1. — Dans un article de notre dernier numéro (page 6), intitulé : Coup d’œil rétrospectif sur le mouvement du Spiritisme, nous avons fait deux classes distinctes des libres penseurs : les incrédules et les croyants, et dit que, pour les premiers, être libre penseur ce n’est pas seulement croire à ce qu’on veut, mais ne croire à rien ; c’est s’affranchir de tout frein, même de la crainte de Dieu et de l’avenir ; pour les seconds, c’est subordonner la croyance à la raison et s’affranchir du joug de la foi aveugle. Ces derniers ont pour organe de publicité la Libre conscience, titre significatif ; les autres, le journal la Libre pensée, qualification plus vague, mais qui se spécialise par les opinions formulées, et qui viennent de tous points corroborer la distinction que nous avons faite. Nous y lisons dans le nº 2 du 28 octobre 1866 :
« Les questions d’origine et de fin ont jusqu’ici préoccupé l’humanité au point souvent de troubler sa raison. Ces problèmes qu’on a qualifiés de redoutables, et que nous croyons d’importance secondaire, ne sont point du domaine immédiat de la science. Leur solution scientifique ne peut offrir qu’une demi-certitude. Telle qu’elle est pourtant, elle nous suffit, et nous n’essayerons pas de la compléter par des arguties métaphysiques. Notre but est, d’ailleurs, de ne nous occuper que des sujets abordables par l’observation. Nous entendons rester sur terre. Si, parfois, nous nous en éloignons pour répondre aux attaques de ceux qui ne pensent pas comme nous, l’excursion au dehors du réel sera de courte durée. Nous aurons toujours présent à la pensée ce sage conseil d’Helvétius : « Il faut avoir le courage d’ignorer ce qu’on ne peut savoir.
« Un nouveau journal, la Libre conscience, notre aîné de quelques jours, comme il le fait remarquer, nous souhaite la bienvenue dans son numéro spécimen. Nous le remercions de la façon courtoise dont il a usé de son droit d’aînesse. Notre confrère pense que, malgré l’analogie des titres, nous ne serons pas toujours en « complète affinité d’idées. » Nous, après lecture de son numéro spécimen, nous en sommes certains ; nous ne comprenons pas plus la libre conscience que la libre pensée avec une limite dogmatique assignée à l’avance. Quand on se déclare nettement disciple de la science, et champion de la libre conscience, il est irrationnel, selon nous, de poser ensuite comme un dogme une croyance quelconque, impossible à prouver scientifiquement. La liberté limitée de la sorte n’est pas la liberté. A notre tour, nous souhaitons la bienvenue à la Libre conscience, et sommes disposés à voir en elle une alliée, puisqu’elle déclare vouloir combattre pour toutes les libertés… moins une. »
2. — Il est étrange de voir considérer l’origine et la fin de l’humanité comme des questions secondaires propres à troubler la raison. Que dirait-on d’un homme qui, vivant au jour le jour, ne s’inquièterait pas comment il vivra demain ? Passerait-il pour un homme sensé ? Que penserait-on de celui qui, ayant une femme, des enfants, des amis, dirait : Que m’importe que demain ils soient morts ou vivants ! Or, le lendemain de la mort est long ; il ne faut donc pas s’étonner que tant de gens s’en préoccupent.
Si l’on fait la statistique de tous ceux qui perdent la raison, on verra que le plus grand nombre est précisément du côté de ceux qui ne croient pas à ce lendemain ou qui en doutent, et cela, par la raison bien simple que la grande majorité des cas de folie est produite par le désespoir et le manque de courage moral qui fait supporter les misères de la vie, tandis que la certitude de ce lendemain rend moins amères les vicissitudes du présent, et les fait considérer comme des incidents passagers dont le moral ne s’affecte que médiocrement ou pas du tout. Sa confiance en l’avenir lui donne une force que n’aura jamais celui qui n’a pour perspective que le néant. Il est dans la position d’un homme qui, ruiné aujourd’hui, a la certitude d’avoir demain une fortune supérieure à celle qu’il vient de perdre. Dans ce cas, il en prend aisément son parti, et reste calme ; si au contraire il n’attend rien, il se désespère et sa raison peut en souffrir.
Personne ne contestera ce principe que : savoir jour par jour d’où l’on vient et où l’on va, ce que l’on a fait la veille et ce que l’on fera demain, ne soit une chose nécessaire pour régler les affaires journalières de la vie, et qu’elle n’influe sur la conduite personnelle.
