1. — Nous avions déjà entendu parler de certains phénomènes spirites qui firent beaucoup de bruit en 1852 dans la Bavière rhénane, aux environs de Spire, † et nous savions qu’une relation authentique en avait été publiée dans une brochure allemande. Après des recherches longtemps infructueuses, une dame, parmi nos abonnés d’Alsace, † et qui a déployé en cette circonstance un zèle et une persévérance dont nous lui savons un gré infini, est enfin parvenue à se procurer cette brochure, qu’elle a bien voulu nous adresser. Nous en donnons la traduction in extenso ; on la lira sans doute avec d’autant plus d’intérêt que c’est, parmi tant d’autres, une preuve de plus que les faits de ce genre sont de tous les temps et de tous les pays, puisque ceux dont il s’agit se passaient à une époque où l’on commençait à peine à parler des Esprits.
2. AVANT-PROPOS.
Un événement étrange est depuis plusieurs mois le sujet de toutes les conversations de notre ville et des environs. Nous voulons parler du Frappeur, comme on l’appelle, de la maison du maître tailleur Pierre Sanger.
Jusqu’alors nous nous sommes abstenu de toute relation dans notre feuille (Journal de Bergzabern) sur les manifestations qui se sont produites dans cette maison depuis le 1º janvier 1852 ; mais comme elles ont excité l’attention générale à un tel point que les autorités crurent devoir demander au docteur Beutner une explication à ce sujet, et que le docteur Dupping, de Spire, se rendit même sur les lieux pour observer les faits, nous ne pouvons différer plus longtemps de les livrer au public.
Nos lecteurs n’attendent pas de nous un jugement sur la question, nous en serions très embarrassé ; nous laissons ce soin à ceux qui, par la nature de leurs études et leur position, sont plus aptes à se prononcer, ce que d’ailleurs ils feront sans difficulté s’ils parviennent à découvrir la cause de ces effets. Quant à nous, nous nous bornerons au simple récit des faits, principalement de ceux dont nous avons été témoin ou que nous tenons de personnes dignes de foi, laissant au lecteur se former une opinion.
F.-A. BLANCK.
Rédacteur du Journal de Bergzabern.
Mai 1852.
Le 1º janvier de cette année (1852), la famille Pierre Sanger, à Bergzabern, † entendit dans la maison qu’elle habitait et dans une chambre voisine de celle où l’on se tenait ordinairement, comme un martèlement qui commença d’abord par des coups sourds paraissant venir de loin, puis qui devint successivement plus fort et plus marqué. Ces coups semblaient être frappés contre le mur près duquel était placé le lit où dormait leur enfant, âgé de onze ans. Habituellement c’était entre neuf heures et demie et dix heures et demie que le bruit se faisait entendre. Les époux Sanger n’y firent point attention d’abord, mais comme cette singularité se renouvelait chaque soir, ils pensèrent que cela pouvait venir de la maison voisine où un malade se serait amusé, en guise de passe-temps, à battre le tambour contre le mur. On se convainquit bientôt que ce malade n’était pas et ne pouvait être la cause de ce bruit. On remua le sol de la chambre, on abattit le mur, mais sans résultat. Le lit fut transporté au côté opposé de la chambre ; alors, chose étonnante, c’est de ce côté que le bruit eut lieu, et aussitôt que l’enfant était endormi. Il était clair que l’enfant était pour quelque chose dans la manifestation du bruit, et on supposa, après que toutes les recherches de la police n’eurent rien fait découvrir, que ce fait devait être attribué à une maladie de l’enfant ou à une particularité de conformation. Cependant rien jusqu’alors n’est venu confirmer cette supposition. C’est encore une énigme pour les médecins.
En attendant, la chose ne fit que se développer ; le bruit se prolongea au-delà d’une heure et les coups frappés avaient plus de force. L’enfant fut changé de chambre et de lit, le frappeur se manifesta dans cette nouvelle chambre, sous le lit, dans le lit et dans le mur. Les coups frappés n’étaient pas identiques ; ils étaient tantôt forts, tantôt faibles et isolés, tantôt enfin ils se succédaient rapidement, et suivant le rythme des marches militaires et des danses.
L’enfant occupait depuis quelques jours la susdite chambre, lorsqu’on remarqua que, pendant son sommeil, il émettait des paroles brèves, incohérentes. Les mots devinrent bientôt plus distincts et plus intelligibles ; et il semblait que l’enfant s’entretenait avec un autre être sur lequel il avait de l’autorité. Parmi les faits qui se produisaient chaque jour, l’auteur de cette brochure en rapportera un dont il fut témoin : L’enfant était dans son lit, couché sur le côté gauche. A peine fut-il endormi, que les coups commencèrent et qu’il se mit à parler de la sorte : « Toi, toi, bats une marche. » Et le frappeur battit une marche qui ressemblait assez à une marche bavaroise. † Au commandement de « Halte ! » de l’enfant, le frappeur cessa. L’enfant dit alors : « Frappe trois, six, neuf fois, » et le frappeur exécuta l’ordre. Sur un nouvel ordre de frapper 19 coups, 20 coups s’étant fait entendre, l’enfant, tout endormi, dit : « Pas bien, ce sont 20 coups, » et aussitôt 19 coups furent comptés. Ensuite l’enfant demanda 30 coups ; on entendit 30 coups. « 100 coups. » On ne put compter que jusqu’à 40, tant les coups se succédaient rapidement. Au dernier coup, l’enfant dit : « Très bien ; maintenant 110. » Ici l’on ne put compter que jusqu’à 50 environ. Au dernier coup, le dormeur dit : « Ce n’est pas cela, il n’y en a que 106, » et aussitôt 4 autres coups se firent entendre pour compléter le nombre de 110. L’enfant demanda ensuite : « Mille ! » Il ne fut frappé que 15 coups. « Eh bien, allons ! » Il y eut encore 5 coups et le frappeur s’arrêta. Il vint alors à l’idée des assistants de commander eux-mêmes au frappeur, et il exécuta les ordres qu’ils lui donnèrent. Il se taisait au commandement de : « Halte ! silence ! paix ! » Puis, de lui-même et sans ordre, il recommença à frapper. L’un des assistants dit, tout bas, dans un coin de la chambre, qu’il voulait commander, seulement par la pensée, de frapper 6 fois. L’expérimentateur se plaça alors devant le lit et ne dit pas un seul mot : on entendit 6 coups. On commanda encore par la pensée 4 coups : 4 coups furent frappés. La même expérience a été tentée par d’autres personnes, mais elle n’a pas toujours réussi. Aussitôt l’enfant étendit les membres, rejeta la couverture et se leva.
