Le Spiritisme conduit précisément au but que se proposent tous les hommes de progrès ; il est donc impossible que, même sans se connaître, ils ne se rencontrent pas sur certains points, et que, lorsqu’ils se connaîtront, ils ne se donnent pas la main pour marcher de conserve à l’encontre de leurs ennemis communs : les préjugés sociaux, la routine, le fanatisme, l’intolérance et l’ignorance.
La Solidarité est un journal dont les rédacteurs prennent leur titre au sérieux ; et quel champ plus vaste et plus fécond pour le philosophe moraliste que ce mot qui renferme tout le programme de l’avenir de l’humanité ! Aussi cette feuille, qui s’est toujours fait remarquer par la haute portée de ses vues, si elle n’a pas la popularité des feuilles légères, s’est acquis un crédit plus solide parmi les penseurs sérieux n Bien que, jusqu’à ce jour, elle ne se soit pas montrée fort sympathique à nos doctrines, nous ne rendions pas moins justice à la sincérité de ses vues et à l’incontestable talent de sa rédaction. C’est donc avec une vive satisfaction que nous la voyons aujourd’hui rendre à son tour justice aux principes du Spiritisme. Ses rédacteurs nous rendront aussi celle de reconnaître que nous n’avons fait aucune démarche pour les amener à nous ; leur opinion n’est donc le résultat d’aucune condescendance personnelle.
Sous le titre de : Bulletin du mouvement philosophique et religieux, le numéro du 1er mai contient un remarquable article dont nous extrayons les passages suivants :
« Le gâchis va sans cesse augmentant. Où s’arrêtera-t-il ? Ce n’est pas seulement en politique qu’on ne s’entend plus ; ce n’est plus seulement en économie sociale, c’est aussi en morale et en religion, de sorte que le trouble s’étend à toutes les sphères de l’activité humaine, qu’il a envahi tout le domaine de la conscience, et que la civilisation elle-même est en cause.
« Non pas que l’ordre matériel soit en danger. Il y a aujourd’hui dans la société trop d’éléments acquis et trop d’intérêts à conserver pour que l’ordre matériel puisse y être sérieusement troublé. Mais l’ordre matériel ne prouve rien. Il peut persister longtemps alors que le principe même de la vie sociale est atteint et que la corruption dissout lentement l’organisme. L’ordre régnait à Rome † sous les Césars, tandis que la civilisation romaine allait tous les jours s’écroulant, non sous l’effort des Barbares, mais sous le poids de ses propres vices.
« Notre société parviendra-t-elle à éliminer de son sein les éléments morbides qui menacent de devenir pour elle des germes de dissolution et de mort ? Nous l’espérons, mais il faut le point d’appui des principes éternels, le concours d’une science vraiment positive, et la perspective d’un idéal nouveau.
« Ce sont là les conditions du salut social, parce que ce sont là pour les individus les moyens d’une véritable renaissance. Une société ne peut être que le produit des êtres sociaux qui la constituent, et comme la résultante de leur état physique, intellectuel et moral. Si vous voulez une transformation sociale, faites d’abord l’homme nouveau. n
« Bien que le cercle des lecteurs des publications philosophiques se soit beaucoup agrandi dans ces dernières années, que de gens ignorent encore l’existence de ces journaux, ou bien négligent de les lire ! C’est un tort. Impossible, sans eux, de se rendre compte de l’état des âmes. Les organes de la philosophie contemporaine ont encore une autre portée : ils préparent les questions que les événements poseront bientôt, et qu’il sera urgent de résoudre.
« Certes, la confusion est grande dans la presse philosophique ; c’est un peu la tour de Babel : chacun y parle sa langue et s’y préoccupe bien plus de couvrir la voix du voisin que d’écouter ses raisons. Chaque système aspire à être seul, et exclut tous les autres. Mais il faut se garder de les prendre au mot dans leur exclusivisme. Il n’en est peut-être pas un qui ne représente quelque point de vue légitime. Tous passeront : la vérité seule est éternelle ; mais aucun d’eux, peut-être, n’aura été complètement stérile ; pas un n’aura disparu sans ajouter quelque chose au capital intellectuel de l’humanité. Le matérialisme, le positivisme religieux et le positivisme philosophique, l’indépendantisme (qu’on me pardonne ce barbarisme, il n’est pas de moi), le criticisme, l’idéalisme, le spiritualisme, le Spiritisme, – car il faut compter avec ce nouveau venu qui a plus de partisans que tous les autres ensemble ; – et d’une autre part, le protestantisme libéral, l’idéalisme libéral, et même le catholicisme libéral : tels sont les noms des principales bannières qui, à des titres divers et avec des forces inégales, se trouvent représentées dans le camp philosophique. Sans doute il n’y a point là d’armée puisqu’il n’y a ni obéissance à un chef, ni hiérarchie, ni discipline, mais ces bandes, aujourd’hui divisées et indépendantes, peuvent être réunies par un danger commun.
« Le mouvement philosophique auquel nous assistons précède de peu de temps le grand mouvement religieux qui se prépare. Bientôt les questions religieuses passionneront les esprits comme le faisaient naguère les questions sociales, et plus fortement encore.
