1. — Jamais aucune doctrine philosophique des temps modernes n’a causé tant d’émoi que le Spiritisme, jamais aucune n’a été attaquée avec tant d’acharnement [Voir l’article antérieur]; c’est la preuve évidente qu’on lui reconnaît plus de vitalité et des racines plus profondes qu’aux autres, car on ne prend pas la pioche pour arracher un brin d’herbe. Les Spirites, loin de s’en effrayer, doivent s’en réjouir, puisque cela prouve l’importance et la vérité de la doctrine. Si celle-ci n’était qu’une idée éphémère et sans consistance, une mouche qui vole, on ne tirerait pas dessus à boulet rouge ; si elle était fausse, on la battrait en brèche avec des arguments solides qui en auraient déjà triomphé ; mais puisque aucun de ceux qu’on lui a opposés n’a pu l’arrêter, c’est que personne n’a trouvé le défaut de la cuirasse ; ce n’est cependant ni le talent ni la bonne volonté qui ont manqué à ses antagonistes.
2. — Dans ce vaste tournoi d’idées, où le passé entre en lice avec l’avenir, et qui a pour champ clos le monde entier, le grand jury est l’opinion publique ; elle écoute le pour et le contre ; elle juge la valeur des moyens d’attaque et de défense, et se prononce pour celui qui donne les meilleures raisons. Si l’un des deux champions emploie des armes déloyales, il est condamné d’avance ; or, en est-il de plus déloyales que le mensonge, la calomnie et la trahison ? Recourir à de pareils moyens, c’est s’avouer vaincu par la logique ; la cause qui en est réduite à de tels expédients est une cause perdue ; ce n’est pas un homme, ni quelques hommes qui prononcent son arrêt, c’est l’humanité que la force des choses et la conscience du bien entraînent vers ce qui est le plus juste et le plus rationnel.
3. — Voyez, dans l’histoire du monde, si une seule idée grande et vraie n’a pas toujours triomphé quelque chose qu’on ait faite pour l’entraver. Le Spiritisme nous présente sous ce rapport un fait inouï, c’est celui d’une rapidité de propagation sans exemple. Cette rapidité est telle que ses adversaires eux-mêmes en sont abasourdis ; aussi l’attaquent-ils avec la fureur aveugle de combattants qui perdent leur sang-froid, et s’enferrent dans leurs propres armes.
La lutte cependant est loin d’être terminée : il faut, au contraire, s’attendre à lui voir prendre de plus grandes proportions et un autre caractère. Il serait par trop prodigieux et contraire à l’état actuel de l’humanité, qu’une doctrine qui porte en elle le germe de toute une rénovation s’établît paisiblement en quelques années. Encore une fois, ne nous en plaignons pas ; plus la lutte sera rude, plus le triomphe sera éclatant. Il n’est douteux pour personne que le Spiritisme a grandi par l’opposition qu’on lui a faite ; laissons donc cette opposition épuiser ses ressources : il n’en grandira que davantage quand elle aura révélé sa propre faiblesse à tous les yeux. Le champ de combat du Christianisme naissant était circonscrit ; celui du Spiritisme s’étend sur toute la surface de la terre. Le Christianisme n’a pu être étouffé sous des flots de sang ; il a grandi par ses martyrs, comme la liberté des peuples, parce que c’était une vérité. Le Spiritisme, qui est le Christianisme approprié au développement de l’intelligence et dégagé des abus, grandira de même sous la persécution, parce que lui aussi est une vérité.
4. — La force ouverte est reconnue impuissante contre l’idée spirite, même dans les pays où elle s’exerce en toute liberté ; l’expérience est là pour l’attester. En comprimant l’idée sur un point, on la fait jaillir de tous côtés ; une compression générale lui ferait faire explosion. Cependant nos adversaires n’y ont point renoncé ; en attendant, ils ont recours à une autre tactique : celle des sourdes manœuvres.
Maintes fois déjà ils ont tenté, et le feront encore, de compromettre la doctrine
en la poussant dans une voie dangereuse ou ridicule pour la discréditer.
Aujourd’hui c’est en semant par-dessous main la division, en lançant
des brandons de discorde qu’ils espèrent jeter le doute et l’incertitude
dans les esprits, provoquer des défaillances vraies ou simulées et mettre
le désarroi parmi les adeptes. Mais ce ne sont pas des adversaires avoués
qui pourraient agir ainsi ; le Spiritisme, dont les débuts ont tant
de points de ressemblance avec ceux du Christianisme, doit aussi avoir
ses Judas, pour qu’il ait la gloire de sortir triomphant de cette nouvelle
épreuve. L’argent est parfois un argument qui supplée à la logique.