Lorsqu’on lui demanda ce qui lui était arrivé, il répondit avoir vu un homme grand et de mauvaise mine qui se tenait devant son lit et lui serrait les genoux. Il ajouta qu’il ressentait aux genoux une douleur quand cet homme frappait. L’enfant s’endormit de nouveau et les mêmes manifestations se reproduisirent jusqu’au moment où la pendule de la chambre sonna onze heures. Tout à coup le frappeur se tut, l’enfant rentra dans un sommeil tranquille, ce que l’on reconnut à la régularité de la respiration, et ce soir-là il ne se fit plus rien entendre. Nous avons remarqué que le frappeur battait, sur l’ordre qu’il en recevait, des marches militaires. Plusieurs personnes affirment que lorsqu’on demandait une marche russe, autrichienne ou française, elle était battue très exactement.
Le 25 février, l’enfant étant endormi dit : « Tu ne veux plus frapper maintenant, tu veux gratter, eh bien ! je veux voir comment tu feras. » Et, en effet, le lendemain 26, au lieu de coups frappés, on entendit un grattement qui paraissait venir du lit et qui s’est manifesté jusqu’à ce jour. Les coups se mêlèrent au grattement, tantôt en alternant, tantôt simultanément, de telle sorte que dans les airs de marche ou de danse, le grattement fait la première partie, et les coups la seconde. Selon la demande, l’heure du jour, l’âge des personnes présentes sont indiqués par des grattements ou des coups secs. A l’égard de l’âge des personnes, il y a quelquefois erreur ; mais elle est rectifiée à la 2º ou 3º fois, quand on a dit que le nombre de coups frappés n’est pas exact. Maintes fois, au lieu de répondre à l’âge demandé, le frappeur exécute une marche.
Le langage de l’enfant, pendant son sommeil, devint de jour en jour plus parfait. Ce qui n’était d’abord que de simples mots ou des ordres très brefs au frappeur se changea, par la suite, en une conversation suivie avec ses parents. Ainsi un jour il s’entretint avec sa sœur aînée de sujets religieux et dans un ton d’exhortation et d’instruction, en lui disant qu’elle devrait aller à la messe, dire ses prières tous les jours, et montrer de la soumission et de l’obéissance à ses père et mère. Le soir, il reprit les mêmes sujets d’entretien ; dans ses enseignements, il n’y avait rien de théologique, mais seulement quelques notions que l’on apprend à l’école.
Avant ses entretiens, on entendait, au moins durant une heure, des coups et des grattements, non seulement pendant le sommeil de l’enfant, mais même quand celui-ci était à l’état de veille. Nous l’avons vu boire et manger pendant que les coups et les grattements se manifestaient, et nous l’avons vu aussi, à l’état de veille, donner au frappeur des ordres qui tous furent exécutés.
Samedi soir, 6 mars, l’enfant ayant dans la journée, et tout éveillé, prédit à son père que le frappeur apparaîtrait à neuf heures, plusieurs personnes se réunirent dans la maison de Sanger. A neuf heures sonnantes, quatre coups si violents furent frappés contre le mur que les assistants en furent effrayés. Aussitôt, et pour la première fois, les coups furent frappés sur le bois de lit et extérieurement ; tout le lit en fut ébranlé. Ces coups se manifestèrent de tous les côtés du lit, tantôt à un endroit, tantôt à un autre. Les coups et le grattement alternèrent sur le lit. Sur l’ordre de l’enfant et des personnes présentes, les coups se faisaient entendre soit à l’intérieur du lit, soit à l’extérieur. Tout à coup le lit se souleva en sens différents, pendant que les coups étaient frappés avec force. Plus de cinq personnes essayèrent, mais en vain, de faire retomber le lit soulevé ; l’ayant alors abandonné, il se balança encore quelques instants, puis reprit sa position naturelle. Ce fait avait eu lieu déjà une fois antérieurement à cette manifestation publique.
Chaque soir aussi l’enfant faisait une sorte de discours. Nous allons en parler très succinctement.
Avant toutes choses il faut remarquer que l’enfant, aussitôt qu’il laissait tomber sa tête, était endormi, et que les coups et le grattement commençaient. Aux coups, l’enfant gémissait, agitait ses jambes et paraissait mal à son aise. Il n’en était pas de même au grattement. Lorsque le moment de parler était venu, l’enfant se couchait sur le dos, sa figure devenait pâle, ainsi que ses mains et ses bras. Il faisait signe de la main droite et disait : « Allons ! viens devant mon lit et joins les mains, je vais te parler du Sauveur du monde. » Alors les coups et le grattement cessaient, et tous les assistants écoutaient avec une attention respectueuse le discours du dormeur.
Il parlait lentement, très intelligiblement et en pur allemand, ce qui surprenait d’autant plus que l’enfant était moins avancé que ses camarades dans ses classes, ce qui provenait surtout d’un mal d’yeux qui l’empêchait d’étudier. Ses entretiens roulaient sur la vie et les actions de Jésus depuis sa douzième année, de sa présence dans le temple avec les scribes, de ses bienfaits envers l’humanité et de ses miracles ; ensuite il s’étendait sur le récit de ses souffrances, et blâmait sévèrement les Juifs d’avoir crucifié Jésus malgré ses bontés nombreuses et ses bénédictions. En terminant, l’enfant adressait à Dieu une fervente prière « de lui accorder la grâce de supporter avec résignation les souffrances qu’il lui avait envoyées, puisqu’il l’avait choisi pour entrer en communication avec l’Esprit. » Il demandait à Dieu de ne pas le laisser encore mourir, qu’il n’était qu’un jeune enfant et qu’il ne voulait pas descendre dans la tombe noire. Ses discours terminés, il récitait d’une voix solennelle le Pater noster, après quoi il disait : « Maintenant tu peux revenir, » et aussitôt les coups et le grattement recommençaient. Il parla encore deux fois à l’Esprit, et, à chaque fois, l’Esprit frappeur s’arrêtait. Il disait encore quelques mots et puis : « Maintenant tu peux t’en aller, au nom de Dieu. » Et il se réveillait.
Pendant ces discours les yeux de l’enfant étaient bien fermés ; mais ses lèvres remuaient ; les personnes qui étaient le plus rapprochées du lit purent remarquer ce mouvement. La voix était pure et harmonieuse.
A son réveil, on lui demandait ce qu’il avait vu et ce qui s’était passé. Il répondait : « L’homme qui vient me voir. — Où se tient-il ? — Près de mon lit, avec les autres personnes. — As-tu vu les autres personnes ? — J’ai vu toutes celles qui étaient près de mon lit. »
On comprendra facilement que de pareilles manifestations trouvèrent beaucoup d’incrédules, et qu’on supposa que toute cette histoire n’était qu’une mystification ; mais le père n’était pas capable de jonglerie, surtout d’une jonglerie qui aurait exigé toute l’habileté d’un prestidigitateur de profession ; il jouit de la réputation d’un brave et honnête homme.
