1. — Nous extrayons le passage suivant d’une lettre qu’un ami de l’auteur a bien voulu nous communiquer.
« Figure-toi quelle a été ma surprise quand, dans la doctrine spirite, dont je n’avais aucune idée, j’ai reconnu toute la théorie de Fourier sur l’âme, la vie future, la mission de l’homme dans la vie actuelle et la réincarnation des âmes. Juges-en toi-même ; voici la théorie de Fourier en raccourci :
« L’homme est attaché à la planète ; il vit de sa vie et il ne la quitte même pas en mourant.
« Il a deux existences : la vie actuelle, que Fourier compare au sommeil, et la vie qu’il appelle aromale, l’autre vie en un mot, qui est le réveil. Son âme passe alternativement d’une vie dans l’autre, et revient périodiquement se réincarner dans la vie actuelle.
« Dans la vie actuelle, l’âme n’a pas le sentiment de ses vies antérieures, mais dans la vie aromale elle en a conscience et voit toutes ses existences précédentes.
« Les peines dans la vie aromale sont les craintes qu’éprouvent les âmes d’être condamnées, en se réincarnant dans la vie actuelle, de venir animer le corps d’un malheureux ; car, dit Fourier, on voit tous les jours des personnes venir demander la charité à la porte des châteaux dont ils ont été les propriétaires dans leurs vies précédentes, et il ajoute : Si les hommes étaient bien convaincus de la vérité que j’apporte au monde, tous s’empresseraient de travailler au bonheur de tous. »
« Vois, mon cher ami, par ce petit extrait, combien la doctrine de Fourier et la doctrine du Spiritisme sont similaires, et qu’étant phalanstériens, † il n’était pais difficile de faire de moi un adepte de la doctrine spirite. »
2. — Il est impossible d’être plus explicite sur le chapitre de la réincarnation ; ce n’est pas seulement une idée vague d’existences successives à travers les différents mondes, c’est dans celui-ci que l’homme prend de nouveau naissance pour s’épurer et expier. Tout y est : alternatives de vie spirituelle, qu’il appelle aromale, et de vie corporelle ; oubli momentané, pendant celle-ci, des existences antérieures, et souvenir du passé pendant la première ; expiation par les vicissitudes de la vie. Son tableau des malheureux venant demander l’aumône à la porte des châteaux dont ils ont été propriétaires dans leurs existences précédentes, semble calqué sur les révélations des Esprits. Pourquoi donc ceux qui s’acharnent tant après la doctrine de la réincarnation aujourd’hui n’ont-ils rien dit quand Fourier est venu en faire une des pierres angulaires de sa théorie ? C’est qu’alors elle leur semblait confinée dans les phalanstères, tandis qu’aujourd’hui elle court le monde ; et d’autres raisons que l’on comprendra facilement sans que nous ayons besoin de les développer.
3. — Au reste, il n’est pas le seul qui ait eu l’intuition de cette loi de nature. On trouve le germe de cette idée dans une foule d’écrivains modernes. M. Louis Jourdan, rédacteur du Siècle, l’a formulée d’une manière non équivoque dans son charmant petit livre des Prières de Ludovic publié pour la première fois en 1849, par conséquent avant qu’il ne fût question du Spiritisme, et l’on sait que ce livre n’est pas une œuvre de fantaisie, mais de conviction. On y lit entre autres choses ce qui suit :
« Pour moi, je vous l’avoue, je crois, mais je crois fermement, je crois avec passion, comme on croyait aux époques primitives, que chacune et chacun de nous prépare aujourd’hui sa transformation future, de même que notre existence actuelle est le produit d’existences antérieures. » Le livre est tout entier sur cette donnée.
4. — Maintenant envisageons la question à un autre point de vue, pour répondre à une interrogation que l’on nous a posée plusieurs fois à ce sujet.
Quelques personnes objectent à la doctrine de la réincarnation qu’elle est contraire aux dogmes de l’Église, et en concluent qu’elle ne doit pas exister ; que peut-on leur répondre ?
