Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année XI — Mars 1868.

(Langue portugaise)

CORRESPONDANCE INÉDITE DE LAVATER.

AVEC L’IMPÉRATRICE MARIE DE RUSSIE.

Présentation. (1) — Préambule.(2) — Lettre Première : Sur l’état de l’âme après la mort.(3) — Lettre 2e.(4) — Commentaire.(5) — Communication de Paul Ier.(6) — Lettre 3e.(7) — Lettre 4e.(8) — Lettre d’un défunt a son ami sur la Terre, sur l’état des Esprits désincarnés.(9) — Lettre 5e.(10) — Lettre d’un Esprit Bienheureux a son ami de la terre sur la première vue du Seigneur.(11)Lettre 6e. (12) — Lettre d’un défunt a son ami, sur les rapports qui existent entre les Esprits et ceux qu’ils ont aimés sur la terre.(13) — Commentaire : L’importance de ces lettres de Lavater.(14) — Opinion actuelle de Lavater sur le Spiritisme.(15)


[Revue de mai.]

12. LETTRE SIXIÈME.


Très vénérée impératrice, Ci-joint encore une lettre arrivée du monde invisible ! Puisse-t-elle, comme les précédentes, être goûtée par vous et produire sur vous un effet salutaire !

Aspirons sans cesse vers une communion plus intime avec l’AMOUR le plus pur qui se soit manifesté dans l’homme, et s’est glorifié dans Jésus, le Nazaréen !

Très vénérée impératrice, notre félicité future est en notre pouvoir une fois qu’il nous est accordé la grâce de comprendre que, seul, l’amour peut nous donner le bonheur suprême, et que la foi seule dans l’amour divin fait naître dans nos cœurs le sentiment qui nous rend heureux éternellement, la foi qui développe, épure et complète notre aptitude à aimer.

Bien des thèmes me restent encore à vous communiquer. Je tâcherai d’accélérer la continuation de ce que j’ai commencé à vous exposer, et je me regarderais comme très heureux si je pouvais espérer avoir pu occuper agréablement et utilement quelques moments de votre précieuse vie.


JEAN GASPAR LAVATER.

Zurich,  †  le 16 XII. 1798.


13. LETTRE D’UN DÉFUNT A SON AMI,

Sur les rapports qui existent entre les Esprits et ceux qu’ils ont aimés sur la terre.

Mon bien-aimé, avant tout, je dois t’avertir que, des mille choses que, stimulé par une noble curiosité, tu désires apprendre de moi, et que j’aurais tant désiré pouvoir te dire, j’ose à peine t’en communiquer une seule, puisque je ne dépends aucunement de moi-même. Ma volonté dépend, comme je te l’ai déjà dit, de la volonté de Celui qui est la suprême sagesse. Mes rapports avec toi ne sont basés que sur ton amour.

Cette sagesse, cet amour personnifiés, nous poussent souvent, moi et mes mille fois mille convives d’une félicité qui devient continuellement plus élevée et plus enivrante, vers les hommes encore mortels, et nous font entrer avec eux dans des rapports certainement agréables pour nous, quoique bien souvent obscurcis et pas toujours assez purs et saints.

Prends de moi quelques notions au sujet de ces rapports. Je ne sais comment je parviendrai à te faire comprendre cette grande vérité qui, probablement, t’étonnera beaucoup malgré sa réalité, c’est que : notre propre félicité dépend souvent, relativement, bien entendu, de l’état moral de ceux que nous avons laissés sur la terre et avec lesquels nous entrons dans des rapports directs.

Leur sentiment religieux nous attire ; leur impiété nous repousse.

Nous nous réjouissons de leurs pures et nobles joies, c’est-à-dire de leurs joies spirituelles et désintéressées. Leur amour contribue à notre félicité ; aussi nous ressentons, sinon un sentiment pareil à la souffrance, au moins un décroissement de plaisir, quand ils se laissent ASSOMBRIR par leur sensualité, leur égoïsme, leurs passions animales ou l’impureté de leurs désirs.

Mon ami, arrête-toi, je t’en prie, devant ce mot : ASSOMBRIR.

