Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année X — Janvier 1867.

(Langue portugaise)

LES ROMANS SPIRITES.


L’ASSASSINAT DU PONT-ROUGE.

Par Ch. Barbara.

1. — Le roman peut être une manière d’exprimer des pensées spirites sans se compromettre, car l’auteur craintif peut toujours répondre à la critique railleuse qu’il n’a entendu faire qu’une œuvre de fantaisie, ce qui est vrai pour le grand nombre ; or, à la fantaisie tout est permis. Mais fantaisie ou non, ce n’en est pas moins une des formes à la faveur de laquelle l’idée spirite peut pénétrer dans les milieux où elle ne serait pas acceptée sous une forme sérieuse.

Le Spiritisme est encore trop peu, ou mieux trop mal connu de la littérature, pour avoir fourni le sujet de beaucoup d’ouvrages de ce genre ; le principal, comme on le sait, est celui que Théophile Gautier a publié sous le nom de Spiriten et encore peut-on reprocher à l’auteur de s’être écarté, sur plusieurs points, de l’idée vraie.

Un autre ouvrage dont nous avons également parlé, et qui, sans être fait spécialement en vue du Spiritisme, s’y rattache par un certain côté, est celui de M. Élie Berthet, publié en feuilletons dans le Siècle, en septembre et octobre 1865, sous le titre de La double vue n Ici l’auteur fait preuve d’une connaissance approfondie des phénomènes dont il parle, et son livre joint à ce mérite celui du style et d’un intérêt soutenu. Il est en même temps moral et instructif.

La seconde vien de X.-B. SAINTINE,  †  publiée en feuilletons dans le grand Moniteur en février 1864, est une série de nouvelles qui n’ont ni le fantastique impossible, ni le caractère lugubre des récits d’Edgar Poe, mais la douce et gracieuse simplicité de scènes intimes entre les habitants de ce monde et ceux de l’autre, auquel M. Saintine croyait fermement. Bien que ce soient des histoires de fantaisie, elles s’écartent peu, en général, des phénomènes dont maintes personnes ont pu être témoins. Au reste nous savons que, de son vivant, l’auteur que nous avons personnellement connu, n’était ni incrédule, ni matérialiste ; les idées spirites lui étaient sympathiques, et ce qu’il écrivait était le reflet de sa propre pensée.

Séraphita  n de Balzac est un roman philosophique basé sur la doctrine de Swedenborg. Dans Consuelo  n et la Comtesse de Rudolstadt  n de madame George Sand, le principe de la réincarnation joue un rôle capital. Le Drag n du même auteur, est une comédie jouée, il y a quelques années, au Vaudeville,  †  et dont la donnée est entièrement spirite. Elle est fondée sur une croyance populaire chez les marins de la Provence. Le Drag est un Esprit malin, plus espiègle que méchant, qui se plaît à jouer de mauvais tours. On le voit sous la figure d’un jeune homme, exercer son influence et contraindre un individu à écrire contre sa propre volonté. La presse, d’ordinaire si bienveillante pour cet écrivain, s’est montrée sévère à l’égard de cette pièce qui méritait un meilleur accueil.

La France n’a pas seule le monopole de ces sortes de productions. Le Progrès colonial de l’île Maurice  †  a publié en 1865, sous le titre de Histoires de l’autre monde, racontées par des Esprits, un roman qui n’occupait pas moins de vingt-huit feuilletons, dont le Spiritisme faisait toute l’intrigue, et où l’auteur, M. de Germonville, a fait preuve d’une connaissance parfaite de son sujet.

Dans quelques autres romans, l’idée spirite fournit simplement le sujet d’épisodes. M. Aurélien Scholl,  †  dans ses Nouveaux mystères de Paris n publiés par le Petit Journal, l’auteur fait intervenir un magnétiseur qui interroge une table par la typtologie, puis une jeune fille mise en somnambulisme, dont les révélations mettent quelques-uns des assistants sur les épines. La scène est bien rendue et parfaitement vraisemblable. (Petit Journal du 23 octobre 1866.)


