Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année IX — Décembre 1866.

(Langue portugaise)

LE LABOUREUR THOMAS MARTIN ET LOUIS XVIII.

1. — Les révélations faites à Louis XVIII par un laboureur de la Beauce,  †  peu de temps après la seconde rentrée des Bourbons,  †  ont eu dans le temps un très grand retentissement, et aujourd’hui encore le souvenir n’en est point effacé ; mais peu de personnes connaissent les détails de cet incident dont le Spiritisme seul peut maintenant donner la clef, comme de tous les faits de ce genre. C’est un sujet d’étude d’autant plus intéressant, que les faits, presque contemporains, sont d’une parfaite authenticité, attendu qu’ils sont constatés par des documents officiels. Nous allons en donner un résumé succinct, mais suffisant pour les faire apprécier.

Thomas-Ignace Martin était un petit laboureur du Bourg de Gallardon,  †  situé à quatre lieues de Chartres.  †  Né en 1783, il avait, par conséquent, trente-trois ans quand eurent lieu les événements que nous allons rapporter. Il est mort le 8 mai 1834. Il était marié, père de quatre enfants en bas âge, et jouissait dans sa commune de la réputation d’un parfait honnête homme. Les rapports officiels le peignent comme un homme de bon sens, quoique d’une grande naïveté par suite de son ignorance des choses les plus vulgaires ; d’un caractère doux et paisible, et ne se mêlant d’aucune intrigue ; d’une droiture parfaite en toutes choses et d’un complet désintéressement, ainsi qu’il en a donné des preuves nombreuses, ce qui exclut toute idée d’ambition de sa part. Aussi, lorsqu’il revint dans son village après sa visite au roi, il reprit ses occupations habituelles comme si rien ne s’était passé, évitant même de parler de ce qui lui était arrivé.

A son départ de Paris,  †  le directeur de la maison de Charenton  †  eut toutes les peines du monde à lui faire accepter 25 francs pour ses frais de voyage. L’année suivante, sa femme étant enceinte d’un cinquième enfant, une personne distinguée par son rang, et qui connaissait la médiocrité de sa fortune, lui fit proposer par un tiers 150 francs pour subvenir aux besoins dans cette circonstance. Martin refusa en disant : « Ce ne peut toujours être qu’à cause des choses qui me sont arrivées qu’on m’offre de l’argent, car, sans cela, on ne parlerait pas de moi, on ne me connaîtrait même pas. Mais comme la chose ne vient pas de moi, je ne dois rien recevoir pour cela. Ainsi, vous remercierez bien cette personne, car, quoique je ne sois pas riche, je ne veux rien recevoir. » Dans d’autres circonstances, il refusa des sommes plus considérables qui auraient pu le mettre à son aise.

Martin était simple, mais ni crédule ni superstitieux ; il pratiquait ses devoirs religieux exactement, mais sans exagération ni ostentation, et tout juste dans la limite du strict nécessaire, visitant son curé tout au plus une fois par an. Il n’y avait, par conséquent, chez lui ni bigotisme, ni surexcitation religieuse. Rien dans ses habitudes ni dans son caractère n’était de nature à exalter son imagination. Il avait vu avec plaisir le retour des Bourbons, mais sans s’occuper de politique en aucune façon et sans se mêler à aucun parti. Tout entier au travail des champs depuis son enfance, il ne lisait ni livres, ni journaux.

On comprend facilement l’importance de ces renseignements sur le caractère de Martin dans le cas dont il s’agit. Dès l’instant qu’un homme n’est mû ni par l’intérêt, ni par l’ambition, ni par le fanatisme, ni par la crédulité superstitieuse, il acquiert des titres sérieux à la confiance. Or, voici sommairement comment se sont passés les événements qui lui sont arrivés.


2. — Le 15 janvier 1816, sur les deux heures et demie de l’après-midi, il était seul occupé à étendre du fumier dans un champ à trois quarts de lieue de Gallardon, dans un canton très désert, quand tout à coup se présente à lui un homme d’environ cinq pieds un ou deux pouces, mince de corps, le visage effilé, délicat et très blanc, vêtu d’une lévite ou redingote de couleur blonde, totalement fermée et pendante jusqu’aux pieds, ayant des souliers attachés avec des cordons et sur la tête un chapeau rond à haute forme. Cet homme dit à Martin :

« Il faut que vous alliez trouver le roi, que vous lui disiez que sa personne est en danger, ainsi que celle des princes ; que de mauvaises gens tentent encore de renverser le gouvernement ; que plusieurs écrits ou lettres ont déjà circulé dans quelques provinces de ses États à ce sujet ; qu’il faut qu’il fasse une police exacte et générale dans tous ses États, et surtout dans la capitale ; qu’il faut aussi qu’il relève le jour du Seigneur, afin qu’on le sanctifie ; que ce saint jour est méconnu par une grande partie de son peuple ; qu’il faut qu’il fasse cesser les travaux publics ces jours-là ; qu’il fasse ordonner des prières publiques pour la conversion du peuple ; qu’il l’excite à la pénitence ; qu’il abolisse et anéantisse tous les désordres qui se commettent dans les jours qui précèdent la sainte quarantaine : sinon toutes ces choses, la France tombera dans de nouveaux malheurs. »

Martin, un peu surpris d’une apparition aussi subite, lui répondit : « Mais vous pouvez bien en aller trouver d’autres que moi pour faire une commission comme ça. Voilà-t-il pas qu’avec des mains comme ça (empreintes de fumier) j’aille parler au roi !