Toute pensée divine produit un rayon de lumière qui jaillit de l’homme aimant, et qui n’est vu et compris que par les natures aimantes et rayonnantes. Toute espèce d’amour a son rayon de lumière qui lui est particulier. Ce rayon, se réunissant à l’auréole qui entoure les saints, la rend encore plus resplendissante et plus agréable à la vue. Du degré de cette clarté et de cette aménité dépend souvent le degré de notre propre félicité ou du bonheur que nous ressentons de notre existence. Avec la disparition de l’amour, cette lumière s’évanouit, et avec elle l’élément de bonheur de ceux que nous aimons. Un homme qui devient étranger à l’amour s’assombrit, dans le sens le plus littéral et le plus positif de ce mot ; il devient plus matériel, par conséquent plus élémentaire, plus terrestre, et les ténèbres de la nuit le couvrent de leur voile. La vie, ou ce qui est la même chose pour nous : l’amour de l’homme, produit le degré de sa lumière, sa pureté lumineuse, son identité avec la lumière, la magnificence de sa nature.

Ces dernières qualités rendent seules nos rapports avec lui possibles et intimes. La lumière attire la lumière. Il nous est impossible d’agir sur les âmes sombres. Toutes les natures non aimantes nous paraissent sombres.

La vie de chaque mortel, sa véritable vie, est comme son amour ; sa lumière ressemble à son amour ; de sa lumière découle notre communion avec lui et la sienne avec nous. Notre élément, c’est la lumière dont le secret n’est compris d’aucun mortel. Nous attirons et sommes attirés par elle. Ce vêtement, cet organe, ce véhicule, cet élément, dans lequel réside la force primitive qui produit tout, la lumière en un mot, forme pour nous le trait caractéristique de toutes les natures.

Nous éclairons dans la mesure de notre amour ; on nous reconnaît à cette clarté, et nous sommes attirés par toutes les natures aimantes et rayonnantes comme nous. Par l’effet d’un mouvement imperceptible, en donnant une certaine direction à nos rayons, nous pouvons faire naître dans des natures qui nous sont sympathiques des idées plus humaines, susciter des actions, des sentiments plus nobles et plus élevés ; mais nous n’avons le pouvoir de forcer ou de dominer personne, ni d’imposer notre volonté aux hommes dont la volonté est tout à fait indépendante de la nôtre. Le libre arbitre de l’homme nous est sacré. Il nous est impossible de communiquer un seul rayon de notre pure lumière à un homme qui manque de sensibilité. Il ne possède aucun sens, aucun organe pour pouvoir recevoir de nous la moindre chose. Du degré de sensibilité que possède un homme dépend, — oh ! permets-moi de te le répéter dans chacune de mes lettres, — son aptitude à recevoir la lumière, sa sympathie avec toutes les natures lumineuses, et avec leur prototype primordial. De l’absence de la lumière naît l’impuissance à s’approcher des sources de la lumière, tandis que des milliers de natures lumineuses peuvent être attirées par une seule nature semblable.

L’Homme-Jésus, resplendissant de lumière et d’amour, fut le point lumineux qui attirait incessamment vers lui des légions d’anges. Des natures sombres, égoïstes, attirent vers elles des Esprits sombres, grossiers, privés de lumière, malveillants, et sont empoisonnées davantage par eux, tandis que les âmes aimantes deviennent encore plus pures et plus aimantes, par leur contact avec les Esprits bons et aimants.

Jacob dormant, rempli de sentiments pieux, voit les anges du Seigneur arriver en foule vers lui, et la sombre âme de Judas Iscariote donne au chef des Esprits sombres le droit, je dirai même la puissance, de pénétrer dans la sombre atmosphère de sa nature haineuse. Les Esprits radieux abondent là où se trouve un Elysée ; des légions d’Esprits sombres pullulent parmi les âmes sombres.

Mon bien-aimé, médite bien ce que je viens de te dire. Tu en trouveras de nombreuses applications dans les livres bibliques, qui renferment des vérités encore intactes, ainsi que des instructions de la plus haute importance, touchant les rapports qui existent entre les mortels et les immortels, entre le monde matériel et le monde des Esprits.

Il ne dépend que de toi de te trouver sous l’influence bienfaisante des Esprits aimants ou de les éloigner de toi ; tu peux les garder auprès de toi ou les forcer à te quitter. Il dépend de toi de me rendre plus ou moins heureux.

Tu dois comprendre maintenant que tout être aimant devient plus heureux, quand il rencontre un être tout aussi aimant que lui ; que le plus heureux et le plus pur des êtres devient moins heureux, quand il reconnaît un amoindrissement d’amour dans celui qu’il aime ; que l’amour ouvre le cœur à l’amour, et que l’absence de ce sentiment rend plus difficile, souvent même impossible, l’accès de toute communication intime.

