1. — Le nom du Spiritisme s’est trouvé incidemment mêlé à cette déplorable affaire ; un des accusés, l’herboriste Joye, a dit qu’il s’en était occupé, et qu’il interrogeait les Esprits ; cela prouve-t-il qu’il fût spirite, et peut-on en inférer quelque chose contre la doctrine ? Sans doute ceux qui veulent la décrier ne manqueront pas d’y chercher un prétexte d’accusation ; mais si les diatribes de la malveil- lance ont été jusqu’à ce jour sans résultat, c’est qu’elles ont toujours porté à faux, et il en sera de même ici. Pour savoir si le Spiritisme encourt une responsabilité quelconque en cette circonstance, le moyen est bien simple : c’est de s’enquérir de bonne foi, non chez les adversaires, mais à la source même, de ce qu’il prescrit et de ce qu’il condamne ; il n’a rien de secret ; ses enseignements sont au grand jour et chacun peut les contrôler. Si donc les livres de la doctrine ne renferment que des instructions de nature à porter au bien ; s’ils condamnent d’une manière explicite et formelle tous les actes de cet homme, les pratiques auxquelles il s’est livré, le rôle ignoble et ridicule qu’il attribue aux Esprits, c’est qu’il n’y a pas puisé ses inspirations ; il n’est pas un homme impartial qui n’en convienne et ne déclare le Spiritisme hors de cause.
Le Spiritisme ne reconnaît pour ses adeptes que ceux qui mettent en pratique ses enseignements, c’est-à-dire qui travaillent à leur propre amélioration morale, parce que c’est le signe caractéristique du vrai spirite. Il n’est pas plus responsable des actes de ceux à qui il plaît de se dire spirites que la vraie science ne l’est du charlatanisme des escamoteurs qui s’intitulent professeurs de physique, ni la saine religion des abus commis en son nom.
L’accusation dit, à propos de Joye : « On a trouvé chez lui un registre qui donne une idée de son caractère et de ses occupations. Chaque page aurait été écrite, selon lui, sous la dictée des Esprits, et il est tout plein de soupirs ardents vers Jésus-Christ. A chaque feuillet il est question de Dieu, et les saints sont invoqués. A côté, pour ainsi dire, sont des écritures qui peuvent donner une idée des opérations habituelles de l’herboriste : « Pour espiritisme, 4 fr. 25. — Malades, 6 fr. — Cartes, 2 fr. — Maléfices, 10 fr. — Exorcismes, 4 fr. — Baguette divinatoire, 10 fr. — Maléfices pour tirage au sort, 60 fr. » Et bien d’autres désignations, parmi lesquelles on rencontre des maléfices à satiété, et qui se terminent par cette mention : « J’ai fait en janvier 226 fr. Les autres mois ont été moins fructueux. »
A-t-on jamais vu dans les ouvrages de la doctrine spirite l’apologie de pareilles pratiques, ni quoi que ce soit de nature à les provoquer ? N’y voit-on pas, au contraire, qu’elle répudie toute solidarité avec la magie, la sorcellerie, les diableries, les tireurs de cartes, devins, diseurs de bonne aventure, et tous ceux qui font métier de commercer avec les Esprits, en prétendant les avoir à leurs ordres à tant la séance ?
Si Joye avait été spirite, il aurait d’abord regardé comme une profanation de faire intervenir les Esprits en semblables circonstances ; il aurait su, en outre : que les Esprits ne sont aux ordres de personne et ne viennent ni sur commande, ni par l’influence d’aucun signe cabalistique ; que les Esprits sont les âmes des hommes qui ont vécu sur la terre ou dans d’autres mondes, nos parents, nos amis, nos contemporains ou nos ancêtres ; qu’ils ont été hommes comme nous, et qu’après notre mort nous serons Esprits comme eux ; que les gnomes, lutins, farfadets, démons sont des créations de pure fantaisie et n’existent que dans l’imagination ; que les Esprits sont libres, plus libres que lorsqu’ils étaient incarnés, et que prétendre les soumettre à nos caprices et à notre volonté, les faire agir et parler à notre guise pour notre amusement ou notre intérêt, est une idée chimérique ; qu’ils viennent quand ils veulent, de la manière qu’ils veulent, et à qui cela leur convient ; que le but providentiel des communications avec les Esprits est notre instruction et notre amélioration morale, et non de nous aider dans les choses matérielles de la vie que nous pouvons faire ou trouver nous-mêmes, et encore moins de servir la cupidité ; enfin qu’en raison de leur nature même et du respect que l’on doit aux âmes de ceux qui ont vécu, il est aussi irrationnel qu’immoral de tenir bureau ouvert de consultations ou d’exhibitions des Esprits. Ignorer ces choses, c’est ignorer l’a b c d du Spiritisme ; et lorsque la critique le confond avec la cartomancie, la chiromancie, les exorcismes, les pratiques de la sorcellerie, maléfices, envoûtements, etc., elle prouve qu’elle n’en sait pas le premier mot ; or, nier ou condamner une doctrine que l’on ne connaît pas, c’est manquer à la logique la plus élémentaire ; lui prêter ou lui faire dire précisément le contraire de ce qu’elle dit, c’est de la calomnie ou de la partialité.
