« La foi robuste des gens qui croient quand même à toutes les merveilles, si souvent démenties, du Spiritisme, est en vérité admirable. On leur montre le truc des tables tournantes, et ils croient ; on leur dévoile les impostures de l’armoire Davenport, et ils croient plus fort ; on leur exhibe toutes les ficelles, on leur fait toucher le mensonge du doigt, on leur crève les yeux par l’évidence du charlatanisme, et leur croyance n’en devient que plus acharnée. Inexplicable besoin de l’impossible ! Credo quia absurdum.
« Le Messager franco-américain, de New York, parle d’une convention des adeptes du Spiritisme qui vient de se réunir à Providence † (Rhode-Island). Hommes et femmes se distinguent par un air de l’autre monde ; la pâleur du teint, l’émaciation de la face, la prophétique rêverie des yeux, perdus dans un vague océanique, tels sont, en général, les signes extérieurs du Spirite. Ajoutez que, contrairement à l’usage général, les femmes ont les cheveux coupés ras, à la mal-content, comme on disait autrefois, tandis que les hommes portent une chevelure plantureuse, absalonique, à tous crins, descendant jusqu’aux épaules. Il faut bien, quand on fait commerce avec les Esprits, se distinguer du commun des mortels, de la vile multitude.
« Plusieurs discours, trop de discours, ont été prononcés. Les orateurs, sans plus se préoccuper des démentis de la science que de ceux du sens commun, ont imperturbablement rappelé la longue série, que chacun sait par cœur, des faits merveilleux attribués au Spiritisme.
« Miss Susia Johnson a déclaré que, sans vouloir se poser en prophétesse, elle prévoyait que les temps sont proches où la grande majorité des hommes ne sera plus rebelle aux mystiques révélations de la religion nouvelle. Elle appelle de tous ses vœux la création de nombreuses écoles où les enfants des deux sexes suceront, dès l’âge le plus tendre, les enseignements du Spiritisme. Il ne manquerait plus que cela ! »
Sous le titre de : Toujours les Spirites ! l’Évènement du 26 août 1866 publiait un très long article dont nous extrayons le passage suivant :
« Etes-vous allé jamais dans quelque réunion de Spirites, un soir de désœuvrement ou de curiosité ? C’est un ami qui vous conduit généralement. On monte haut, – les Esprits aimant se rapprocher du ciel, – dans quelque petit appartement déjà rempli ; vous entrez en jouant du coude.
« Des gens s’entassent, à figures bizarres, à gestes d’énergumènes. On étouffe dans cette atmosphère, on se presse, on se penche vers les tables où des médiums, l’œil au plafond, le crayon à la main, écrivent les élucubrations qui passent par là. C’est d’abord une surprise ; on cherche parmi tous ces gens à reposer son regard, on interroge, on devine, on analyse.
« Vieilles femmes aux yeux avides, jeunes gens maigres et fatigués, la promiscuité des rangs et celle des âges, des portières du voisinage et des grandes dames du quartier, de l’indienne et des guipures, des poétesses de hasard et des prophétesses de rencontre, des tailleurs et des lauréats de l’Institut ; on fraternise dans le Spiritisme. On attend, on fait tourner des tables, on les soulève, on lit à haute voix les griffonnages qu’Homère ou le Dante ont dictés aux médiums assis. Ces médiums, ils sont immobiles, la main sur le papier, rêvant. Tout à coup leur main s’agite, court, se démène, couvre les feuillets, va, va encore et s’arrête brusquement. Quelqu’un alors, dans le silence, nomme l’Esprit qui vient de dicter et lit. Ah ! ces lectures !
« J’ai entendu de cette façon Cervantes se plaindre de la démolition du théâtre des Délassements-Comiques, et Lamennais raconter que Jean Journet † était là-bas son ami intime. La plupart du temps Lamennais fait des fautes d’orthographe et Cervantes ne sait pas un mot d’espagnol. D’autres fois, les Esprits empruntent un pseudonyme angélique pour lâcher à leur public quelque apophtegme à la Pantagruel. † On se récrie. On leur répond : – Nous nous plaindrons à votre chef de file !
« Le médium qui a tracé la phrase s’assombrit et se fâche d’être en rapport avec des Esprits si mal embouchés. J’ai demandé à quelle légion appartenaient ces mystificateurs de l’autre monde, et l’on m’a répondu tout net : – Ce sont des Esprits voyous !
« J’en sais de plus aimables, – par exemple l’Esprit dessinateur qui a poussé la main de M. Victorien Sardou, et lui a fait tracer l’image de la maison qu’habite là-haut Beethoven. Profusion de rinceaux, entrelacements de croches et de doubles-croches, c’est un travail de patience qui demanderait des mois et qui a été fait en une nuit. On me l’a affirmé du moins. M. Sardou seul pourrait m’en convaincre.
