Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année IX — Octobre 1866.

(Langue portugaise)

LES TEMPS SONT ARRIVÉS.

1. — Les temps marqués par Dieu sont arrivés, nous dit-on de toutes part, où de grands événements vont s’accomplir pour la régénération de l’humanité. Dans quel sens faut-il entendre ces paroles prophétiques ? Pour les incrédules, elles n’ont aucune importance ; à leurs yeux, ce n’est que l’expression d’une croyance puérile sans fondement ; pour le plus grand nombre des croyants, elles ont quelque chose de mystique et de surnaturel qui leur semble être l’avant-coureur du bouleversement des lois de la nature. Ces deux interprétations sont également erronées : la première en ce qu’elle implique la négation de la Providence, et que les faits accomplis prouvent la vérité de ces paroles ; la seconde, en ce que celles-ci n’annoncent pas la perturbation des lois de la nature, mais leur accomplissement. Cherchons-en donc le sens le plus rationnel.

Tout est harmonie dans l’œuvre de la création, tout révèle une prévoyance qui ne se dément ni dans les plus petites choses ni dans les plus grandes ; nous devons donc d’abord écarter toute idée de caprice inconciliable avec la sagesse divine ; en second lieu, si notre époque est marquée pour l’accomplissement de certaines choses, c’est qu’elles ont leur raison d’être dans la marche générale de l’ensemble.

Ceci posé, nous dirons que notre globe, comme tout ce qui existe, est soumis à la loi du progrès. Il progresse physiquement par la transformation des éléments qui le composent, et moralement par l’épuration des Esprits incarnés et désincarnés qui le peuplent. Ces deux progrès se suivent et marchent parallèlement, car la perfection de l’habitation est en rapport avec celle de l’habitant. Physiquement, le globe a subi des transformations, constatées par la science, et qui l’ont successivement rendu habitable par des êtres de plus en plus perfectionnés ; moralement, l’humanité progresse par le développement de l’intelligence, du sens moral et l’adoucissement des mœurs. En même temps que l’amélioration du globe s’opère sous l’empire des forces matérielles, les hommes y concourent par les efforts de leur intelligence ; ils assainissent les contrées insalubres, rendent les communications plus faciles et la terre plus productive.

Ce double progrès s’accomplit de deux manières : l’une lente, graduelle et insensible ; l’autre par des changements plus brusques, à chacun desquels s’opère un mouvement ascensionnel plus rapide qui marque, par des caractères tranchés, les périodes progressives de l’humanité. Ces mouvements, subordonnés dans les détails au libre arbitre des hommes, sont en quelque sorte fatals dans leur ensemble, parce qu’ils sont soumis à des lois, comme ceux qui s’opèrent dans la germination, la croissance et la maturité des plantes, attendu que le but de l’humanité est le progrès, nonobstant la marche retardataire de quelques individualités ; c’est pourquoi le mouvement progressif est quelquefois partiel, c’est-à-dire borné à une race ou à une nation, d’autres fois général. Le progrès de l’humanité s’effectue donc en vertu d’une loi ; or, comme toutes les lois de la nature sont l’œuvre éternelle de la sagesse et de la prescience divines, tout ce qui est l’effet de ces lois est le résultat de la volonté de Dieu, non d’une volonté accidentelle et capricieuse, mais d’une volonté immuable. Lors donc que l’humanité est mûre pour franchir un degré, on peut dire que les temps marqués par Dieu sont arrivés, comme on peut dire aussi qu’en telle saison ils sont arrivés pour la maturité des fruits et la récolte.

De ce que le mouvement progressif de l’humanité est inévitable, parce qu’il est dans la nature, il ne s’ensuit pas que Dieu y soit indifférent, et qu’après avoir établi des lois, il soit rentré dans l’inaction, laissant les choses aller toutes seules. Ses lois sont éternelles et immuables, sans doute, mais parce que sa volonté elle-même est éternelle et constante, et que sa pensée anime toutes choses sans interruption ; sa pensée qui pénètre tout, est la force intelligente et permanente qui maintient tout dans l’harmonie ; que cette pensée cessât un seul instant d’agir, et l’univers serait comme une horloge sans balancier régulateur. Dieu veille donc incessamment à l’exécution de ses lois, et les Esprits qui peuplent l’espace sont ses ministres chargés des détails, selon les attributions afférentes à leur degré d’avancement.