— Non, répliqua l’inconnu, c’est vous qui irez. — Mais, reprit Martin, puisque vous en savez si long, vous pouvez bien aller trouver le roi vous-même et lui dire tout cela ; pourquoi vous adressez-vous à un pauvre homme comme moi qui ne sait pas s’expliquer ? — Ce n’est pas moi qui irai, lui dit l’inconnu, ce sera vous ; faites attention à ce que je vous dis, et vous ferez tout ce que je vous commande.

Après ces paroles, Martin le vit disparaître à peu près de cette sorte : ses pieds parurent s’élever de terre, sa tête s’abaisser et son corps se rapetissant, finit par s’évanouir à la hauteur de la ceinture, comme s’il eût fondu en l’air. Martin plus effrayé de cette manière de disparaître que de l’apparition subite, voulut s’en aller, mais il ne le put ; il resta comme malgré lui, et, s’étant remis à l’ouvrage, sa tâche, qui devait durer deux heures et demie, ne dura qu’une heure et demie, ce qui redoubla son étonnement.


3. — On trouvera peut-être puériles certaines recommandations que Martin devait faire au roi, touchant surtout l’observation du dimanche, eu égard au moyen, en apparence surnaturel, employé pour la lui transmettre, et aux difficultés qu’une telle démarche devait rencontrer. Mais il est probable que ce n’était là qu’une sorte de passeport pour arriver à lui, car l’objet principal de la révélation, qui était d’une bien plus haute gravité, ne devait être connu, comme on le verra plus tard, qu’au moment de l’entrevue. L’essentiel était que Martin pût arriver jusqu’au roi, et pour cela l’intervention de quelques membres du haut clergé était nécessaire ; or on sait l’importance que le clergé attache à l’observation du dimanche ; comment le souverain ne se rendrait-il pas quand la voix du ciel allait se faire entendre par un miracle ? Il convenait donc de favoriser Martin au lieu de le décourager. Cependant il s’en faut que les choses aient marché toutes seules.


4. — Martin s’empressa de raconter à son frère ce qui lui était arrivé, et tous deux s’en allèrent en faire part au curé de la paroisse, M. Laperruque, qui s’efforça de dissuader Martin et de mettre la chose sur le compte de son imagination.

Le 18, à six heures du soir, Martin étant descendu à la cave pour chercher des pommes, le même individu lui apparut debout, à côté de lui, pendant qu’il était à genoux occupé à en ramasser ; épouvanté il laisse là sa chandelle et s’enfuit. Le 18, nouvelle apparition à l’entrée d’une foulerie (pressoir), et Martin se sauva de même.

Le dimanche 21 janvier Martin entrait à l’église à l’heure de vêpres ; comme il prenait de l’eau bénite, il aperçut l’inconnu qui en prenait aussi et qui le suivit jusqu’à l’entrée de son banc ; pendant toute la durée de l’office il fut très recueilli et Martin remarqua qu’il n’avait de chapeau ni sur la tête ni dans ses mains. Au sortir de l’église il le suivit jusqu’à sa maison, marchant à ses côtés, le chapeau sur la tête. Arrivés sous la porte charretière, il se trouva tout à coup devant lui face à face, et lui dit : « Acquittez-vous de votre commission, et faites ce que je vous dis ; vous ne serez pas tranquille tant que votre commission ne sera pas faite. » A peine eut-il prononcé ces paroles, qu’il disparut, sans que ni cette fois, ni aux apparitions suivantes, Martin l’ait vu s’évanouir graduellement comme la première fois. Le 24 janvier nouvelle apparition dans le grenier, suivie de ces paroles : « Fais ce que je te commande, il est temps. »

Remarquons ces deux modes de disparition : la première, qui ne saurait être le fait d’un être corporel en chair et en os, avait sans doute pour but de prouver que c’était un être fluidique, étranger à l’humanité matérielle, circonstance qui devait être relevée 50 ans plus tard et expliquée par le Spiritisme, dont elle confirmait les doctrines en même temps qu’elle devait fournir un sujet d’étude.

On sait qu’en ces derniers temps, l’incrédulité a cherché à expliquer les apparitions par des effets d’optique, et que, lorsque parurent sur quelques théâtres des phénomènes artificiels de ce genre produits par une combinaison de glaces et de lumières, ce fut un cri général dans la presse pour dire : « Voici enfin le secret de toutes les apparitions découvert ! C’est à l’aide de pareils moyens que cette absurde croyance s’est répandue dans tous les temps et que des gens crédules ont été dupes de subterfuges ! »

Nous avons réfuté, comme elle devait l’être, (Revue, juillet 1863, page 204) cette étrange explication, digne pendant du fameux muscle craqueur, du docteur Jobert de Lamballe,  †  qui accusait tous les Spirites de fous, et qui lui-même, hélas ! languit depuis plusieurs années dans une maison d’aliénés ; mais nous demanderons, dans le cas dont il s’agit ici, par qui et comment des appareils de cette nature, nécessairement compliqués et volumineux, auraient pu être disposés et manœuvrés dans un champ isolé de toute habitation et où Martin se trouvait absolument seul, sans qu’il se fût aperçu de rien ? Comment ces mêmes appareils, qui fonctionnent dans l’obscurité à l’aide de lumières artificielles, auraient pu produire une image en plein soleil ? Comment ils auraient pu être transportés instantanément dans la cave, au grenier, lieux géné-ralement peu machinés, dans une église, et de l’église suivre Martin jusque chez lui, sans que personne eût rien remarqué ? Ces sortes d’images artificielles sont vues de tous les spectateurs ; comment se ferait-il qu’à l’église, et au sortir de l’église, Martin seul ait vu l’individu ? Dira-t-on qu’il n’a rien vu, mais que, de bonne foi, il a été le jouet d’une hallucination ? Cette explication est démentie par le fait matériel des révélations faites au roi, et qui, comme on le verra, ne pouvaient être connues préalablement de Martin. Il y a là un résultat positif, matériel, qui n’est pas le propre des illusions.