22 — La réincarnation est une des idées les plus fécondes pour les romanciers, et qui peut fournir des effets d’autant plus saisissants qu’ils ne s’écartent en rien des possibilités de la vie matérielle. M. Charles Barbara, jeune écrivain mort il y a quelques mois dans une maison de santé, en a fait une des applications les plus heureuses dans son roman intitulé l’Assassinat du Pont-Rouge,  †  que l’Évènement a dernièrement reproduit en feuilletons.

Le sujet principal est un agent de change qui se sauvait à l’étranger en emportant la fortune de ses clients. Attiré par un individu dans une misérable maison sous le prétexte de favoriser sa fuite, il y est assassiné, dépouillé, puis jeté à la Seine, de concert avec une femme nommée Rosalie qui demeurait chez cet homme. L’assassin agit avec une telle prudence et sut si bien prendre ses précautions, que toute trace du crime disparut, et que tout soupçon de meurtre fut écarté. Peu après il épousa sa complice Rosalie, et tous deux purent désormais vivre dans l’aisance sans craindre aucune poursuite, sinon celle du remords, lorsqu’une circonstance vint mettre le comble à leurs angoisses. Voici comment il la raconte lui-même :


3. —  Cette quiétude fut troublée dès les premiers jours de notre mariage. A moins de l’intervention directe d’une puissance occulte, il faut convenir que le hasard se montra ici étrangement intelligent. Si merveilleux, que paraisse le fait, vous ne penserez même pas à le mettre en doute, puisque, aussi bien, vous en avez la preuve vivante en mon fils. Bien des gens, au reste, ne manqueraient pas d’y voir un fait purement physique et physiologique et de l’expliquer rationnellement. Quoi qu’il en soit, je remarquai tout à coup des traces de tristesse sur le visage de Rosalie. Je lui en demandai la raison. Elle éluda de me répondre.

« Le lendemain et les jours suivants, sa mélancolie ne faisant que croître, je la conjurai de me tirer d’inquiétude. Elle finit par m’avouer une chose qui ne laissa pas que de m’émouvoir au plus haut degré. La première nuit même de nos noces, en mon lieu et place, bien que nous fussions dans l’obscurité, elle avait vu, mais vu, prétendait-elle, comme je vous vois, la figure pâle de l’agent de change. Elle avait épuisé inutilement ses forces à chasser ce qu’elle prenait d’abord pour un simple souvenir ; le fantôme n’était sorti de ses yeux qu’aux premières lueurs du crépuscule. De plus, ce qui certes était de nature à justifier son effroi, la même vision l’avait persécutée avec une ténacité analogue pendant plusieurs nuits de suite.

« Je simulai un profond dédain et tâchai de la convaincre qu’elle avait été dupe tout uniment d’une hallucination. Je compris, au chagrin qui s’empara d’elle et se tourna insensiblement en cette langueur où vous l’avez vue, que je n’avais point réussi à lui inculquer mon sentiment. Une grossesse pénible, agitée, équivalente à une maladie longue et douloureuse, empira encore ce malaise d’esprit ; et si un accouchement heureux, en la comblant de joie, eut une influence salutaire sur son moral, ce fut de bien courte durée. Je me vis contraint, par-dessus cela, de la priver du bonheur d’avoir son enfant auprès d’elle, puisque, par rapport à mes ressources officielles, une nourrice à demeure chez moi eût paru une dépense au-dessus de mes moyens.

