1. — L’avidité avec laquelle les détracteurs du Spiritisme saisissent
les moindres nouvelles qu’ils croient lui être défavorables, les expose
à de singulières méprises. Leur empressement à les publier est tel qu’ils
ne se donnent pas le temps d’en vérifier l’exactitude. A quoi bon, d’ailleurs,
se donner cette peine ! la vérité du fait est une question secondaire ;
pourvu qu’il en rejaillisse du ridicule, c’est l’essentiel. Cette précipitation
a parfois ses inconvénients, et dans tous les cas atteste une légèreté
qui est loin d’ajouter à la valeur de la critique. [Voir l’article précédent:
Nouvel et définitif enterrement du Spiritisme.]
Jadis, les bateleurs s’appelaient tout simplement escamoteurs ; ce nom étant tombé en discrédit, il y substituèrent le mot prestidigitateurs, † mais qui rappelait encore trop le joueur de gobelets. Le célèbre Conte fut, croyons-nous, le premier qui se décora du titre de physicien et qui obtint le privilège, sous la Restauration, de mettre sur ses affiches et sur l’enseigne de son théâtre : Physicien du roi. Depuis lors, il n’y eut si mince escamoteur courant les foires qui ne s’intitulât aussi : physicien, professeur de physique, etc., manière comme une autre de jeter de la poudre aux yeux d’un certain public qui, n’en sachant pas davantage, les mit de bonne foi sur la même ligne que les physiciens de la Faculté des sciences. Assurément, l’art de la prestidigitation a fait d’immenses progrès, et l’on ne peut contester à quelques-uns de ceux qui le pratiquent avec éclat, des connaissances spéciales, un talent réel, et un caractère honorable ; mais ce n’est toujours que l’art de produire des illusions avec plus ou moins d’habileté, et non une science sérieuse ayant sa place à l’Institut.
M. Robin s’est acquis dans ce genre une célébrité à laquelle n’a pas
peu contribué le rôle qu’il a joué dans l’affaire des frères Davenport.
[Voir :
Le apparitions simulées au théatre.] Ces messieurs, à tort ou à
raison, ont prétendu qu’ils opéraient à l’aide des Esprits ; était-ce
de leur part un nouveau moyen de piquer la curiosité en sortant des
sentiers battus ? Ce n’est pas ici le lieu d’exprimer la question.
Quoi qu’il en soit, par cela seul qu’ils se sont dits agents des Esprits,
ceux qui n’en veulent à aucun prit ont crié haro ! M. Robin, en
homme habile à saisir l’à propos, monte aussitôt sur la brèche ;
il déclare produire les mêmes effets par de simples tours d’adresse ;
la critique, croyant les Esprits morts, chante victoire le proclame
vainqueur.
Mais l’enthousiasme est aveugle, et commet parfois d’étranges maladresses. Il y a bien des Robin dans le monde, comme il y a bien des Martin. Voilà qu’un M. Robin, professeur de physique, vient d’être élu membre de l’Académie des sciences. † Plus de doute ; ce ne peut être que M. Robin, le physicien du boulevard du Temple, † le rival des frères Davenport, qui chaque soir pourfend les Esprits sur son théâtre, et sans plus ample informé, un journal sérieux, l’Opinion nationale, dans son feuilleton du samedi, 20 janvier publie l’article suivant :
« Les événements de la semaine auront tort. Il y en avait pourtant d’assez curieux dans le nombre. Par exemple, l’élection de Charles Robin † à l’Académie des sciences. Il y avait longtemps que nous plaidions ici dans l’intérêt de sa candidature ; mais on prêchait bien haut contre elle en plus d’un endroit. Le fait est que ce nom de Robin a quelque chose de diabolique. Souvenez-vous de Robin des Bois. Le héros des Les mémoires du diable - Google Books ne s’appelle-t-il pas Robin ? C’est un physicien aussi savant qu’aimable, M. Robin, qui a attaché le grelot au cou des Davenport. Le grelot a grossi, grossi ; il est devenu plus énorme et plus retentissant que le bourdon de Notre-Dame † ; les pauvres farceurs, abasourdis par le bruit qu’ils faisaient, ont dû s’enfuir en Amérique, et l’Amérique elle-même n’en veut plus. Grande victoire du bon sens ; défaite du surnaturel ! Il comptait prendre une revanche à l’Académie des sciences, et il a fait des efforts héroïques pour exclure cet ennemi, ce positiviste, ce mécréant illustre qui s’appelle Charles Robin. Et voilà qu’au sein même d’une Académie si bien pensante, le surnaturel est encore battu. Charles Robin va s’asseoir à la gauche de M. Pasteur. Et nous ne sommes plus au temps des douces fables, au temps heureux et regretté où la houlette du pasteur imposait à Robin mouton !
Ed. About. »
Pour qui est la mystification ? Nous serions vraiment tenté de croire que quelque Esprit malin a conduit la plume de l’auteur de l’article.