Pour répondre à ces soupçons et les faire cesser, on transporta l’enfant dans une maison étrangère. A peine y fut-il que les coups et les grattements s’y firent entendre. De plus, quelques jours avant, l’enfant était allé avec sa mère dans un petit village nommé Capelle, à une demi-lieue de là, chez la veuve Klein ; il se dit fatigué ; on le coucha sur un canapé et aussitôt le même phénomène eut lieu. Plusieurs témoins peuvent affirmer le fait. Bien que l’enfant parût bien portant, il devait néanmoins être affecté d’une maladie, qui serait prouvée sinon par les manifestations relatées ci-dessus, du moins par les mouvements involontaires des muscles et des soubresauts nerveux.
Nous ferons remarquer, en terminant, que l’enfant a été conduit, il y a quelques semaines, chez le docteur Beutner, où il devait rester, pour que ce savant pût étudier de plus près les phénomènes en question. Depuis lors, tout bruit a cessé dans la maison de Sanger et il se produit dans celle du docteur Beutner.
Tels sont, dans toute leur authenticité, les faits qui se sont passés. Nous les livrons au public sans émettre de jugement. Puissent les hommes de l’art en donner bientôt une explication satisfaisante.
BLANCK.
3.
CONSIDÉRATIONS SUR L’ESPRIT FRAPPEUR DE BERGZABERN.
L’explication sollicitée par le narrateur que nous venons de citer est facile à donner ; il n’y en a qu’une, et la doctrine spirite seule peut la fournir. Ces phénomènes n’ont rien d’extraordinaire pour quiconque est familiarisé avec ceux auxquels nous ont habitués les Esprits. On sait quel rôle certaines personnes font jouer à l’imagination ; sans doute si l’enfant n’avait eu que des visions, les partisans de l’hallucination auraient beau jeu ; mais ici il y avait des effets matériels d’une nature non équivoque qui ont eu un grand nombre de témoins, et il faudrait supposer que tous étaient hallucinés au point de croire qu’ils entendaient ce qu’ils n’entendaient pas, et voyaient remuer des meubles immobiles ; or il y aurait là un phénomène plus extraordinaire encore. Il ne reste aux incrédules qu’une ressource, celle de nier ; c’est plus facile, et cela dispense de raisonner.
En examinant la chose au point de vue spirite, il demeure évident que l’Esprit qui s’est manifesté était inférieur à celui de l’enfant, puisqu’il lui obéissait ; il était même subordonné aux assistants, puisque eux aussi pouvaient lui commander. Si nous ne savions par la doctrine que les Esprits dits frappeurs sont au bas de l’échelle, ce qui s’est passé en serait une preuve. On ne concevrait pas, en effet, qu’un Esprit élevé, pas plus que nos savants et nos philosophes, vînt s’amuser à battre des marches et des valses, à jouer, en un mot, le rôle de jongleur, ni se soumettre aux caprices d’êtres humains. Il se présente sous les traits d’un homme de mauvaise mine, circonstance qui ne peut que corroborer cette opinion ; le moral se reflète en général sur l’enveloppe. Il est donc avéré pour nous que le frappeur de Bergzabern est un Esprit inférieur, de la classe des Esprits légers, qui s’est manifesté comme tant d’autres l’ont fait et le font tous les jours.
Maintenant, dans quel but est-il venu ? La notice ne dit pas qu’on le lui ait demandé ; aujourd’hui, qu’on est plus expérimenté sur ces sortes de choses, on ne laisserait pas venir un visiteur si étrange sans s’informer de ce qu’il veut. Nous ne pouvons donc qu’établir une conjecture. Il est certain qu’il n’a rien fait qui dévoilât de la méchanceté ou une mauvaise intention ; l’enfant n’en a éprouvé aucun trouble ni physique ni moral ; les hommes seuls auraient pu troubler son moral en frappant son imagination par des contes ridicules, et il est heureux qu’ils ne l’aient point fait. Cet Esprit, tout inférieur qu’il était, n’était donc ni mauvais ni malveillant ; c’était simplement un de ces Esprits si nombreux dont nous sommes sans cesse entourés à notre insu. Il a pu agir en cette circonstance par un simple effet de son caprice, comme aussi il a pu le faire à l’instigation d’Esprits élevés en vue d’éveiller l’attention des hommes et de les convaincre de la réalité d’une puissance supérieure en dehors du monde corporel.
Quant à l’enfant, il est certain que c’était un de ces médiums à influence physique, doués à leur insu de cette faculté, et qui sont aux autres médiums ce que les somnambules naturels sont aux somnambules magnétiques. Cette faculté dirigée avec prudence par un homme expérimenté dans la nouvelle science eût pu produire des choses plus extraordinaires encore et de nature à jeter un nouveau jour sur ces phénomènes, qui ne sont merveilleux que parce qu’on ne les comprend pas.
[Revue de juin 1858.]
4.
L’ESPRIT FRAPPEUR DE BERGZABERN.
II.
(DEUXIEME ARTICLE.)
Nous extrayons les passages suivants d’une nouvelle brochure allemande, publiée en 1853, par M. Blanck, rédacteur du journal de Bergzabern, sur l’Esprit frappeur dont nous avons parlé dans notre numéro du mois de mai. Les phénomènes extraordinaires qui y sont relatés, et dont l’authenticité ne saurait être révoquée en doute, prouvent que nous n’avons rien à envier, sous ce rapport, à l’Amérique. On remarquera dans ce récit le soin minutieux avec lequel les faits ont été observés. Il serait à désirer qu’on apportât toujours, en pareil cas, la même attention et la même prudence. On sait aujourd’hui que les phénomènes de ce genre ne sont point le résultat d’un état pathologique, mais ils dénotent toujours chez ceux en qui ils se manifestent une excessive sensibilité facile à surexciter. L’état pathologique n’est point la cause efficiente, mais il peut être consécutif. La manie de l’expérimentation, dans les cas analogues, a plus d’une fois causé des accidents graves qui n’auraient point eu lieu si l’on eût laissé la nature à elle-même. On trouvera dans notre Instruction pratique sur les manifestations spirites, les conseils nécessaires à cet effet. Nous suivons M. Blanck dans son compte rendu.
« Les lecteurs de notre brochure intitulée les Esprits frappeurs ont vu que les manifestations de Philippine Senger ont un caractère énigmatique et extraordinaire. Nous avons raconté ces faits merveilleux depuis leur début jusqu’au moment où l’enfant fut conduite au médecin royal du canton. Maintenant nous allons examiner ce qui s’est passé depuis jusqu’à ce jour.