N’a-t-on pas vu une femme qui a avoué avoir reçu 50 fr. pour simuler
la folie après avoir assisté à une seule réunion spirite ? [Voir :
La
guerre sourde.]
Ce n’est donc pas sans raison que,
dans la Revue de mars 1863, nous avons publié l’article sur les faux-frères
; cet article n’a pas été du goût de tout le monde, et plus d’un nous
en a voulu de voir trop clair et de vouloir ouvrir les yeux aux autres,
tout en nous serrant la main en signe d’approbation, ce dont nous n’étions
pas la dupe. Mais qu’importe ! Notre devoir est de prémunir les
Spirites sincères contre les pièges qui leur sont tendus. Quant à ceux
que des principes trop rigoureux pour eux, sur ce point comme sur plusieurs
autres, nous ont aliénés, c’est que leur sympathie était à la surface
et non au fond des cœurs, et nous n’avons aucune raison d’y tenir. Nous
avons à nous occuper de choses plus importantes que de leur bon ou mauvais
vouloir à notre égard. Le présent est fugitif ; demain il ne sera plus
; pour nous, il n’est rien ;
l’avenir est tout, et c’est pour l’avenir que nous travaillons. Nous savons que les sympathies véritables nous y suivront ; celles qui sont à la merci d’un intérêt matériel déçu, ou d’un amour-propre non satisfait, ne méritent pas ce nom.
Quiconque prend son point de vue en dehors de la sphère étroite du présent n’est plus troublé par les mesquines intrigues qui s’agitent autour de lui ; c’est ce que nous nous efforçons de faire, et c’est ce que nous conseillons à ceux qui veulent avoir la paix de l’âme en ce monde. (L’Évangile selon le Spiritisme, chap. II, nº 15.)
5. — L’idée spirite, comme toutes les idées nouvelles, ne pouvait manquer d’être exploitée par des gens qui, n’ayant réussi à rien par inconduite ou incapacité, sont à l’affût de ce qui est nouveau, dans l’espoir d’y trouver une mine plus productive et plus facile ; si le succès ne répond pas à leur attente, ils ne s’en prennent pas à eux, mais à la chose qu’ils déclarent être mauvaise. Ces personnes n’ont de spirite que le nom. Mieux que qui que ce soit, nous avons pu voir ce manège, ayant été maintes fois le point de mire de ces exploitations auxquelles nous n’avons pas voulu prêter la main, ce qui ne nous a pas fait des amis.
6. — Revenons à notre sujet. Le Spiritisme, nous le répétons, a encore à passer par de rudes épreuves, et c’est là que Dieu reconnaîtra ses véritables serviteurs à leur courage, à leur fermeté et à leur persévérance.
Ceux qu’ébranlerait une crainte ou une déception sont comme ces soldats qui n’ont de courage qu’en temps de paix, et lâchent pied au premier coup de feu. La plus grande épreuve cependant ne sera pas la persécution, mais le conflit des idées qui sera suscité et à l’aide duquel on espère rompre la phalange des adeptes et l’imposante unité qui se fait dans la doctrine.
Ce conflit, quoique provoqué dans une mauvaise intention, qu’il vienne des hommes ou des mauvais Esprits, est cependant nécessaire et, dût-il apporter un trouble momentané dans quelques consciences faibles, il aura pour résultat définitif la consolidation de l’unité. En toutes choses, il ne faut pas juger les points isolés, mais voir l’ensemble. Il est utile que toutes les idées, même les plus contradictoires et les plus excentriques, se fassent jour ; elles provoquent l’examen et le jugement, et si elles sont fausses, le bon sens en fera justice ; elles tomberont forcément devant l’épreuve décisive du contrôle universel, comme tant d’autres sont déjà tombées. C’est ce grand critérium qui a fait l’unité actuelle ; c’est lui qui l’achèvera, car c’est le crible que doit séparer le bon et le mauvais grain, et la vérité n’en sera que plus brillante quand elle sortira du creuset dégagée de toutes ses scories. Le Spiritisme est encore en ébullition ; laissons donc l’écume monter à la surface et se déverser, il n’en sera que plus tôt épuré ; laissons aux adversaires la joie maligne et puérile de souffler le feu pour provoquer cette ébullition, car, sans le vouloir, ils hâtent son épuration et son triomphe, et se brûleront eux-mêmes au feu qu’ils allument. Dieu veut que tout soit utile à la cause, même ce qu’on fait avec l’intention de lui nuire.