« Émus de sentiments à figurer dignement dans une pastorale, nous allions voir notre enfant de quinzaine en quinzaine. Rosalie l’aimait jusqu’à la passion, et moi-même je n’étais pas loin de l’aimer avec frénésie ; car, chose singulière, sur les ruines amoncelées en moi, les instincts de la paternité seuls restaient encore debout. Je m’abandonnais à des rêves ineffables ; je me promettais de faire donner une éducation solide à mon enfant, de le préserver, s’il était possible, de mes vices, de mes fautes, de mes tortures ; il était ma consolation, mon espérance.

« Quand je dis moi, je parle également de la pauvre Rosalie, qui se sentait heureuse rien qu’à l’idée de voir ce fils grandir à ses côtés. Quelles ne furent donc pas nos inquiétudes, notre anxiété, quant, à mesure que l’enfant se développait, nous aperçûmes sur son visage des lignes qui rappelaient celui d’une personne que nous eussions voulu à jamais oublier. Ce ne fut d’abord qu’un doute sur lequel nous gardâmes le silence, même vis-à-vis l’un de l’autre. Puis la physionomie de l’enfant approcha à ce point de celle de Thillard, que Rosalie m’en parla avec épouvante, et que moi-même je ne pus cacher qu’à demi mes cruelles appréhensions. Enfin, la ressemblance nous apparut telle, qu’il nous sembla vraiment que l’agent de change fût rené en notre fils.

« Le phénomène eût bouleversé un cerveau moins solide que le mien. Trop ferme encore pour avoir peur, je prétendis rester insensible au coup qu’il portait à mon affection paternelle, et faire partager mon indifférence à Rosalie. Je lui soutins qu’il n’y avait là qu’un hasard ; j’ajoutai qu’il n’était rien de plus changeant que le visage des enfants, et que, probablement, cette ressemblance s’effacerait avec l’âge ; finalement, qu’au pis aller, il nous serait toujours facile de tenir cet enfant à l’écart. J’échouai complètement. Elle s’obstina à voir dans l’identité des deux figures un fait providentiel, le germe d’un châtiment effroyable qui tôt ou tard devait nous écraser, et, sous l’empire de cette conviction, son repos fut pour toujours détruit.

« D’autre part, sans parler de l’enfant, quelle était notre vie ? Vous avez pu vous-même en observer le trouble permanent, les agitations, les secousses chaque jour plus violentes. Quand toute trace de mon crime avait disparu, quand je n’avais plus rien à craindre absolument des hommes, quand l’opinion sur moi était devenue unanimement favorable, au lieu d’une assurance fondée en raison, je sentais croître mes inquiétudes, mes angoisses, mes terreurs. Je m’inquiétais moi-même avec les fables les plus absurdes ; dans le geste, la voix, le regard du premier venu, je voyais une allusion à mon crime.

« Les allusions m’ont tenu incessamment sur le chevalet du bourreau. Souvenez-vous de cette soirée où M. Durosoir raconta une de ses instructions. Dix années de douleurs lancinantes qui n’équivaudront jamais à ce que je ressentis au moment où, sortant de la chambre de Rosalie, je me trouvai vis-à-vis du juge qui me regardait au visage. J’étais de verre ; il lisait jusqu’au fond de ma poitrine. Un instant j’entrevis l’échafaud. Rappelez-vous ce dicton : « Il ne faut pas parler de corde dans la maison d’un pendu, » et vingt autres détails de ce genre. C’était un supplice de tous les jours, de toutes les heures, de toutes les secondes. Quoi que j’en eusse, il se faisait dans mon esprit des ravages effrayants.

« L’état de Rosalie était de beaucoup plus douloureux encore : elle vivait vraiment dans les flammes. La présence de l’enfant dans la maison acheva d’en rendre le séjour intolérable. Incessamment, jour et nuit, nous vécûmes au milieu des scènes les plus cruelles. L’enfant me glaçait d’horreur. Je faillis vingt fois l’étouffer. Outre cela, Rosalie qui se sentait mourir, qui croyait à la vie future, aux châtiments, aspirait à se réconcilier avec Dieu. Je la raillais, je l’insultais, je la menaçais de la battre. J’entrais dans des fureurs à l’assassiner. Elle mourut à temps pour me préserver d’un deuxième crime. Quelle agonie ! Elle ne sortira jamais de ma mémoire.