Lorsque l’enfant quitta la demeure du docteur Bentner pour entrer à la maison paternelle, le frappement et le grattement recommencèrent chez le père Senger ; jusqu’à cette heure, et même depuis la guérison complète de la jeune fille, les manifestations ont été plus marquées, et ont changé de nature. n Dans ce mois de novembre (1852), l’Esprit commença à siffler ; ensuite on entendit un bruit comparable à celui de la roue d’une brouette tournant sur son axe sec et rouillé ; mais le plus extraordinaire de tout, c’est sans contredit le bouleversement des meubles dans la chambre de Philippine, désordre qui dura pendant quinze jours. Une courte description des lieux me paraît nécessaire. Cette chambre a environ 18 pieds de long sur 8 de large ; on y arrive par la chambre commune. La porte qui fait communiquer ces deux pièces s’ouvre à droite. Le lit de l’enfant était placé à droite ; au milieu une armoire, et dans le coin de gauche la table de travail de Senger, dans laquelle sont pratiquées deux cavités circulaires, fermées par des couvercles.
Le soir où commença le remue-ménage, madame Senger et sa fille aînée Francisque étaient assises dans la première chambre, près d’une table, et occupées à écosser des haricots ; tout à coup un petit rouet lancé de la chambre à coucher tomba près d’elles. Elles en furent d’autant plus effrayées qu’elles savaient que personne autre que Philippine, alors plongée dans le sommeil, ne se trouvait dans la chambre ; de plus, le rouet avait été lancé du côté gauche, tandis qu’il se trouvait sur le rayon d’un petit meuble placé à droite. S’il fût parti du lit, il aurait dû rencontrer la porte et s’y arrêter ; il demeurait donc évident que l’enfant n’était pour rien dans ce fait. Pendant que la famille Senger exprimait sa surprise sur cet événement, quelque chose tomba de la table sur le sol : c’était un morceau de drap qui, auparavant, trempait dans une cuvette pleine d’eau. A côté du rouet gisait aussi une tête de pipe, l’autre moitié était restée sur la table. Ce qui rendait la chose encore plus incompréhensible, c’est que la porte de l’armoire où était le rouet avant d’être lancé se trouvait fermée, que l’eau de la cuvette n’était point agitée, et qu’aucune goutte n’avait été répandue sur la table. Tout à coup l’enfant, toujours endormie, crie de son lit : Père, va-t’en, il jette ! Sortez ! il vous jetterait aussi. Ils obéirent à cette injonction ; à peine furent-ils dans la première chambre que la tête de pipe y fut lancée avec une grande force, sans pourtant qu’elle se brisât. Une règle dont Philippine se servait à l’école prit le même chemin. Le père, la mère et leur fille aînée se regardaient avec effroi, et, comme ils réfléchissaient au parti à prendre, un long rabot de Senger et un très gros morceau de bois furent lancés de son établi dans l’autre chambre. Sur la table de travail, les couvercles étaient à leur place, et malgré cela les objets qu’ils recouvraient avaient pareillement été jetés au loin. Le même soir, les oreillers du lit furent lancés sur une armoire et la couverture contre la porte.
Un autre jour, on avait mis aux pieds de l’enfant, sous la couverture, un fer à repasser du poids de six livres environ ; bientôt il fut jeté dans la première pièce ; la poignée en était enlevée, et on la retrouva sur une chaise de la chambre à coucher.
Nous fûmes témoins que des chaises placées à trois pieds du lit environ furent renversées, et des fenêtres ouvertes, bien qu’elles fussent fermées auparavant, et cela à peine nous avions tourné le dos pour rentrer dans la première pièce. Une autre fois, deux chaises furent transportées sur le lit, sans déranger la couverture. Le 7 octobre, on avait solidement fermé la fenêtre et tendu devant un drap blanc. Dès que nous eûmes quitté la chambre, on frappa à coups redoublés et avec tant de violence, que tout en fut ébranlé, et que des gens qui passaient dans la rue s’enfuirent épouvantés. On accourut dans la chambre : la fenêtre était ouverte, le drap jeté sur la petite armoire à côté, la couverture du lit et les oreillers par terre, les chaises culbutées, et l’enfant dans le lit, protégée par sa seule chemise. Pendant quatorze jours la femme Senger ne fut occupée qu’à réparer le lit.
Une fois on avait laissé un harmonica sur un siège : des sons se firent entendre ; étant entré précipitamment dans la chambre, on trouva, comme toujours, l’enfant tranquille dans son lit ; l’instrument était sur la chaise, mais ne vibrait plus. Un soir, le père Senger sortait de la chambre de sa fille quand il reçut dans le dos le coussin d’un siège. Une autre fois, c’est une paire de vieilles pantoufles, des souliers qui étaient sous le lit, des sabots, qui viennent à sa rencontre. Maintes fois aussi la chandelle allumée, placée sur la table de travail, fut soufflée. Les coups et le grattement alternaient avec cette démonstration du mobilier. Le lit semblait être mis en mouvement par une main invisible. Au commandement de : « Balancez le lit », ou « Bercez l’enfant », le lit allait et venait, en long et en large, avec bruit ; au commandement de : « Halte ! » il s’arrêtait. Nous pouvons affirmer, nous qui avons vu, que quatre hommes s’assirent sur le lit, et même s’y suspendirent, sans pouvoir arrêter le mouvement ; ils étaient soulevés avec le meuble. Au bout de quatorze jours le bouleversement du mobilier cessa, et à ces manifestations en succédèrent d’autres.
Le 26 octobre au soir, se trouvaient entre autres personnes, dans la chambre, MM. Louis Soëhnée, licencié en droit, le capitaine Simon, tous deux de Wissembourg, † ainsi que M. Sievert, de Bergzabern. Philippine Senger était à ce moment plongée dans le sommeil magnétique. n M. Sievert présenta à celle-ci un papier renfermant des cheveux, pour voir ce qu’elle en ferait. Elle ouvrit le papier, sans cependant mettre les cheveux à découvert, les appliqua sur ses paupières closes, puis les éloigna, comme pour les examiner à distance et dit : « Je voudrais bien savoir ce que contient ce papier… Ce sont des cheveux d’une dame que je ne connais pas… Si elle veut venir, qu’elle vienne… Je ne puis pas l’inviter, je ne la connais pas. » Aux questions que lui adressa M. Sievert, elle ne répondit pas ; mais ayant placé le papier dans le creux de sa main, qu’elle étendait et retournait, il y resta suspendu. Elle le plaça ensuite au bout de l’index et fit décrire à sa main pendant assez longtemps un demi-cercle, en disant : « Ne tombe pas », et le papier resta au bout du doigt ; puis, au commandement de : « Maintenant tombe », il se détacha sans qu’elle fît le moindre mouvement pour déterminer la chute. Soudain, se tournant du côté du mur, elle dit : « A présent, je veux t’attacher au mur » ; elle y appliqua le papier, qui y resta fixé environ 5 à 6 minutes, après quoi elle l’enleva. Un examen minutieux du papier et du mur n’y fit découvrir aucune cause d’adhérence. Nous croyons devoir faire remarquer que la chambre était parfaitement éclairée, ce qui nous permit de nous rendre un compte exact de toutes ces particularités.