5. — Le curé de Gallardon, à qui Martin rendait fidèlement compte de ses apparitions, et qui en prenait une note exacte, crut devoir l’adresser à son évêque, à Versailles, pour lequel il lui donna une lettre de recommandation circonstanciée. Là, Martin répéta tout ce qu’il avait vu, et, après diverses questions, l’évêque le chargea de demander à l’inconnu, de sa part, s’il se représentait, son nom, qui il était, et par qui il était envoyé, lui recommandant de dire le tout à son curé.

Quelques jours après le retour de Martin, M. le curé reçut une lettre de son évêque par laquelle il lui témoignait que l’homme qu’il lui avait envoyé, paraissait avoir de grandes lumières sur l’objet important dont il était question. Dès ce moment il s’établit une correspondance suivie entre l’évêque et le curé de Gallardon. De son côté, Monseigneur, à cause de la gravité de la première apparition, crut devoir en faire, peu de temps après, une affaire ministérielle et de police ; en conséquence, il envoyait chaque rapport qu’il recevait de M. le curé à M. Decazes, ministre de la police générale.

Le mardi 30 janvier, l’inconnu apparut de nouveau à Martin et lui dit : « Votre commission est bien commencée, mais ceux qui l’ont entre les mains ne s’en occupent pas ; j’étais présent, quoique invisible, quand vous avez fait votre déclaration ; il vous a été dit de demander mon nom et de quelle part je venais ; mon nom restera inconnu, et celui qui m’a envoyé (montrant le ciel) est au-dessus de moi. — Comment vous adressez-vous toujours à moi, répliqua Martin, pour une commission comme celle-là, moi qui ne suis qu’un paysan ? Il y a tant de gens d’esprit. — C’est pour abattre l’orgueil, dit l’inconnu en montrant la terre ; pour vous, il ne faut pas prendre d’orgueil de ce que vous avez vu et entendu, car l’orgueil déplaît souverainement à Dieu ; pratiquez la vertu ; assistez aux offices qui se font à votre paroisse les dimanches et les fêtes ; évitez les cabarets et les mauvaises compagnies où se commettent toutes sortes d’impuretés et où se tiennent toutes sortes de mauvais discours. Ne faites aucun charroi les jours de dimanches et de fêtes. »


6. — Pendant le mois de février, l’inconnu apparut encore différentes fois à Martin, et lui dit entre autres ces paroles : « Persistez, ô mon ami, et vous parviendrez. Vous paraîtrez devant l’incrédulité, et vous la confondrez ; j’ai encore autre chose à vous dire qui les convaincra, et ils n’auront rien à répondre. — Pressez votre commission, on ne fait rien de tout ce que je vous ai dit ; ceux qui ont l’affaire en mains sont enivrés d’orgueil ; la France est dans un état de délire ; elle sera livrée à toutes sortes de malheurs. — Vous irez trouver le roi ; vous lui direz ce que je vous ai annoncé ; il pourra admettre avec lui son frère et ses neveux. Quand vous serez devant le roi je vous découvrirai des choses secrètes du temps de son exil, mais dont la connaissance ne vous sera donnée qu’au moment où vous serez introduit en sa présence. »

Sur ces entrefaites M. le comte de Breteuil, préfet de Chartres, reçut une lettre du ministre de la police générale qui l’invitait à vérifier « si ces apparitions données comme miraculeuses n’étaient pas plutôt un jeu de l’imagination de Martin, une véritable illusion de son esprit exalté, ou enfin si le prétendu envoyé inconnu, ne peut être Martin lui-même, ne devaient pas être sévèrement examinés par la police, et ensuite livrés aux tribunaux. »

Le 5 mars Martin reçut la visite de son inconnu qui lui dit : « Vous allez bientôt paraître devant le premier magistrat de votre département ; il faut que vous rapportiez les choses comme elles vous sont annoncées ; il ne faut avoir égard ni à la qualité ni à la dignité. »

Martin n’avait point été informé qu’il devait aller chez le Préfet ; ce n’est donc plus ici une simple communication sur une chose vague, c’est la prévision d’un fait qui va se réaliser. Ceci s’est constamment reproduit pendant la suite de ces événements ; Martin a toujours été informé par son inconnu de ce qui lui arriverait, des personnes en présence desquelles il allait se trouver, des lieux où il serait conduit. Or tel n’est pas le résultat de l’illusion et des idées chimériques. Dès lors que l’individu dit à Martin : demain vous verrez tel personnage, ou vous serez conduit à tel endroit, et que la chose se réalise, c’est un fait positif qui ne peut venir de l’imagination.


