1. — Messieurs et chers collègues,
La Société parisienne des études spirites a commencé sa cinquième année
le 1er avril 1862, et jamais, il faut en convenir, elle ne
l’a fait sous de meilleurs auspices. Ce fait n’a pas seulement de l’importance
à notre point de vue personnel, mais il est surtout caractéristique
au point de vue de la doctrine en général, car il prouve d’une manière
évidente l’intervention de nos guides spirituels. Il serait superflu
de vous rappeler la modeste origine de la Société [v. Revue
de mai 1858 et
juillet 1859], ainsi que les circonstances, en quelque sorte providentielles,
de sa constitution ; circonstances auxquelles un Esprit éminent,
alors au pouvoir, et depuis rentré dans le monde des Esprits, nous a
dit lui-même avoir puissamment contribué. [v.
Un officier supérieur mort à Magenta.]
La Société, vous vous le rappelez, messieurs, a eu ses vicissitudes ; elle avait dans son sein des éléments de dissolution, provenant de l’époque où elle se recrutait un peu trop facilement, et son existence fut même un instant compromise. A ce moment, je mis en doute son utilité réelle, non comme simple réunion, mais comme société constituée. Fatigué de ces tiraillements, j’étais résolu de me retirer ; j’espérais qu’une fois libre des entraves semées sur ma route, je n’en travaillerais que mieux à la grande œuvre entreprise. J’en fus dissuadé par de nombreuses communications spontanées qui me furent données de différents côtés ; il en est une, entre autres, dont je crois utile aujourd’hui de vous donner la substance, parce que les évènements ont justifié les prévisions. Elle était ainsi conçue :
« La Société formée par nous avec ton concours est nécessaire ; nous voulons qu’elle subsiste et elle subsistera, malgré le mauvais vouloir de quelques-uns, comme tu le reconnaîtras plus tard. Lorsqu’un mal existe, il ne se guérit pas sans crise ; il en est ainsi du petit au grand : dans l’individu comme dans les sociétés ; dans les sociétés comme chez les peuples ; chez les peuples comme il en sera dans l’humanité. Notre Société, disons-nous, est nécessaire ; lorsqu’elle cessera de l’être sous forme actuelle, elle se transformera comme toutes choses. Quant à toi, tu ne peux pas, tu ne dois pas te retirer ; nous ne prétendons cependant pas enchaîner ton libre arbitre ; nous disons seulement que ta retraite serait une faute que tu regretterais un jour, parce qu’elle entraverait nos desseins… »
Depuis lors deux ans se sont écoulés, et, comme vous le voyez, la Société est heureusement sortie de cette crise passagère dont toutes les péripéties m’ont été signalées, et dont un des résultats a été de nous donner une leçon d’expérience que nous avons mise à profit, et qui a provoqué des mesures dont nous n’avons qu’à nous applaudir. La Société, débarrassée des soucis inhérents à son état antérieur, a pu poursuivre ses études sans entraves ; aussi ses progrès ont-ils été rapides, et elle a grandi à vue d’œil, je ne dirai pas numériquement, quoiqu’elle soit plus nombreuse qu’elle n’a jamais été, mais en importance. Quatre-vingt-sept membres, participant aux cotisations annuelles, ont figuré sur la liste de l’année qui vient de s’écouler, sans compter les membres honoraires et les correspondants. Il lui eût été facile de doubler et même de tripler ce nombre, si elle eût visé aux recettes ; elle n’avait qu’à entourer les admissions de moins de difficultés ; or, loin de diminuer ces difficultés, elle les a augmentées, parce qu’étant une Société d’études, elle n’a pas voulu s’écarter des principes de son institution, et qu’elle n’en a jamais fait une question d’intérêt matériel ; ne cherchant point à thésauriser, il lui était indifférent d’être un peu plus ou un peu moins nombreuse. Sa prépondérance ne tient donc nullement au nombre de ses membres ; elle est dans les idées qu’elle étudie, qu’elle élabore et qu’elle répand ; elle ne fait point de propagande active ; elle n’a ni agents ni émissaires ; elle ne sollicite personne de venir à elle, et, ce qui peut sembler extraordinaire, c’est à cette réserve même qu’elle doit son influence. Voici, à ce sujet, quel est son raisonnement. Si les idées spirites étaient fausses, rien ne saurait leur faire prendre racine, car toute idée fausse n’a qu’une existence passagère ; si elles sont vraies, elles s’établiront quand même, par la conviction, et le plus mauvais moyen de les propager serait de les imposer, car toute idée imposée est suspecte et trahit sa faiblesse. Les idées vraies doivent être acceptées par la raison et le bon sens ; là où elles ne germent pas, c’est que la saison n’est pas venue ; il faut attendre et se borner à jeter la graine au vent, parce que, tôt au tard, il se trouvera quelques semences qui tomberont sur une terre moins aride.
