Sous ce titre, la librairie Hachette va faire paraître un nouvel ouvrage du jeune et éminent auteur de La pluralité des mondes habités, de Dieu dans la Nature, des Merveilles célestes, etc., etc.
Les Contemplations scientifiques, ainsi que l’indique leur titre, joignent à l’argumentation serrée du savant, la profondeur de conception et l’élévation de pensée du philosophe spiritualiste. En parcourant ces pages éloquentes et poétiques, les spirites trouveront largement à glaner.
Après avoir affirmé et démontré la pluralité et la solidarité des mondes habités, M. C. Flammarion, dans la première partie de son nouvel ouvrage, nous fait assister à l’existence de nos inférieurs sur la terre, depuis l’infiniment petit visible seulement au microscope, depuis la plante rudimentaire et l’insecte, jusqu’aux animaux supérieurs qui précèdent immédiatement l’homme dans l’échelle de la création. Il consacre, à l’application industrielle des découvertes scientifiques modernes, la seconde partie de son livre. Bornés par l’espace, nous ne le suivrons pas dans cet ordre d’idées ; mais nous ne pouvons résister au désir de faire connaître son opinion sur la question à l’ordre du jour, du progrès infini de tout ce qui existe et de l’avenir de l’animalité.
M. Flammarion a bien voulu nous communiquer quelques épreuves de cette nouvelle et intéressante publication, et nous ne doutons pas que nos lecteurs ne nous sachent gré de leur en signaler les passages suivants :
LE MONDE DES PLANTES.
« La vie n’est pas seulement représentée sur la terre par les êtres animés qui marchent à la surface du globe, volent dans les airs, ou nagent dans les profondeurs de l’onde. Composant un même ensemble, les animaux forment les gradins de la pyramide sur laquelle est assis l’homme, ce résumé supérieur de la série zoologique ; ils sont reliés entre eux par les mêmes caractères : le mouvement, la respiration, l’alimentation, les actes, de la vie animale, l’instinct et même la pensée pour un grand nombre d’entre eux ; ils sont rattachés à l’homme par les lois générales de l’organisation, et nous sentons qu’ils appartiennent au même système d’existence auquel nous appartenons nous-mêmes. Mais il est sur la terre une autre vie, bien différente de la précédente, quoiqu’elle en soit la base primitive et l’élément fondamental, une autre vie distincte de la nôtre, qui se perpétue parallèlement à la vie animale et semble se confiner dans une espèce d’isolement au milieu du reste du monde. C’est la vie des Plantes, de ces êtres mystérieux qui nous ont précédés dans cette création, et régnèrent longtemps en souverains sur les continents où depuis nous avons établi notre empire ; véritables racines de notre propre existence, par lesquelles nous suçons la sève nutritive de la terre ; sources sans cesse renouvelées de la vie qui rayonne sur le front de la nature ; créations qui constituent un règne intermédiaire entre le minéral et l’animal, et dont nous ne savons apprécier ni la valeur ni la réelle beauté?
« C’est qu’il y a dans cette loi qui préside à la vie, à la mort, à la résurrection des plantes, un caractère de grandeur, de prévoyance et d’affection, que la pensée humaine pressent sans pouvoir le saisir ; c’est qu’il y a dans ces êtres mystérieux qu’on appelle les plantes, un genre de vie latente et occulte qui étonne et remplit d’une étrange surprise l’esprit observateur?
« Les plantes, les animaux, a dit un poète allemand, sont les rêves de la nature dont l’homme est le réveil. Cette pensée profonde aura du retentissement dans notre âme, si nous consentons à descendre un instant de la vie humaine, et même de la vie animale, à l’observation de la vie végétale?
« Et ne croyez pas qu’elle subisse aveuglément, comme un objet inerte, les conditions d’existence qui lui sont imposées. Non : elle choisit, elle refuse, elle cherche, elle travaille?