Si tu désires me rendre, moi, jouissant déjà du bonheur suprême, encore plus heureux, deviens encore meilleur. Par cela, tu me rendras plus radieux et pourras sympathiser davantage avec toutes les natures radieuses et immortelles. Elles s’empresseront de venir auprès de toi ; leur lumière se réunira à la tienne et la tienne à la leur ; leur présence te rendra plus pur, plus rayonnant, plus vivace, et, ce qui te paraîtra difficile à croire, mais n’en est pas pour cela moins positif, elles-mêmes, par l’effet de ta lumière, celle qui rayonnera de toi, elles deviendront plus lumineuses, plus vivaces, plus heureuses de leur existence, et, par l’effet de ton amour, encore plus aimantes.

Mon bien-aimé, il existe des rapports impérissables entre ce que vous appelez les mondes visible et invisible, une communauté incessante entre les habitants de la terre et ceux du ciel qui savent aimer, une action bienfaisante réciproque de chacun de ces mondes sur l’autre.

En méditant et en analysant avec soin cette idée, tu reconnaîtras de plus en plus sa vérité, son urgence et sa sainteté.

Ne l’oublie pas, frère de la terre : tu vis visiblement dans un monde qui est encore invisible pour toi !

Ne l’oublie pas ! dans le monde des Esprits aimants, on se réjouira de ta croissance en amour pur et désintéressé.

Nous nous trouvons près de toi, quand tu nous crois bien loin. Jamais un être aimant ne se trouve seul et isolé.

La lumière de l’amour perce les ténèbres du monde matériel, pour entrer dans un monde moins matériel.

Les Esprits aimants et lumineux se trouvent toujours dans le voisinage de l’amour et de la lumière.

Elles sont littéralement vraies, ces paroles du Christ : «  Là où deux ou trois de vous se réuniront en mon nom, je serai avec eux. » ( † )

Il est aussi indubitablement vrai que nous pouvons affliger l’Esprit de Dieu par notre égoïsme, et le réjouir par notre véritable amour, d’après le sens profond de ces paroles : « Ce que vous liez sur la terre est lié au ciel ; ce que vous déliez sur la terre sera aussi délié au ciel. » ( † ) Vous déliez par l’égoïsme, vous liez par la charité, c’est-à-dire par l’amour.

Vous vous approchez et vous vous éloignez de nous. Rien n’est plus clairement compris au ciel, que l’amour de ceux qui aiment sur la terre.

Rien n’est plus attractif pour les Esprits bienheureux appartenant à tous les degrés de perfection, que l’amour des enfants de la terre.

Vous, qu’on appelle encore mortels, par l’amour vous pouvez faire descendre le ciel sur la terre.

Vous pourriez entrer avec nous, bienheureux, dans une communion infiniment plus intime que vous ne pouvez le supposer, si vos âmes s’ouvraient à notre influence par les élans du cœur.

Je suis souvent auprès de toi, mon bien-aimé ! J’aime à me trouver dans ta sphère de lumière.

Permets-moi de t’adresser encore quelques paroles de confiance.

Quand tu te fâches, la lumière qui rayonne de toi, au moment où tu penses à ceux que tu aimes ou à ceux qui souffrent, s’obscurcit, et alors je suis forcé de me détourner de toi, aucun Esprit aimant ne pouvant supporter les ténèbres de la colère. Dernièrement encore, je dus te quitter. Je te perdis, pour ainsi dire, de vue et me dirigeai vers un autre ami, ou plutôt la lumière de son amour m’attira vers lui. Il priait, versant des larmes pour une famille bienfaisante, tombée momentanément dans la plus grande détresse et qu’il était hors d’état de secourir lui-même.