« Pauvre cervelle humaine, et que ces choses sont douloureuses à raconter ! Nous n’avons donc point fait un pas du côté de la Raison et de la Vérité ! Ou, du moins, le bataillon des traînards se grossit de jour en jour à mesure que l’on avance ! Il est formidable, c’est presque une armée. Savez-vous combien il y a de possédées en France à l’heure qu’il est ?
« Plus de deux mille. Les possédées ont leur présidente, Mme de B…, qui, depuis l’âge de deux ans, vit en relations directes avec la Vierge. Deux mille ! L’Auvergne † a gardé ses miracles, les Cévennes ont toujours leurs Camisards. Les livres de Spiritisme, les traités de mysticisme ont sept, huit, dix éditions. Le merveilleux est bien la maladie d’un temps qui, n’ayant rien devant l’esprit pour se satisfaire, se réfugie dans les chimères, comme un estomac délabré et privé de viande qui se nourrirait de gingembre.
« Et le nombre des fous augmente ! Le délire est comme un flot qui monte. Quelle lumière faut-il donc trouver, puisque, pour détruire ces ténèbres, la lumière électrique ne suffit pas ?
« Jules Claretie. »
On aurait vraiment tort de se fâcher contre de tels adversaires, parce qu’ils croient de si bonne foi et si naïvement avoir le monopole du bon sens ! Ce qui est aussi amusant que les singuliers portraits qu’ils font des Spirites, c’est de les voir gémir douloureusement sur ces pauvres cervelles humaines qui ne font aucun pas du côté de la raison et de la vérité, parce qu’elles veulent à toute force avoir une âme et croire à l’autre monde, malgré les frais d’éloquence des incrédules pour prouver qu’il n’y en a pas, pour le bonheur de l’humanité ; ce sont leurs regrets à la vue de ces livres spirites qui s’écoulent sans le secours des annonces, des réclames et des éloges payés de la presse ; de ce bataillon des traînards de la raison, qui, chose désespérante ! grossit tous les jours et devient si formidable, que c’est presque une armée ; qui n’ayant rien devant leur esprit pour les satisfaire, sont assez sots pour refuser la perspective du néant qu’on leur offre pour combler le vide. C’est vraiment à désespérer de cette pauvre humanité assez illogique pour ne pas préférer rien en échange de quelque chose, pour aimer mieux revivre que de mourir tout à fait.
Ces facéties, ces images grotesques, plus amusantes que dangereuses, et qu’il serait puéril de prendre au sérieux, ont leur côté instructif, et c’est pour cela que nous en citons quelques exemples. Autrefois on cherchait à combattre le Spiritisme par des arguments, mauvais sans doute, puisqu’ils n’ont convaincu personne, mais enfin on essayait de discuter la chose, bien ou mal ; des hommes d’une valeur réelle, orateurs et écrivains, pour le combattre ont fouillé l’arsenal des objections. Qu’en est-il résulté ? Leurs livres sont oubliés et le Spiritisme est debout : voilà un fait. Aujourd’hui il y a encore quelques railleurs de la force de ceux que nous venons de citer, peu soucieux de la valeur des arguments, pour qui rire de tout est un besoin, mais on ne discute plus ; la polémique adverse paraît avoir épuisé ses munitions. Les adversaires se contentent de gémir sur le progrès de ce qu’ils appellent une calamité, comme on gémit sur le progrès d’une inondation qu’on ne peut arrêter ; mais les armes offensives pour combattre la doctrine n’ont fait aucun pas en avant, et si l’on n’a point encore trouvé le fusil à aiguille qui peut l’abattre, ce n’est pas faute de l’avoir cherché.
Ce serait peine inutile de réfuter des choses qui se réfutent d’ellesmêmes.
Aux doléances dont le journal la France fait précéder le burlesque portrait qu’elle emprunte au journal américain, il n’y a qu’un mot à répondre. Si la foi des Spirites résiste à la révélation des trucs et des ficelles du charlatanisme, c’est que là n’est pas le Spiritisme ; si, plus on met à jour les manœuvres frauduleuses plus la foi redouble, c’est que vous vous escrimez à combattre précisément ce qu’il désavoue et combat lui-même ; s’ils ne sont pas ébranlés par vos démonstrations, c’est que vous êtes à côté de la question. Si lorsque vous frappez le Spiritisme ne crie pas, c’est que vous frappez à côté, et alors les rieurs ne sont pas pour vous. En démasquant les abus que l’on fait d’une chose, on fortifie la chose même, comme on fortifie la vraie religion en en stigmatisant les abus. Ceux qui vivent des abus peuvent seuls se plaindre, en Spiritisme comme en religion.
Contradiction plus étrange ! Ceux qui prêchent l’égalité sociale, voient, sous l’empire des croyances spirites, les préjugés de castes s’effacer, les rangs extrêmes se rapprocher, le grand et le petit se tendre une main fraternelle, et ils en rient ! En vérité, en lisant ces choses, on se demande de quel côté est l’aberration.