2. — Voici un autre quiproquo qui, pour être moins amusant, ne prouve pas moins la légèreté avec laquelle la critique accueille, sans examen, tout ce qu’elle croit contraire au Spiritisme, qu’elle s’obstine, malgré tout ce qui a été dit, à incarner dans les frères Davenport ; d’où elle conclut que tout ce qui est un échec pour ces messieurs en est un pour la doctrine, qui n’est pas plus solidaire de ceux qui en prennent le nom, que la véritable physique n’est solidaire de ceux qui usurpent le nom de physicien.
Plusieurs journaux se sont empressés de reproduire l’article suivant d’après le Messager franco-américain ; ils devraient pourtant, mieux que personne, savoir que tout ce qui est imprimé n’est pas parole d’Évangile :
« Ces pauvres frères Davenport ne pouvaient échapper au ridicule qui attend les charlatans de toute espèce. Crus et prônés aux États-Unis, où ils ont longtemps battu monnaie, puis dévoilés et moqués dans la capitale de la France, moins facile à subir le humbug, il fallait qu’ils reçussent, dans la salle même de leurs grands exploits à New-York, le dernier démenti qu’ils méritaient.
« Ce démenti, c’est leur ancien compagnon et compère, M. Fay, qui vient de le leur donner publiquement, dans la salle du Cooper Institute, samedi soir, en présence d’une nombreuse assemblée.
« Là, M. Fay a tout dévoilé, les secrets de la fameuse armoire, le secret des cordes et des nœuds et de toutes les jongleries si longtemps employées avec succès. Comédie humaine ! Et dire qu’il y a des gens, sérieux et instruits, qui ont admiré et défendu les frères Davenport, et qui ont appelé Spiritisme des farces qui seraient peut-être tolérées en carnaval ! »
Nous n’avons pas à prendre fait et cause pour MM. Davenport, dont nous avons toujours condamné les exhibitions comme contraires aux principes de la simple doctrine spirite. Mais, quelque opinion que l’on se fasse à leur sujet, nous devons à la vérité de dire que c’est à tort qu’on a inféré de cet article qu’ils étaient à New-York et y avaient été bafoués. Nous tenons de source certaine qu’en quittant Paris, ils sont retournés en Angleterre, où ils sont encore en ce moment. Le M. Fay qui aurait dévoilé leurs secrets n’est point leur beau-frère, William Fay, qui les accompagne, mais un nommé H. Melleville Fay, qui produisait des effets semblables en Amérique, et dont il est question dans leur biographie, avec recommandation de ne pas les confondre. Il n’y a rien d’étonnant à ce que ce monsieur, qui leur faisait concurrence, ait jugé à propos de profiter de leur absence pour leur jouer pièce, et les discréditer à son profit. Dans cette lutte au phénomène on ne saurait voir du Spiritisme. C’est ce que donne à entendre la fin de l’article, par cette phrase : « Et dire qu’il y a des gens sérieux qui ont appelé Spiritisme des farces qui seraient peut-être tolérées en carnaval ! » Cette exclamation a tout l’air d’un blâme à l’adresse de ceux qui confondent des choses aussi disparates.
Les frères Davenport ont fourni aux détracteurs du Spiritisme l’occasion ou le prétexte d’une formidable levée de boucliers, en présence de laquelle il est resté debout, calme et impassible, continuant sa route sans s’émouvoir du tapage qu’on faisait autour de lui. Un fait digne de remarque, c’est que ses adeptes, loin de s’en effrayer, ont été unanimes pour considérer cette effervescence comme éminemment utile à leur cause, certains que le Spiritisme ne peut que gagner à être connu. La critique est tombée à bras raccourcis sur MM. Davenport, croyant tuer en eux le Spiritisme ; si celui-ci n’a pas crié, c’est qu’il ne s’est pas senti frappé. Ce qu’elle a tué, c’est précisément ce qu’il condamne et désavoue : l’exploitation, les exhibitions publiques, le charlatanisme, les manœuvres frauduleuses, les imitations grossières de phénomènes naturels qui se produisent dans des conditions tout autres, l’abus d’un nom qui représente une doctrine toute morale, d’amour et de charité. Après cette rude leçon, nous croyons qu’il serait téméraire de tenter la fortune par de pareils moyens.
Il en est résulté, il est vrai, une certaine confusion momentanée dans l’esprit de quelques personnes, une sorte d’hésitation assez naturelle chez celles qui n’ont entendu que le blâme jeté avec partialité, sans faire la part du vrai et du faux ; mais de ce mal est sorti un grand bien : le désir de connaître, qui ne peut tourner qu’au profit de la doctrine.
Merci donc à la critique d’avoir fait, à l’aide des puissants moyens dont elle dispose, ce que les Spirites n’auraient pas pu faire par eux-mêmes ; elle a avancé la question de plusieurs années, et convaincu une fois de plus ses adversaires d’impuissance. Au reste, le public a tellement été rebattu du nom des Davenport, que cela commence à lui sembler aussi fastidieux que le cri de Lambert ; il est temps pour la chronique qu’il lui arrive quelque nouveau sujet à exploiter.
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