Oh ! comme déjà son corps terrestre me parut lumineux ; ce fut comme si une clarté éblouissante l’inondait. Notre Seigneur s’approcha de lui, et un rayon de son esprit tomba dans cette lumière. Quel bonheur pour moi de pouvoir me plonger dans cette auréole, et, retrempé par cette lumière, être en état d’inspirer à son âme l’espoir d’un secours prochain ! Il me sembla entendre une voix au fond de son âme, lui dire : « Ne crains rien ! Crois ! ( † ) tu goûteras la joie de pouvoir soulager ceux pour qui tu viens de prier Dieu. » Il se releva inondé de joie après la prière. Au même instant, je fus attiré vers un autre être radieux, aussi en prière…

C’était la noble âme d’une vierge qui priait et disait : «  Seigneur ! apprends-moi à faire le bien selon ta volonté. » Je pus et j’osai lui inspirer l’idée suivante : « Ne ferais-je pas bien d’envoyer à cet homme charitable que je connais, un peu d’argent pour qu’il l’emploie, encore aujourd’hui, au profit de quelque pauvre famille ? »

Elle s’attacha à cette idée avec une joie enfantine ; elle la reçut comme elle aurait reçu un ange descendu du ciel. Cette âme pieuse et charitable rassembla une somme assez considérable ; puis elle écrivit une petite lettre bien affectueuse à l’adresse de celui qui venait de prier, et qui la reçut, ainsi que l’argent, une heure à peine après sa prière, versant des larmes de joie et rempli d’une profonde reconnaissance envers Dieu !

Je le suivis, goûtant moi-même une félicité suprême et me réjouissant dans sa lumière. Il arriva à la porte de la pauvre famille. « Dieu aura-t-il pitié de nous ? » demandait la pieuse épouse à son pieux époux. – «  Oui, il aura pitié de nous, comme nous avons eu pitié des autres. » – En entendant cette réponse du mari, celui qui avait prié fut rempli de joie ; il ouvrit la porte, et, suffoqué par son attendrissement, il put à peine prononcer ces paroles : « Oui, il aura pitié de vous, comme vous-mêmes vous avez eu pitié des pauvres ; voici un gage de la miséricorde de Dieu. Le Seigneur voit les justes et entend leurs supplications. »

De quelle vive lumière brillèrent tous les assistants ; quand après avoir lu la petite lettre, ils levèrent les yeux et les bras vers le ciel !

Des masses d’Esprits s’empressèrent d’arriver de toutes parts. Comme nous nous réjouîmes ! comme nous nous embrassâmes ! comme nous louâmes Dieu et le bénîmes tous ! comme nous devînmes tous plus parfaits, plus aimants !

Toi, tu brillas bientôt derechef ; je pus et j’osai arriver près de toi ; tu avais fait trois choses qui m’accordaient le droit de m’approcher de toi et de te réjouir. Tu avais versé des larmes de honte de ta colère ; tu avais réfléchi, étant sérieusement attendri, aux moyens de pouvoir te maîtriser ; tu avais demandé sincèrement pardon à celui que ton emportement avait offensé, et tu cherchais de quelle manière tu pourrais l’en dédommager en lui procurant quelque satisfaction. Cette préoccupation rendit le calme à ton cœur, la gaieté à tes yeux, la lumière à ton corps.

Tu peux juger, par cet exemple, si nous sommes toujours bien instruits de ce que font les amis que nous avons laissés sur la terre, et combien nous nous intéressons à leur état moral ; tu dois aussi comprendre maintenant la solidarité qui existe entre le monde visible et le monde invisible, et qu’il dépend de vous de nous procurer des joies ou de nous affliger.

Oh ! mon bien-aimé, si tu pouvais te pénétrer de cette grande vérité, qu’un amour noble et pur trouve en lui-même sa plus belle récompense ; que les jouissances les plus pures, la jouissance de Dieu, ne sont que le produit d’un sentiment plus épuré, tu t’empresserais de t’épurer de tout ce qui est égoïsme.

Dorénavant, je ne pourrai jamais t’écrire sans revenir sur ce sujet. Rien n’a de prix sans l’amour. Seul, il possède le coup d’œil clair, juste, pénétrant, pour distinguer ce qui mérite d’être étudié ; ce qui est éminemment vrai, divin, impérissable. Dans chaque être mortel et immortel, animé d’un amour pur, nous voyons, avec un sentiment de plaisir inexprimable, Dieu lui-même se réfléchir, comme vous voyez le soleil briller dans chaque goutte d’eau pure. Tous ceux qui aiment, sur la terre comme au ciel, ne font qu’un par le sentiment. C’est du degré de l’amour que dépend le degré de notre perfection et de notre félicité intérieure et extérieure. C’est ton amour qui règle tes rapports avec les Esprits qui ont quitté la terre, ta communion avec eux, l’influence qu’ils peuvent exercer sur toi et leur liaison intime avec ton Esprit.