Le lendemain soir on lui donna d’autres objets : des clefs, des pièces de monnaie, des porte-cigares, des montres, des anneaux d’or et d’argent ; et tous, sans exception, restaient suspendus à sa main. On a remarqué que l’argent y adhérait plus que les autres matières, car on eut de la peine à en enlever les pièces de monnaie, et cette opération lui causait de la douleur. Un des faits les plus curieux en ce genre est le suivant : Le samedi 11 novembre, un officier qui était présent lui donna son sabre avec le ceinturon, et le tout, qui pesait 4 livres, d’après constatation, resta suspendu au doigt médium en se balançant assez longtemps. Ce qui n’est pas moins singulier, c’est que tous les objets, quelle qu’en fût la matière, restaient également suspendus. Cette propriété magnétique se communiquait par le simple contact des mains aux personnes susceptibles de la transmission du fluide ; nous en avons eu plusieurs exemples.
Un capitaine, M. le chevalier de Zentner, en garnison à cette époque à Bergzabern, témoin de ces phénomènes, eut l’idée de mettre une boussole près de l’enfant, pour en observer les variations. Au premier essai, l’aiguille dévia de 15 degrés, mais aux suivants elle resta immobile, quoique l’enfant eût la boîte dans une main et la caressât de l’autre. Cette expérience nous a prouvé que ces phénomènes ne sauraient s’expliquer par l’action du fluide minéral, d’autant moins que l’attraction magnétique ne s’exerce pas sur tous les corps indifféremment.
D’habitude, lorsque la petite somnambule se disposait à commencer ses séances, elle appelait dans la chambre toutes les personnes qui se trouvaient là. Elle disait simplement : « Venez ! venez ! » ou bien « Donnez ! donnez ! » Souvent elle n’était tranquille que lorsque tout le monde, sans exception, était près de son lit. Elle demandait alors avec empressement et impatience un objet quelconque ; à peine le lui avait-on donné, qu’il s’attachait à ses doigts. Il arrivait fréquemment que dix, douze personnes et plus étaient présentes, et que chacune d’elles lui remettait plusieurs objets. Pendant la séance elle ne souffrait pas qu’on lui en reprît aucun ; elle paraissait surtout tenir aux montres ; elle les ouvrait avec une grande adresse, examinait le mouvement, les refermait, puis les plaçait près d’elle pour examiner autre chose. A là fin, elle rendait à chacun ce qu’on lui avait confié ; elle examinait les objets les yeux fermés, et jamais ne se trompait de propriétaire. Si quelqu’un tendait la main pour prendre ce qui ne lui appartenait pas, elle le repoussait. Comment expliquer cette distribution multiple à un si grand nombre de personnes sans erreur ? On essaierait en vain de le faire soi-même les yeux ouverts. La séance terminée et les étrangers partis, les coups et le grattement, momentanément interrompus, recommençaient. Il faut ajouter que l’enfant ne voulait pas que personne se tînt au pied de son lit près de l’armoire, ce qui laissait entre les deux meubles un espace d’environ un pied. Si quelqu’un s’y mettait, elle le renvoyait du geste. S’y refusait-on, elle montrait une grande inquiétude et ordonnait par des gestes impérieux de quitter la place. Une fois elle engagea les assistants à ne jamais se tenir à l’endroit défendu, parce qu’elle ne voulait pas, dit-elle, qu’il arrivât malheur à quelqu’un. Cet avertissement était si positif, que nul à l’avenir ne l’oublia.
A quelque temps de là, au frappement et au grattement se joignit un bourdonnement que l’on peut comparer au son produit par une grosse corde de basse ; un certain sifflement se mêlait à ce bourdonnement. Quelqu’un demandait-il une marche ou une danse, son désir était satisfait : le musicien invisible se montrait fort complaisant. A l’aide du grattement, il appelle nominativement les gens de la maison ou les étrangers présents ; ceux-ci comprennent facilement à qui il s’adresse. A l’appel par le grattement, la personne désignée répond oui, pour donner à entendre qu’elle sait qu’il s’agit d’elle : alors il exécute à son intention un morceau de musique qui donne parfois lieu à des scènes plaisantes. Si une autre personne que celle appelée répondait oui, le gratteur faisait comprendre par un non exprimé à sa manière qu’il n’avait rien à lui dire pour le moment. C’est le soir du 10 novembre que ces faits se sont produits pour la première fois, et ils ont continué à se manifester jusqu’à ce jour.
Voici maintenant comment l’Esprit frappeur s’y prenait pour désigner les personnes. Depuis plusieurs nuits, on avait remarqué qu’aux diverses invitations de faire telle ou telle chose il répondait par un coup sec ou par un grattement prolongé. Aussitôt que le coup sec était donné, le frappeur commençait à exécuter ce qu’on désirait de lui ; quand, au contraire, il grattait, il ne satisfaisait pas à la demande. Un médecin eut alors l’idée de prendre pour un oui le premier bruit, et le second pour un non, et depuis lors cette interprétation a toujours été confirmée. On remarqua aussi que par une série de grattements plus ou moins forts l’Esprit exigeait certaines choses des personnes présentes. A force d’attention, et en remarquant la manière dont le bruit se produisait, on put comprendre l’intention du frappeur. Ainsi, par exemple, le père Senger a raconté que le matin, au point du jour, il entendait des bruits modulés d’une certaine façon ; sans y attacher d’abord aucun sens, il remarqua qu’ils ne cessaient que lorsqu’il était hors du lit, d’où il comprit qu’ils signifiaient : « Lève-toi. » C’est ainsi que peu à peu on se familiarisa avec ce langage, et qu’à certains signes les personnes désignées purent se reconnaître.
Arriva l’anniversaire du jour où l’Esprit frappeur s’était manifesté pour la première fois ; des changements nombreux s’opérèrent dans l’état de Philippine Senger. Les coups, le grattement et le bourdonnement continuèrent, mais à toutes ces manifestations se joignit un cri particulier, qui ressemblait tantôt à celui d’une oie, tantôt à celui d’un perroquet ou de tout autre gros oiseau ; en même temps on entendit une sorte de picotement contre le mur, semblable au bruit que ferait un oiseau en becquetant. A cette époque, Philippine Senger parlait beaucoup pendant son sommeil, et paraissait surtout préoccupée d’un certain animal, qui ressemblait à un perroquet, se tenant au pied du lit, criant et donnant des coups de bec contre le mur. Sur le désir d’entendre crier le perroquet, celui-ci jetait des cris perçants. On posa diverses questions auxquelles il fut répondu par des cris du même genre ; plusieurs personnes lui commandèrent de dire : Kakatoès, † et l’on entendit très distinctement le mot Kakatoès comme s’il eût été prononcé par l’oiseau lui-même. Nous passerons sous silence les faits les moins intéressants, et nous nous bornerons à rapporter ce qu’il y eut de plus remarquable sous le rapport des changements survenus dans l’état corporel de la jeune fille.