7. — N’oublions pas que le Spiritisme n’est pas achevé ; il n’a fait encore que poser des jalons ; mais pour avancer avec sûreté, il doit le faire graduellement, à mesure que le terrain est préparé pour le recevoir, et assez consolidé pour y poser le pied avec sécurité. Les impatients qui ne savent pas attendre le moment propice compromettent les récoltes comme ils compromettent le sort des batailles.
Parmi les impatients, il y en a sans doute de très bonne foi ; ils voudraient voir les choses aller encore plus vite, mais ils ressemblent à ces gens qui croient faire avancer le temps en avançant la pendule.
D’autres, non moins sincères, sont poussés par l’amour-propre d’arriver les premiers ; ils sèment avant la saison et ne récoltent que des fruits avortés. A côté de ceux-là il en est malheureusement d’autres qui poussent le char à fond de train dans l’espoir de le faire verser.
On comprend que certains individus qui eussent voulu être les premiers nous reprochent d’avoir été trop vite ; que d’autres, par des raisons contraires, nous reprochent d’aller trop lentement ; mais ce qui est moins explicable, c’est de voir parfois ce double reproche fait par le même individu, ce qui n’est pas faire preuve de beaucoup de logique. Que nous soyons aiguillonnés pour aller à droite ou à gauche, nous n’en suivrons pas moins, comme nous l’avons fait jusqu’à présent, la ligne qui nous est tracée, et au bout de laquelle est le but que nous voulons atteindre. Nous irons de l’avant, ou nous attendrons, nous hâterons ou nous ralentirons le pas selon les circonstances, et non selon l’opinion de tel ou tel.
8. — Le Spiritisme marche à travers des adversaires nombreux qui, n’ayant pu le prendre par la force, essayent de le prendre par la ruse ; ils s’insinuent partout, sous tous les masques, et jusque dans les réunions intimes, dans l’espoir d’y surprendre un fait ou une parole que souvent ils auront provoqués, et qu’ils espèrent exploiter à leur profit.
Compromettre le Spiritisme et le rendre ridicule, telle est la tactique à l’aide de laquelle ils espèrent le discréditer d’abord, pour avoir plus tard un prétexte d’en faire interdire, si cela se peut, l’exercice public. C’est le piège contre lequel il faut se tenir en garde, car il est tendu de tous côtés, et auquel, sans le vouloir, donnent la main ceux qui se laissent aller aux suggestions des Esprits trompeurs et mystificateurs.
Le moyen de déjouer ces machinations est de suivre le plus exactement possible la ligne de conduite tracée par la doctrine ; sa morale, qui en est la partie essentielle, est inattaquable ; en la pratiquant on ne donne prise à aucune critique fondée, et l’agression n’en est que plus odieuse. Trouver les Spirites en faute et en contradiction avec leurs principes serait une bonne fortune pour leurs adversaires ; aussi voyez comme ils s’empressent de charger le Spiritisme de toutes les aberrations et de toutes les excentricités dont il ne saurait être responsable. La doctrine n’est ambiguë dans aucune de ses parties ; elle est claire, précise, catégorique dans ses moindres détails ; l’ignorance et la mauvaise foi peuvent seules se méprendre sur ce qu’elle approuve ou condamne. C’est donc un devoir pour tous les Spirites sincères et dévoués de répudier et de désavouer ouvertement, en son nom, les abus de tous genres qui pourraient la compromettre, afin de n’en point assumer la responsabilité ; pactiser avec les abus serait s’en rendre complice, et fournir des armes à nos adversaires.
Les périodes de transition sont toujours pénibles à passer ; le Spiritisme est dans cette période n ; il la traversera avec d’autant moins de difficulté que ses adeptes useront de plus de prudence. Nous sommes en guerre ; l’ennemi est là qui épie, prêt à exploiter le moindre faux pas à son profit, et prêt à faire mettre le pied dans le bourbier s’il le peut.
Ne nous hâtons pas cependant de jeter la pierre ou le soupçon trop légèrement, et sur des apparences qui pourraient être trompeuses ; la charité, d’ailleurs, nous fait un devoir de la modération même envers ceux qui sont contre nous. La sincérité, toutefois, même dans ses erreurs, a des allures de franchise auxquelles on ne saurait se méprendre, et que la fausseté ne simulera jamais complètement, car tôt ou tard perce le bout de l’oreille ; Dieu et les bons Esprits permettent qu’elle se trahisse par ses propres actes. Si un doute traverse l’esprit, ce doit simplement être un motif de se tenir sur la réserve, ce que l’on peut faire sans manquer aux convenances.
[1] [Sur
les six périodes d’établissement du spiritisme, voir :
Période de la lutte.]
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