7. — Le lendemain 6 mars, Martin accompagné de M. le curé se rendit à Chartres chez le préfet. Ce dernier s’entretint d’abord longuement en particulier avec le curé, puis ayant fait introduire Martin, il lui dit : « Mais si je vous mettais dans les entraves et en prison pour faire de pareilles annonces, continueriez-vous à dire ce que vous dites ? — Comme vous voudrez, répondit Martin sans être effrayé ; je ne puis que dire la vérité. — Mais, poursuivit M. le préfet, si vous paraissiez devant une autorité supérieure à la mienne, par exemple devant le ministre, soutiendriez-vous ce que vous venez de me dire ? — Oui, monsieur, répliqua Martin, et devant le roi lui-même.

Le préfet surpris de tant d’assurance jointe à tant de simplicité, et plus encore des étranges récits que lui avaient faits le curé, se décida à envoyer Martin au ministre. Dès le lendemain 7 mars Martin partait pour Paris escorté de M. André, lieutenant de gendarmerie, qui avait ordre de surveiller toutes ses démarches et de ne le quitter ni jour ni nuit. Ils logèrent rue Montmartre,  †  hôtel de Calais, dans une chambre à deux lits. Le vendredi 8 mars M. André conduisit Martin à l’hôtel de la police générale. En entrant dans la cour de l’hôtel, l’inconnu se présenta et lui dit : « Vous allez être interrogé de plusieurs manières ; n’ayez ni crainte ni inquiétude, mais dites les choses comme elles sont. » Après ces mots il disparut.

Nous ne rapporterons pas ici tous les interrogatoires que firent subir à Martin le ministre et ses secrétaires, sans qu’il se laissât intimider par les menaces, ni déconcerter par les pièges qu’on lui tendait pour le mettre en contradiction avec lui-même, déroutant ses interrogateurs par ses réponses pleines de sens et de sang-froid. Martin ayant dépeint son inconnu, le ministre lui dit : « Eh bien ! vous ne le verrez plus, car je viens de le faire arrêter. – Eh ! comment, repartit Martin, avez-vous pu le faire arrêter, puisqu’il disparaît tout de suite comme un éclair ? — S’il disparaît pour vous, reprit le ministre, il ne disparaît pas pour tout le monde. Et s’adressant à l’un de ses secrétaires : « Allez voir si cet homme que j’ai dit de mettre en prison y est encore. »

Quelques instants après le secrétaire revint et fit cette réponse : « Monseigneur, il y est toujours. — Eh bien ! dit alors Martin, si vous l’avez fait mettre en prison, vous me le montrerez, et je le reconnaîtrai bien ; je l’ai vu assez de fois pour cela.

Vint ensuite un homme qui visita avec soin la tête de Martin, en lui écartant les cheveux à droite et à gauche ; le ministre les tourna et retourna de même, sans doute pour examiner s’il ne portait pas quelque signe indicateur de folie, à quoi Martin se contentait de dire : « Regardez tant que vous voudrez, je n’ai jamais eu de mal de ma vie. »

Rentré à l’hôtel, Martin dit le soir à M. André : « Mais le ministre m’avait dit qu’il avait fait mettre en prison l’homme qui m’apparaissait. Il l’a donc relâché, puisqu’il m’a apparu depuis et qu’il m’a dit : « Vous avez été questionné aujourd’hui, mais on ne veut pas faire ce que j’ai dit. Celui que vous avez vu ce matin a voulu vous faire croire qu’on m’avait fait arrêter ; vous pouvez lui dire qu’il n’a aucun pouvoir sur moi et qu’il est grand temps que le roi soit averti. » A l’instant même, M. André alla faire son rapport à la police, tandis que Martin, sans inquiétude, se couche et s’endort paisiblement.

Le lendemain 9, Martin étant descendu pour demander les bottes du lieutenant, l’inconnu se présenta à lui au milieu de l’escalier et lui dit : « Vous allez avoir la visite d’un docteur qui vient voir si vous êtes frappé d’imagination et si vous avez perdu la tête ; mais ceux qui vous l’envoient sont plus fous que vous. » Le même jour, en effet, le célèbre aliéniste, M. Pinel, vint le visiter, et lui fit subir un interrogatoire approprié à ce genre d’information. « Malgré son habileté, dit le rapport, il n’a pu acquérir aucune indication tant soit peu probable d’aliénation. Ses recherches n’ont abouti qu’à une simple conjecture de possibilité d’hallucination et de manie intermittente. »

Il paraît que, pour certaines gens, il n’en faut pas davantage pour être taxé de folie : il suffit de ne pas penser comme eux ; c’est pourquoi ceux qui croient à quelque chose de l’autre monde passent pour des fous aux yeux de ceux qui ne croient à rien.

Après la visite du docteur Pinel, l’inconnu se présenta à Martin et lui dit : « Il faut que vous alliez parler au roi ; quand vous serez en sa présence, je vous inspirerai ce que vous aurez à lui dire. Je me sers de vous pour abattre l’orgueil et l’incrédulité. On tâche d’écarter l’affaire, mais si vous ne parvenez pas à votre but, elle se découvrira par une autre voie. »


8. — Le 10 mars, Martin étant seul dans sa chambre, l’inconnu lui apparut et lui dit : « Je vous avais dit que mon nom resterait inconnu, mais, puisque l’incrédulité est si grande, il faut que je vous découvre mon nom. Je suis l’ange Raphaël, ange très célèbre auprès de Dieu ; j’ai le pouvoir de frapper la France de toutes sortes de plaies. » A ces mots, Martin fut saisi de frayeur et éprouva une sorte de crispation.

