Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année IX — Juillet 1866.

(Langue portugaise)

DU PROJET DE CAISSE GÉNÉRALE DE SOCOURS ET AUTRES INSTITUTIONS POUR LES SPIRITES.

1. — Dans un des groupes spirites de Paris un médium reçut dernièrement la communication suivante de l’Esprit de sa grand’mère :


« Mon cher enfant, je vais te parler un instant des questions de charité qui te préoccupaient ce matin en allant à ton travail.

« Les enfants qui sont livrés à des nourrices mercenaires ; les femmes pauvres qui sont forcées, au mépris de la pudeur qui leur est chère, de servir, dans les hôpitaux, de matière expérimentale aux médecins et aux élèves en médecine, ce sont deux grandes plaies que tous les bons cœurs doivent s’appliquer à guérir, et cela n’est pas impossible ; que les Spirites fassent comme les catholiques, qu’ils s’imposent des sous par semaine et qu’ils capitalisent ces ressources, ils arriveront à des fondations sérieuses, grandes et véritablement efficaces. La charité qui soulage un mal présent est une charité sainte que j’encourage de toutes mes forces ; mais la charité qui se perpétue dans des fondations immortelles comme les misères qu’elle est destinée à soulager, c’est là une charité intelligente et que je serais heureuse de voir mettre en pratique.

« Je voudrais qu’un travail fût élaboré qui aurait pour but de créer d’abord un premier établissement dans des proportions restreintes. Quand on aurait vu le bon résultat de cette première création, on passerait à une autre, et l’on grandirait peu à peu comme Dieu veut que l’on grandisse, car le progrès s’accomplit par une marche lente, sage, calculée. Je répète que ce que je propose n’est pas difficile ; il n’y aurait pas un seul spirite véritable qui oserait manquer à l’appel pour le soulagement de ses semblables, et les Spirites sont assez nombreux pour former, par l’accumulation du sou par semaine, un capital suffisant pour un premier établissement à l’usage des femmes malades qui seraient soignées par des femmes et qui cesseraient alors de cacher leurs souffrances pour sauver leur pudeur.

« Je livre ces réflexions aux méditations des personnes bienveillantes qui assistent à la séance, et je suis bien convaincue qu’elles porteront de bons fruits. Les groupes de province se rallieraient promptement à une idée si belle, et en même temps si utile et si paternelle ; ce serait d’ailleurs un monument de la valeur morale du Spiritisme tant calomnié, et qui le sera longtemps encore avec acharnement.

« Je l’ai dit, la charité locale est bonne, elle profite à un individu, mais elle n’élève pas l’esprit des masses comme une œuvre durable. Ne serait-il pas beau que l’on pût repousser la calomnie en disant aux calomniateurs : « Voilà ce que nous avons fait. A l’arbre on reconnaît le fruit ; un mauvais arbre ne donne pas de bons fruits, et un bon arbre n’en donne pas de mauvais. » ( † )

« Songez aussi aux pauvres enfants qui sortent des hôpitaux, et qui vont mourir entre des mains mercenaires, deux crimes à la fois : celui de livrer l’enfant désarmé et faible, et le crime de celui qui l’a sacrifié sans pitié. Que tous les cœurs élèvent leurs pensées vers les tristes victimes de la société imprévoyante, et qu’ils tâchent de trouver une bonne solution pour les sauver de leurs misères. Dieu veut qu’on essaie, et il donne les moyens d’arriver, il faut agir ; on réussit quand on a la foi, et la foi transporte les montagnes. Que M. Kardec traite la question dans son journal, et vous verrez comment elle sera acclamée avec entraînement et enthousiasme.

« J’ai dit qu’il fallait un monument matériel qui attestât la foi des Spirites, comme les pyramides d’Egypte attestent la vanité des Pharaons ; mais, au lieu de faire des folies, faites des œuvres qui portent le cachet de Dieu lui-même. Tout le monde doit me comprendre, je n’insiste pas.

« Je me retire, mon cher enfant ; ta bonne grand’mère, comme tu le vois, aime toujours ses petits enfants, comme elle t’aimait quand tu étais tout petit. Je veux que tu les aimes comme moi, et que tu songes à trouver une bonne organisation ; tu le peux si tu le veux, et au besoin nous t’aiderons. Je te bénis.