Le nombre des membres de la Société est donc une question très secondaire ; car aujourd’hui, moins que jamais, elle ne pourrait avoir la prétention d’absorber tous les adeptes ; son but est, par ses études consciencieuses, faites sans préjugés et sans parti pris, d’élucider les diverses parties de la science spirite, de rechercher les causes des phénomènes, et de recueillir toutes les observations de nature à éclairer la question si importante et si palpitante d’intérêt de l’état du monde invisible, de son action sur le monde visible et des innombrables conséquences qui en découlent pour l’humanité. Par sa position et par la multiplicité de ses rapports, elle se trouve dans les conditions les plus favorables pour observer bien et beaucoup. Son but est donc essentiellement moral et philosophique ; mais ce qui surtout a donné du crédit à ses travaux, c’est le calme, la gravité qu’elle y apporte ; c’est que tout y est discuté froidement, sans passion, comme doivent le faire des gens qui cherchent de bonne foi à s’éclairer ; c’est parce qu’on sait qu’elle ne s’occupe que de choses sérieuses ; c’est enfin l’impression que les nombreux étrangers venus souvent des pays lointains pour y assister ont emportée de l’ordre et de la dignité de ses séances.
2. — Aussi la ligne qu’elle a suivie porte ses fruits ; les principes qu’elle professe, basés sur des observations consciencieuses, servent aujourd’hui de règle à l’immense majorité des Spirites. Vous avez vu successivement tomber devant l’expérience la plupart des systèmes éclos au début, et c’est à peine si quelques-uns conservent encore de rares partisans ; ceci est incontestable. Quelles sont donc les idées qui grandissent, et quelles sont celles qui déclinent ? C’est une question de fait. La doctrine de la réincarnation est le principe qui a été le plus controversé, et ses adversaires n’ont rien épargné pour le battre en brèche, pas même les injures et les grossièretés, cet argument suprême de ceux qui sont à bout de bonnes raisons ; il n’en a pas moins fait son chemin, parce qu’il s’appuie sur une logique inflexible ; que sans ce levier on se heurte contre des difficultés insurmontables, et parce qu’enfin on n’a rien trouvé de plus rationnel à mettre à la place.
3. — Il est pourtant un système dont on fait plus que jamais étalage aujourd’hui, c’est le système diabolique. Dans l’impossibilité de nier les faits de manifestations, un parti prétend prouver qu’ils sont l’œuvre exclusive du diable. L’acharnement qu’il y apporte prouve qu’il n’est pas bien sûr d’avoir raison, tandis que les Spirites ne s’émeuvent pas le moins du monde de ce déploiement de forces qu’ils laissent s’user. En ce moment il fait feu sur toute la ligne : discours, petites brochures, gros volumes, articles de journaux, c’est une attaque générale pour démontrer quoi ? Que les faits qui, selon nous, témoignent de la puissance et de la bonté de Dieu, témoignent au contraire de la puissance du diable ; d’où il résulte que le diable, pouvant seul se manifester, est plus puissant que Dieu. En attribuant au diable tout ce qui est bon dans les communications, c’est retirer le bien à Dieu pour en faire hommage au diable. Nous croyons être plus respectueux que cela envers la Divinité. Au reste, comme je l’ai dit, les Spirites ne s’inquiètent guère de cette levée de boucliers qui aura pour effet de détruire un peu plus tôt le crédit de Satan.