Quelque temps avant Noël, les manifestations se renouvelèrent avec plus d’énergie ; les coups et le grattement devinrent plus violents et durèrent plus longtemps. Philippine, plus agitée que de coutume, demandait souvent à ne plus coucher dans son lit, mais dans celui de ses parents ; elle se roulait dans le sien en criant : « Je ne peux plus rester ici ; je vais étouffer : ils vont me loger dans le mur ; au secours ! » Et son calme ne revenait que lorsqu’on l’avait transportée dans l’autre lit. A peine s’y trouvait-elle, que des coups très forts se faisaient entendre d’en haut ; ils semblaient partir du grenier, comme si un charpentier eût frappé sur les poutres ; ils étaient même quelquefois si vigoureux, que la maison en était ébranlée, que les fenêtres vibraient, et que les personnes présentes sentaient le sol trembler sous leurs pieds ; des coups semblables étaient également frappés contre le mur, près du lit. Aux questions posées, les mêmes coups répondaient comme d’habitude, alternant toujours avec le grattement. Les faits suivants, non moins curieux, se sont maintes fois reproduits.
Lorsque tout bruit avait cessé et que la jeune fille reposait tranquillement dans son petit lit, on la vit souvent se prosterner tout à coup et joindre les mains tout en ayant les yeux fermés ; puis elle tournait la tête de tous côtés, tantôt à droite, tantôt à gauche, comme si quelque chose d’extraordinaire eût attiré son attention. Un sourire aimable courait alors sur ses lèvres ; on eût dit qu’elle s’adressait à quelqu’un ; elle tendait les mains, et à ce geste on comprenait qu’elle serrait celles de quelques amis ou connaissances. On la vit aussi, après de semblables scènes, reprendre sa première attitude suppliante, joindre de nouveau les mains, courber la tête jusqu’à toucher la couverture, puis se redresser et verser des larmes. Elle soupirait alors et paraissait prier avec une grande ferveur. Dans ces moments, sa figure était transformée ; elle était pâle et avait l’expression d’une femme de 24 à 25 ans. Cet état durait souvent plus d’une demi-heure, état pendant lequel elle ne prononça que des ah ! ah ! Les coups, le grattement, le bourdonnement et les cris cessaient jusqu’au moment du réveil ; alors le frappeur se faisait entendre de nouveau, cherchant l’exécution d’airs gais propres à dissiper l’impression pénible produite sur l’assistance. Au réveil, l’enfant était très abattue ; elle pouvait à peine lever les bras, et les objets qu’on lui présentait ne restaient plus suspendus à ses doigts.
Curieux de connaître ce qu’elle avait éprouvé, on l’interrogea plusieurs fois. Ce n’est que sur des instances réitérées quelle se décida à dire qu’elle avait vu conduire et crucifier le Christ sur le Golgotha † ; que la douleur des saintes femmes prosternées au pied de la croix et le crucifiement avaient produit sur elle une impression qu’elle ne pouvait rendre. Elle avait vu aussi une foule de femmes et de jeunes vierges en robes noires, et des jeunes gens en longues robes blanches parcourir processionnellement les rues d’une belle ville, et enfin elle s’était trouvée transportée dans une vaste église, où elle avait assisté à un service funèbre.
En peu de temps l’état de Philippine Senger changea de façon à donner des inquiétudes sur sa santé, car à l’état de veille elle divaguait et rêvait tout haut ; elle ne reconnaissait ni son père, ni sa mère, ni sa sœur, ni aucune autre personne, et cet état vint encore s’aggraver d’une surdité complète qui persista pendant quinze jours. Nous ne pouvons passer sous silence ce qui eut lieu durant ce laps de temps.
La surdité de Philippine se manifesta de midi à trois heures, et elle-même déclara quelle resterait sourde pendant un certain temps et qu’elle tomberait malade. Ce qu’il y a de singulier, c’est que parfois elle recouvrait l’ouïe pendant une demi-heure, ce dont elle se montrait heureuse. Elle prédisait elle-même le moment où la surdité devait la prendre et la quitter. Une fois, entre autres, elle annonça que le soir, à huit heures et demie, elle entendrait clairement pendant une demi-heure ; en effet, à l’heure dite, l’ouïe était revenue, et cela dura jusqu’à neuf heures.
Pendant sa surdité ses traits étaient changés ; son visage prenait une expression de stupidité qu’il perdait aussitôt qu’elle était rentrée dans son état normal. Rien alors ne faisait impression sur elle ; elle se tenait assise, regardant les personnes présentes d’un œil fixe et sans les reconnaître. On ne pouvait se faire comprendre que par des signes auxquels le plus souvent elle ne répondait pas, se bornant à fixer les yeux sur celui qui lui adressait la parole. Une fois elle saisit tout à coup par le bras une des personnes présentes et lui dit en la poussant : Qui es-tu donc ? Dans cette situation, elle restait quelquefois plus d’une heure et demie immobile sur son lit. Ses yeux étaient à demi ouverts et arrêtés sur un point quelconque ; de temps à autre on les voyait se tourner à droite et à gauche, puis revenir au même endroit. Toute sensibilité paraissait alors émoussée en elle ; son pouls battait à peine, et lorsqu’on lui plaçait une lumière devant les yeux, elle ne faisait aucun mouvement : on l’eût dit morte.
Il arriva pendant sa surdité qu’un soir, étant couchée, elle demanda une ardoise et de la craie, puis elle écrivit : « A onze heures je dirai quelque chose, mais j’exige qu’on se tienne tranquille et silencieux. » Après ces mots elle ajouta cinq signes qui ressemblaient à de l’écriture latine, mais qu’aucun des assistants ne put déchiffrer. On écrivit sur l’ardoise qu’on ne comprenait pas ces signes. En réponse à cette observation, elle écrivit : « N’est-ce pas que vous ne pouvez pas lire ! » Et plus bas : « Ce n’est pas de l’allemand, c’est une langue étrangère. » Ensuite ayant retourné l’ardoise, elle écrivit sur l’autre côté : « Francisque (sa sœur aînée) s’assiéra à cette table et écrira ce que je lui dicterai. » Elle accompagna ces mots de cinq signes semblables aux premiers, et rendit l’ardoise. Remarquant que ces signes n’étaient pas encore compris, elle redemanda l’ardoise et ajouta : « Ce sont des ordres particuliers. »
Un peu avant onze heures, elle dit : « Tenez-vous tranquilles, que tout le monde s’assoie et prête attention ! » et au coup de onze heures, elle se renversa sur son lit et tomba dans son sommeil magnétique ordinaire. Quelques instants après elle se mit à parler, ce qui dura sans discontinuer pendant une demi-heure. Entre autres choses, elle déclara que dans le courant de l’année il se produirait des faits que personne ne pourrait comprendre, et que toutes les tentatives faites pour les expliquer resteraient infructueuses.