« Depuis je n’ai pas vécu. Je m’étais flatté de n’avoir plus de conscience : ces remords grandissent à mes côtés, en chair et en os, sous la forme de mon enfant. Cet enfant, dont, malgré l’imbécillité, je consens à être le gardien et l’esclave, ne cesse de me torturer par son air, ses regards étranges, par la haine instinctive qu’il me porte. N’importe où que j’aille, il me suit pas à pas, il marche ou s’assied dans mon ombre. La nuit, après une journée de fatigue, je le sens à mes côtés, et son contact suffit à chasser le sommeil de mes yeux ou tout au moins à me troubler de cauchemars. Je crains que tout à coup la raison ne lui vienne, que sa langue ne se délie, qu’il ne parle et ne m’accuse.

« L’inquisition, dans son génie des tortures, Dante lui-même, dans sa suppliciomanie, n’ont jamais rien imaginé de si épouvantable. J’en deviens monomane. Je me surprends dessinant à la plume la chambre où je commis mon crime ; j’écris au bas cette légende : Dans cette chambre, j’empoisonnai l’agent de change Thillard-Ducornet, et je signe. C’est ainsi, que dans mes heures de fièvre, j’ai détaillé sur mon journal à peu près mot pour mot tout ce que je vous ai raconté.

« Ce n’est pas tout. J’ai réussi à me soustraire au supplice dont les hommes châtient le meurtrier, et voilà que ce supplice se renouvelle pour moi presque chaque nuit.

« Je sens une main sur mon épaule et j’entends une voix qui murmure à mon oreille :

« Assassin ! » Je suis mené devant des robes rouges ; une pâle figure se dresse devant moi et s’écrie : « Le voilà ! » C’est mon fils. Je nie. Mon dessin et mes propres mémoires me sont représentés avec ma signature. Vous le voyez, la réalité se mêle au songe et ajoute à mon épouvante. J’assiste enfin à toutes les péripéties d’un procès criminel. J’entends ma condamnation : « Oui, il est coupable. » On me conduit dans une salle obscure où viennent me joindre le bourreau et ses aides. Je veux fuir, des liens de fer m’arrêtent, et une voix me crie : « Il n’est plus pour toi de miséricorde ! » J’éprouve jusqu’à la sensation du froid des ciseaux sur mon cou. Un prêtre prie à mes côtés et m’invite parfois au repentir.

« Je le repousse avec mille blasphèmes. Demi-mort, je suis cahoté par les mouvements d’une charrette sur le pavé d’une ville ; j’entends les murmures de la multitude comparables à ceux des vagues de la mer, et, au-dessus, les imprécations de mille voix. J’arrive en vue de l’échafaud. J’en gravis les degrés. Je ne me réveille que juste à l’heure où le couteau glisse entre les rainures, quand, toutefois, mon rêve ne continue pas, quand je ne suis pas traîné en présence de celui que j’ai voulu nier, de Dieu même, pour y avoir les yeux brûlés par la lumière, pour y plonger dans l’abîme de mes iniquités, pour y être supplicié par le sentiment de ma propre infamie. J’étouffe, la sueur m’inonde, l’horreur comble mon âme. Je ne sais plus combien de fois déjà j’ai subi ce supplice. »


4. — L’idée de faire revivre la victime dans l’enfant même de l’assassin, et qui est là comme l’image vivante de son crime, attachée à ses pas, est à la fois ingénieuse et très morale. L’auteur a voulu montrer que, si ce criminel sait échapper aux poursuites des hommes, il ne saurait se soustraire à celles de la Providence. Il y a ici plus que le remords, c’est la victime qui se dresse sans cesse devant lui, non sous l’apparence d’un fantôme ou d’une apparition qu’on pourrait regarder comme un effet de l’imagination frappée, mais sous les traits de son enfant ; c’est la pensée que cet enfant peut être la victime elle-même, pensée corroborée par l’aversion instinctive de l’enfant, quoique idiot, pour son père ; c’est la lutte de la tendresse paternelle contre cette pensée qui le torture, lutte horrible qui ne permet pas au coupable de jouir paisiblement du fruit de son crime, comme il s’en était flatté.