En t’écrivant cela, un sentiment de prévision, qui ne m’abuse jamais, m’apprend que tu te trouves en ce moment dans une excellente disposition morale, puisque tu médites une œuvre de charité.

Chacune de vos actions, de vos pensées, porte un cachet particulier, instantanément compris et apprécié par tous les Esprits désincarnés. Que Dieu te vienne en aide !

Je t’ai écrit cela le 16 XII. 1798.


[COMMENTAIRE.]


14. — Il serait superflu de faire ressortir l’importance de ces lettres de Lavater, qui ont partout excité le plus vif intérêt. Elles attestent, de sa part, non-seulement la connaissance des principes fondamentaux du Spiritisme, mais une juste appréciation de ses conséquences morales.

Sur quelques points seulement, il paraît avoir eu des idées un peu différentes de ce que nous savons aujourd’hui, mais la cause de ces divergences, qui, du reste, tiennent peut-être plus à la forme qu’au fond, est expliquée dans la communication suivante qu’il a donnée à la Société de Paris.  †  Nous ne les relèverons pas, parce que chacun les aura comprises ; l’essentiel était de constater que, longtemps avant l’apparition officielle du Spiritisme, des hommes dont la haute intelligence ne saurait être révoquée en doute en avaient eu l’intuition.

S’ils n’ont pas employé le mot, c’est qu’il n’existait pas.

Nous appellerons, toutefois, l’attention sur un point qui pourrait sembler étrange : c’est la théorie d’après laquelle la félicité des Esprits serait subordonnée à la pureté des sentiments incarnés, et se trouverait altérée par la plus légère imperfection de ceux-ci. S’il en était ainsi, en considérant ce que sont les hommes, il n’y aurait pas d’Esprits réellement heureux, et le bonheur véritable n’existerait pas plus dans l’autre monde que sur la terre. Les Esprits doivent souffrir d’autant moins des travers des hommes, qu’ils les savent perfectibles. Les hommes imparfaits sont pour eux comme des enfants dont l’éducation n’est pas faite, et à laquelle ils ont mission de travailler, eux qui ont également passé par la filière de l’imperfection. Mais si on fait la part de ce que le principe développé dans cette lettre peut avoir de trop absolu, on ne peut s’empêcher d’y reconnaître un sens très profond, une admirable pénétration des lois qui régissent les rapports du monde visible et du monde invisible, et des nuances qui caractérisent le degré d’avancement des Esprits incarnés ou désincarnés.


15. OPINION ACTUELLE DE LAVATER SUR LE SPIRITISME.

COMMUNICATION VERBALE, PAR M. MORIN EN SOMNAMBULISME SPONTANÉ.

(Société de Paris, 13 mars 1868.)

Depuis que la miséricorde divine permit que moi, humble créature, je reçusse la révélation par l’entremise des messagers de l’immensité, jusqu’à ce jour, les années sont, une à une, tombées dans le gouffre des temps ; et à mesure qu’elles s’écoulaient, s’augmentaient aussi les connaissances des hommes, et leur horizon intellectuel s’élargissait.

Depuis que les quelques pages qu’on vous a lues m’ont été données, bien d’autres pages ont été données dans le monde entier sur le même sujet et par le même moyen. Ne croyez pas que j’aie la prétention, moi, humble entre tous, d’avoir eu le premier l’honneur insigne de recevoir une telle faveur ; non ; d’autres avant moi avaient, eux aussi, reçu la révélation ; mais, comme moi, hélas ! ils en ont incomplètement compris certaines parties. C’est qu’il faut, messieurs, tenir compte du temps, du degré d’instruction morale, et surtout du degré d’émancipation philosophique des peuples.

Les Esprits, dont je suis heureux aujourd’hui de faire partie, forment, eux aussi, des peuples, des mondes, mais ils n’ont pas de races ; ils étudient, ils voient, et leurs études peuvent incontestablement être plus grandes, plus vastes que les études des hommes ; mais, néanmoins, elles partent toujours des connaissances acquises, et du point culminant du progrès moral et intellectuel du temps et du milieu où ils vivent. Si les Esprits, ces messagers divins, viennent journellement vous donner des instructions d’un ordre plus élevé, c’est que la généralité des êtres qui les reçoivent est en état de les comprendre. Par suite des préparations qu’ils ont subies, il est des instants où les hommes n’ont pas besoin de laisser passer sur eux l’éternité d’un siècle pour comprendre. Dès qu’on voit s’élever rapidement le niveau moral, une sorte d’attraction les porte vers un certain courant d’idées qu’ils doivent s’assimiler, et vers le but auquel ils doivent aspirer ; mais ces instants sont courts, et c’est aux hommes d’en profiter.