Assurément le soldat qui sait où on le conduit, qui voit son but, marche avec plus de fermeté, plus d’entrain, plus d’enthousiasme que si on le conduisait en aveugle. Il en est ainsi du petit au grand, de l’individualité à l’ensemble ; savoir d’où l’on vient et où l’on va n’est pas moins nécessaire pour régler les affaires de la vie collective de l’humanité. Le jour où l’humanité tout entière aurait la certitude que la mort est sans issue, verrait un désarroi général, et les hommes se ruer les uns sur les autres, en se disant : Si nous ne devons vivre qu’un jour, vivons le mieux possible, n’importe aux dépens de qui !
3. — Le journal la Libre pensée déclare qu’il entend rester sur la terre, et que, s’il en sort parfois, ce sera pour réfuter ceux qui ne pensent pas comme lui, mais que ses excursions hors du réel seront de courte durée.
Nous comprendrions qu’il en fût ainsi d’un journal exclusivement scientifique, traitant de matières spéciales ; il est évident qu’il serait intempestif de parler de spiritualité, de psychologie ou de théogonie à propos de mécanique, de chimie, de physique, de calculs mathématiques, de commerce ou d’industrie ; mais dès lors qu’il fait entrer dans son programme la philosophie, il ne saurait le remplir sans aborder les questions métaphysiques. Bien que le mot philosophie soit très élastique, et qu’il ait été singulièrement détourné de son acception étymologique, il implique, par son essence même, des recherches et des études qui ne sont pas exclusivement matérielles.
4. — Le conseil d’Helvétius : « Il faut avoir le courage d’ignorer ce qu’on ne peut savoir, » est très sage, et s’adresse surtout aux savants présomptueux qui pensent que rien ne peut être caché à l’homme, et que ce qu’ils ne savent pas ou ne comprennent pas ne doit pas exister. Il serait plus juste cependant de dire : « Il faut avoir le courage d’avouer son ignorance sur ce qu’on ne sait pas. » Tel qu’il est formulé, on pourrait le traduire ainsi : « Il faut avoir le courage de conserver son ignorance, » d’où cette conséquence : « Il est inutile de chercher à savoir ce qu’on ne sait pas. » Sans doute, il est des choses que l’homme ne saura jamais tant qu’il sera sur la terre, parce que, quelle que soit sa présomption, l’humanité y est encore à l’état d’adolescence ; mais qui oserait poser des bornes absolues à ce qu’il peut savoir ? Puisqu’il en sait infiniment plus aujourd’hui que les hommes des temps primitifs, pourquoi, plus tard, n’en saurait-il pas plus qu’il n’en sait maintenant ?
C’est ce que ne peuvent comprendre ceux qui n’admettent pas la perpétuité et la perfectibilité de l’être spirituel. Beaucoup se disent : Je suis au sommet de l’échelle intellectuelle ; ce que je ne vois pas et ne comprends pas, personne ne peut le voir et le comprendre.
5. — Dans le paragraphe rapporté ci-dessus et relatif au journal la Libre conscience, il est dit : « Nous ne comprenons pas plus la libre conscience que la libre pensée avec une limite dogmatique assignée à l’avance. Quand on se déclare disciple de la science, il est irrationnel de poser comme un dogme une croyance quelconque impossible à prouver scientifiquement. La liberté limitée de la sorte n’est pas la liberté. »
Toute la doctrine est dans ces mots ; la profession de foi est nette et catégorique. Ainsi, parce que Dieu ne peut être démontré par une équation algébrique, que l’âme n’est pas saisissable à l’aide d’un réactif, il est absurde de croire à Dieu et à l’âme. Tout disciple de la science doit par conséquent être athée et matérialiste. Mais, pour ne pas sortir de la matérialité, la science est-elle toujours infaillible dans ses démonstrations ? Ne l’a-t-on pas maintes fois vue donner pour des vérités ce qui plus tard a été reconnu être des erreurs, et vice-versâ ?
N’est-ce pas au nom de la science que le système de Fulton a été déclaré une chimère ? Avant de connaître la loi de la gravitation, ne démontrait-elle pas scientifiquement qu’il ne pouvait pas y avoir d’antipodes ? Avant de connaître celle de l’électricité, n’eût-elle pas démontré par a plus b qu’il n’existait pas de vitesse capable de transmettre une dépêche à cinq cents lieues en quelques minutes ?