4. — La Société de Paris, sans l’emploi de moyens matériels, et quoique restreinte numériquement par sa volonté, n’en a pas moins fait une propagande considérable par la force de l’exemple, et la preuve en est, c’est le nombre incalculable de groupes spirites qui se forment sur les mêmes errements, c’est-à-dire d’après les principes qu’elle professe ; c’est le nombre des sociétés régulières qui s’organisent et demandent à se placer sous son patronage ; il y en a dans plusieurs villes de France † et de l’étranger, en Algérie, † en Italie, † en Autriche, † au Mexique, † etc. ; et qu’avons-nous fait pour cela ? Avons-nous été les chercher ; les solliciter ? avons-nous envoyé des émissaires, des agents ? Pas le moins du monde ; nos agents sont les ouvrages. Les idées spirites se répandent dans une localité ; elles n’y trouvent d’abord que quelques échos, puis, de proche en proche ; elles gagnent du terrain ; les adeptes éprouvent le besoin de se réunir, moins pour faire des expériences que pour s’entretenir d’un sujet qui les intéresse ; de là les milliers de groupes particuliers qu’on peut appeler groupes de famille ; dans le nombre quelques-uns acquièrent une importance numérique plus grande ; on nous demande des conseils, et voilà comment se forme insensiblement ce réseau qui a déjà des jalons sur tous les points du globe.
5. — Ici, messieurs, se place naturellement une observation importante sur la nature des rapports qui existent entre la Société de Paris et les réunions ou sociétés qui se fondent sous ses auspices, et qu’on aurait tort de considérer comme des succursales. La Société de Paris † n’a sur elles d’autre autorité que celle de l’expérience, mais, comme je l’ai dit dans une autre occasion, elle ne s’immisce en rien dans leurs affaires ; son rôle se borne à des avis officieux quand on lui en demande. Le lien qui les unit est donc un lien purement moral, fondé sur la sympathie et la similitude des idées ; il n’y a entre elles aucune affiliation, aucune solidarité matérielle ; le seul mot d’ordre est celui qui doit rallier tous les hommes : charité et amour du prochain, mot d’ordre pacifique et qui ne saurait porter ombrage.
6. — La majeure partie des membres de la Société réside à Paris † ; elle en compte cependant plusieurs qui habitent la province ou l’étranger, et qui, quoique n’y assistant que très exceptionnellement, il en est même qui ne sont jamais venus à Paris depuis sa fondation, ont tenu à honneur d’en faire partie. Outre les membres proprement dits, elle a des correspondants, mais dont les rapports, purement scientifiques, n’ont pour objet que de la tenir au courant du mouvement spirite dans les différentes localités, et me fournissent des documents pour l’histoire de l’établissement du Spiritisme dont je rassemble les matériaux. Parmi les adeptes, il en est qui se distinguent par leur zèle, leur abnégation, leur dévouement à la cause du Spiritisme ; qui payent de leur personne, non en paroles, mais en actions ; la Société est heureuse de leur donner un témoignage particulier de sympathie en leur conférant le titre de membre honoraire.
7. — Depuis deux ans la Société a donc grandi en crédit et en importance ; mais des progrès sont en outre signalés par la nature des communications qu’elle reçoit des Esprits. Depuis quelque temps, en effet, ces communications ont acquis des proportions et des développements qui ont de beaucoup dépassé notre attente ; ce ne sont plus, comme naguère de courts fragments de morale banale ; mais des dissertations où les plus hautes questions de philosophie sont traitées avec une ampleur et une profondeur de pensées qui en font de véritables discours. C’est ce qu’ont remarqué la plupart des lecteurs de la Revue.
8. — Je suis heureux de signaler un autre progrès en ce qui concerne les médiums ; jamais, à aucune autre époque, nous n’en avons vu autant prendre part à nos travaux, puisqu’il nous est arrivé d’avoir jusqu’à quatorze communications dans une même séance. Mais ce qui est plus précieux que la quantité, c’est la qualité, dont on peut juger par l’importance des instructions qui nous sont données. Tout le monde n’apprécie pas la qualité médianimique au même point de vue ; il en est qui la mesurent à l’effet ; pour eux, les médiums véloces sont les plus remarquables et les meilleurs ; pour nous qui cherchons avant tout l’instruction, nous attachons plus de prix à ce qui satisfait la pensée qu’à ce qui ne satisfait que les yeux ; nous préférons donc un médium utile avec lequel nous apprenons quelque chose, à un médium étonnant avec lequel nous n’apprenons rien. Sous ce rapport, nous n’avons pas à nous plaindre, et nous devons remercier les Esprits d’avoir tenu la promesse qu’ils nous ont faite de ne pas nous laisser au dépourvu. Voulant élargir le cercle de leur enseignement, ils devaient aussi multiplier les instruments.