Ce tableau a le mérite d’être vrai, ou mieux parfaitement vraisemblable ; c’est-à-dire que rien ne s’écarte des lois naturelles que nous savons aujourd’hui régir les rapports des êtres humains entre eux.

Ici, rien de fantastique ni de merveilleux ; tout est possible et justifié par les nombreux exemples que nous avons d’individus renaissant dans le milieu où ils ont déjà vécu, en contact avec les mêmes individus, pour avoir occasion de réparer des torts, ou d’accomplir des devoirs de reconnaissance.

Admirons ici la sagesse de la Providence qui jette, pendant la vie, un voile sur le passé, sans lequel les haines se perpétueraient, tandis qu’elles finissent par s’apaiser dans ce contact nouveau et sous l’empire des bons procédés réciproques. C’est ainsi que, petit à petit, le sentiment de la fraternité finit par succéder à celui de l’hostilité. Dans le cas dont il s’agit, si l’assassin avait eu une certitude absolue sur l’identité de son enfant, il aurait pu chercher sa sûreté dans un nouveau crime ; le doute le laissait aux prises avec la voix de la nature qui parlait en lui par celle de la paternité ; mais le doute était un cruel supplice, une anxiété perpétuelle par la crainte que cette fatale ressemblance n’amenât la découverte du crime.

D’un autre côté, l’agent de change, coupable lui-même, avait, sinon comme incarné, mais comme Esprit, la conscience de sa position. S’il servait d’instrument au châtiment de son meurtrier, sa position était aussi pour lui un supplice ; ainsi ces deux individus, coupables tous les deux, se punissaient l’un par l’autre, tout en étant arrêtés dans leur ressentiment mutuel par les devoirs que leur imposait la nature. Cette justice distributive qui châtie par des moyens naturels, par la conséquence de la faute même, mais qui laisse toujours la porte ouverte au repentir et à la réhabilitation, qui place le coupable sur la voie de la réparation, n’estelle pas plus digne de la bonté de Dieu que la condamnation irrémissible aux flammes éternelles ? Parce que le Spiritisme repousse l’idée de l’enfer tel qu’on le représente, peut-on dire qu’il enlève tout frein aux mauvaises passions ? On comprend ce genre de punition ; on l’accepte, parce qu’il est logique ; il impressionne d’autant plus qu’on le sent équitable et possible. Cette croyance est un frein autrement puissant que la perspective d’un enfer auquel on ne croit plus, et dont on se rit.


5. — Voici un exemple réel de l’influence de cette doctrine, pour un cas qui, bien que moins grave, ne prouve pas moins la puissance de son action :

Un monsieur, de notre connaissance personnelle, Spirite fervent et éclairé, vit avec un très proche parent que différents indices ayant un grand caractère de probabilité lui font croire avoir été son père. Or, ce parent n’agit pas toujours envers lui comme il le devrait. Sans cette pensée, ce monsieur aurait, en maintes circonstances, pour des affaires d’intérêt, usé d’une rigueur qui était dans son droit, et provoqué une rupture ; mais l’idée que ce pouvait être son père l’a retenu ; il s’est montré patient, modéré ; il a enduré ce qu’il n’eût pas souffert de la part d’une personne qu’il aurait considérée comme lui étant étrangère. Il n’y avait pas, du vivant du père, une grande sympathie entre celui-ci et son fils ; mais la conduite du fils en cette circonstance n’est-elle pas de nature à les rapprocher spirituellement, et à détruire les préventions qui les éloignaient l’un de l’autre ? S’ils se reconnaissaient d’une manière certaine, leur position respective serait très fausse et très gênante ; le doute où est le fils suffit pour l’empêcher de mal agir, mais le laisse cependant tout à son libre arbitre. Que le parent ait été ou non son père, le fils n’en a pas moins le mérite du sentiment de la piété filiale ; s’il ne lui est rien, il lui sera toujours tenu compte de ses bons procédés, et le véritable Esprit de son père lui en saura gré.