On avait bien expérimenté la lumière, et cependant, il y a peu d’années encore, qui eût soupçonné les prodiges de la photographie ? Pourtant ce ne sont pas des savants officiels qui ont fait cette prodigieuse découverte, non plus que celles du télégraphe électrique et des machines à vapeur. La science connaît-elle encore aujourd’hui toutes les lois de la nature ? Sait-elle seulement toutes les ressources qu’on peut tirer des lois connues ? Qui oserait le dire ? Ne se peut-il qu’un jour la connaissance de nouvelles lois rende la vie extra-corporelle aussi évidente, aussi rationnelle, aussi intelligible que celle des antipodes ? Un tel résultat coupant court à toutes les incertitudes, serait-il donc à dédaigner ?
Serait-il moins important pour l’humanité que la découverte d’un nouveau continent, d’une nouvelle planète, d’un nouvel engin de destruction ? Eh bien ! cette hypothèse s’est faite réalité ; c’est au Spiritisme qu’on le doit, et c’est grâce à lui que tant de gens qui croyaient mourir une fois pour toutes, sont maintenant certains de vivre toujours.
6. — Nous avons parlé de la force de gravitation, de cette force qui régit l’univers, depuis le grain de sable jusqu’aux mondes ; mais qui l’a vue, qui a pu la suivre, l’analyser ? En quoi consiste-t-elle ? Quelle est sa nature, sa cause première ? Nul ne le sait, et cependant nul n’en doute aujourd’hui. Comment l’a-t-on reconnue ? Par ses effets ; des effets on a conclu à la cause ; on a fait plus : en calculant la puissance des effets, on a calculé la puissance de la cause qu’on n’a jamais vue. Il en est de même de Dieu et de la vie spirituelle que l’on juge aussi par leurs effets, selon cet axiome : « Tout effet a une cause. Tout effet intelligent a une cause intelligente. La puissance de la cause intelligente est en raison de la grandeur de l’effet. » Croire en Dieu et en la vie spirituelle n’est donc pas une croyance purement gratuite, mais un résultat d’observations tout aussi positif que celui qui fait croire à la force de gravitation.
Puis, à défaut de preuves matérielles, ou concurremment à celles-ci, la philosophie n’admet-elle pas les preuves morales qui, parfois, ont autant et plus de valeur que les autres ? Vous, qui ne tenez pour vrai que ce qui est prouvé matériellement, que diriez-vous si, étant injustement accusé d’un crime dont toutes les apparences seraient contre vous, ainsi que cela se voit souvent en justice, les juges ne tenaient aucun compte des preuves morales qui seraient en votre faveur ? Ne seriez-vous pas le premier à les invoquer ? à faire valoir leur prépondérance sur des effets purement matériels qui peuvent faire illusion ? à prouver que les sens peuvent abuser le plus clairvoyant ? Si donc vous admettez que les preuves morales doivent peser dans la balance d’un jugement, vous ne seriez pas conséquent avec vous-même d’en dénier la valeur quand il s’agit de se faire une opinion sur les choses qui, par leur nature, échappent à la matérialité.
7. — Quoi de plus libre, de plus indépendant, de moins saisissable par son essence même, que la pensée ? Et pourtant voilà une école qui prétend l’émanciper en l’enchaînant à la matière ; qui avance, au nom de la raison, que la pensée circonscrite sur les choses terrestres est plus libre que celle qui s’élance dans l’infini, et veut voir au delà de l’horizon matériel ! Autant vaudrait dire que le prisonnier qui ne peut faire que quelques pas dans son cachot est plus libre que celui qui court les champs. Si, croire aux choses du monde spirituel qui est infini, c’est n’être pas libre, vous l’êtes cent fois moins, vous qui vous circonscrivez dans la limite étroite du tangible, qui dites à la pensée : Tu ne sortiras pas du cercle que nous te traçons, et si tu en sors, nous déclarons que tu n’es plus la pensée saine, mais la folie, la sottise, la déraison, car à nous seuls appartient de discerner le faux du vrai.