Puisque Joye mêlait à ses procédés le nom de Dieu, de Jésus et l’invocation des saints, il pouvait tout aussi bien y mêler le nom du Spiritisme, ce qui ne prouve pas plus contre la doctrine, que son simulacre de dévotion ne prouve contre la saine religion. Il n’était donc pas plus spirite, parce qu’il interrogeait soi-disant les Esprits, que les femmes Lamberte et Dye n’étaient vraiment pieuses, parce qu’elles allaient faire brûler des cierges, à la Bonne-Mère, Notre-Dame-de-la-Garde, † pour la réussite de leurs empoisonnements. D’ailleurs, s’il eût été spirite, il ne lui serait même pas venu à la pensée de faire servir à la perpétration du mal, une doctrine dont la première loi est l’amour du prochain, et qui a pour devise : Hors la charité, point de salut. ( † ) Si l’on imputait au Spiritisme l’incitation à de pareils actes, on pourrait, au même titre, en faire tomber la responsabilité sur la religion.
2. — Voici, à ce sujet, quelques réflexions de l’Opinion nationale, du 8 décembre :
« Le Monde accuse le Siècle, les mauvais journaux, les mauvaises réunions, les mauvais livres, de complicité dans l’affaire des empoisonneuses de Marseille. †
« Nous avons lu, avec une curiosité douloureuse, les débats de cette étrange affaire ; mais nous n’avons vu nulle part que le sorcier Joye ou la sorcière Lamberte aient été abonnés au Siècle, à l’Avenir ou à l’Opinion. On a trouvé un seul journal chez Joye : c’était un numéro du Diable, journal de l’enfer. Les veuves qui figurent dans cet aimable procès, sont bien loin d’être des libres penseuses. Elles font brûler des cierges à la bonne Vierge, pour obtenir de Notre-Dame la grâce d’empoisonner tranquillement leurs maris. On trouve dans l’affaire tout le vieil attirail du moyen âge : os de mort recueillis au cimetière, emmasquement, qui n’est autre que l’envoûtement du temps de la reine Margot. Toutes ces dames ont été élevées, non dans les écoles Élisa Lemonnier, mais chez les bonnes sœurs. Ajoutez aux superstitions catholiques, les superstitions modernes, Spiritisme et charlatanismes. C’est l’absurde qui a conduit ces femmes au crime. C’est ainsi qu’en Espagne, près des bouches de l’Èbre, † on voit, dans la montagne, une chapelle élevée à Notre-Dame des voleurs.
« Semez la superstition, vous récolterez le crime. C’est pour cela que nous demandons qu’on sème la science. « Éclairez cette tête du peuple, a dit Victor Hugo, vous n’aurez plus besoin de la couper. » — J. Labbé.
3. — L’argument, tiré de ce que les accusés n’étaient pas abonnés à certains journaux, manque de justesse, car on sait qu’il n’est pas nécessaire d’être abonné à un journal pour le lire, surtout dans cette classe d’individus. L’Opinion nationale aurait donc pu se trouver entre les mains de quelques-uns d’entre eux, sans qu’on fût en droit de n’en tirer aucune conséquence contre ce journal. Qu’aurait-elle dit si Joye eût prétendu s’être inspiré des doctrines de cette feuille ? Elle aurait répondu : Lisez-la, et voyez si vous y trouvez un seul mot propre à surexciter les mauvaises passions. Le prêtre Verger avait certainement chez lui l’Évangile ; bien plus : par état il devait l’étudier ; peut-on dire que ce soit l’Évangile qui l’a poussé à l’assassinat de l’archevêque de Paris ? Est-ce l’Évangile qui a armé le bras de Ravaillac et de Jacques Clément ? † qui a allumé les bûchers de l’Inquisition ? Et cependant c’est au nom de l’Évangile que tous ces crimes ont été commis.