L’univers est à la fois un mécanisme incommensurable conduit par un nombre non moins incommensurable d’intelligences, un immense gouvernement où chaque être intelligent a sa part d’action sous l’œil du souverain Maître, dont la volonté unique maintient partout l’unité. Sous l’empire de cette vaste puissance régulatrice tout se meut, tout fonctionne dans un ordre parfait ; ce qui nous semble des perturbations sont les mouvements partiels et isolés qui ne nous paraissent irréguliers que parce que notre vue est circonscrite. Si nous pouvions en embrasser l’ensemble, nous verrions que ces irrégularités ne sont qu’apparentes et qu’elles s’harmonisent dans le tout.

La prévision des mouvements progressifs de l’humanité n’a rien de surprenant chez des êtres dématérialisés qui voient le but où tendent toutes choses, dont quelques-uns possèdent la pensée directe de Dieu, et qui jugent, aux mouvements partiels, le temps auquel pourra s’accomplir un mouvement général, comme on juge d’avance le temps qu’il faut à un arbre pour porter des fruits, comme les astronomes calculent l’époque d’un phénomène astronomique par le temps qu’il faut à un astre pour accomplir sa révolution.

Mais tous ceux qui annoncent ces phénomènes, les auteurs d’almanachs qui prédisent les éclipses et les marées, ne sont certes pas en état de faire eux-mêmes les calculs nécessaires ; ils ne sont que des échos ; ainsi en est-il des Esprits secondaires dont la vue est bornée, et qui ne font que répéter ce qu’il a plu aux Esprits supérieurs de leur révéler.

L’humanité a accompli jusqu’à ce jour d’incontestables progrès ; les hommes, par leur intelligence, sont arrivés à des résultats qu’ils n’avaient jamais atteints sous le rapport des sciences, des arts et du bien-être matériel ; il leur en reste encore un immense à accomplir : c’est de faire régner entre eux la charité, la fraternité et la solidarité, pour assurer leur bien-être moral. Ils ne le pouvaient ni avec leurs croyances, ni avec leurs institutions surannées, restes d’un autre âge, bonnes à une certaine époque, suffisantes pour un état transitoire, mais qui, ayant donné ce qu’elles comportaient, seraient un point d’arrêt aujourd’hui. Tel un enfant est stimulé par des mobiles, impuissants quand vient l’âge mûr. Ce n’est plus seulement le développement de l’intelligence qu’il faut aux hommes, c’est l’élévation du sentiment, et pour cela il faut détruire tout ce qui pouvait surexciter en eux l’égoïsme et l’orgueil.

Telle est la période où ils vont entrer désormais, et qui marquera une des phases principales de l’humanité. Cette phase qui s’élabore en ce moment est le complément nécessaire de l’état précédent, comme l’âge viril est le complément de la jeunesse ; elle pouvait donc être prévue et prédite d’avance, et c’est pour cela qu’on dit que les temps marqués par Dieu sont arrivés.

En ce temps-ci, il ne s’agit pas d’un changement partiel, d’une rénovation bornée à une contrée, à un peuple, à une race ; c’est un mouvement universel qui s’opère dans le sens du progrès moral. Un nouvel ordre de choses tend à s’établir, et les hommes qui y sont le plus opposés y travaillent à leur insu ; la génération future, débarrassée des scories du vieux monde et formée d’éléments plus épurés, se trouvera animée d’idées et de sentiments tout autres que la génération présente qui s’en va à pas de géant. Le vieux monde sera mort, et vivra dans l’histoire comme aujourd’hui les temps du moyen âge avec leurs coutumes barbares et leurs croyances superstitieuses.

Du reste, chacun sait que l’ordre de choses actuel laisse à désirer ; après avoir, en quelque sorte, épuisé le bien-être matériel qui est le produit de l’intelligence, on arrive à comprendre que le complément de ce bien-être ne peut être que dans le développement moral. Plus on avance, plus on sent ce qui manque, sans cependant pouvoir encore le définir clairement : c’est l’effet du travail intime qui s’opère pour la régénération ; on a des désirs, des aspirations qui sont comme le pressentiment d’un état meilleur.