Vous qui raillez le Spiritisme, parce que vous ne le connaissez pas, si vous saviez ce qu’il renferme de puissance pour la moralisation, vous comprendriez tout ce que la société gagnera à sa propagation, et vous seriez les premiers à y applaudir ; vous la verriez transformée sous l’empire de croyances qui conduisent, par la force même des choses et par les lois mêmes de la nature, à la fraternité et à la véritable égalité ; vous comprendriez que seul il peut triompher des préjugés qui sont la pierre d’achoppement du progrès social, et au lieu de bafouer ceux qui le propagent, vous les encourageriez, parce que vous sentiriez qu’il y va de votre propre intérêt, de votre sécurité. Mais patience ! cela viendra, ou, pour mieux dire, cela vient déjà ; chaque jour les préventions s’apaisent, l’idée se propage, s’infiltre sans bruit, et l’on commence à voir qu’il y a là quelque chose de plus sérieux qu’on ne pensait. Le temps n’est pas éloigné où les moralistes, les apôtres du progrès, y verront le plus puissant levier qu’ils aient jamais eu entre les mains.


6. — En lisant le roman de M. Charles Barbara, on pourrait croire qu’il était Spirite fervent ; il n’en était rien cependant. Il est mort, avons-nous dit, dans une maison de santé, en se jetant par la fenêtre dans un accès de fièvre chaude. C’était un suicide, mais atténué par les circonstances.

Evoqué peu de temps après à la société de Paris, et interrogé sur ses idées touchant le Spiritisme, voici la communication qu’il a donnée à ce sujet :


(Paris,  †  19 octobre 1 866 ; méd. M. Morin.)

Permettez, messieurs, à un pauvre Esprit malheureux et souffrant, de vous demander l’autorisation de venir assister à vos séances, toutes d’instruction, de dévouement, de fraternité et de charité. Je suis le malheureux qui avait nom Barbara, et, si je vous demande cette grâce, c’est que l’Esprit a dépouillé le vieil homme, et ne se croit plus aussi supérieur en intelligence qu’il le croyait de son vivant.

Je vous remercie de votre appel, et, autant qu’il est en mon pouvoir, je vais essayer de répondre à la question motivée par une page d’un de mes ouvrages ; mais, je vous prierai, au préalable, de faire la part de mon état actuel, qui se ressent fortement du trouble, tout naturel du reste, que l’on éprouve à passer brusquement d’une vie à une autre vie.

Je suis troublé pour deux causes principales : la première tient à mon épreuve qui était de supporter les douleurs physiques que j’ai éprouvées, ou plutôt que mon corps a éprouvées, lorsque je me suis suicidé. – Oui, messieurs, je ne crains pas de le dire, je me suis suicidé, car si mon Esprit était égaré par moments, je l’ai possédé avant de me briser sur le pavé, et… j’ai dit : tant mieux !… Quelle faute et quelle faiblesse !… Les luttes de la vie matérielle étaient finies pour moi, mon nom était connu, je n’avais plus désormais qu’à marcher dans la voie qui m’était ouverte et qui était si facile à suivre !… J’ai eu peur !… et pourtant aux heures d’incertitude et de découragement, j’avais lutté quand même. La misère et ses conséquences ne m’avaient pas rebuté, et c’est lorsque tout était fini pour moi, que je m’écriai : Le pas est fait, tant mieux !… je n’aurai plus à souffrir ! Égoïste et ignorant !…