« Marie G… »


2. — L’idée d’une caisse centrale et générale de secours formée entre les Spirites a déjà été conçue et émise par des hommes animés d’excellentes intentions ; mais il ne suffit pas qu’une idée soit grande, belle et généreuse, il faut avant tout qu’elle soit praticable. Nous avons, certes, donné assez de gages de notre dévouement à la cause du Spiritisme pour n’être pas suspecté d’indifférence à son endroit [Voir : Compte rendu de la caisse du Spiritisme] ; or, c’est précisément par suite de notre sollicitude même que nous cherchons à mettre en garde contre l’enthousiasme qui aveugle ; avant d’entreprendre une chose, il faut en calculer froidement le pour et le contre, afin d’éviter des échecs toujours fâcheux qui ne manqueraient pas d’être exploités par nos adversaires. Le Spiritisme ne doit marcher qu’à coup sûr, et quand il pose le pied quelque part, il doit être assuré d’y trouver un terrain solide. La victoire n’est pas toujours au plus pressé, mais plus sûrement à celui qui sait attendre le moment propice. Il est des résultats qui ne peuvent être que l’œuvre du temps et de l’infiltration de l’idée dans l’esprit des masses ; sachons donc attendre que l’arbre soit formé, avant de lui demander une abondante récolte.

Depuis longtemps nous vous proposions de traiter à fond la question dont il s’agit, pour la poser sur son véritable terrain, et prémunir contre les illusions de projets plus généreux que réfléchis et dont l’avortement aurait des suites fâcheuses. La communication relatée ci-dessus, et sur laquelle on a bien voulu nous demander notre avis, nous en fournit l’occasion toute naturelle. Nous examinerons donc soit le projet de centralisation des secours, soit celui de quelques autres institutions et établissements spéciaux pour le Spiritisme.


3. — Avant tout il convient de se rendre compte de l’état réel des choses. Les Spirites sont très nombreux sans doute, et leur nombre croît sans cesse : sous ce rapport il offre un spectacle unique, celui d’une propagation inouïe dans l’histoire des doctrines philosophiques, car il n’en est aucune, sans en excepter le Christianisme, qui ait rallié autant de partisans dans un aussi petit nombre d’années ; ceci est un fait notoire qui confond même ses antagonistes. Et ce qui n’est pas moins caractéristique, c’est que cette propagation, au lieu de se faire autour d’un centre unique, s’opère simultanément sur toute la surface du globe et dans des milliers de centres. Il en résulte que les adeptes, tout en étant très nombreux, ne forment encore nulle part une agglomération compacte.

Cette dispersion qui, au premier abord, semble une cause de faiblesse, est au contraire un élément de force. Cent mille Spirites disséminés sur la surface d’un pays font plus pour la propagation de l’idée que s’ils étaient massés dans une ville ; chaque individualité est un foyer d’action, un germe qui produit des rejetons ; chaque rejeton en produit à son tour plus ou moins, dont les rameaux se réunissant peu à peu, couvriront le pays bien plus promptement que si l’action ne partait que d’un seul point ; c’est absolument comme si une poignée de graines était jetée au vent, au lieu qu’elles soient mises toutes ensemble dans le même trou. Par cette multitude de petits centres, la doctrine est en outre moins vulnérable que si elle n’en avait qu’un seul contre lequel ses ennemis pourraient diriger toutes leurs forces. Une armée primitivement compacte qui est dispersée par la force ou toute autre cause, est une armée perdue ; ici le cas est tout différent : la dissémination des Spirites n’est pas le fait d’une dispersion, c’est l’état primitif tendant à la concentration pour former une vaste unité ; la première est à sa fin, la seconde est à sa naissance.

A ceux donc qui se plaignent de leur isolement dans une localité, nous répondons : Remerciez le ciel, au contraire, de vous avoir choisis pour les premiers pionniers de l’œuvre dans votre contrée. A vous d’en jeter les premières semences ; peut-être ne germeront-elles pas tout de suite ; peut-être n’en recueillerez-vous pas les fruits ; peut-être même aurez-vous à souffrir dans votre labeur, mais songez qu’on ne défriche pas une terre sans travail, et soyez assurés que tôt ou tard ce que vous aurez semé fructifiera ; plus la tâche sera ingrate, plus vous aurez de mérite, n’eussiez-vous fait que frayer la voie à ceux qui viendront après vous.

Sans doute, si les Spirites devaient toujours rester à l’état d’isolement, ce serait une cause permanente de faiblesse ; mais l’expérience prouve à quel point la doctrine est vivace, et l’on sait que pour un rameau abattu, il y en a dix qui renaissent. Sa généralisation est donc une question de temps ; or, quelque rapide que soit sa marche, encore faut-il le temps nécessaire, et tout en travaillant à l’œuvre, il faut savoir attendre que le fruit soit mûr avant de le cueillir.


4. — Cette dissémination momentanée des Spirites, essentiellement favorable à la propagation de la doctrine, est un obstacle pour l’exécution d’œuvres collectives d’une certaine importance, par la difficulté, si ce n’est même l’impossibilité, de réunir sur un même point des éléments assez nombreux.

C’est précisément, dira-t-on, pour obvier à cet inconvénient, pour resserrer les liens de confraternité entre les membres isolés de la grande famille spirite, qu’on a proposé la création d’une caisse cen-trale de secours. C’est certes là une pensée grande et généreuse qui séduit au premier abord ; mais a-t-on réfléchi aux difficultés de l’exécution ?