Un autre jour, M. André étant sorti avec Martin rencontra un officier de ses amis avec lequel il s’entretint pendant une heure en anglais que naturellement Martin ne comprenait pas. Le lendemain, l’inconnu, que désormais il appelle l’ange, lui dit : « Ceux qui étaient hier avec vous se sont entretenus de vous, mais vous n’entendiez pas leur langage ; ils ont dit que vous veniez pour parler au roi, et l’un a dit que quand il serait retourné dans son pays, l’autre lui donnât de ses nouvelles pour savoir comment la chose se serait passée. » M. André, à qui Martin rendait compte de tous ses entretiens avec l’inconnu, fut très surpris de voir que ce qu’il avait dit en anglais, pour n’être pas compris de lui, se trouvait dévoilé.

Quoique le rapport du docteur Pinel ne concluât pas à la folie, mais seulement à une possibilité d’hallucination, Martin n’en fut pas moins conduit à l’hospice des fous de Charenton, où il resta du 13 mars jusqu’au 2 avril. Là, il fut l’objet d’une surveillance minutieuse et soumis à l’étude spéciale des hommes de l’art. On fit également des enquêtes dans son pays sur ses antécédents et ceux de sa famille, sans que, malgré toutes ces investigations, on soit parvenu à constater la moindre apparence ou cause prédéterminante de folie. Pour rendre hommage à la vérité, il faut dire qu’il y fut constamment traité avec beaucoup d’égards de la part de M. Royer-Collard, directeur en chef de la maison, et des autres médecins, et qu’on ne lui fit subir aucun des traitements en usage dans ces sortes d’établissements. S’il y fut placé, c’était bien moins par mesure de séquestration que pour avoir plus de facilité d’observer l’état réel de son esprit.


9. — Pendant son séjour à Charenton, il eut d’assez fréquentes visites de son inconnu qui ne présentèrent aucune particularité remarquable, si ce n’est celle où il lui dit: « Il y aura des discussions : les uns diront que c’est une imagination, les autres que c’est un ange de lumière, et d’autres que c’est un ange de ténèbres ; je vous permets de me toucher. » Alors, raconta Martin, il me prit la main droite qu’il serra ; puis il ouvrit sa redingote  †  par-devant, et, quand elle a été ouverte, cela m’a semblé plus brillant que les rayons du soleil, et je n’ai pu l’envisager ; je fus obligé de mettre ma main devant mes yeux. Quand il eut fermé sa redingote, je n’ai plus rien vu de brillant ; il m’a semblé comme auparavant. Cette ouverture et cette fermeture se sont opérées sans aucun mouvement de sa part.


10. — Une autre fois, comme il écrivait à son frère, il vit à côté de lui son inconnu qui lui dicta une partie de sa lettre, rappelant les prédictions qu’il avait déjà faites sur les malheurs dont la France était menacée. Voilà donc Martin à la fois médium voyant et écrivain.

Quelque soin que l’on prît de ne pas trop ébruiter cette affaire, elle ne laissa pas de faire une certaine sensation dans les hautes régions officielles ; il est probable cependant qu’elle aurait abouti à une fin de non recevoir, si l’archevêque de Reims,  †  grand aumônier de France, depuis archevêque de Paris et cardinal de Périgord, ne s’y fût intéressé. Il en parla à Louis XVIII, et lui proposa de recevoir Martin. Le roi lui déclara qu’il n’en avait point encore entendu parler, tant il est vrai que les souverains sont souvent les derniers à savoir ce qui se passe autour d’eux et ce qui les intéresse le plus. En conséquence, il ordonna que Martin lui fût présenté.

Le 2 avril, Martin fut conduit de Charenton chez le ministre de la police générale. Pendant qu’il attendait le moment d’être reçu, son inconnu lui apparut et lui dit : « Vous allez parler au roi, et vous serez seul avec lui ; n’ayez aucune crainte de paraître devant le roi ; pour ce que vous avez à lui dire, les paroles vous viendront à la bouche. » C’est la dernière fois qu’il l’a vu. Le ministre lui fit un accueil très bienveillant et lui dit qu’il allait le faire conduire aux Tuileries.  † 

On croit assez généralement que Martin vint de lui-même à Paris, se présenta au château en insistant pour parler au roi ; qu’étant re-poussé, il revint à la charge avec tant de persistance, que Louis XVIII en ayant été informé, ordonna de le faire entrer. Les choses, comme on le voit, se sont passées tout autrement. Ce ne fut qu’en 1828, quatre ans après la mort du roi, qu’il fit connaître les particularités secrètes qu’il lui révéla, et qui firent sur lui une profonde impression, car tel était le but essentiel de cette visite, les autres motifs allégués n’étant, comme nous l’avons dit, qu’un moyen d’arriver à lui. Son inconnu lui laissa ignorer ces choses jusqu’au dernier moment, dans la crainte qu’une indiscrétion arrachée par l’artifice des interrogatoires ne fît échouer le projet, ce qui aurait eu lieu inévitablement. Après sa visite au roi, Martin alla faire ses adieux au directeur de Charenton et partit immédiatement pour son pays, où il reprit le cours habituel de ses travaux, sans jamais se faire un mérite de ce qui lui était arrivé.


