Après avoir traité, comme on le sait, au point de vue de la science, la question de l’habitabilité des mondes, qui se lie intimement au Spiritisme, M. Flammarion aborde aujourd’hui la démonstration d’une autre vérité, la plus capitale sans contredit, car c’est la pierre angulaire de l’édifice social, celle aussi sans laquelle le Spiritisme n’aurait pas sa raison d’être : L’existence de Dieu. Le titre de son ouvrage : Dieu dans la nature, en résume toute l’économie ; il dit tout d’abord que ce n’est pas un livre liturgique, ni mystique, mais philosophique.
Du scepticisme d’un grand nombre de savants, on a conclu à tort que la science, par elle-même, est athée, ou conduit fatalement à l’athéisme ; c’est une erreur que M. Flammarion s’attache à réfuter, en démontrant que si les savants n’ont pas vu Dieu dans leurs recherches, c’est qu’ils n’ont pas voulu le voir. Tous les savants, d’ailleurs, sont loin d’être athées, mais on confond souvent le scepticisme à l’endroit des dogmes particuliers de tel ou tel culte avec l’athéisme. M. Flammarion s’adresse spécialement à la classe des philosophes qui font ouvertement profession de matérialisme.
« L’homme, dit-il, porte en sa nature une si impérieuse nécessité de s’arrêter à une conviction, particulièrement au point de vue de l’existence d’un ordonnateur du monde et de la destinée des êtres, que si nulle foi ne le satisfait, il a besoin de se démontrer que Dieu n’existe pas, et cherche le repos de son âme dans l’athéisme et la doctrine du néant. Aussi la question actuelle qui nous passionne n’est-elle plus de savoir quelle est la forme du Créateur, le caractère de la médiation, l’influence de la grâce, ni de discuter la valeur des arguments théologiques : la véritable question est de savoir si Dieu existe ou s’il n’existe pas. »
Dans ce travail, l’auteur a procédé de la même manière que dans sa Pluralité des mondes habités, il s’est placé sur le terrain même de ses adversaires. S’il eût puisé ses arguments dans la théologie, dans le Spiritisme ou dans des doctrines spiritualistes quelconques, il aurait posé des prémisses qui eussent été rejetées. C’est pourquoi il prend celle des négateurs et démontre, par les faits mêmes, qu’on arrive à une conclusion diamétralement opposée ; il n’invoque pas de nouveaux arguments controversables ; il ne se perd pas dans les nuages de la métaphysique, du subjectif et de l’objectif, dans les arguties de la dialectique ; il reste sur le terrain du positivisme ; il combat les athées avec leurs propres armes ; prenant un à un leurs arguments, il les détruit à l’aide de la science même qu’ils invoquent. Il ne s’appuie pas sur l’opinion des hommes ; son autorité, c’est la nature et il y montre Dieu en tout et partout.
« La nature expliquée par la science, dit-il, nous l’a montré dans un caractère particulier. Il est là, visible, comme la force intime de toutes choses. Nulle poésie humaine ne nous a paru comparable à la vérité naturelle, et le verbe éternel nous a parlé avec plus d’éloquence dans les œuvres les plus modestes de la nature, que l’homme dans ses chants les plus pompeux. »
Nous avons dit les motifs qui ont engagé M. Flammarion à se placer en dehors du Spiritisme, et nous ne pouvons que l’approuver ; si quelques personnes pensaient que c’est par antagonisme pour la doctrine, il suffirait, pour les désabuser, de citer le passage suivant :
« Nous pourrions ajouter, pour clore le chapitre de la personnalité humaine, quelques réflexions sur certains sujets d’étude encore mystérieux, mais non insignifiants. Le somnambulisme naturel, le magnétisme, le Spiritisme, offrent aux expérimentateurs sérieux qui savent les examiner scientifiquement des faits caractéristiques qui suffiraient pour démontrer l’insuffisance des théories matérialistes. Il est triste, nous l’avouons, pour l’observateur consciencieux, de voir le charlatanisme éhonté glisser son avidité perfide en des causes qui devraient être respectées ; il est triste de constater que quatre-vingt dix-neuf faits sur cent peuvent être faux ou imités ; mais un seul fait bien constaté déjoue toutes les négations. Or, quel parti prennent certains doctes personnages devant ces faits ? Ils les nient simplement. « La science ne doute point, dit en particulier M. Buchner, que tous les cas de prétendue clairvoyance ne soient des effets de jonglerie et de collusion. La lucidité est, par des raisons naturelles, une impossibilité. Il est dans les lois de la nature que les effets des sens soient bornés à certaines limites de l’espace qu’ils ne peuvent franchir. Personne n’a la faculté de deviner les pensées ni de voir avec les yeux fermés ce qui se passe autour de lui. Ces vérités sont basées sur des lois naturelles qui sont immuables et sans exceptions. »
« Eh ! monsieur le juge, vous les connaissez donc bien, les lois naturelles ? Heureux homme ! Que ne succombez-vous sous l’excès de votre science ! Mais quoi ? Je tourne deux pages, et voici ce que je lis :
« Le somnambulisme est un phénomène dont malheureusement nous n’avons que des observations très inexactes, quoiqu’il fût à désirer que nous en eussions des notions précises à cause de son importance pour la science. Cependant, sans en avoir des données certaines (écoutez !), on peut reléguer parmi les fables tous les faits merveilleux qu’on raconte des somnambules. Il n’est pas donné à un somnambule d’escalader les murs, etc. » Ah ! monsieur, que vous raisonnez donc sagement ! et que vous auriez bien fait, avant d’écrire, de savoir un peu ce que vous pensez ! »
Un compte rendu analytique de l’ouvrage exigerait des développements que le défaut d’espace nous interdit, et serait d’ailleurs superflu. Il nous suffisait de montrer le point de vue où s’est placé l’auteur pour en faire comprendre l’utilité. Réconcilier la science avec les idées spiritualistes, c’est aplanir les voies de son alliance avec le Spiritisme. L’auteur parle au nom de la science pure et non d’une science fantaisiste ou superficielle, et il le fait avec l’autorité que lui donne son savoir personnel. Son livre est un de ceux qui ont une place marquée dans les bibliothèques spirites, car c’est une monographie d’une des parties constituantes de la doctrine, où le croyant trouve à s’instruire aussi bien que l’incrédule. Nous aurons plus d’une fois l’occasion d’y revenir.
Allan Kardec.
Paris. – Typ. de Rouge frères, Dunon et Fresné, rue du Four-Saint-Germain, † 43.
[1] [Dieu dans la nature - Google Books.] Un fort volume in-12. Prix, 4 fr. Paris, Didier et Comp., quai des Grands-Augustins, † 35.