Mais un changement aussi radical que celui qui s’élabore ne peut s’accomplir sans commotion ; il y a lutte inévitable entre les idées, et qui dit lutte, dit alternative de succès et de revers ; cependant, comme les idées nouvelles sont celles du progrès et que le progrès est dans les lois de la nature, elles ne peuvent manquer de l’emporter sur les idées rétrogrades. De ce conflit naîtront forcément des perturbations temporaires, jusqu’à ce que le terrain soit déblayé des obstacles qui s’opposent à l’érection du nouvel édifice social. C’est donc de la lutte des idées que surgiront les graves événements annoncés, et non de cataclysmes, ou catastrophes purement matérielles. Les cataclysmes généraux étaient la conséquence de l’état de formation de la terre ; aujourd’hui ce ne sont plus les entrailles du globe qui s’agitent, ce sont celles de l’humanité.

L’humanité est un être collectif en qui s’opèrent les mêmes révolutions morales que dans chaque être individuel, avec cette différence que les unes s’accomplissent d’année en année, et les autres de siècle en siècle. Qu’on la suive dans ses évolutions à travers les temps, et l’on verra la vie des diverses races marquée par des pério-des qui donnent à chaque époque une physionomie particulière.

A côté des mouvements partiels, il y a un mouvement général qui donne l’impulsion à l’humanité tout entière ; mais le progrès de chaque partie de l’ensemble est relatif à son degré d’avancement. Telle serait une famille composée de plusieurs enfants dont le plus jeune est au berceau et l’aîné âgé de dix ans, par exemple. Dans dix ans, l’aîné en aura vingt et sera un homme ; le plus jeune en aura dix et, quoique plus avancé, sera encore un enfant ; mais à son tour il deviendra un homme. Ainsi en est-il des différentes fractions de l’humanité ; les plus arriérées avancent, mais ne sauraient d’un bond atteindre le niveau des plus avancées.

L’humanité, devenue adulte, a de nouveaux besoins, des aspirations plus larges, plus élevées ; elle comprend le vide des idées dont elle a été bercée, l’insuffisance de ses institutions pour son bonheur ; elle ne trouve plus dans l’état des choses les satisfactions légitimes auxquelles elle se sent appelée ; c’est pourquoi elle secoue ses langes, et s’élance, poussée par une force irrésistible, vers des rivages inconnus, à la découverte de nouveaux horizons moins bornés. Et c’est au moment où elle se trouve trop à l’étroit dans sa sphère matérielle, où la vie intellectuelle déborde, où le sentiment de la spiritualité s’épanouit, que des hommes, de prétendus philosophes, espèrent combler le vide par les doctrines du néantisme et du matérialisme ! Étrange aberration ! Ces mêmes hommes qui prétendent la pousser en avant, s’efforcent de la circonscrire dans le cercle étroit de la matière d’où elle aspire à sortir ; ils lui ferment l’aspect de la vie infinie, et lui disent, en lui montrant la tombe : Nec plus ultrà !

La marche progressive de l’humanité s’opère de deux manières, comme nous l’avons dit : l’une graduelle, lente, insensible, si l’on considère les époques rapprochées, qui se traduit par des améliorations successives dans les mœurs, les lois, les usages, et ne s’aperçoit qu’à la longue, comme les changements que les courants d’eau apportent à la surface du globe ; l’autre, par un mouvement relativement brusque, rapide, semblable à celui d’un torrent rompant ses digues, qui lui fait franchir en quelques années l’espace qu’elle eût mis des siècles à parcourir. C’est alors un cataclysme moral qui engloutit en quelques instants les institutions du passé, et auquel succède un nouvel ordre de choses qui s’assied peu à peu, à mesure que le calme se rétablit, et devient définitif.

A celui qui vit assez longtemps pour embrasser les deux versants de la nouvelle phase, il semble qu’un monde nouveau soit sorti des ruines de l’ancien ; le caractère, les mœurs, les usages, tout est changé ; c’est qu’en effet des hommes nouveaux, ou mieux régénérés, ont surgi ; les idées emportées par la génération qui s’éteint ont fait place à des idées nouvelles dans la génération qui s’élève.