11. — Le but que nous nous sommes proposé dans ce récit était de montrer les points par lesquels il se rattache au Spiritisme ; les particularités révélées à Louis XVIII étant étrangère à notre sujet, nous nous abstiendrons de les rapporter. Nous dirons seulement qu’elles avaient trait aux choses de famille les plus intimes ; elles émurent le roi au point de le faire beaucoup pleurer, et celui-ci déclara plus tard que ce qui lui avait été révélé n’était connu que de Dieu et de lui. Elles eurent pour conséquences de faire renoncer au sacre dont les préparatifs étaient déjà ordonnés. n

Nous ne rapporterons de cette entrevue que quelques passages de la relation écrite en 1828 sous la dictée de Martin lui-même, et où se peignent le caractère et la simplicité de l’homme.


12. —  Nous arrivâmes aux Tuileries sur les trois heures, et sans que personne ait dit rien. Nous arrivâmes jusqu’au premier valet de Louis XVIII à qui on remit la lettre, et qui, après l’avoir lue, me dit : Suivez-moi. Nous nous arrêtâmes quelques moments, parce que M. Decazes était chez le roi. Quand le ministre sortit je suis entré, et avant que je dise un mot, le roi dit au valet de chambre de se retirer et de fermer les portes.

Le roi était assis devant sa table en face la porte ; il y avait des plumes, des papiers et des livres. J’ai salué le roi en disant : Sire, je vous salue. Le roi m’a dit : Bonjour Martin. Et je me suis alors dit à moi-même : Il sait donc bien mon nom. « Vous savez, Sire, sûrement, pourquoi je viens. — Oui, je sais que vous avez quelque chose à me dire, et l’on m’a dit que c’était quelque chose que vous ne pouviez dire qu’à moi ; asseyez-vous. Alors je me suis assis dans un fauteuil qui était placé vis-à-vis le roi, de manière qu’il n’y avait que la table entre nous. Alors je lui demandai comment il se portait. — Le roi me dit : « Je me porte un peu mieux que ces jours passés ; et vous, comment vous portez-vous ? — Moi, je me porte bien. — Quel est le sujet de votre voyage ? – « Et je lui ai dit : Vous pouvez faire appeler, si vous voulez, votre frère et ses fils. » Le roi m’interrompit en disant : Cela est inutile, je leur dirai ce que vous aurez à me dire. « Après cela, je racontai au roi toutes les apparitions que j’avais eues et qui sont dans la relation.

« Je sais tout cela, l’archevêque de Reims m’a tout dit. Mais il me semble que vous avez quelque chose à me dire en particulier et en secret. » Et alors je sentis venir à ma bouche les paroles que l’ange m’avait promises, et je dis au roi : « Le secret que j’ai à vous dire, c’est que… » (Suivent des détails qui, ainsi que les instructions données dans la suite de la conversation sur certaines mesures à prendre et la manière de gouverner, ne pouvaient qu’être inspirés à l’instant même, car ils sont hors de toute portée avec le degré de culture de Martin.)

« C’est à ce récit que le roi, frappé d’étonnement et profondément ému, dit : « O mon Dieu ! ô mon Dieu ! cela est bien vrai ; il n’y a que Dieu, vous et moi, qui sachions cela ; promettez-moi de garder sur toutes ces communications le plus grand secret ; » et moi je le lui promis. Après cela je lui dis : « Prenez garde de vous faire sacrer, car si vous le tentiez, vous seriez frappé de mort dans la cérémonie du sacre. » Dans le moment et jusqu’à la fin de la conversation le roi pleura toujours.

Quand j’eus fini, il m’a dit que l’ange qui m’avait apparu était celui qui conduisit Tobie le jeune à Ragès et qui le fit marier ; puis il m’a demandé laquelle de mes mains l’ange avait serrée. J’ai répondu : « Celle-ci, » en montrant la droite. Le roi me l’a prise en me disant : « Que je touche à la main que l’ange a serrée. Priez toujours pour moi. — « Bien sûr, Sire, que moi, ma famille, ainsi que M. le curé de Gallardon, avons toujours prié pour que l’affaire réussisse.

J’ai salué le roi en lui disant : « Je vous souhaite une bonne santé. Il m’a été dit qu’une fois ma commission faite auprès du roi, je vous demande la permission de m’en retourner dans ma famille, comme il m’a été annoncé aussi que vous ne me refuserez pas, et qu’il ne m’arriverait aucune peine ni aucun mal. — Il ne vous en arrivera pas non plus ; j’ai donné des ordres pour vous renvoyer. Le ministre va vous donner à souper et à coucher, et des papiers pour vous en retourner demain. — Mais je serais content si je retournais à Charenton pour leur dire adieu et pour prendre une chemise que j’ai laissée. — Cela ne vous a-t-il pas fait de la peine d’être à Charenton ? Y avez-vous été bien ? — Pas du tout de peine ; et bien sûr que si je n’y avais pas été bien, je ne demanderais pas à y retourner. — Et bien ! puisque vous désirez y retourner, le ministre vous y fera conduire de ma part.

Je suis retourné rejoindre mon conducteur qui m’attendait, et nous avons été ensemble à l’hôtel du ministre.

Fait à Gallardon, le 9 mars 1828.

Signé : Thomas Martin.


13. — L’entretien de Martin avec le roi a duré au moins 55 minutes.

Si depuis sa visite au roi, Martin n’a plus revu son inconnu, les manifestations n’en ont pas moins continué sous une autre forme ; de médium voyant, il est devenu médium auditif. Voici quelques fragments de lettres qu’il écrivait à l’ancien curé de Gallardon :

28 janvier 1821.

