Un de nos correspondants nous écrit de Caen : †
« J’étais dernièrement à l’hôtel Saint-Pierre, à Caen ; je prenais un verre de bière en lisant un journal. La petite fille de la maison, je crois, de quatre ans environ, était assise sur un escalier et mangeait des cerises. Elle ne s’apercevait pas que je la voyais et paraissait tout entière à une conversation avec des êtres invisibles auxquels elle offrait des cerises ; tout l’indiquait ; sa physionomie, ses gestes, les inflexions de sa voix. Tantôt elle se retournait brusquement en disant : Toi, tu n’en auras pas ; tu n’es pas gentille. — Voici pour toi, disait-elle à une autre. — Qu’est-ce que tu me jettes donc ? disait-elle à une troisième. On l’eût dit entourée d’autres enfants ; tantôt elle se levait, tendait les mains en offrant ce qu’elle avait ; tantôt ses yeux suivaient des objets invisibles pour moi, qui l’attristaient ou la faisaient rire aux éclats. Cette petite scène dura plus d’une demi-heure, et l’entretien ne cessa que lorsque l’enfant s’aperçut que je l’observais. Je sais que souvent les enfants s’amusent à des apartés de ce genre, mais ici c’était tout différent ; la figure et les manières reflétaient des impressions réelles qui n’étaient pas celles d’un jeu joué. Je pensais que c’était sans doute un médium voyant en herbe, et me disais que si toutes les mères de famille étaient initiées aux lois du Spiritisme, elles y puiseraient de nombreux cas d’observations, et s’expliqueraient bien des faits qui passent inaperçus, et dont la connaissance leur serait utile pour la direction de leurs enfants. »
Il est fâcheux que notre correspondant n’ait pas eu l’idée de questionner cette petite fille sur les personnes avec lesquelles elle causait ; il aurait pu s’assurer si cette conversation avait réellement lieu avec des êtres invisibles ; et dans ce cas, il aurait pu en ressortir une instruction d’autant plus importante que notre correspondant étant un Spirite très éclairé pouvait diriger utilement ces questions. Quoi qu’il en soit, beaucoup d’autres faits prouvent que la médiumnité voyante est très commune, si même elle n’est générale chez les enfants, et cela est providentiel ; au sortir de la vie spirituelle, les guides de l’enfant, viennent le conduire au port d’embarquement pour le monde terrestre, comme ils viennent le chercher à son retour. Ils se montrent à lui dans les premiers temps, afin qu’il n’y ait pas transition trop brusque ; puis ils s’effacent peu à peu, à mesure que l’enfant grandissant peut agir en vertu de son libre arbitre. Ils le laissent alors à ses propres forces en disparaissant à ses yeux, mais sans le perdre de vue. La petite fille en question, au lieu d’être, comme le pense notre correspondant, un médium voyant en herbe, pourrait bien en être un sur son déclin, et ne plus jouir de cette faculté le reste de sa vie. (Voy. Revue de février 1865, page 42 : des Esprits instructeurs de l’enfance.)
Allan Kardec.
Paris. – Typ. de Rouge frères, Dunon et Fresné, rue du Four-Saint-Germain, † 43.
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