C’est à l’une de ces périodes de transformation, ou, si l’on veut, de croissance morale, qu’est parvenue l’humanité. De l’adolescence elle passe à l’âge viril ; le passé ne peut plus suffire à ses nouvelles aspirations, à ses nouveaux besoins ; elle ne peut plus être conduite par les mêmes moyens ; elle ne se paye plus d’illusions et de prestiges : il faut à sa raison mûrie des aliments plus substantiels. Le présent est trop éphémère ; elle sent que sa destinée est plus vaste et que la vie corporelle est trop restreinte pour la renfermer tout entière ; c’est pourquoi elle plonge ses regards dans le passé et dans l’avenir afin d’y découvrir le mystère de son existence et d’y puiser une consolante sécurité.


2. — Quiconque a médité sur le Spiritisme et ses conséquences, et ne le circonscrit pas dans la production de quelques phénomènes, comprend qu’il ouvre à l’humanité une voie nouvelle, et lui déroule les horizons de l’infini ; en l’initiant aux mystères du monde invisible, il lui montre son véritable rôle dans la création, rôle perpétuellement actif, aussi bien à l’état spirituel qu’a l’état corporel. L’homme ne marche plus en aveugle : il sait d’où il vient, où il va et pourquoi il est sur la terre. L’avenir se montre à lui dans sa réalité, dégagé des préjugés de l’ignorance et de la superstition ; ce n’est plus une vague espérance : c’est une vérité palpable, aussi certaine pour lui que la succession du jour et de la nuit. Il sait que son être n’est pas limité à quelques instants d’une existence dont la durée est soumise au caprice du hasard ; que la vie spirituelle n’est point interrompue par la mort ; qu’il a déjà vécu, qu’il revivra encore, et que de tout ce qu’il acquiert en perfection par le travail, rien n’est perdu ; il trouve dans ses existences antérieures la raison de ce qu’il est aujourd’hui, et de ce qu’il se fait aujourd’hui, il peut conclure ce qu’il sera un jour.

Avec la pensée que l’activité et la coopération individuelles à l’œuvre générale de la civilisation sont limitées à la vie présente, que l’on n’a rien été et que l’on ne sera rien, que fait à l’homme le progrès ultérieur de l’humanité ? Que lui importe qu’à l’avenir les peuples soient mieux gouvernés, plus heureux, plus éclairés, meilleurs les uns pour les autres ? Puisqu’il n’en doit retirer aucun fruit, ce progrès n’est-il pas perdu pour lui ? Que lui sert de travailler pour ceux qui viendront après lui, s’il ne doit jamais les connaître, si ce sont des êtres nouveaux qui peu après rentreront eux-mêmes dans le néant ? Sous l’empire de la négation de l’avenir individuel, tout se rapetisse forcément aux mesquines proportions du moment et de la personnalité.

Mais, au contraire, quelle amplitude donne à la pensée de l’homme la certitude de la perpétuité de son être spirituel ! quelle force, quel courage n’y puise-t-il pas contre les vicissitudes de la vie matérielle ! Quoi de plus rationnel, de plus grandiose, de plus digne du Créateur que cette loi d’après laquelle la vie spirituelle et la vie corporelle ne sont que deux modes d’existence qui s’alternent pour l’accomplissement du progrès ! Quoi de plus juste et de plus consolant que l’idée des mêmes êtres progressant sans cesse, d’abord à travers les générations d’un même monde, et ensuite de monde en monde jusqu’à la perfection, sans solution de continuité ! Toutes les actions ont alors un but, car, en travaillant pour tous, on travaille pour soi, et réciproquement ; de sorte que ni le progrès individuel ni le progrès général ne sont jamais stériles ; il profite aux générations et aux individualités futures, qui ne sont autres que les générations et les individualités passées, arrivées à un plus haut degré d’avancement.