« Monsieur le curé, je vous écris pour vous donner connaissance d’une chose qui m’est arrivée. Mardi dernier, 23 janvier, étant à la charrue, j’ai entendu une voix qui m’a parlé, sans avoir vu personne, et on m’a dit : « Fils de Japhet ! arrête et fais attention aux paroles qui te sont adressées. » Au même instant, mes chevaux se sont arrêtés sans que j’aie rien dit, parce que j’étais bien surpris. Voici ce qu’on m’a dit : « Dans cette grande région, un grand arbre est planté, et, sur la même souche, il en est planté un autre qui est inférieur au premier ; le second arbre a deux branches, dont l’une des deux a été fracassée, et aussitôt après elle s’est desséchée par un vent furieux, et ce vent ne cessa de souffler. A la place de cette branche, il en est sorti une autre branche, jeune, tendre, qui la remplace ; mais ce vent, qui est toujours agité, s’élèvera un jour avec de telles secousses que… et après cette catastrophe épouvantable, les peuples seront dans la dernière désolation. Prie, mon fils, que ces jours soient abrégés ; invoque le ciel que le vent fatal sortant du nord-ouest soit barré par des barrières puissantes, et que ses progrès n’aient rien de fâcheux. Ces choses sont obscures pour toi, mais d’autres les comprendront facilement. »

« Voilà, monsieur, ce qui m’est arrivé mardi vers une heure après midi ; je ne comprends rien à cela ; vous me marquerez si vous y comprenez quelque chose. Je n’ai parlé à personne de tout cela, pas seulement à ma femme, car le monde est méchant. J’étais résou à garder tout cela sous silence ; mais je me suis décidé à vous écrire aujourd’hui, parce que cette nuit je n’ai pu dormir, et j’ai toujours eu ces paroles dans la mémoire, et je vous prie d’en garder le secret, parce que le monde s’en moquerait. Monsieur, on m’a traité de fils de Japhet ; je ne connais personne de notre famille qui porte ce nom ; on peut bien s’être trompé ; on m’a peut-être pris pour un autre. »

8 février 1821.

« Je vous avais défendu de parler de ce que je vous avais marqué ; j’ai eu tort, parce que cela ne peut rester caché. Il faut nécessairement que cela passe devant les grands et les premiers de l’État, pour qu’on voie le danger dont ils sont menacés, parce que le vent dont je vous ai parlé avant peu va faire de terribles désastres, car ce vent tourne toujours autour de l’arbre ; si l’on n’y fait pas attention, avant peu il sera renversé. Dans le même moment, l’autre arbre avec ce qui sort de lui éprouvera le même sort. Hier la même parole est venue me parler, et je n’ai rien vu. »

21 février 1821.

« Monsieur, j’ai eu une grande frayeur ce matin. Il était neuf heures ; j’ai entendu un grand bruit auprès de moi, et je n’ai rien vu, mais j’ai entendu parler, après que le bruit a été apaisé, et on m’a dit : « Pourquoi avez-vous eu peur ? ne craignez point ; je ne viens pas pour vous faire aucun mal. Vous êtes surpris d’entendre parler et de ne rien voir, ne vous étonnez pas : il faut que les choses soient découvertes ; je me sers de vous pour vous envoyer comme je suis envoyé. Les philosophes, les incrédules, les impies, ne croient pas que l’on voit leurs démarches, mais il faut qu’ils soient confondus… Demeurez tranquille, continuez d’être ce que vous avez été ; vos jours sont comptés, et il ne vous en échappera pas un seul. Je vous défends de vous prosterner devant moi, parce que je ne suis qu’un serviteur comme vous. »

« Monsieur, voilà ce qui m’a été dit ; je ne sais pas quelle est la personne qui me parle ; il a la voix assez forte et bien claire. J’ai eu la pensée de parler, mais je n’ai pas osé, à cause que je ne vois personne. »


14. — Reste à savoir quelle est l’individualité de l’Esprit qui s’est manifesté ; était-ce réellement l’ange Raphaël ? Il est fort permis d’en douter, et il y aurait beaucoup de choses à dire contre cette opinion ; mais, à notre avis, c’est là une question tout à fait secondaire ; le fait capital est celui de la manifestation dont on ne saurait douter, et dont tous les incidents ont eu leur raison d’être pour le résultat proposé, et ont aujourd’hui leur côté instructif.

Un fait qui n’aura sans doute échappé à personne, c’est cette parole de Martin au sujet d’une somme qu’on lui offrit : « Comme la chose ne vient pas de moi, dit-il, je ne dois rien recevoir pour cela. » Voilà donc un simple paysan, médium inconscient, qui, il y a cinquante ans, époque à laquelle on était loin de songer au Spiritisme, a, par lui-même, l’intuition des devoirs qu’impose la médiumnité, de la sainteté de ce mandat ; son bon sens, sa loyauté naturelle lui font comprendre que ce qui vient d’une source céleste et non de lui, ne doit point être payé.

On s’étonnera peut-être des difficultés que rencontra Martin pour remplir la commission dont il était chargé. Pourquoi, dira-t-on, les Esprits ne l’ont-ils pas fait arriver directement au roi ? Ces difficultés, ces lenteurs, comme nous l’avons vu, ont eu leur utilité. Il fallait qu’il passât par Charenton, où sa raison fut soumise aux investigations les plus rigoureuses de la science officielle et peu crédule, afin qu’il fût constaté qu’il n’était ni fou, ni exalté. Les Esprits, comme on l’a vu, ont triomphé des obstacles mis par les hommes, mais comme les hommes ont leur libre arbitre, ils ne pouvaient les empêcher de mettre des entraves.

