Écoutez ce que dit l’Apôtre : Dans les cieux
Pourquoi, Galiléens, promenez-vous vos yeux ?
C’est ainsi, que d’avance il lançait l’anathème
Contre toi, Galilée, et contre ton système.
Nous-mêmes, aujourd’hui, nous voyons clairement,
En quelle horreur le ciel a cet enseignement,
Et l’Arno débordé, la grêle sur nos vignes,
Sont du courroux divin les lamentables signes.
— Mes frères, méprisez ces mensonges grossiers ;
Pour que la terre marche, est-ce qu’elle a des pieds ?
Si la lune se meut, c’est qu’un ange la guide ;
Car à chaque planète un conducteur préside ;
Mais la terre, où serait son ange ? – Sur les monts ?
On l’y verrait. – Au centre ? Il loge les démons.
Livie, femme de Galilée, est le type des gens à esprit borné,
plus soucieux de la vie matérielle que de la gloire et de la vérité.
LIVIE, à Galilée.
…Pourquoi, chauffez-vous les cervelles,
En débitant un tas de maximes nouvelles ?
Toutes ces nouveautés sont, pour trancher le mot,
Invention du diable et sentent le fagot.
A la façon déjà, dont chacun vous regarde,
Cela finira mal, si vous n’y prenez garde.
Oh ! que n’imitez-vous ces dignes professeurs
Qui disent ce qu’ont dit tous leurs prédécesseurs ?
Voilà des gens chez qui l’ordre et le bon sens règnent ;
Ils enseignent sans bruit ce qu’on veut qu’ils enseignent,
Et, sans se travailler à débattre en public
S’il faut croire Aristote ou croire Copernic,
Ils tiennent sagement que l’opinion vraie
Doit être celle-là pour laquelle on les paie,
Et que, puisque Aristote ouvre le coffre-fort,
Aristote à raison, et Copernic à tort.
Aussi ne se font-ils d’affaire avec personne ;
Ils emboursent en paix les florins qu’on leur donne ;
Ils prospèrent ; ils sont bien logés, bien nourris ;
Leurs filles ont des dots et trouvent des maris ;
Leur auditoire est doux et jamais ne s’attroupe ;
Ils rentrent au logis aux heures où l’on soupe ;
Mais vous, vous faites rage, et l’on vous applaudit,
Et, pendant ce temps-là, le dîner refroidit.
Fragments du monologue de Galilée
au commencement du second acte :
Non, les temps ne sont plus où, reine solitaire,
Sur son trône immobile on asseyait la terre ;
Non, le rapide char, portant l’astre du jour,
De l’aurore au couchant ne décrit plus son tour ;
Le firmament n’est plus la voûte cristalline,
Qui, comme un plafond bleu, de lustres s’illumine ;
Ce n’est plus pour nous seuls que Dieu fit l’univers ;
Mais loin de nous tenir abaissés, soyons fiers !
Car, si nous abdiquons une royauté fausse,
Jusqu’au règne du vrai la science nous hausse ;
Plus le corps s’amoindrit, plus l’Esprit devient grand ;
Notre noblesse croît où détroit notre rang.
Il est plus beau pour l’homme, infime créature,
De saisir les secrets voilés par la nature,
Et d’oser embrasser dans sa conception
L’universelle loi de la création,
Que d’être, comme aux jours d’un vaniteux mensonge,
Roi d’une illusion et possesseur d’un songe,
Centre ignorant d’un tout qu’il croyait fait pour lui,
Et que par la pensée il conquiert aujourd’hui.
Soleil, globe de feu, gigantesque fournaise,
Chaos incandescent où bout une genèse,
Océan furieux où flottent éperdus
Les liquides granits et les métaux fondus,
Heurtant, brisant, mêlant leurs vagues enflammées
Sous de noirs ouragans tout chargés de fumées,
Houle ardente, où parfois nage un îlot vermeil,
Tache aujourd’hui, demain écorce du soleil ;
Autour de toi se meut, ô fécond incendie,
La terre, notre mère, à peine refroidie,
Et, refroidis comme elle, et, comme elle habités,
Mars sanglant, et Vénus, l’astre aux blanches clartés ;
Dans tes proches splendeurs, Mercure qui se baigne,
Et Saturne en exil aux confins de ton règne,
Et par Dieu, puis par moi, couronné dans l’éther
D’un quadruple bandeau de lunes, Jupiter.
Mais, astre souverain, centre de tous ces mondes,
Par delà ton empire aux limites profondes,
Des milliers de soleils, si nombreux, si touffus,
Qu’on ne peut les compter dans leurs groupes confus,
Prolongent, comme toi, leurs immenses cratères,
Font mouvoir, comme toi, des mondes planétaires,
Qui tournent autour d’eux, qui composent leur cour,
Et tiennent de leur roi la chaleur et le jour.
