une puissance occulte et invincible, fuir la présence de tout être pur et lumineux, pour lui dérober, autant que possible, la vue de ses nombreuses imperfections qu’elle n’est pas en état de cacher à elle-même, ni à d’autres.

Quand même il ne serait pas écrit : « Personne, sans être épuré, ne pourra voir le Seigneur, » ce serait parfaitement dans l’ordre des choses.

Une âme impure se trouve dans une impossibilité absolue d’entrer en rapport quelconque avec une âme pure, ni de ressentir pour elle la moindre sympathie. Une âme effrayée de la lumière ne peut, par cela même, être attirée par la source de la lumière. La clarté privée de toute obscurité doit la brûler comme un feu dévorant.

Et quelles sont les âmes, madame, que nous appelons impures  ? Je pense que ce sont celles dans lesquelles le désir de s’épurer, de se corriger, de se perfectionner, n’a jamais prédominé. Je pense que ce sont celles qui ne se sont pas soumises au principe élevé du désintéressement en toutes choses ; celles qui se sont choisies elles-mêmes pour centre unique de tous leurs désirs et de toutes leurs idées ; celles qui se regardent comme le but de tout ce qui est en dehors d’elles, qui ne cherchent que le moyen de satisfaire leurs passions et leurs sens ; celles enfin dans lesquelles règnent l’égoïsme, l’orgueil, l’amour-propre et l’intérêt personnel, qui veulent servir deux maîtres qui se contredisent, et cela simultanément.

De pareilles âmes doivent se trouver, je pense, après leur séparation d’avec leur corps, dans le misérable état d’une horrible contemplation d’elles-mêmes ; ou bien, ce qui revient au même, du mépris profond qu’elles ressentent pour elles-mêmes, et être entraînées par une force irrésistible vers l’affreuse société d’autres âmes égoïstes, se condamnant elles-mêmes sans cesse.

C’est l’égoïsme qui produit l’impureté de l’âme et la fait souffrir. Il est combattu dans toutes les âmes humaines par quelque chose qui lui est contraire, quelque chose de pur, de divin : le sentiment moral. Sans ce sentiment, l’homme n’est capable d’aucune jouissance morale, d’aucune estime, ni d’aucun mépris pour lui-même, ne comprenant ni le ciel ni l’enfer. Cette lumière divine lui rend insupportable toute obscurité qu’il découvre en lui, et c’est la raison pour laquelle les âmes délicates, celles qui possèdent le sens moral, souffrent plus cruellement quand l’égoïsme s’empare d’elles et subjugue ce sentiment.

De la concordance et de l’harmonie qui subsistent dans l’homme, entre lui-même et sa loi intérieure, dépendent sa pureté, son aptitude à recevoir la lumière, son bonheur, son ciel, son Dieu. Son Dieu lui apparaît dans sa ressemblance avec lui-même. A celui qui sait aimer, Dieu apparaît comme le suprême amour, sous mille formes aimantes.

Son degré de félicité et son aptitude à rendre heureux les autres sont proportionnés au principe d’amour qui règne en lui. Celui qui aime avec désintéressement reste en harmonie incessante avec la source de tout amour et tous ceux qui y puisent l’amour.

Tâchons de conserver en nous l’amour dans toute sa pureté, madame, et nous serons toujours entraînés par lui vers les âmes les plus aimantes.

Purifions-nous tous les jours davantage des souillures de l’égoïsme, et alors, dussions-nous quitter ce monde aujourd’hui même ou demain, en rendant à la terre notre enveloppe mortelle, notre âme prendra son vol avec la rapidité de l’éclair vers le modèle de tous ceux qui aiment, et se réunira à eux avec un bonheur inexprimable.

Personne de nous, ne peut savoir ce que deviendra son âme après la mort de son corps, et pourtant je suis pleinement persuadé que l’amour épuré doit nécessairement donner à notre Esprit, délivré de son corps, une liberté sans bornes, une existence centuple, une jouissance continuelle de Dieu, et une puissance illimitée pour rendre heureux tous ceux qui sont aptes à goûter la félicité suprême.

Oh ! que la liberté morale de l’Esprit dépouillé de son corps est incomparable ! avec quelle légèreté l’âme de l’être aimant, entourée d’une lumière resplendissante, effectue son ascension ! Quelle science infinie, quelle puissance de se communiquer aux autres, deviennent son apanage ! Quelle lumière jaillit d’elle-même ! Quelle vie anime tous les atomes dont elle est formée ! Des flots de jouissances s’élancent de tous côtés à sa rencontre pour satisfaire ses besoins les plus purs et les plus élevés ! Des légions innombrables d’êtres aimants lui tendent les bras !