La vie spirituelle est la vie normale et éternelle de l’Esprit, et l’incarnation n’est qu’une forme temporaire de son existence. Sauf le vêtement extérieur, il y a donc identité entre les incarnés et les désincarnés ; ce sont les mêmes individualités sous deux aspects différents, appartenant tantôt au monde visible, tantôt au monde invisible, se retrouvant soit dans l’un, soit dans l’autre, concourant dans l’un et dans l’autre au même but, par des moyens appropriés à leur situation.

De cette loi découle celle de la perpétuité des rapports entre les êtres ; la mort ne les sépare point, et ne met point de terme à leurs relations sympathiques, ni à leurs devoirs réciproques. De là la solidarité de tous pour chacun, et de chacun pour tous ; de là aussi la fraternité. Les hommes ne vivront heureux sur la terre que lorsque ces deux sentiments seront entrés dans leurs cœurs et dans leurs mœurs, car alors ils y assujettiront leurs lois et leurs institutions. Ce sera là un des principaux résultats de la transformation qui s’opère.

Mais comment concilier les devoirs de la solidarité et de la fraternité avec la croyance que la mort rend à tout jamais les hommes étrangers les uns aux autres ? Par la loi de la perpétuité des rapports qui lient tous les êtres, le Spiritisme fonde ce double principe sur les lois mêmes de la nature ; il en fait non-seulement un devoir, mais une nécessité. Par celle de la pluralité des existences, l’homme se rattache à ce qui s’est fait et à ce qui se fera, aux hommes du passé et à ceux de l’avenir ; il ne peut plus dire qu’il n’a plus rien de commun avec ceux qui meurent, puisque les uns et les autres se retrouvent sans cesse, dans ce monde et dans l’autre, pour gravir ensemble l’échelle du progrès et se prêter un mutuel appui. La fraternité n’est plus circonscrite à quelques individus que le hasard rassemble pendant la durée éphémère de la vie ; elle est perpétuelle comme la vie de l’Esprit, universelle comme l’humanité, qui constitue une grande famille dont tous les membres sont solidaires les uns des autres, quelle que soit l’époque à laquelle ils ont vécu.

Telles sont les idées qui ressortent du Spiritisme, et qu’il suscitera parmi tous les hommes, quand il sera universellement répandu, compris, enseigné et pratiqué. Avec le Spiritisme, la fraternité, synonyme de la charité prêchée par le Christ, n’est plus un vain mot ; elle a sa raison d’être. Du sentiment de la fraternité naît celui de la réciprocité et des devoirs sociaux, d’homme à homme, de peuple à peuple, de race à race ; de ces deux sentiments bien compris sortiront forcément les institutions les plus profitables au bien-être de tous.


3. — La fraternité doit être la pierre angulaire du nouvel ordre social ; mais il n’y a pas de fraternité réelle, solide et effective si elle n’est appuyée sur une base inébranlable ; cette base c’est la foi ; non la foi en tels ou tels dogmes particuliers qui changent avec les temps et les peuples et se jettent la pierre, car en s’anathématisant ils entretiennent l’antagonisme ; mais la foi dans les principes fondamentaux que tout le monde peut accepter : Dieu, l’âme, l’avenir, le progrès individuel indéfini, la perpétuité des rapports entre les Êtres. Quand tous les hommes seront convaincus que Dieu est le même pour tous, que ce Dieu, souverainement juste et bon, ne peut rien vouloir d’injuste, que le mal vient des hommes et non de lui, ils se regarderont comme les enfants d’un même père et se tendront la main. C’est cette foi que donne le Spiritisme, et qui sera désormais le pivot sur lequel se mouvra le genre humain, quelles que soient leur manière de l’adorer et leurs croyances particulières, que le Spiritisme respecte, mais dont il n’a pas à s’occuper. De cette foi seule peut sortir le véritable progrès moral, parce que seule elle donne une sanction logique aux droits légitimes et aux devoirs ; sans elle, le droit est celui que donne la force ; le devoir, un code humain imposé par la contrainte. Sans elle, qu’est-ce que l’homme ? un peu de matière qui se dissout, un être éphémère qui ne fait que passer ; le génie même n’est qu’une étincelle qui brille un instant pour s’éteindre à tout jamais ; il n’y a certes pas là de quoi le relever beaucoup à ses propres yeux. Avec une telle pensée, où sont réellement les droits et les devoirs ? quel est le but du progrès ? Seule, cette foi fait sentir à l’homme sa dignité par la perpétuité et la progression de son être, non dans un avenir mesquin et circonscrit à la personnalité, mais grandiose et splendide ; sa pense l’élève au-dessus de la terre ; il se sent grandir en songeant qu’il a son rôle dans l’univers, et que cet univers est son domaine qu’il pourra un jour parcourir, et que la mort ne fera pas de lui une nullité, ou un être inutile à lui-même et aux autres.