J’ai dit qu’il fallait tenir compte des temps, et surtout du degré d’émancipation philosophique que comportait l’époque. Reconnaissant envers la Divinité, qui m’avait permis d’acquérir, par une faveur spéciale, plus vite que d’autres hommes partis du même point, certaines connaissances, je reçus des communications des Esprits. Mais l’éducation première, les enseignements étroits, la tradition et l’usage pesaient sur moi ; malgré mes aspirations à acquérir une liberté, une indépendance d’esprit que je désirais, aimant attractif pour les Esprits qui venaient se communiquer à moi, ne connaissant pas la science qui vous a été révélée depuis, je ne pouvais attirer que les êtres similaires de mes idées, de mes aspirations, et qui, avec un horizon plus large, avaient cependant la même vue bornée. De là, je le confesse, les quelques erreurs que vous avez pu remarquer dans ce qui vous est venu de moi ; mais le fond, le corps principal, n’est-il pas, messieurs, conforme à tout ce qui, depuis, vous a été révélé par ces messagers dont je parlais tout à l’heure ?

Esprit incarné porté d’instinct au bien, nature bouillonnante s’emparant d’une pensée qui me portait au vrai, aussi vite, hélas  ! que de celles qui me portaient à l’erreur, c’est peut-être là le motif qui a provoqué les inexactitudes de mes communications, n’ayant pas, pour les rectifier, le contrôle des points de comparaison ; car, pour qu’une révélation soit parfaite, il faut qu’elle s’adresse à un homme parfait, et il n’en existe pas ; ce n’est donc que de l’ensemble qu’on peut extraire les éléments de la vérité : c’est ce que vous avez pu faire ; mais, de mon temps, pouvait-on former un ensemble de quelques parcelles du vrai, de quelques communications exceptionnelles ? Non. Je suis heureux d’avoir été l’un des privilégiés du siècle dernier ; j’ai obtenu quelques-unes de ces communications par mon intermédiaire direct, et la majeure partie au moyen d’un Médium, mon ami, complètement étranger à la langue de l’âme, et il faut tout dire, même à celle du bien.

Heureux de faire partager ces idées à des intelligences que je croyais au-dessus de la mienne, une porte me fut ouverte ; je la saisis avec empressement, et toutes les révélations de la vie d’outre-tombe furent, par moi, portées à la connaissance d’une Impératrice qui, à son tour, les porta à la connaissance de son entourage, et ainsi de proche en proche.

Croyez-le bien, le Spiritisme n’a pas été révélé spontanément ; comme toute chose sortie des mains de Dieu, il s’est développé progressivement, lentement, sûrement. Il a été en germe dans le premier germe des choses, et il a grossi avec ce germe jusqu’à ce qu’il fût assez fort pour se subdiviser à l’infini, et répandre partout sa semence fécondante et régénératrice. C’est par lui que vous serez heureux, que sera assuré le bonheur des peuples ; que dis-je ? le bonheur de tous les mondes ; car le Spiritisme, mot que j’ignorais, est appelé à faire de bien grandes révolutions ! Mais, rassurez-vous ; ces révolutions-là n’ensanglantent jamais leur drapeau ; ce sont des révolutions morales, intellectuelles ; révolutions gigantesques, plus irrésistibles que celles qui sont provoquées par les armes, par lesquelles tout est tellement appelé à se transformer, que tout ce que vous connaissez n’est qu’une faible ébauche de ce qu’elles produiront. Le Spiritisme est un mot si vaste, si grand, par tout ce qu’il contient, qu’il me semble qu’un homme qui en connaîtrait toute la profondeur ne pourrait le prononcer sans respect.