La réponse est bien simple. La réincarnation n’est pas un système qu’il dépend des hommes d’adopter ou de rejeter, comme on le fait pour un système politique, économique ou social. Si elle existe, c’est qu’elle est dans la nature ; c’est une loi inhérente à l’humanité, comme boire, manger et dormir ; une alternative de la vie de l’âme, comme la veille et le sommeil sont des alternatives de la vie du corps. Si c’est une loi de la nature, ce n’est pas une opinion qui peut la faire prévaloir, ni une opinion contraire qui peut l’empêcher d’être. La terre ne tourne pas autour du soleil parce qu’on croit qu’elle tourne, mais parce qu’elle obéit à une loi, et les anathèmes qu’on a lancés contre cette loi n’ont pas empêché la terre de tourner. Il en est ainsi de la réincarnation ; ce n’est pas l’opinion de quelques hommes qui les empêchera de renaître s’ils doivent le faire. Étant donc admis que la réincarnation ne peut être qu’une loi de la nature, supposons qu’elle ne puisse s’accorder avec un dogme, il s’agit de savoir qui a raison du dogme ou de la loi. Or, quel est l’auteur d’une loi de nature, si ce n’est Dieu ? Je dirai, dans ce cas, que ce n’est pas la loi qui est contraire au dogme, mais le dogme qui est contraire à la loi, attendu qu’une loi de nature quelconque est antérieure au dogme, et que les hommes renaissaient avant que le dogme fût établi. S’il y avait incompatibilité absolue entre un dogme et une loi de nature, ce serait la preuve que le dogme est l’œuvre d’hommes qui ne connaissaient pas la loi, car Dieu ne peut se contredire en défaisant d’un côté ce qu’il a fait de l’autre ; soutenir cette incompatibilité, c’est donc faire le procès au dogme. S’ensuit-il que le dogme soit faux ? Non, mais simplement qu’il peut être susceptible d’une interprétation, comme on a interprété la Genèse quand il a été reconnu que les six jours de la création ne pouvaient s’accorder avec la loi de la formation du globe. La religion y gagnera, en ce qu’elle trouvera moins d’incrédules.
La question est de savoir si la loi de réincarnation existe ou n’existe pas. Pour les Spirites il y a mille preuves pour une qu’il est inutile de répéter ici ; je dirai seulement que le Spiritisme démontre que la pluralité des existences est non-seulement possible, mais nécessaire, indispensable, et il en trouve la preuve, sans parler de la révélation des Esprits, dans une multitude innombrable de phénomènes de l’ordre moral, psychologique et anthropologique ; ces phénomènes sont des effets qui ont une cause ; en cherchant cette cause, on ne la trouve que dans la réincarnation rendue évidente par l’observation de ces phénomènes, comme la présence du soleil, quoique caché par les nuages, est rendue évidente par la lumière du jour. Pour prouver qu’il a tort et que cette loi n’existe pas, il faudrait expliquer mieux qu’il ne le fait, et par d’autres moyens, tout ce qu’il explique, et c’est ce que personne n’a encore fait.
Avant la découverte des propriétés de l’électricité, celui qui aurait annoncé qu’on pouvait correspondre à cinq cents lieues en cinq minutes n’eût pas manqué de savants qui lui auraient prouvé scientifiquement par les lois de la mécanique que la chose était matériellement impossible, parce qu’ils n’en connaissaient pas d’autres ; il fallait pour cela la révélation d’une nouvelle puissance. Il en est ainsi de la réincarnation ; c’est une nouvelle loi qui vient jeter la lumière sur une foule de questions obscures, et modifiera profondément toutes les idées quand elle sera reconnue.
Ainsi, ce n’est pas l’opinion de quelques hommes qui prouve que cette loi existe, ce sont les faits. Si nous invoquons leur témoignage, c’est pour démontrer qu’elle avait été entrevue et soupçonnée par d’autres avant le Spiritisme qui n’en est pas l’inventeur, mais qui l’a développée et en a déduit les conséquences.
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