A cela le spiritualisme répond : Nous formons l’immense majorité des hommes dont vous êtes à peine la millionième partie ; de quel droit vous attribuez-vous le monopole de la raison ? Vous voulez, dites-vous, émanciper nos idées en nous imposant les vôtres ? Mais vous ne nous apprenez rien ; nous savons ce que vous savez ; nous croyons sans restriction à tout ce que vous croyez : à la matière et à la valeur des preuves tangibles, et de plus que vous : à quelque chose en dehors de la matière ; à une puissance intelligente supérieure à l’humanité ; à des causes inappréciables par les sens, mais perceptibles par la pensée ; à la perpétuité de la vie spirituelle que vous limitez à la durée de la vie du corps. Nos idées sont donc infiniment plus larges que les vôtres ; tandis que vous circonscrivez votre point de vue, le nôtre embrasse des horizons sans bornes. Comment celui qui concentre sa pensée sur un ordre déterminé de faits, qui pose ainsi un point d’arrêt à ses mouvements intellectuels, à ses investigations, peut-il prétendre émanciper celui qui se meut sans entraves, et dont la pensée sonde les profondeurs de l’infini ? Restreindre le champ d’exploration de la pensée, c’est restreindre sa liberté, et c’est ce que vous faites.
Vous voulez, dites-vous encore, arracher le monde au joug des croyances dogmatiques ; faites-vous au moins une distinction entre ces croyances ? Non, car vous confondez dans la même réprobation tout ce qui n’est pas du domaine exclusif de la science, tout ce qui ne se voit pas par les yeux du corps, en un mot tout ce qui est d’essence spirituelle, par conséquent Dieu, l’âme et la vie future. Mais si toute croyance spirituelle est une entrave à la liberté de penser, il en est de même de toute croyance matérielle ; celui qui croit qu’une chose est rouge, parce qu’il la voit rouge, n’est pas libre de la croire verte. Dès lors que la pensée est arrêtée par une conviction quelconque, elle n’est plus libre ; pour être conséquent avec votre théorie, la liberté absolue consisterait à ne rien croire du tout, pas même à sa propre existence, car ce serait encore une restriction ; mais alors que deviendrait la pensée ?
8. — Envisagée à ce point de vue, la libre pensée serait un non-sens. Elle doit s’entendre dans un sens plus large et plus vrai ; c’est-à-dire du libre usage que l’on fait de la faculté de penser, et non de son application à un ordre quelconque d’idées. Elle consiste, non pas à croire une chose plutôt qu’une autre, ni à exclure telle ou telle croyance, mais dans la liberté absolue du choix des croyances. C’est donc abusivement que quelques-uns en font l’application exclusive aux idées antispiritualistes. Toute opinion raisonnée, qui n’est ni imposée, ni enchaînée aveuglement à celle d’autrui, mais qui est volontairement adoptée en vertu de l’exercice du jugement personnel, est une pensée libre, qu’elle soit religieuse, politique ou philosophique.
La libre pensée, dans son acception la plus large, signifie : libre examen, liberté de conscience, foi raisonnée ; elle symbolise l’émancipation intellectuelle, l’indépendance morale, complément de l’indépendante physique ; elle ne veut pas plus d’esclaves de la pensée que d’esclaves du corps, car ce qui caractérise le libre penseur, c’est qu’il pense par lui-même et non par les autres, en d’autres termes que son opinion lui appartient en propre. Il peut donc y avoir des libres penseurs dans toutes les opinions et dans toutes les croyances. En ce sens, la libre pensée relève la dignité de l’homme ; elle en fait un être actif, intelligent, au lieu d’une machine à croire.
9. — Dans le sens exclusif que quelques-uns lui donnent, au lieu d’émanciper l’esprit, elle restreint son activité, elle en fait l’esclave de la matière. Les fanatiques de l’incrédulité font dans un sens ce que les fanatiques de la foi aveugle font dans un autre ; alors que ceux-ci disent :
Pour être selon Dieu il faut croire à tout ce que nous croyons ; hors de notre foi il n’y a point de salut, les autres disent : Pour être selon la raison, il faut penser comme nous, ne croire qu’à ce que nous croyons ; hors des limites que nous traçons à la croyance, il n’y a ni liberté ni bon sens, doctrine qui se formule par ce paradoxe : Votre esprit n’est libre qu’à la condition de ne pas croire à ce qu’il veut, ce qui revient à dire à un individu : Tu es le plus libre de tous les hommes, à la condition de ne pas aller plus loin que le bout de la corde à laquelle nous t’attachons.
Assurément nous ne contestons pas aux incrédules le droit de ne croire à rien autre qu’à la matière, mais on conviendra qu’il y a de singulières contradictions dans leur prétention à s’attribuer le monopole de la liberté de penser.