Messieurs, moi, Esprit bien petit, en dépit de la grande intelligence dont vous me gratifiez, et en regard de ceux bien supérieurs qu’il m’est donné de contempler, je viens vous dire : Croyez-vous donc que ce soit par un effet du hasard que vous avez pu entendre ce soir ce que Lavater avait obtenu et écrit ? Non, ce n’est pas par hasard, et ma main périspritale les a sûrement dirigées jusqu’à vous. Mais si ces quelques pensées sont venues à votre connaissance par mon entremise, ne croyez pas que j’y aie cherché une vaine satisfaction d’amour-propre ; non, loin de là ; le but était plus grand, et même la pensée de les porter à la connaissance universelle de la terre n’est pas venue de moi. Cette connaissance avait son utilité ; elle doit avoir des conséquences graves, c’est pour cela qu’il vous a été donné de la répandre. Dans les plus petites causes se trouve le germe des plus grandes rénovations. Je suis heureux, messieurs, qu’il me soit laissé le droit de vous pressentir sur la portée qu’auront ces quelques réflexions, ces communications, bien pauvres auprès de celles que vous obtenez actuellement ; et si j’en entrevois le résultat, si j’en suis heureux, pourquoi ne le seriez-vous pas ?

Je reviendrai, messieurs, et ce que j’ai dit ce soir est si peu de chose auprès de ce que j’ai mission de vous apprendre, que j’ose à peine vous dire : c’est Lavater.


Demande. Nous vous remercions des explications que vous avez bien voulu nous donner, et nous serons très heureux de vous compter désormais au nombre de nos Esprits instructeurs. Nous recevrons vos instructions avec la plus vive reconnaissance. En attendant, permetteznous une simple question sur votre communication d’aujourd’hui :

1º Vous dites que l’Impératrice porta ces idées à la connaissance de son entourage, et ainsi de proche en proche. Serait-ce à cette initiative, partie du point culminant de la société, que la doctrine spirite doit de rencontrer de si nombreuses sympathies parmi les sommités sociales en Russie ? – 2º Un point que je m’étonne de ne pas voir mentionné dans vos lettres, c’est le grand principe de la réincarnation, l’une des lois naturelles qui témoignent le plus de la justice et de la bonté de Dieu.


Réponse. – Il est évident que l’influence de l’Impératrice et de quelques autres grands personnages fut prédominante pour déterminer, en Russie, le développement du mouvement philosophique dans le sens spiritualiste ; mais, si la pensée des princes de la terre détermine souvent la pensée des grands qui se trouvent sous leur dépendance, il n’en est point de même des petits. Ceux qui ont chance de développer dans le peuple les idées progressives, ce sont les fils du peuple ; ce sont eux qui feront triompher partout les principes de solidarité et de charité qui sont la base du Spiritisme.

Aussi, Dieu, dans sa sagesse, a-t-il échelonné les éléments du progrès ; ils sont en haut, en bas, sous toutes les formes, et préparés pour combattre toutes les résistances. Ils subissent ainsi un mouvement de va-et-vient constant qui ne peut manquer d’établir l’harmonie des sentiments entre les hautes et les basses classes, et de faire triompher solidairement les principes d’autorité et de liberté.

Les peuples sont, comme vous le savez, formés d’Esprits qui ont entre eux une certaine affinité d’idées, qui les prédisposent plus ou moins à s’assimiler les idées de tel ou tel ordre, parce que ces mêmes idées sont, chez eux, à l’état latent et n’attendent qu’une occasion pour se développer. Le peuple russe et plusieurs autres sont dans ce cas par rapport au Spiritisme ; pour peu que le mouvement soit secondé au lieu d’être entravé, dix ans ne se passeraient pas avant que tous les individus, sans exception, soient Spirites. Mais ces entraves mêmes sont utiles pour tempérer le mouvement qui, quelque peu ralenti, n’en est que plus réfléchi. La Toute-Puissance, par la volonté de laquelle tout s’accomplit, saura bien lever les obstacles quand il en sera temps. Le Spiritisme sera un jour la foi universelle, et l’on s’étonnera qu’il n’en ait pas toujours été ainsi.

Quant au principe de la réincarnation terrestre, je vous avoue que mon initiation n’avait pas été jusque-là, et sans doute à dessein, car je n’eusse point manqué d’en faire, comme des autres révélations, le sujet de mes instructions à l’Impératrice, et peut-être cela eût-il été prématuré. Ceux qui président au mouvement ascensionnel savent bien ce qu’ils font. Les principes naissent un à un, selon les temps, les lieux et les individus, et il était réservé à votre époque de les voir réunis en un faisceau solide, logique et inattaquable.


LAVATER.


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