9. — Mais il est un point plus important encore, sans lequel cet enseignement n’eût produit que peu ou point de fruits. Nous savons que tous les Esprits sont loin d’avoir la souveraine science et qu’ils peuvent se tromper ; que souvent ils émettent leurs propres idées qui peuvent être justes ou fausses ; que les Esprits supérieurs veulent que notre jugement s’exerce à discerner le vrai du faux, ce qui est rationnel de ce qui est illogique ; c’est pourquoi nous n’acceptons jamais rien les yeux fermés. Il ne saurait donc y avoir d’enseignement profitable sans discussion ; mais comment discuter des communications avec des médiums qui ne souffrent pas la moindre controverse, qui se blessent d’une remarque critique, d’une simple observation, et trouvent mauvais qu’on n’applaudisse pas à tout ce qu’ils obtiennent, fût-ce même entaché des plus grossières hérésies scientifiques ? Cette prétention serait déplacée si ce qu’ils écrivent était le produit de leur intelligence ; elle est ridicule dès lors qu’ils ne sont que des instruments passifs, car ils ressemblent à un acteur qui s’offusquerait si l’on trouvait mauvais les vers qu’il est chargé de réciter. Leur propre Esprit ne pouvant se froisser d’une critique qui ne l’atteint pas, c’est donc l’Esprit qui se communique qui se blesse, et qui transmet son impression au médium ; par cela même cet Esprit trahit son influence, puisqu’il veut imposer ses idées par la foi aveugle et non par le raisonnement, ou, ce qui revient au même, puisqu’il veut raisonner tout seul. Il en résulte que le médium qui est dans cette disposition est sous l’empire d’un Esprit qui mérite peu de confiance, dès lors qu’il montre plus d’orgueil que de savoir ; aussi, savons-nous que les Esprits de cette catégorie éloignent généralement leurs médiums des centres où ils ne sont pas acceptés sans réserve.
Ce travers, chez les médiums qui en sont atteints, est un très grand obstacle pour l’étude. Si nous ne cherchions que les effets, ce serait sans importance pour nous ; mais comme nous cherchons l’instruction, nous ne pouvons nous dispenser de discuter, au risque de déplaire aux médiums ; aussi quelques-uns se sont-ils retirés jadis, comme vous le savez, pour ce motif, quoique non avoué, et parce qu’ils n’avaient pu se poser devant la Société en médiums exclusifs, et comme interprètes infaillibles des puissances célestes ; à leurs yeux, ce sont ceux qui ne s’inclinent pas devant leurs communications qui sont obsédés ; il en est même qui poussent la susceptibilité au point de se formaliser de la priorité donnée à la lecture des communications obtenues par d’autres médiums ; qu’est-ce donc, quand une autre communication est préférée à la leur ? On comprend la gêne qu’impose une pareille situation. Fort heureusement pour l’intérêt de la science spirite, tous ne sont pas de même, et je saisis avec empressement cette occasion d’adresser au nom de la Société des remerciements à ceux qui nous prêtent aujourd’hui leur concours avec autant de zèle que de dévouement, sans calculer leur peine ni leur temps, et qui, ne prenant nullement fait et cause pour leurs communications, sont les premiers à aller au-devant de la controverse dont elles peuvent être l’objet.
10. — En résumé, messieurs, nous ne pouvons que nous féliciter de l’état de la Société au point de vue moral ; il n’est personne qui n’ait remarqué dans l’esprit dominant une différence notable, comparativement à ce qu’il était dans le principe, dont chacun ressent instinctivement l’impression, et qui s’est traduite en maintes circonstances par des faits positifs. Il est incontestable qu’il y règne moins de gêne et moins de contrainte, tandis qu’un sentiment de mutuelle bienveillance s’y fait sentir. Il semble que les Esprits brouillons, en voyant leur impuissance à semer la défiance, ont pris le sage parti de se retirer. Nous ne pouvons aussi qu’applaudir à l’heureuse pensée de plusieurs membres d’organiser chez eux des réunions particulières ; elles ont l’avantage d’établir des rapports plus intimes ; ce sont, en outre, des centres pour une foule de personnes qui ne peuvent se rendre à la Société ; où l’on peut puiser une première initiation ; où l’on peut faire une multitude d’observations qui viennent ensuite converger au centre commun ; ce sont enfin des pépinières pour la formation des médiums. Je remercie bien sincèrement les personnes qui m’ont fait l’honneur de m’offrir d’en prendre la direction, mais cela m’est matériellement impossible ; je regrette même beaucoup de ne pouvoir m’y rendre aussi souvent que je le désirerais. Vous connaissez mon opinion touchant les groupes particuliers ; je fais donc des vœux pour leur multiplication, dans la Société ou hors de la Société, à Paris ou ailleurs, parce que ce sont les agents les plus actifs de propagande.