4. — Le progrès intellectuel accompli jusqu’à ce jour dans les plus vastes proportions est un grand pas, et marque la première phase de l’humanité, mais seul il est impuissant à la régénérer ; tant que l’homme sera dominé par l’orgueil et l’égoïsme, il utilisera son intelligence et ses connaissances au profit de ses passions et de ses intérêts personnels ; c’est pourquoi il les applique au perfectionnement des moyens de nuire aux autres et de s’entre-détruire. Le progrès moral seul peut assurer le bonheur des hommes sur la terre en mettant un frein aux mauvaises passions ; seul, il peut faire régner entre eux la concorde, la paix, la fraternité. C’est lui qui abaissera les barrières des peuples, qui fera tomber les préjugés de caste, et taire les antagonismes de sectes, en apprenant aux hommes à se regarder comme des frères appelés à s’entraider et non à vivre aux dépens les uns des autres. C’est encore le progrès moral, secondé ici par le progrès de l’intelligence, qui confondra les hommes dans une même croyance, établie sur les vérités éternelles, non sujettes à discussion et par cela même acceptées par tous. L’unité de croyance sera le lien le plus paissant, le plus solide fondement de la fraternité universelle, brisée de tous temps par les antagonismes religieux qui divisent les peuples et les familles, qui font voir dans le prochain des ennemis qu’il faut fuir, combattre, exterminer, au lieu de frères qu’il faut aimer.


5. — Un tel état de choses suppose un changement radical dans le sentiment des masses, un progrès général qui ne pouvait s’accomplir qu’en sortant du cercle des idées étroites et terre à terre qui fomentent l’égoïsme. A diverses époques, des hommes d’élite ont cherché à pousser l’humanité dans cette voie ; mais l’humanité, encore trop jeune, est restée sourde, et leurs enseignements ont été comme la bonne semence tombée sur la pierre. Aujourd’hui, elle est mûre pour porter ses regards plus haut qu’elle ne l’a fait, pour s’assimiler des idées plus larges et comprendre ce qu’elle n’avait pas compris. La génération qui disparaît emportera avec elle ses préjugés et ses erreurs ; la génération qui s’élève, trempée à une source plus épurée, imbue d’idées plus saines, imprimera au monde le mouvement ascensionnel dans le sens du progrès moral qui doit marquer la nouvelle phase de l’humanité. Cette phase se révèle déjà par des signes non équivoques, par des tentatives de réformes utiles, par les idées grandes et généreuses qui se font jour et qui commencent à trouver des échos. C’est ainsi qu’on voit se fonder une foule d’institutions protectrices, civilisatrices et émancipatrices, sous l’impulsion et par l’initiative d’hommes évidemment prédestinés à l’œuvre de la régénération ; que les lois pénales s’imprègnent chaque jour d’un sentiment plus humain. Les préjugés de races s’affaiblissent, les peuples commencent à se regarder comme les membres d’une grande famille ; par l’uniformité et la facilité des moyens de transaction, ils suppriment les barrières qui les divisaient de toutes les parties du monde, ils se réunissent en comices universels pour les tournois pacifiques de l’intelligence. Mais il manque à ces réformes une base pour se développer, se compléter et se consolider, une prédisposition morale plus générale pour fructifier et se faire accepter des masses. Ce n’en est pas moins un signe caractéristique du temps, le prélude de ce qui s’accomplira sur une plus vaste échelle, à mesure que le terrain deviendra plus propice.