Pendant la surdité de la jeune Senger, le bouleversement du mobilier, l’ouverture inexpliquée des fenêtres, l’extinction des lumières placées sur la table de travail, se renouvelèrent plusieurs fois. Il arriva un soir que deux bonnets accrochés à un portemanteau de la chambre à coucher furent lancés sur la table de l’autre chambre, et renversèrent une tasse pleine de lait, qui se répandit à terre. Les coups frappés contre le lit étaient si violents, que ce meuble en était déplacé ; quelquefois même il était dérangé avec fracas sans que les coups se fissent entendre.
Comme il y avait encore des gens incrédules, ou qui attribuaient ces singularités à un jeu de l’enfant, qui, selon eux, frappait ou grattait avec ses pieds ou ses mains, bien que les faits eussent été constatés par plus de cent témoins, et qu’il fût avéré que la jeune fille avait les bras étendus sur la couverture pendant que les bruits se produisaient, le capitaine Zentner imagina un moyen de les convaincre. Il fit apporter de la caserne deux couvertures très épaisses qu’on mit l’une sur l’autre, et dont on enveloppa les matelas et les draps de lit ; elles étaient à longs poils, de telle sorte qu’il était impossible d’y produire le moindre bruit par le frottement. Philippine, vêtue d’une simple chemise et d’une camisole de nuit, fut mise sur ces couvertures ; à peine placée, le grattement et les coups eurent lieu comme auparavant, tantôt contre le bois du lit, tantôt contre l’armoire voisine, selon le désir qui était exprimé.
Il arrive souvent que, lorsque quelqu’un fredonne ou siffle un air quelconque, le frappeur l’accompagne, et les sons que l’on perçoit semblent provenir de deux, trois ou quatre instruments : on entend gratter, frapper, siffler et gronder en même temps, suivant le rythme de l’air chanté. Souvent aussi le frappeur demande à l’un des assistants de chanter une chanson ; il le désigne par le procédé que nous connaissons, et, quand celui-ci a compris que c’est à lui que l’Esprit s’adresse, il lui demande à son tour s’il doit chanter tel ou tel air ; il lui est répondu par oui ou par non. L’air indiqué étant chanté, un accompagnement de bourdonnements et de sifflements se fait entendre parfaitement en mesure. Après un air joyeux, l’Esprit demandait souvent l’air : Grand Dieu, nous te louons, ou la chanson de Napoléon Iº. Si on lui disait de jouer tout seul cette dernière chanson ou toute autre, il la faisait entendre depuis le commencement jusqu’à la fin.
Les choses allèrent ainsi dans la maison de Senger, soit le jour, soit la nuit, pendant le sommeil ou dans l’état de veille de l’enfant, jusqu’au 4 mars 1853, époque à laquelle les manifestations entrèrent dans une autre phase. Ce jour fut marqué par un fait plus extraordinaire encore que les précédents. »
(La suite au prochain numéro.)
5. — Remarque. — Nos lecteurs ne nous sauront pas mauvais gré sans doute de l’étendue que nous avons donnée à ces curieux détails, et nous pensons qu’ils en liront la suite avec non moins d’intérêt. Nous ferons remarquer que ces faits ne nous viennent pas des contrées transatlantiques, dont la distance est un grand argument pour certains sceptiques quand même ; ils ne viennent même pas d’outre-Rhin, car c’est sur nos frontières qu’ils se sont passés, et presque sous nos yeux, puisqu’ils ont à peine six ans de date.
Philippine Senger était, comme on le voit, un médium naturel très complexe ; outre l’influence qu’elle exerçait sur les phénomènes bien connus des bruits et des mouvements, elle était somnambule extatique. Elle conversait avec des êtres incorporels qu’elle voyait ; elle voyait en même temps les assistants, et leur adressait la parole, mais ne leur répondait pas toujours, ce qui prouve qu’à certains moments elle était isolée. Pour ceux qui connaissent les effets de l’émancipation de l’âme, les visions que nous avons rapportées n’ont rien qui ne puisse aisément s’expliquer ; il est probable que, dans ces moments d’extase, l’Esprit de l’enfant se trouvait transporté dans quelque contrée lointaine, où il assistait, peut-être en souvenir, à une cérémonie religieuse. On peut s’étonner de la mémoire qu’il en gardait au réveil, mais ce fait n’est point insolite ; du reste, on peut remarquer que le souvenir était confus, et qu’il fallait insister beaucoup pour le provoquer.
Si l’on observe attentivement ce qui se passait pendant la surdité, on y reconnaîtra sans peine un état cataleptique. Puisque cette surdité n’était que temporaire, il est évident qu’elle ne tenait point à l’altération des organes de l’ouïe. Il en est de même de l’oblitération momentanée des facultés mentales, oblitération qui n’avait rien de pathologique, puisque, à un instant donné, tout rentrait dans l’état normal. Cette sorte de stupidité apparente tenait à un dégagement plus complet de l’âme, dont les excursions se faisaient avec plus de liberté, et ne laissaient aux sens que la vie organique. Qu’on juge donc de l’effet désastreux qu’eût pu produire un traitement thérapeutique en pareille circonstance ! Des phénomènes du même genre peuvent se produire à chaque instant ; nous ne saurions, dans ce cas, recommander trop de circonspection ; une imprudence peut compromettre la santé et même la vie.
[Revue de juillet 1858.]
6.
L’ESPRIT FRAPPEUR DE BERGZABERN.
III.
(TROISIEME ARTICLE.)
Nous continuons à citer la brochure de M. Blanck, rédacteur du Journal de Bergzabern. n
« Les faits que nous allons relater eurent lieu du vendredi 4 au mercredi 9 mars 1853 ; depuis, rien de semblable ne s’est produit. Philippine à cette époque ne couchait plus dans la chambre que l’on connaît : son lit avait été transféré dans la pièce voisine où il se trouve encore maintenant. Les manifestations ont pris un tel caractère d’étrangeté, qu’il est impossible d’admettre l’explication de ces phénomènes par l’intervention des hommes. Ils sont d’ailleurs si différents de ceux qui furent observés antérieurement, que toutes les suppositions premières ont été renversées.
On sait que dans la chambre où couchait la jeune fille, les chaises et les autres meubles avaient souvent été bouleversés, que les fenêtres s’étaient ouvertes avec fracas sous des coups redoublés. Depuis cinq semaines elle se tient dans la chambre commune, où, une fois la nuit venue et jusqu’au lendemain, il y a toujours de la lumière ; on peut donc parfaitement voir ce qui s’y passe. Voici le fait qui fut observé le vendredi 4 mars.