11. — Sous le rapport matériel, notre trésorier vous a rendu compte de la situation de la Société. Notre budget, comme vous le savez, messieurs, est fort simple, et pourvu qu’il y ait équilibre entre l’actif et le passif, c’est l’essentiel, puisque nous ne cherchons point à capitaliser.
Prions donc les bons Esprits qui nous assistent, et en particulier notre président spirituel saint Louis, de vouloir bien nous continuer la bienveillante protection qu’ils nous ont si visiblement accordée jusqu’à ce jour, et dont nous nous efforcerons de plus en plus de nous rendre dignes.
Il me reste à vous entretenir, messieurs, d’une chose importante, je veux parler de l’emploi des dix mille francs qui m’ont été envoyés, il y a environ deux ans, par une personne abonnée à la Revue spirite, et qui a voulu rester inconnue, pour être employés dans l’intérêt du Spiritisme. Ce don, vous vous le rappelez sans doute, m’a été fait personnellement, sans affectation spéciale, sans récépissé, et sans que j’eusse à en rendre compte à qui que ce soit.
En faisant part de cette heureuse circonstance à la Société,
j’ai déclaré, dans la séance du 17 février 1860, que je n’entendais
nullement me prévaloir de cette marque de confiance, et que je n’en
tenais pas moins, pour ma propre satisfaction, à ce que l’emploi des
fonds fût soumis à un contrôle ; et j’ai ajouté : « Cette
somme formera le premier fonds d’une caisse spéciale, sous le nom de
Caisse du Spiritisme [v.
Compte rendu de la caisse du Spiritisme], et qui n’aura rien de
commun avec mes affaires personnelles. Cette caisse sera ultérieurement
augmentée des sommes qui pourront lui arriver d’autres sources, et exclusivement
affectée aux besoins de la doctrine et au développement des idées spirites.
Un de mes premiers soins sera de pourvoir à ce qui manque matériellement
à la Société pour la régularité de ses travaux, et à la création d’une
bibliothèque spéciale. [v.
Publicité des communications spirites.] J’ai prié plusieurs de nos
collègues de vouloir bien accepter le contrôle de cette caisse, et de
constater, à des époques qui seront ultérieurement déterminées, l’utile
emploi des fonds. »
Cette commission, aujourd’hui dispersée en partie par les circonstances, sera complétée quand besoin sera, et tous les documents lui seront alors fournis. En attendant, et comme, en vertu de la liberté absolue qui m’était laissée, j’ai jugé à propos d’appliquer cette somme au développement de la Société, c’est à vous, messieurs, que je crois devoir rendre compte de sa situation, autant pour ma décharge personnelle que pour votre édification. Je tiens surtout à ce que l’on comprenne bien l’impossibilité matérielle de prendre sur ces fonds pour des dépenses dont l’urgence cependant se fait de jour en jour mieux sentir, en raison de l’extension des travaux que réclame le Spiritisme.
12. — La Société, vous le savez, messieurs, sentait vivement les inconvénients de n’avoir pas un local spécial pour ses séances, et où elle pût avoir ses archives sous la main. Pour des travaux comme les nôtres, il faut en quelque sorte un lieu consacré où rien ne puisse troubler le recueillement ; chacun déplorait la nécessité où nous étions de nous réunir dans un établissement public, peu en harmonie avec la gravité de nos études. Je crus donc faire une chose utile en lui donnant les moyens d’avoir un local plus convenable à l’aide des fonds que j’avais reçus.
D’un autre côté, les progrès du Spiritisme amenant chez moi un nombre sans cesse croissant de visiteurs nationaux et étrangers, nombre qui peut s’évaluer de douze à quinze cents par an, il était préférable de les recevoir au siège même de la Société, et à cet effet d’y concentrer toutes les affaires et tous les documents concernant le Spiritisme.