Un signe non moins caractéristique de la période où nous entrons, c’est la réaction évidente qui s’opère dans le sens des idées spiritualistes, une répulsion instinctive se manifeste contre les idées matérialistes dont les représentants deviennent moins nombreux ou moins absolus. L’esprit d’incrédulité qui s’était emparé des masses, ignorantes ou éclairées, et leur avait fait rejeter, avec la forme, le fond même de toute croyance, semble avoir été un sommeil au sortir duquel on éprouve le besoin de respirer un air plus vivifiant. Involontairement, où le vide s’est fait on cherche quelque chose, un point d’appui, une espérance.


6. — Dans ce grand mouvement régénérateur, le Spiritisme a un rôle considérable, non le Spiritisme ridicule inventé par une critique railleuse, mais le Spiritisme philosophique, tel que le comprend quiconque se donne la peine de chercher l’amande sous l’écorce. Par les preuves qu’il apporte des vérités fondamentales, il comble le vide que l’incrédulité fait dans les idées et les croyances ; par la certitude qu’il donne d’un avenir conforme à la justice de Dieu, et que la raison la plus sévère peut admettre, il tempère les amertumes de la vie et prévient les funestes effets du désespoir. En faisant connaître de nouvelles lois de la nature, il donne la clef de phénomènes incompris et de problèmes insolubles jusqu’à ce jour, et tue à la fois l’incrédulité et la superstition. Pour lui, il n’y a ni surnaturel ni merveilleux ; tout s’accomplit dans le monde en vertu de lois immuables. Loin de substituer un exclusivisme à un autre, il se pose en champion absolu de la liberté de conscience ; il combat le fanatisme sous toutes les formes, et le coupe dans sa racine en proclamant le salut pour tous les hommes de bien, et la possibilité, pour les plus imparfaits, d’arriver, par leurs efforts, l’expiation et la réparation, à la perfection qui seule conduit à la suprême félicité. Au lieu de décourager le faible, il l’encourage en lui montrant le but qu’il peut atteindre.

Il ne dit point : Hors le Spiritisme point de salut, mais avec le Christ : ( † ) Hors la charité point de salut, principe d’union, de tolérance, qui ralliera les hommes dans un commun sentiment de fraternité, au lieu de les diviser en sectes ennemies. Par cet autre principe : Il n’y a de foi inébranlable que celle qui peut regarder la raison face à face à tous les âges de l’humanité,( † ) il détruit l’empire de la foi aveugle qui annihile la raison, de l’obéissance passive qui abrutit ; il émancipe l’intelligence de l’homme et relève son moral.

Conséquent avec lui-même, il ne s’impose pas ; il dit ce qu’il est, ce qu’il veut, ce qu’il donne, et attend qu’on vienne à lui librement, volontairement ; il veut être accepté par la raison et non par la force. Il respecte toutes les croyances sincères, et ne combat que l’incrédulité, l’égoïsme, l’orgueil et l’hypocrisie, qui sont les plaies de la société, et les obstacles les plus sérieux au progrès moral ; mais il ne lance l’anathème à personne, pas même à ses ennemis, parce qu’il est convaincu que la voie du bien est ouverte aux plus imparfaits, et que tôt ou tard ils y entreront.

Si l’on suppose la majorité des hommes imbus de ces sentiments, on peut aisément se figurer les modifications qu’ils apporteraient dans les relations sociales : charité, fraternité, bienveillance pour tous, tolérance pour toutes les croyances, telle sera leur devise. C’est le but auquel tend évidemment l’humanité, l’objet de ses aspirations, de ses désirs, sans qu’elle se rende bien compte des moyens de les réaliser ; elle essaye, elle tâtonne, mais elle est arrêtée par des résistances actives ou la force d’inertie des préjugés, des croyances stationnaires et réfractaires au progrès. Ce sont ces résistances qu’il faut vaincre, et ce sera l’œuvre de la nouvelle génération ; si l’on suit le cours actuel des choses, on reconnaîtra que tout semble prédestiné à lui frayer la route ; elle aura pour elle la double puissance du nombre et des idées, et de plus l’expérience du passé.

La nouvelle génération marchera donc à la réalisation de toutes les idées humanitaires compatibles avec le degré d’avancement auquel elle sera parvenue. Le Spiritisme marchant au même but, et réalisant ses vues, ils se rencontreront sur le même terrain, non comme des concurrents, mais comme des auxiliaires se prêtant un mutuel appui. Les hommes de progrès trouveront dans les idées spirites un puissant levier, et le Spiritisme trouvera dans les hommes nouveaux des esprits tout disposés à l’accueillir. Dans cet état de choses, que pourront faire ceux qui voudraient se mettre à la traverse ?