« Écoutez, par exemple, cette histoire :
« Sur les ruines de New-Abbey, † dans le comté de Galloway, † croissait un érable au milieu d’un vieux mur. Là, loin du sol au-dessus duquel le monceau de pierres s’élevait encore de quelques pieds, notre pauvre érable mourait de faim, faim de Tantale, † puisqu’au pied même du mur aride s’étendait la bonne et nourrissante terre.
« Qui dira les sourds tressaillements de l’être végétal qui lutte contre la mort, ses tortures silencieuses et ses muettes langueurs galvanisées par la convoitise ? Qui saura raconter ici en particulier ce qui se passa dans l’organisme de notre pauvre martyr ; quelles attractions s’établirent, quelles facultés s’aiguisèrent, quelles impérieuses lois se révélèrent, quelles vertus enfin furent créées ?? Toujours est-il que notre érable, érable énergique et aventureux s’il en fut, voulant vivre à tout prix et ne pouvant attirer la terre, marcha, lui, l’immobile, l’enchaîné, vers cette terre lointaine, objet de ses ardents désirs.
« Il marcha ? non ; mais il s’étira, s’allongea, tendit un bras désespéré. Une racine improvisée pour la circonstance fut émise, poussée au grand air, envoyée en reconnaissance, dirigée vers le sol, qu’elle atteignit? Avec quelle ivresse elle s’y enfonça ! L’arbre était sauvé désormais. Nourri par cette racine nouvelle, il se déplaça, laissa mourir celles qui vainement plongeaient dans les décombres ; puis se redressant peu à peu, il quitta les pierres du vieux mur et vécut sur l’organe libérateur, qui bientôt se transforma en un tronc véritable.
« Que pensez-vous de cette persistance ? Ne trouvez-vous pas que cet instinct ressemble fort à celui de l’animal, et même, osons l’avouer, à la volonté humaine ??
« Sous ces manifestations d’une vie inconnue, le philosophe ne peut s’empêcher de reconnaître dans le monde des plantes, un chant du chœur universel. C’est un monde d’une réalité vivante, plus touchante qu’on n’est porté à le croire, que ce règne végétal, harmonique, doux et songeur, qui, sur les degrés inférieurs à l’animalité, semble rêver dans l’attente de la perfection entrevue. Sans doute il ne faut pas tomber dans l’excès d’une école de l’antiquité qui, sous l’autorité d’Empédocle, n’hésitant pas à accorder aux plantes des facultés d’élite, les avait humanisées, et même divinisées. Non ; les plantes ne sont ni des animaux ni des hommes : une distance immense les sépare de nous ; mais elles vivent d’une vie que nous ne savons pas apprécier, et nous serions bien étonnés s’il nous était permis d’entrer un instant dans les secrets du monde végétal, et d’écouter ce que peuvent dire en leur langue, les petites fleurs et les grands arbres.
INTELLIGENCE DES ANIMAUX.
« Des degrés inférieurs de la série zoologique, dont nous venons d’avoir un aspect particulier dans notre précédente étude sur la vie des insectes, élevons-nous plus haut, et mettons-nous maintenant en relation avec les manifestations plus élevées de la vie terrestre.
« La nature entière est construite sur le même plan, et manifeste l’expression permanente de la même idée. La grande loi d’unité et de continuité se révèle non-seulement dans la forme plastique des êtres, mais encore dans la force qui les anime, depuis l’humble végétal jusqu’à l’homme le plus éminent. Dans la plante, une force organique groupe les cellules suivant le mode de chaque espèce, en s’approchant vers le type idéal du règne. Le cèdre au sommet du Liban, le saule au bord des rivières, les arbres des forêts profondes et les fleurs de nos jardins rêvent, assoupis aux limbes indécises de la vie. Chez un certain nombre, on constate des mouvements spontanés et des expressions qui paraissent révéler en elles quelque apparition rudimentaire du système nerveux. Les degrés inférieurs du règne animal, qui habitent les mobiles régions de l’Océan, les zoophytes, semblent appartenir sous certains aspects au monde des plantes. A mesure qu’on s’élève sur l’échelle de la vie, l’esprit affirme peu à peu une personnalité mieux déterminée ; il atteint son plus haut développement dans l’homme, dernier anneau de l’immense chaîne sur la terre.