La seconde, c’est que, lorsqu’après avoir erré dans la vie, entre la conviction du néant et le pressentiment d’un Dieu qui ne pouvait être qu’une puissance seule, unique, grande, juste, bonne et belle, on se trouve en présence d’une multitude innombrable d’êtres ou Esprits qui vous ont connu, que vous avez aimés ; que vous retrouvez vivantes vos affections, vos tendresses, vos amours ; quand vous vous apercevez, en un mot, que vous n’avez fait que changer de domicile. Alors, vous concevez, messieurs, qu’il est tout naturel qu’un pauvre être qui a vécu entre le bien et le mal, entre la croyance et l’incrédulité sur une autre vie, il est bien naturel, dis-je, qu’il soit troublé… de bonheur, de joie, d’émotion, un peu de honte, en se voyant obligé de s’avouer à lui-même que, dans ses écrits, ce qu’il attribuait à son imagination en travail, était une puissante réalité, et que souvent l’homme de lettres qui se bouffit d’orgueil en voyant lire et en entendant applaudir des pages qu’il croyait son œuvre, n’est parfois qu’un instrument qui écrit sous l’influence de ces mêmes puissances occultes dont il jette le nom au hasard de la plume dans un livre.

Combien de grands auteurs de tous les temps ont écrit, sans en connaître toute la valeur philosophique, des pages immortelles, jalons du progrès, placés par eux et par l’ordre d’une puissance supérieure, pour que, dans un temps donné, la réunion de tous ces matériaux épars forme un tout d’autant plus solide qu’il est le produit de plusieurs intelligences, car l’ouvrage collectif est le meilleur : c’est, du reste, celui que Dieu assignera à l’homme, car la grande loi de la solidarité est immuable.

Non, messieurs, non, je ne connaissais nullement le Spiritisme, lorsque j’écrivais ce roman, et je vous avoue que je remarquai moi-même avec surprise la tournure profonde des quelques lignes que vous avez lues, sans en comprendre toute la portée que je vois clairement aujourd’hui. Depuis que je les avais écrites, j’ai appris à rire du Spiritisme, pour faire comme mes éclairés collègues, et ne point vouloir paraître plus avancé dans le ridicule qu’ils ne voulaient l’être eux-mêmes.

J’ai ri !… ; je pleure maintenant ; mais j’espère aussi, car on me l’a appris ici : tout repentir sincère est un progrès, et tout progrès mène au bien.

N’en doutez pas messieurs, beaucoup d’écrivains sont souvent des instruments inconscients pour la propagation des idées que les puissances invisibles croient utiles au progrès de l’humanité. Ne vous étonnez donc pas d’en voir qui écrivent sur le Spiritisme sans y croire ; pour eux c’est un sujet comme un autre qui prête à l’effet, et ils ne se doutent pas qu’ils y sont poussés à leur insu. Toutes ces pensées spirites que vous voyez émises par ceux mêmes qui, à côté de cela, font de l’opposition, leur sont suggérées, et elles n’en font pas moins leur chemin. J’ai été de ce nombre.

Priez pour moi, messieurs, car la prière est un baume ineffable ; la prière est la charité que l’on doit faire aux malheureux de l’autre monde, et j’en suis un.


Barbara.



[1] [Spirite: nouvelle fantastique - Google Books.]


[2] [La double vue - Google Books.]


[3] [La seconde vie - Google Books.]


[4] [Séraphita - Google Books.]


[5] [Consuelo - Google Books.]


[6] [La Comtesse de Rudolstadt. vol. I - Google Books La Comtesse de Rudolstadt. vol. II - Google Books.]


[7] [Le drac: drame fantastique en trois actes - Google Books.]


[8] [Les nouveaux mystères de Paris - Google Books.]


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