Ce n’est pas le Spiritisme qui crée la rénovation sociale, c’est la maturité de l’humanité qui fait de cette rénovation une nécessité. Par sa puissance moralisatrice, par ses tendances progressives, par l’ampleur de ses vues, par la généralité des questions qu’il embrasse, le Spiritisme est, plus que toute autre doctrine, apte à seconder le mouvement régénérateur ; c’est pour cela qu’il en est contemporain ; il est venu au montent où il pouvait être utile, car pour lui aussi les temps sont arrivés ; plus tôt, il eût rencontré des obstacles insurmontables ; il eût inévitablement succombé, parce que les hommes, satisfaits de ce qu’ils avaient, n’éprouvaient pas encore le besoin de ce qu’il apporte. Aujourd’hui, né avec le mouvement des idées qui fermentent, il trouve le terrain préparé à le recevoir ; les esprits, las du doute et de l’incertitude, effrayés du gouffre que l’on creuse devant eux, l’accueillent comme une ancre de salut et une suprême consolation.


7. — En disant que l’humanité est mûre pour la régénération, cela ne veut pas dire que tous les individus le soient au même degré, mais beaucoup ont, par intuition, le germe des idées nouvelles que les circonstances feront éclore ; alors ils se montreront plus avancés qu’on ne le supposait, et ils suivront avec empressement l’impulsion de la majorité.

Il y en a cependant qui sont foncièrement réfractaires, même parmi les plus intelligents, et qui assurément ne se rallieront jamais, du moins dans cette existence, les uns de bonne foi, par conviction ; les autres par intérêt. Ceux dont les intérêts matériels sont liés à l’état présent des choses, et qui ne sont pas assez avancés pour en faire abnégation, que le bien général touche moins que celui de leur personne, ne peuvent voir sans appréhension le moindre mouvement réformateur ; la vérité est pour eux une question secondaire, ou, pour mieux dire, la vérité est tout entière dans ce qui ne leur cause aucun trouble ; toutes les idées progressives sont à leurs yeux des idées subversives, c’est pourquoi ils leur vouent une haine implacable et leur font une guerre acharnée. Trop intelligents pour ne pas voir dans le Spiritisme un auxiliaire de ces idées et les éléments de la transformation qu’ils redoutent parce qu’ils ne se sentent pas à sa hauteur, ils s’efforcent de l’abattre ; s’ils le jugeaient sans valeur et sans portée, ils ne s’en préoccuperaient pas. Nous l’avons déjà dit ailleurs : « Plus une idée est grande, plus elle rencontre d’adversaires, et l’on peut mesurer son importance à la violence des attaques dont elle est l’objet. »

Le nombre des retardataires est encore grand sans doute, mais que peuvent-ils contre le flot qui monte, sinon y jeter quelques pierres ? Ce flot, c’est la génération qui s’élève, tandis qu’eux disparaissent avec la génération qui s’en va chaque jour à grands pas. Jusque-là ils défendront le terrain pied à pied ; il y a donc une lutte inévitable, mais une lutte inégale, car c’est celle du passé décrépit qui tombe en lambeaux, contre l’avenir juvénile ; de la stagnation contre le progrès ; de la créature contre la volonté de Dieu, car les temps marqués par lui sont arrivés.


Nota. — Les réflexions qui précèdent sont le développement des instructions données par les Esprits sur le même sujet, dans un grand nombre de communications, soit à nous, soit à d’autres personnes. Celle que nous publions ci-après est le résumé de plusieurs entretiens que nous avons eus par l’intermédiaire de deux de nos médiums habitués en état de somnambulisme extatique, et qui, au réveil, ne conservent aucun souvenir. Nous avons coordonné méthodiquement les idées afin de leur donner plus de suite, en élaguant tous les détails et les accessoires superflus. Les pensées ont été très exactement reproduites, et les paroles sont aussi textuelles qu’il a été possible de les recueillir à l’audition.



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