« Cette contemplation de la vie dans la nature, embrasse sous une même conception l’ensemble des êtres, et nous met en relation avec l’unité vivante manifestée sous les formes terrestres et sidérales. Inspirée et affirmée par les fécondes découvertes de la science contemporaine, elle surpasse majestueusement les idées d’un autre âge, qui morcelaient la création et ne laissaient subsister que l’homme sur le trône de l’intelligence. Nous savons aujourd’hui que l’homme n’est pas isolé dans l’univers ni sur la terre ; il est rattaché aux autres mondes par les liens de la vie universelle et éternelle, et à la population terrestre par ceux de l’organisation commune des habitants de notre planète. Il n’y a plus un abîme infranchissable entre l’homme et Jupiter, ni entre l’homme blanc et l’homme noir, ni entre l’homme et le singe, le chien ou la plante. Tous les êtres sont fils de la même loi, et tous tendent au même but, la perfection.
« La réaction théologique du dix-septième siècle avait séparé rigoureusement l’homme de ses aînés dans l’œuvre inexpliquée de la création. Descartes représenta les animaux comme de simples machines vivantes. De grandes discussions s’élevèrent sur la question de l’âme des bêtes, et de temps en temps nous retrouvons aujourd’hui sur les quais les pièces variées de cet immense plaidoyer. Des nombreux traités écrits à cette époque sur ce sujet, nous citerons surtout celui du P. Daniel, n disciple de Descartes, qui complète son voyage à la Lune, et celui du P. Boujeaut, n qui prend le parti des bêtes? et même leur trouve tant d’esprit qu’il finit par voir en elles, l’incarnation des diables les plus malins?
« Les animaux sont doués de la faculté de penser ; en eux réside une âme, différente de la nôtre (et peut-être si différente que nulle comparaison ne puisse être établie). La faculté de penser se montre en des degrés divers suivant les espèces, et là reste la grande difficulté du sujet ! Car en accordant une âme au chien, nous sommes conduits de proche en proche à en accorder une à l’huître, et si l’huître est animée par une monade spirituelle, en adoptant même la classification de Leibnitz, nous ne voyons pas pourquoi la sensitive, la rose, en seraient privées. Voici donc une série d’âmes immortelles en nombres incalculables, dont nous serions bien embarrassés si nous étions obligés de diriger leurs métempsycoses. Fort heureusement que le mystérieux auteur de la nature ne nous a pas laissé cet embarras, tout en nous laissant la faculté de rêver et de conjecturer.
« Cette étude n’aurait pas de bornes, si nous nous laissions aller à présenter ici tous les matériaux que nous avons sous la main en faveur de l’âme des animaux supérieurs. Nous ne pouvons que reléguer ces faits si nombreux aux notes complémentaires auxquelles nous renvoyons. Par l’amitié comme par la haine, par l’attachement singulier que des espèces différentes d’animaux se sont porté elles-mêmes, on est autorisé à admettre chez les animaux des facultés intellectuelles analogues aux nôtres. Cette question comporte l’un des plus curieux et des plus graves problèmes de la philosophie naturelle.
« Concluons en déclarant que Buffon s’est trompé en osant dire, après avoir exposé les actions raisonnées du pungo : « cependant le pungo ne pense point ; » et que le grand Leibnitz était dans l’erreur lorsqu’il affirmait que « le plus stupide des hommes est incomparablement plus raisonnable et plus docile que la plus spirituelle des bêtes. » Il est certain qu’il y a de par le monde des hommes grossiers, bruts, plus méchants et moins intelligents que certaines bêtes de bonne nature.
« C. FLAMMARION. »
[1]
[Contemplations
scientifiques - Google Books.]
[2] [Amusement
philosophique sur le langage des bêtes. Par Guillaume-Hyacinthe
Bougeant - Google Books.]
[3] [Voiage
Du Monde De Descartes. Par Gabriel Daniel - Google Books.]