Philippine n’était pas encore couchée ; elle était au milieu d’un certain nombre de personnes qui s’entretenaient de l’Esprit frappeur, lorsque tout à coup le tiroir d’une table très grande et très lourde, placée dans la chambre, fut tiré et repoussé avec un grand bruit et une promptitude extraordinaire. Les assistants furent fort surpris de cette nouvelle manifestation ; dans le même moment la table elle-même se mit en mouvement dans tous les sens, et s’avança vers la cheminée près de laquelle Philippine était assise. Poursuivie pour ainsi dire par ce meuble, elle dut quitter sa place et s’enfuir dans le milieu de la chambre ; mais la table revint dans cette direction et s’arrêta à un demi-pied du mur. On la remit à sa place ordinaire, d’où elle ne bougea plus ; mais des bottes qui se trouvaient dessous, et que tout le monde put voir, furent lancées au milieu de la chambre, au grand effroi des personnes présentes. L’un des tiroirs recommença à glisser dans ses coulisses, s’ouvrant et se refermant par deux fois, d’abord très vivement, puis de plus en plus lentement ; lorsqu’il était entièrement ouvert, il lui arrivait d’être secoué avec fracas. Un Paquet de tabac laissé sur la table changeait de place à chaque instant. Le frappement et le grattement se firent entendre dans la table. Philippine, qui jouissait alors d’une très bonne santé, se tenait au milieu de la réunion et ne paraissait nullement inquiète de toutes ces étrangetés, qui se renouvelaient chaque soir depuis le vendredi ; mais le dimanche elles furent encore plus remarquables.
Le tiroir fut plusieurs fois violemment tiré et refermé. Philippine, après avoir été dans son ancienne chambre à coucher, revint subitement prise du sommeil magnétique, se laissa tomber sur un siège, où le grattement se fit plusieurs fois entendre. Les mains de l’enfant étaient sur ses genoux et la chaise se mouvait tantôt à droite, tantôt à gauche, en avant ou en arrière. On voyait les pieds de devant du siège se lever, tandis que la chaise se balançait dans un équilibre étonnant sur les pieds de derrière. Philippine ayant été transportée au milieu de la chambre, il fut plus facile d’observer ce nouveau phénomène. Alors, au commandement, la chaise tournait, avançait ou reculait plus ou moins vite, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. Pendant cette danse singulière, les pieds de l’enfant, comme paralysés, traînaient à terre ; celle-ci se plaignit de maux de tête par des gémissements et en portant à diverses reprises la main à son front ; puis, s’étant réveillée tout à coup, elle se mit à regarder de tous côtés, ne pouvant comprendre sa situation : son malaise l’avait quittée. Elle se coucha ; alors les coups et le grattement qui s’étaient produits dans la table se firent entendre dans le lit avec force et d’une façon joyeuse.
Quelque temps auparavant, une sonnette ayant fait entendre des sons spontanés, on eut l’idée d’en attacher une au lit, aussitôt elle se mit à tinter et à s’agiter. Ce qu’il y eut de plus curieux dans cette circonstance, c’est que, le lit étant soulevé et déplacé, la sonnette resta immobile et muette. Vers minuit environ tout bruit cessa, et l’assemblée se retira.
Le lundi soir, 15 mai, on fixa au lit une grosse sonnette ; aussitôt elle fit entendre un bruit assourdissant et désagréable. Le même jour, dans l’après-midi, les fenêtres et la porte de la chambre à coucher s’étaient ouvertes, mais silencieusement.
Nous devons rapporter aussi que la chaise sur laquelle Philippine s’était assise le vendredi et le samedi, ayant été portée par le père Senger au milieu de la chambre, paraissait beaucoup plus légère que de coutume : on eût dit qu’une force invisible la soutenait. Un des assistants, voulant la pousser, n’éprouva aucune résistance : la chaise paraissait glisser d’elle-même sur le sol.
L’Esprit frappeur resta silencieux pendant les trois jours : jeudi, vendredi et samedi saints. Ce ne fût que le jour de Pâques que ses coups recommencèrent avec le son des cloches, coups rythmés qui composaient un air. Le 1º avril les troupes, changeant de garnison, quittèrent la ville musique en tête. Lorsqu’elles passèrent devant la maison Senger, l’Esprit frappeur exécuta à sa manière, contre le lit, le même morceau qu’on jouait dans la rue. Quelque temps avant on avait entendu dans la chambre comme les pas d’une personne, et comme si l’on eût jeté du sable sur les planches.
Le gouvernement du Palatinat † s’est préoccupé des faits que nous venons de rapporter, et proposa au père Senger de placer son enfant dans une maison de santé à Frankenthal, † proposition qui fut acceptée. Nous apprenons que dans sa nouvelle résidence, la présence de Philippine a donné lieu aux prodiges de Bergzabern, et que les médecins de Frankenthal, pas plus que ceux de notre ville, n’en peuvent déterminer la cause. Nous sommes informés en outre que les médecins ont seuls accès auprès de la jeune fille. Pourquoi a-t-on pris cette mesure ? Nous l’ignorons, et nous ne nous permettrons pas de la blâmer ; mais si ce qui y a donné lieu n’est pas le résultat de quelque circonstance particulière, nous croyons qu’on aurait pu laisser pénétrer près de l’intéressante enfant, sinon tout le monde, au moins les personnes recommandables. »
Remarque. — Nous n’avons eu connaissance des différents faits que nous avons rapportés que par la relation qu’en a publiée M. Blanck ; mais une circonstance vient de nous mettre en rapport avec une des personnes qui ont le plus figuré dans toute cette affaire, et qui a bien voulu nous fournir à ce sujet des documents circonstanciés du plus haut intérêt. Nous avons également eu, par l’évocation, des explications fort curieuses et fort instructives sur cet Esprit frappeur lui-même qui s’est manifesté à nous. Ces documents nous étant parvenus trop tard, nous en ajournons la publication au prochain numéro.
[1] Nous aurons occasion de parler de l’indisposition de cette enfant ; mais puisqu’après sa guérison les mêmes effets se sont produits, c’est une preuve évidente qu’ils étaient indépendants de son état de santé.
[2] Une somnambule de Paris avait été mise en rapport avec la jeune Philippine, et, depuis lors, celle-ci tombait elle-même spontanément en somnambulisme. Il s’est passé à cette occasion des faits remarquables que nous rapporterons une autre fois. (Note du traducteur.)
[3] Nous devons à l’obligeance d’un de nos amis, M. Alfred Pireaux, employé à l’administration des postes, la traduction de cette intéressante brochure.
Il y a une image de ces articles dans le service Google — Recherche de livres (Revue Spirite 1858). (Mai 1858.) — (Deuxième
article) (Juin 1858.) — (Troisième
article) (Juillet 1858.)