Il est chez tous les hommes du monde moderne une habitude digne d’éloges sans aucun doute et qui, par la force des choses, se verra certainement bientôt érigée en principe. Je veux parler des anniversaires et des centenaires !
Une date célèbre dans l’histoire de l’humanité, soit par une conquête glorieuse de l’esprit humain, soit par la naissance ou la mort des bienfaiteurs illustres dont le nom est inscrit en caractères ineffaçables au grand livre de l’immortalité, une date célèbre, dis-je, vient, chaque année rappeler à tous, que ceux-là seuls qui ont travaillé à améliorer le sort de leurs frères, ont droit à tous les respects, à toutes les vénérations. Les dates sanglantes se perdent dans la nuit des temps, et si on rappelle quelquefois encore avec orgueil les victoires d’un grand guerrier, c’est avec une profonde émotion qu’on se souvient de ceux qui ont cherché, par des armes plus pacifiques, à renverser les barrières qui séparent les nationalités. C’est bien, c’est digne, mais est-ce assez ? L’humanité sanctifie ses grands hommes ; elle le fait avec justice, et ses arrêts entendus au tribunal divin, sont sans appel, car c’est la conscience universelle qui les a rendus.
Peuple, l’admiration, le respect, la sympathie émeuvent ton cœur, échauffent ton esprit, excitent ton courage, mais il faut plus encore ; il faut que l’émotion que tu éprouves, trouve un écho chez tous les grands Esprits qui assistent invisibles et attendris à l’évocation de leurs généreuses actions ; il faut que ces derniers reconnaissent des disciples et des émules dans ceux qui font revivre leur passé. Souvenez-vous ! la mémoire du cœur est le sceau des Esprits progressifs appelés au baptême de la régénération, mais prouvez que vous comprenez le dévouement de vos héros de prédilection, en agissant comme eux, sur un théâtre moins vaste peut-être, mais tout aussi méritant, pour acquérir ou faire acquérir à ceux qui vous entourent, les principes de liberté, de solidarité et de tolérance, qui sont l’unique législation des univers.
Après cinq cents ans, Jean Huss vit dans la mémoire de tous, lui qui ne versa jamais que son propre sang pour la défense des libertés qu’il avait proclamées. Mais se souvient-on du prince qui, à la même époque, au prix de sacrifices énormes d’hommes et d’argent, tenta de s’emparer des possessions de ses voisins ? Se souvient-on des détrousseurs armés qui levaient contribution sur les voyageurs imprudents ? Cependant la célébrité s’est attachée au guerrier, au brigand et au philosophe ; mais le guerrier et l’assassin sont morts pour la postérité. Leur souvenir gît enfermé entre deux feuillets jaunis des histoires du moyen âge ; le penseur, le philosophe, celui qui a éveillé le premier l’idée du droit et du devoir, celui qui a remplacé l’esclavage et le joug par l’espérance de la liberté, celui-là vit dans tous les cœurs. Il n’a pas cherché son bien-être et sa gloire ; il a cherché le bonheur et la gloire de l’humanité à venir !
La gloire des conquérants s’éteint avec la fumée du sang qu’ils ont versé, avec l’oubli des pleurs qu’ils ont fait couler ; celle des régénérateurs grandit sans cesse, car l’esprit humain, grandissant lui-même, recueille les feuillets épars où sont inscrits les actes glorieux de ces hommes de bien.
Soyez comme eux, mes amis ; cherchez moins l’éclat que l’utile ; ne soyez pas du nombre de ceux qui combattent pour la liberté avec le désir de se mettre en vue ; soyez de ceux qui luttent obscurément, mais incessamment, pour le triomphe de toutes les vérités, et vous serez aussi de ceux dont la mémoire ne s’éteindra pas.
Allan Kardec.