Remarquons à ce sujet, que Martin ne fit par lui-même, pour ainsi dire, aucun effort pour arriver au roi ; les circonstances l’y ont amené presque malgré lui, et sans qu’il ait eu besoin d’insister beaucoup ; or, ces circonstances ont évidemment été conduites par les Esprits, en agissant sur la pensée des incarnés, parce que la mission de Martin était sérieuse et devait s’accomplir.

Il en est de même dans tous les cas analogues. Outre la question de prudence, il est évident que, sans les difficultés qu’il y a de parvenir à eux, les souverains seraient assaillis de prétendus révélateurs. En ces derniers temps, que de gens se sont crus appelés à de pareilles missions, qui n’étaient autres que le résultat d’obsessions où leur orgueil était mis en jeu à leur insu, et ne pouvait aboutir qu’à des mystifications ! A tous ceux qui ont cru devoir nous consulter en pareil cas, nous avons toujours dit, en leur démontrant les signes évidents par lesquels se trahissaient les Esprits menteurs : « Gardez-vous d’aucune démarche qui tournerait infailliblement à votre confusion. Soyez certains que si votre mission est réelle, vous serez mis à même de l’accomplir ; que si vous devez vous trouver à un moment donné sur un lieu donné, vous y serez conduits à votre insu par des circonstances qui auront l’air d’être un effet du hasard. Soyez assurés, en outre, que lorsqu’une chose est dans les desseins de Dieu, il faut qu’elle soit, et qu’il n’en subordonne pas la réalisation au bon ou au mauvais vouloir des hommes. Défiez-vous des missions assignées et prônées à l’avance, car ce ne sont que des appâts pour l’orgueil ; les missions se révèlent par des faits. Défiez-vous aussi des prédictions à jours et heures fixes, car elles ne sont jamais le fait d’Esprits sérieux. » Nous avons été assez heureux pour en arrêter plus d’un à qui les évènements out pu prouver la prudence de ces conseils.

Il y a, comme on le voit, plus d’une similitude entre ces faits et ceux de Jeanne d’Arc, non qu’il y ait aucune comparaison à établir quant à l’importance des résultats accomplis, mais quant à la cause du phénomène, qui est exactement la même, et, jusqu’à un certain point, quant au but. Comme Jeanne d’Arc, Martin fut averti par un être du monde spirituel d’aller parler au roi pour sauver la France d’un péril, et, comme elle aussi, ce n’est pas sans difficultés qu’il parvint jusqu’à lui. Il y a toutefois entre les deux manifestations cette différence que Jeanne d’Arc entendait simplement les voix qui la conseillaient, tandis que Martin vit constamment l’individu qui lui parlait, non point en songe ou dans un sommeil extatique, mais sous les apparences d’un être vivant, comme le serait un agénère.

Mais à un autre point de vue, les faits arrivés à Martin, quoique moins éclatants, n’en ont pas moins une grande portée, comme preuve de l’existence du monde spirituel et de ses rapports avec le monde corporel, et parce qu’étant contemporains et d’une notoriété incontestable, ils ne peuvent être mis au rang des histoires légendaires. Par leur retentissement, ils ont servi de jalons au Spiritisme qui devait, à quelques années de là, en confirmer la possibilité par une explication rationnelle, et par la loi en vertu de laquelle ils se produisent, les faire passer du domaine du merveilleux dans celui des phénomènes naturels ; grâce au Spiritisme, il n’est pas une seule des phases qu’ont présentées les révélations de Martin, dont on ne puisse se rendre parfaitement compte.

Martin était un médium inconscient, doué d’une aptitude dont les Esprits se sont servis, comme d’un instrument, pour arriver à un résultat déterminé, et ce résultat était loin d’être tout entier dans la révélation faite à Louis XVIII. L’Esprit qui s’est manifesté à Martin le caractérise parfaitement en disant : « Je me sers de vous pour abattre l’orgueil et l’incrédulité. » Cette mission est celle de tous les médiums destinés à prouver, par des faits de tous genres, l’existence du monde spirituel, et d’une puissance supérieure à l’humanité, car tel est le but providentiel des manifestations. Nous ajouterons que le roi lui-même a été un instrument dans cette circonstance ; il fallait une position aussi élevée que la sienne, la difficulté même de parvenir à lui, pour que l’affaire eût du retentissement, et l’autorité d’une chose officielle. Les investigations minutieuses auxquelles Martin fut soumis ne pouvaient qu’ajouter à l’authenticité des faits, car on n’eût pas pris toutes ces précautions pour un simple particulier ; la chose eût passé presque inaperçue, tandis qu’on s’en souvient encore aujourd’hui, et qu’elle fournit une preuve authentique à l’appui des phénomènes spirites.



[1] Les détails circonstanciés et les preuves à l’appui se trouvent dans un ouvrage intitulé [Le passé et l’avenir expliqués par des événements extraordinaires- Google Books.] : Le passé et l’avenir expliqués par les évènements extraordinaires arrivés à Thomas Martin, laboureur de la Beauce. — Paris, 1832, chez Bricon, libraire, rue du Vieux-Colombier, 19 ; Marseille, même maison, rue du Saint-Sépulcre, 17. — Cet ouvrage épuisé est très rare aujourd’hui.


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