Deux enfants, la sœur et le frère,
Rentraient ensemble à la chaumière
Un soir d’été. Déjà la nuit,
A pas lents, s’avançait sans bruit,
Derrière eux, blanche et vaporeuse
Comme une ombre mystérieuse.
L’oiseau dormait au fond des bois,
Et la bise glissait sans voix ;
Tout rêvait dans un doux mystère.
La sœur dit tout bas à son frère :
Frère, j’ai peur ; n’entends-tu pas
Une cloche pleurer là-bas ?
C’est le lugubre et triste glas
D’un trépassé. – Ne tremble pas,
Sœur, dit le frère, c’est une âme
Qui fuit la terre et qui réclame
Une prière, pour payer
Sa place à l’éternel foyer.
Allons, sœur, prier à l’Église
Sur la dalle poudreuse et grise
Où l’on nous vit, un jour de deuil,
Tous deux derrière un long cercueil
Où dormait notre pauvre mère.
Allons prier pour les morts, sœur ;
Cela nous portera bonheur.
Allons, allons ! – Et sœur et frère,
Une larme sous la paupière,
Tous deux se tenant par la main,
Prirent l’étroit et vert chemin
Qui menait à la vieille église.
Une seconde fois la bise
Leur apporta le triste adieu
Du trépassé cherchant son Dieu,
Et la cloche cessa sa plainte ;
Et muets et tremblants de crainte
Nos deux enfants silencieux
Marchaient en regardant les cieux.
Arrivés au seuil de l’église
Ils virent une femme assise
A l’ombre du triste pilier
Qui portait le grand bénitier.
Les pieds nus, la face voilée,
Pâle, folle et échevelée.
Elle s’écriait : O mon Dieu !
O vous qu’on adore en tout lieu,
En tout temps, partout sur la terre
Comme au ciel, une pauvre mère
Tremblante, aux pieds de vos autels,
Levant vos desseins éternels,
Ose à peine, en votre présence,
Se plaindre et conter sa souffrance.
Seigneur ! Je n’avais qu’un enfant,
Un seul ; il était rose et blanc
Comme un blanc rayon qui colore
Un frais matin à son aurore.
Le miroir de ses grands yeux bleus
Reflétait l’azur de vos cieux,
Et sur sa bouche un doux sourire
Semblait se poser et me dire :
Ne pleure plus à ton foyer ;
C’est Dieu qui vient de m’envoyer.
Vois, l’orage est dissipé, mère ;
Le ciel est sans nuage ; espère !
Et j’espérais. Mais, pauvre enfant,
Tu te trompais en me trompant.
Quand le vent souffle sur la plage
Il détruit tout sur son passage,
Ne laissant que quelques roseaux
Pour pleurer aux bords de leurs eaux.
Et quand la mort frappe à la porte
D’un foyer, elle entre et emporte
Tout ! tout !… Ne laissant à son seuil
Qu’un drap noir pour cacher son deuil.
Je savais pourtant qu’un beau rêve,
S’il commence un matin, s’achève
Un soir ici-bas ; que la nuit,
Jalouse du soleil qui luit,
Et qui fait pâlir sa triste ombre
Étend bientôt un voile sombre
Pour obscurcir ses mille feux
Et le voiler à tous les yeux.
Oui, je le savais; mais la mère
Ignore tout ; quand elle espère,
La pauvre mère croit à tout ;
Pour un fils, au bonheur surtout.
J’avais souffert toute ma vie,
Ne pouvais-je pas sans folie
Espérer un jour de bonheur ?
Il en fut autrement ! Seigneur
Que votre volonté soit faite !
Seule, dans cette humble retraite,
Où j’ai vu mourir un époux,
Où, pâle et tremblante, à genoux,
J’ai reçu les adieux d’un père,
Où vous enlevez à la mère
Son dernier espoir, son enfant.
Devant son bourreau triomphant,
La mort qui contemple sa proie
Avec un sourire de joie,
Seigneur ! je demande à la main
Qui frappe tous les miens, demain
De ne point épargner la mère
Demandant son fils à la terre.
La cloche une dernière fois,
A ces mots, fit parler sa voix.
L’âme de l’enfant sur la terre
Revenait consoler la mère
En lui disant : Je suis aux cieux !
Quand sœur et frère soucieux
Sortirent de la vieille église,
La femme était encore assise.
Jean. |