10. — Nous avons dit que par la qualité de libre penseur certaines personnes cherchaient à atténuer ce que l’incrédulité absolue a de répulsif pour l’opinion des masses ; supposons, en effet, qu’un journal s’intitule ouvertement ; l’Athée, l’Incrédule ou le Matérialiste, on peut juger de l’impression que ce titre ferait sur le public ; mais qu’il abrite ces mêmes doctrines sous le couvert du libre penseur, à cette enseigne on se dit :
C’est le drapeau de l’émancipation morale ; ce doit être celui de la liberté de conscience et surtout de la tolérance ; voyons. On voit qu’il ne faut pas toujours s’en rapporter à l’étiquette.
On aurait tort, du reste, de s’effrayer outre mesure des conséquences de certaines doctrines ; elles peuvent momentanément séduire quelques individus, mais elles ne séduiront jamais les masses qui y sont opposées par instinct et par besoin. Il est utile que tous les systèmes se montrent au grand jour, afin que chacun puisse en juger le fort et le faible, et, en vertu du droit de libre examen, puisse les adopter ou les rejeter en connaissance de cause. Quand les utopies auront été vues à l’œuvre, et qu’elles auront prouvé leur impuissance, elles tomberont pour ne plus se relever. Par leur exagération même, elles remuent la société et préparent la rénovation. C’est encore là un signe des temps.
11. — Le Spiritisme est-il, comme quelques-uns le pensent, une nouvelle foi aveugle substituée à une autre foi aveugle ; autrement dit un nouvel esclavage de la pensée sous une nouvelle forme ? Pour le croire il faut en ignorer les premiers éléments. En effet, le Spiritisme pose en principe qu’avant de croire il faut comprendre ; or, pour comprendre, il faut faire usage de son jugement ; voilà pourquoi il cherche à se rendre compte de tout avant de rien admettre, à savoir le pourquoi et le comment de chaque chose ; aussi les Spirites sont-ils plus sceptiques que beaucoup d’autres à l’endroit des phénomènes qui sortent du cercle des observations habituelles. Il ne repose sur aucune théorie préconçue et hypothétique, mais sur l’expérience et l’observation des faits ; au lieu de dire : « Croyez d’abord, et vous comprendrez ensuite, si vous le pouvez, » il dit : « Comprenez d’abord, et vous croirez ensuite si vous le voulez. » Il ne s’impose à personne ; il dit à tous : « Voyez, observez, comparez et venez à nous librement si cela vous convient. » En parlant ainsi, il se met sur les rangs et court les chances de la concurrence. Si beaucoup vont à lui, c’est qu’il en satisfait beaucoup, mais nul ne l’accepte les yeux fermés. A ceux qui ne l’acceptent pas, il dit : « Vous êtes libres, et je ne vous en veux pas ; tout ce que je vous demande, c’est de me laisser ma liberté, comme je vous laisse la vôtre. Si vous cherchez à m’évincer, par la crainte que je ne vous supplante, c’est que vous n’êtes pas bien sûrs de vous. »
12. — Le Spiritisme ne cherchant à écarter aucun des concurrents dans la lice ouverte aux idées qui doivent prévaloir dans le monde régénéré, est dans les conditions de la véritable libre pensée ; n’admettant aucune théorie qui ne soit fondée sur l’observation, il est en même temps dans celles du plus rigoureux positivisme ; il a enfin sur ses adversaires des deux opinions contraires extrêmes, l’avantage de la tolérance.
Nota. Quelques personnes nous ont reproché les explications théoriques que nous avons, dès le principe, cherché à donner des phénomènes spirites. Ces explications, basées sur une observation attentive, en remontant des effets à la cause, prouvaient, d’une part, que nous voulions nous rendre compte et non croire en aveugle ; de l’autre, que nous voulions faire du Spiritisme une science de raisonnement et non de crédulité. Par ces explications que le temps a développées, mais qu’il a consacrées en principe, car aucune n’a été contredite par l’expérience, les Spirites ont cru, parce qu’ils ont compris, et il n’est pas douteux que c’est à cela qu’il faut attribuer l’accroissement rapide du nombre des adeptes sérieux. C’est à ces explications que le Spiritisme doit d’être sorti du domaine du merveilleux, et de s’être rattaché aux sciences positives ; par elles il est démontré aux incrédules que ce n’est pas une œuvre d’imagination ; sans elles nous en serions encore à comprendre les phénomènes qui surgissent chaque jour. Il était urgent de poser, dès le principe, le Spiritisme sur son véritable terrain. La théorie fondée sur l’expérience, a été le frein qui a empêché la crédulité superstitieuse, aussi bien que la malveillance, de le faire dévoyer de sa route. Pourquoi ceux qui nous reprochent d’en avoir pris l’initiative, ne l’ont-ils pas prise eux-mêmes ?