Oh ! oui, vous êtes mieux que des lampes nocturnes,
Qu’allumeraient pour nous des veilleurs taciturnes,
Innombrables lueurs, étoiles qui poudrez,
De votre sable d’or les chemins azurés ;
Chez vous palpite aussi la vie universelle,
Grands foyers, où notre œil ne voit qu’une étincelle.
Et partout l’action, le mouvement et l’âme !
Partout, roulant autour de leurs centres en flamme,
Des globes habités, dont les êtres pensants,
Vivent comme je vis, sentent ce que je sens,
Les uns plus abaissés, et les autres peut-être
Plus élevés que nous sur les degrés de l’être !
Que c’est grand ! que c’est beau !
Dans quel culte profond
L’Esprit, plein de stupeur, s’abîme et se confond !
Inépuisable auteur, que ta toute-puissance
S’y montre dans sa gloire et sa magnificence !
Que la vie, épanchée à flots dans l’infini,
Proclame vastement ton nom partout béni !
Allez, persécuteurs ! lancez vos anathèmes !
Je suis religieux beaucoup plus que vous-mêmes.
Dieu, que vous invoquez, mieux que vous je le sers :
Ce petit tas de boue est pour vous l’univers ;
Pour moi sur tous les points l’œuvre divine éclate ;
Vous la rétrécissez, et moi, je la dilate ;
Comme on mettait des rois au char triomphateur,
Je mets des univers aux pieds du Créateur.
Fragments du dialogue entre l’inquisiteur et Galilée.
Il n’est de vérité que dans les Écritures ;
Tout le reste est erreur, visions, impostures ;
Ce qu’on croit de contraire à leur enseignement
N’est pas une clarté, c’est un aveuglement.
GALILÉE.
Oui, la foi du chrétien par leur règle est régie ;
Leur seule autorité règne en théologie,
Et l’adoration doit courber nos esprits
Sous les dogmes divins que l’on y voit inscrits ;
Mais le monde physique échappe à leur domaine ;
Dieu le livre en entier à la dispute humaine ;
Comme il s’agit d’objets qui tombent sous les sens,
Les sens et la raison s’y montrent tout-puissants ;
L’autorité se tait ; nul ordre ne peut faire
Des rayons inégaux au centre de la sphère,
Nul ne peut d’hérésie accuser le compas,
Ni décréter qu’un corps tournant ne tourne pas.
L’œil est juge, en un mot, de l’univers visible.
Si le dogme immuable est fixé par la Bible,
La science répugne à l’immobilité,
Et, mourant dans les fers, vit par la liberté.
L’INQUISITEUR.
Or, ne vois-tu donc pas que ton nouveau système,
Troublant l’astronomie, ébranle la foi même ?
L’erreur matérielle, admise sur un point,
Dans tout le Testament rend suspect le témoin ;
Qui peut avoir failli n’est donc plus infaillible ;
Le doute est donc permis, l’examen est possible,
Et l’on conclut bientôt, dès qu’on ose juger,
De la fausse physique au dogme mensonger.
GALILÉE.
Moi, détruire la foi, quand j’agrandis le culte !
Montrer Dieu dans son œuvre, est-ce lui faire insulte ?
Ah ! la comprendre mieux, c’est la mieux adorer,
Et c’est l’honorer mal que la défigurer.
Les cieux, selon la Bible en qui nous devons croire,
Les cieux de leur auteur nous racontent la gloire ;
Eh bien, j’ai mieux qu’un autre écouté leur récit,
Et je l’ai répété comme les cieux l’ont dit.
Peut-on barrer le cours d’une vérité neuve ?
Arrêter une goutte, est-ce arrêter un fleuve ?
Croyez-moi, respectez ces aspirations,
Elles ont trop d’élans et trop d’expansions
Pour souffrir qu’un geôlier les tienne prisonnières ;
Laissez-leur le champ libre, ou malheur aux barrières !
— Ah ! Rome, aux premiers jours de ton culte proscrit,
Tu disais n’opposer au glaive que l’esprit ;
N’as-tu donc triomphé que pour changer de rôle,
Et toi-même opposer le glaive à la parole ?
Antonia, fille de Galilée, voyant son père proscrit, lui dit :
Voici ton Antigone. Oui, mon amour pieux
Conduira le proscrit, vainqueur du sphinx des cieux.
Dirigeant ton bâton de vallée en vallée, Je dirai :
« Donnez-moi du pain pour Galilée,
Pour celui qui, privé d’un toit par des chrétiens,
Aurait eu des autels chez les peuples païens. »