Des voix harmonieuses se font entendre dans ces chœurs nombreux et rayonnants de joie et lui disent : « Esprit de notre Esprit ! Cœur de notre cœur ! Amour puisé à la source de tout amour ! Ame aimante, tu nous appartiens à nous tous, et nous sommes tous à toi ! Chacun de nous est à toi et tu appartiens à chacun de nous. Dieu est amour et Dieu est à nous. Nous sommes tous remplis de Dieu, et l’amour trouve sa félicité dans la félicité de tous. »

Je désire ardemment, très vénérée impératrice, que vous, votre noble et généreux époux, l’empereur, si portés l’un et l’autre pour le bien, et moi avec vous, nous puissions tous ne jamais devenir étrangers à l’amour qui est Dieu et homme à la fois ; qu’il nous soit accordé de nous former pour les jouissances de l’amour par nos actions, nos prières et nos souffrances, en nous rapprochant de celui qui s’est laissé attacher sur la croix du Golgotha.


JEAN-GASPAR LAVATER.

(La suite prochainement, si Dieu veut le permettre.)

Zurich,  †  le 18 VIII 1798.


[COMMENTAIRE.]


5. — On peut voir déjà dans quel ordre d’idées Lavater écrivait à l’impératrice Marie, et jusqu’à quel point il possédait l’intuition des principes du Spiritisme moderne. On en jugera mieux encore par le complément de cette correspondance remarquable. En attendant les réflexions dont nous la ferons suivre, nous croyons devoir, dès à présent, faire remarquer un fait important : c’est que pour entretenir une correspondance sur un pareil sujet avec l’impératrice, il fallait que celle-ci partageât ces idées, et plusieurs circonstances ne permettent pas de douter qu’il en était de même du czar, son époux. C’est sur sa demande, ou mieux sur leur demande, que Lavater écrivait, et le ton de ses lettres prouve qu’il s’adressait à des personnes convaincues. Comme on le voit, les croyances spirites, dans les hautes régions, ne datent pas d’aujourd’hui.

On peut d’ailleurs voir, dans la Revue d’avril 1866, page 120, le récit d’une apparition tangible de Pierre le Grand à ce même Paul Ier.


6. — Les lettres de Lavater ayant été lues à la société de Paris  †  et une conversation s’étant engagée à ce sujet, Paul Ier, attiré sans doute par la pensée qui était dirigée vers lui à cette occasion, se manifesta spontanément et sans évocation par l’un des médiums auquel il dicta la communication suivante :


[COMMUNICATION DE PAUL Ier.]

(Société de Paris, 7 février 1868 ; médium M. Leymarie.)

Le pouvoir est chose lourde, et les ennuis qu’il laisse impressionnent douloureusement notre âme ! Les déboires sont continuels ; il faut se conformer aux habitudes, aux vieilles institutions, au parti pris, et Dieu sait ce qu’il faut de résistance pour s’opposer à tous les appétits qui viennent battre le trône comme des flots tumultueux. Aussi quel bonheur quand, laissant un instant cette robe de Nessus appelée royauté, on peut s’enfermer dans un lieu paisible, où l’on puisse reposer en paix loin du bruit et du tumulte des ambitions !

Ma chère Marie aimait le calme. Nature solide, douce, résignée, aimante, elle eût préféré l’oubli des grandeurs pour se vouer complètement à la charité, pour étudier les hautes questions philosophiques qui étaient du ressort de ses facultés. Comme elle, j’aimais ces délassements intellectuels ; ils étaient un baume pour mes blessures de souverain, une force nouvelle pour me guider dans le dédale de la politique européenne.

Lavater, ce grand cœur, ce grand Esprit, ce frère prédestiné, nous initiait à sa sublime doctrine ; ses lettres, que vous possédez aujourd’hui, étaient attendues par nous avec une fiévreuse anxiété. Tout ce qu’elles renferment était le mirage de nos idées personnelles ; nous les lisions, ces chères lettres, avec une joie enfantine, heureux de déposer notre couronne, sa gravité, son étiquette, pour discuter les droits de l’âme, son émancipation et sa course divine vers l’éternel.

Toutes ces questions, brûlantes aujourd’hui, nous les avons acceptées il y a soixante-dix ans ; elles faisaient partie de notre vie, de notre repos. Bien des effets étranges, des apparitions, des bruits, avaient fortifié notre opinion à ce sujet. L’impératrice Marie voyait et entendait les Esprits ; par eux, elle avait su des événements passés à de grandes distances. Un prince Lopoukine,  †  mort à Kiew,  †  à plusieurs centaines de lieues, était venu nous annoncer sa mort, les incidents qui avaient précédé son départ, l’expression de ses dernières volontés ; l’impératrice avait écrit sous la dictée de l’Esprit Lopoukine, et vingt jours après, on savait seulement à la cour tous les détails que nous possédions. Ils furent pour nous une confirmation éclatante, et aussi la preuve que Lavater et nous, étions initiés aux grandes vérités.

Aujourd’hui, nous connaissons mieux par vous la doctrine dont vous avez élargi la base ; nous reviendrons vous demander quelques instants, et nous vous remercions à l’avance, si vous voulez bien écouter Marie de Russie et celui qui eut la faveur de l’avoir pour compagne.


Paul Ier.



[1] [Briefe an die Kaiserin Maria Feodorowna, Gemahlin Kaiser Pauls I. von … Johann Caspar Lavater - Google Books.]


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