En ce qui me concerne, j’ajouterai que, me donnant tout entier à la doctrine, il devenait en quelque sorte nécessaire, pour éviter des pertes de temps, que j’y eusse mon domicile, ou tout au moins un pied-à-terre. Pour moi personnellement, je n’en avais nullement besoin, puisque j’ai dans ma maison un appartement qui ne me coûte rien, plus agréable à tous égards, et où j’habite aussi souvent que mes occupations me le permettent. Un second appartement eût été pour moi une charge inutile et onéreuse. Donc, sans le Spiritisme, je serais tranquillement chez moi, avenue de Ségur, † et non ici, obligé de travailler du matin au soir, et souvent du soir au matin, sans même pouvoir prendre un repos qui quelquefois me serait bien nécessaire ; car vous savez que je suis seul pour suffire à une besogne dont on se figure difficilement l’étendue, et qui augmente nécessairement avec l’extension de la doctrine.
13. — Cet appartement-ci réunit les avantages désirables par ses dispositions intérieures et par sa situation centrale ; sans avoir rien de somptueux, il est très convenable ; mais les ressources de la Société étant insuffisantes pour payer l’intégralité du loyer, j’ai dû parfaire la différence avec les fonds de la donation ; sans cela la Société eût été dans la nécessité de rester dans la situation précaire, mesquine et incommode où elle était auparavant. Grâce à ce supplément, elle a pu donner à ses travaux des développements qui l’ont promptement posée dans l’opinion d’une manière avantageuse et profitable pour la doctrine. C’est donc l’emploi passé et la destination future des fonds de la donation que je crois devoir vous communiquer.
Le loyer de l’appartement est de 2 500 fr. par an, et avec les accessoires de 2 530 fr. Les contributions sont de 198 fr. ; total, 2 728 fr. La Société en paie pour sa part 1 200 fr. ; il reste donc à parfaire 1 528 fr.
Le bail a été fait pour trois, six, ou neuf années, qui ont commencé le 1er avril 1860. En le calculant pour six ans seulement à 1 528 fr., cela fait 9 168 fr. ; à quoi il faut ajouter, pour achat, de mobilier et frais d’installation, 900 fr. ; pour dons et secours à divers, 80 fr. ; total des dépenses 10 148 fr., sans compter l’imprévu, à payer avec le capital de 10 000 fr.
Il y aura donc à fin de bail, c’est-à-dire dans quatre ans, un excédant de dépense. Vous voyez, messieurs, qu’il ne faut pas songer à en distraire la moindre somme, si nous voulons arriver au bout. Que fera-t-on alors ? Ce qu’il plaira à Dieu et aux bons Esprits, qui m’ont dit de ne m’inquiéter de rien.
Je ferai remarquer que si la somme affectée à l’achat du matériel et aux frais d’installation n’est que de 900 fr., c’est que je n’y comprends que ce qui a été rigoureusement dépensé sur le capital. S’il avait fallu se procurer tout le mobilier qui est ici, je ne parle que des pièces à réception, il aurait fallu trois ou quatre fois plus, et alors la Société, au lieu de six ans de bail, n’en aurait eu que trois. C’est donc mon mobilier personnel qui sert en majeure partie, et qui, vu l’usage, aura reçu un rude échec.
En résumé, cette somme de 10 000 fr., que quelques-uns croyaient inépuisable, se trouve presque entièrement absorbée par le loyer, qu’il importait avant tout d’assurer pour un certain temps, sans qu’il ait été possible d’en distraire une partie pour d’autres usages, notamment pour l’achat des ouvrages anciens et modernes, français et étrangers, nécessaires à la formation d’une grande bibliothèque spirite, ainsi que j’en avais le projet ; ce seul objet n’eût pas coûté moins de 3 à 4 000 fr.
Il en résulte que toutes les dépenses en dehors du loyer, telles que les voyages et une foule de frais nécessités par le Spiritisme, et qui ne s’élèvent pas à moins de 2 000 fr., n par an, sont à ma charge personnelle, et cette somme n’est pas sans importance sur un budget restreint qui ne se solde qu’à force d’ordre, d’économie et même de privations.
Ne croyez pas, messieurs, que je veuille m’en faire un mérite ; en agissant ainsi, je sais que je sers une cause auprès de laquelle la vie matérielle n’est rien, et à laquelle je suis tout prêt à sacrifier la mienne ; peut-être un jour aurai-je des imitateurs ; j’en suis du reste bien récompensé par la vue des résultats que j’ai obtenus. Si je regrette une chose, c’est que l’exiguïté de mes ressources ne me permette pas de faire davantage ; car avec des moyens d’exécution suffisants, employés à propos, avec ordre et pour des choses vraiment utiles, on avancerait d’un demi-siècle l’établissement définitif de la doctrine.
[1] Original : « à moins de à 2000 fr. »
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