L’auteur de l’article dit : « Semez la superstition, et vous récolterez le crime ; » il a raison, mais où il a tort c’est de confondre l’abus d’une chose avec la chose même ; si on voulait supprimer tout ce dont on peut abuser, on ne voit pas trop ce qui échapperait à la proscription, sans en excepter la presse. Certains réformateurs modernes ressemblent aux hommes qui voudraient couper un bon arbre, parce qu’il donne quelques fruits véreux.
Il ajoute : « C’est pour cela que nous demandons qu’on sème la science. » Il a encore raison, car la science est un élément de progrès, mais suffit-elle pour la moralisation complète ? Ne voit-on pas des hommes mettre leur savoir au service de leurs mauvaises passions ? Lapommeraie n’était-il pas un homme instruit, un médecin patenté, jouissant d’un certain crédit, et, de plus, un homme du monde ? Il en était de même de Castaing † et de tant d’autres. On peut donc abuser de la science ; en faut-il conclure que la science est une mauvaise chose ? Et de ce qu’un médecin a failli, la faute doit-elle rejaillir sur tout le corps médical ? Pourquoi donc imputer au Spiritisme celle d’un homme à qui il a plu de se dire spirite, et qui ne l’était pas ? La première chose, avant de porter un jugement quelconque, était de s’enquérir s’il avait pu trouver dans la doctrine spirite des maximes de nature à justifier ses actes. Pourquoi la science médicale n’est-elle pas solidaire du crime de Lapommeraie ? Parce que ce dernier n’a pu puiser dans les principes de cette science l’incitation au crime ; il a employé pour le mal les ressources qu’elle fournit pour le bien ; et pourtant il était plus médecin que Joye n’était spirite. C’est le cas d’appliquer le proverbe : « Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il est enragé. »
L’instruction est indispensable, personne ne le conteste ; mais, sans la moralisation, ce n’est qu’un instrument, trop souvent improductif pour celui qui ne sait pas en régler l’usage en vue du bien. Instruire les masses sans les moraliser, c’est mettre entre leurs mains un outil sans leur apprendre à s’en servir, car la moralisation qui s’adresse au cœur ne suit pas nécessairement l’instruction qui ne s’adresse qu’à l’intelligence ; l’expérience est là pour le prouver. Mais comment moraliser les masses ? C’est ce dont on s’est le moins occupé, et ce ne sera certainement pas en les nourrissant de l’idée qu’il n’y a ni Dieu, ni âme, ni espérance, car tous les sophismes du monde ne démontreront pas que l’homme qui croit que tout, pour lui, commence et finit avec son corps, a de plus puissantes raisons de se contraindre pour s’améliorer, que celui qui comprend la solidarité qui existe entre le passé, le présent et l’avenir. C’est cependant cette croyance au néantisme qu’une certaine école de soi-disant réformateurs prétend imposer à l’humanité comme l’élément par excellence du progrès moral.
L’auteur, en citant Victor Hugo, oublie, ou mieux ne se doute pas, que ce dernier a ouvertement affirmé en maintes occasions sa croyance aux principes fondamentaux du Spiritisme ; il est vrai que ce n’est pas du Spiritisme à la façon de Joye ; mais quand on ne sait pas, on peut confondre.
Quelque regrettable que soit l’abus qui a été fait du nom du Spiritisme dans cette affaire, aucun spirite ne s’est ému des suites qui pourraient en résulter pour la doctrine ; c’est qu’en effet, sa morale étant inattaquable, elle n’en peut subir aucune atteinte ; l’expérience prouve, au contraire, qu’il n’y a pas une seule des circonstances qui ont fait retentir le nom du Spiritisme qui n’ait tourné à son profit par un accroissement dans le nombre des adeptes, parce que l’examen que le retentissement provoque ne peut être qu’à son avantage. Il est à remarquer, néanmoins, qu’en cette affaire, à bien peu d’exceptions près, la presse s’est abstenue de tout commentaire à l’endroit du Spiritisme ; il y a quelques années elle en eût défrayé ses colonnes pendant deux mois, et n’aurait pas manqué de présenter Joye comme un des grands prêtres de la doctrine. On a pu remarquer également que, ni le président de la Cour, ni le procureur général dans son réquisitoire, ne se sont appesantis sur cette circonstance et n’en ont tiré aucune induction. L’avocat seul de Joye a fait son office de défenseur comme il a pu.