« Que l’ordre doive se fonder par une simple évolution de l’idée chrétienne ramenée à sa pureté primitive, comme le pensent quelques-uns, ou par une espèce de fusion des croyances sur le terrain vague d’un déisme judéo-chrétien, comme l’espèrent d’autres hommes de bonne volonté, ou, ce qui nous paraît beaucoup plus probable, par l’intervention d’une idée plus large et plus compréhensible, qui donne à la vie humaine son véritable but, le premier besoin pour l’époque où nous sommes, c’est la liberté : liberté de penser et de publier sa pensée, liberté de conscience et de culte, liberté de propagande et de prédication ! Certes, au milieu de tant de systèmes en présence, il est impossible qu’on ne voie pas s’ouvrir une phase de discussions ardentes, passionnées, désordonnées en apparence, mais cette phase préparatoire est nécessaire comme l’agitation chaotique est nécessaire à la création. Comme les éclairs et la foudre dans l’atmosphère terrestre, le brassement des idées agite l’atmosphère morale pour la purifier. Qui peut craindre l’orage, sachant qu’il doit rétablir l’équilibre troublé et renouveler les sources de la vie ? »
Le même numéro contient l’appréciation suivante de notre ouvrage sur la Genèse. Nous ne la reproduisons que parce qu’elle se rattache aux intérêts généraux de la doctrine :
« Il se passe à notre époque un fait d’une importance capitale, et l’on affecte de ne pas le voir. Il y a là cependant des phénomènes à observer qui intéressent la science, notamment la physique et la physiologie humaines ; mais, lors même que les phénomènes de ce qu’on appelle le Spiritisme n’existeraient que dans l’imagination de ses adeptes, la croyance au Spiritisme, si rapidement répandue partout, est en elle-même un phénomène considérable et bien digne d’occuper les méditations du philosophe.
« Il est difficile, même impossible d’apprécier le nombre des personnes qui croient au Spiritisme, mais on peut dire que cette croyance est générale aux États-Unis, et qu’elle se propage de plus en plus en Europe. En France, il y a toute une littérature spirite. Paris possède deux ou trois journaux qui la représentent. Lyon, † Bordeaux, † Marseille † ont chacun le sien.
« M. Allan Kardec est en France le représentant le plus éminent du Spiritisme. Ce fut un bonheur pour cette croyance d’avoir rencontré un chef de file qui a su la maintenir dans les limites du rationalisme. Il eût été si facile, avec tout ce mélange de phénomènes réels et de créations purement idéales et subjectives qui constitue la merveillosité de ce qu’on appelle le Spiritisme, de se laisser aller à l’attrait du miracle, et à la résurrection des vieilles superstitions ! Le Spiritisme aurait pu prêter aux ennemis de la raison un puissant appui s’il eût tourné à la démonologie, et il existe au sein du monde catholique un parti qui y fait encore tous ses efforts. Il y a là aussi toute une littérature déplorable, malsaine, mais heureusement sans influence. Le Spiritisme, au contraire, en France comme aux États-Unis, a résisté à l’esprit du moyen âge. Le démon n’y joue aucun rôle, et le miracle n’y vient jamais introduire ses sottes explications.
« A part l’hypothèse qui fait le fond du Spiritisme et qui consiste à croire que les Esprits des personnes mortes s’entretiennent avec les vivants au moyen de certains procédés de correspondance, très simples et à la portée de tout le monde ; à part, disons-nous, l’hypothèse de ce point de départ, on se trouve en présence d’une doctrine générale qui est parfaitement en rapport avec l’état de la science à notre époque, et qui répond parfaitement aux besoins et aux aspirations modernes. Et ce qu’il y a de remarquable, c’est que la doctrine spirite est à peu près la même partout. Si on ne l’étudie qu’en France, on peut croire que les ouvrages de M. Allan Kardec, qui sont comme l’encyclopédie du Spiritisme, y sont pour beaucoup. Mais cette parité de doctrine s’étend aux autres pays ; par exemple les enseignements de Davis aux États-Unis ne diffèrent pas essentiellement de ceux de M. Allan Kardec. Il est vrai que, dans les idées émises par le Spiritisme, on ne trouve rien qui n’eût pu être trouvé par l’esprit humain livré aux seules ressources de l’imagination et de la science positive ; mais, du moment où les synthèses qui sont proposées par les écrivains spirites sont scientifiques et rationnelles, elles méritent d’être examinées sans prévention, sans parti pris, par la critique philosophique.
« Le nouvel ouvrage de M. Allan Kardec aborde les questions qui font l’objet de nos études. Nous ne pouvons aujourd’hui en présenter le compte rendu. Nous y reviendrons dans un prochain numéro, et nous dirons en même temps ce que nous pensons des phénomènes dits spirites, et des explications qui peuvent en être données dans l’état actuel de la science. »
Nota. – Ce même numéro contient un remarquable article de M. Raisant, intitulé : Mon idéal religieux, et que les Spirites ne désavoueraient pas. [Voir dans la Revue d’août: Le journal la Solidarité.]
[1] La Solidarité, journal mensuel de 16 pages in-4, paraissant le 1er de chaque mois. Prix : Paris, 5 francs par an ; départements, 6 francs ; étranger, 7 francs. Prix d’un numéro, 25 centimes ; par la poste, 30 centimes. — Bureau : rue des Saints-Pères, † 13, à la Librairie des Sciences sociales.
[2] Nous avons écrit en 1862 : « Avant de faire les institutions pour les hommes, il faut former les hommes pour les institutions. » (Voyage Spirite.)