Une première question se présente. Jusqu’où s’étendrait l’action de cette caisse ? Serait-elle bornée à la France, ou comprendrait-elle les autres contrées ? Il y a des Spirites sur tout le globe ; est-ce que ceux de tous les pays, de toutes les castes, de tous les cultes, ne sont pas nos frères ? Si donc la caisse recevait des dons de Spirites étrangers, ce qui arriverait infailliblement, aurait-elle le droit de limiter son assistance à une seule nationalité ? Pourrait-elle consciencieusement et charitablement demander à celui qui souffre s’il est Russe, Polonais, Allemand, Espagnol, Italien ou Français ? A moins de manquer à son titre, à son but, à son devoir, elle devrait étendre son action du Pérou jusqu’à la Chine. Il suffit de songer à la complication des rouages d’une telle entreprise pour voir combien elle est chimérique.

Supposons-la circonscrite à la France, ce n’en serait pas moins une administration colossale, un véritable ministère. Qui voudrait assumer la responsabilité d’un tel maniement de fonds ? Pour une gestion de cette nature l’intégrité et le dévouement ne suffiraient pas, il faudrait une haute capacité administrative. Admettons cependant les premières difficultés vaincues, comment exercer un contrôle efficace sur l’étendue et la réalité des besoins, sur la sincérité de la qualité de Spirite ? Une pareille institution verrait bientôt des adeptes, ou soi-disant tels, surgir par millions, mais ce ne serait pas de ceux qui alimenteraient la caisse. Du moment où celle-ci existerait, on la croirait inépuisable, et elle se verrait bientôt dans l’impuissance de satisfaire toutes les exigences de son mandat. Fondée sur une aussi vaste échelle, nous la regardons comme impraticable, et pour notre compte personnel nous n’y prêterions pas la main.

N’aurait-elle pas à craindre, en outre, de rencontrer de l’opposition à sa constitution même ? Le Spiritisme naît à peine, et n’est pas encore partout tellement en odeur de sainteté qu’il soit à l’abri des suppositions malveillantes. Ne pourrait-on se méprendre sur ses intentions dans une opération de ce genre ; supposer que, sous un manteau, il cache un autre but ; faire, en un mot, des assimilations dont exciperaient ses adversaires, pour exciter la défiance contre lui ? Le Spiritisme, par sa nature, n’est et ne peut être ni une affiliation, ni une congrégation ; il doit donc, dans son propre intérêt, éviter tout ce qui en aurait l’apparence.


5. — Faut-il donc que, par crainte, le Spiritisme reste stationnaire ? n’est-ce pas en agissant, dira-t-on, qu’il montrera ce qu’il est, qu’il dissipera les défiances et déjouera la calomnie ? Sans aucun doute, mais il ne faut pas demander à l’enfant ce qui exige les forces de l’âge viril. Loin de servir le Spiritisme, ce serait le compromettre et l’offrir aux coups ou à la risée de ses adversaires, que de mêler son nom à des choses chimériques. Certes, il doit agir, mais dans la limite du possible. Laissons-lui donc le temps d’acquérir les forces nécessaires, et alors il donnera plus qu’on ne croit. Il n’est pas même encore complètement constitué en théorie ; comment veut-on qu’il donne ce qui ne peut être que le résultat du complément de la doctrine ?

Il est d’ailleurs d’autres considérations dont il importe de tenir compte.

Le Spiritisme est une croyance philosophique, et il suffit de sympathiser avec les principes fondamentaux de la doctrine pour être Spirite. Nous parlons des Spirites convaincus et non de ceux qui en prennent le masque, par des motifs d’intérêt ou autres tout aussi peu avouables ; ceux-là ne font pas nombre : chez eux il n’y a aucune conviction ; ils se disent Spirites aujourd’hui, par l’espoir d’y trouver leur avantage ; ils seront adversaires demain, s’ils n’y trouvent pas ce qu’ils cherchent ; ou bien ils se poseront en victimes de leur dévouement factice, et accuseront les Spirites d’ingratitude de ne pas les soutenir. Ce ne seraient pas les derniers à exploiter la caisse générale, pour se relever de spéculations avortées, ou réparer des désastres causés par leur incurie ou leur imprévoyance, et à lui jeter la pierre si elle ne les satisfaisait pas. Il ne faut pas s’en étonner, toutes les opinions comptent de pareils auxiliaires et voient se jouer de semblables comédies.

Il y a aussi la masse considérable des Spirites d’intuition ; ceux qui le sont par la tendance et la prédisposition de leurs idées, sans étude préalable ; les indécis qui flottent encore en attendant les éléments de conviction qui leur sont nécessaires ; on peut, sans exagération, les évaluer au quart de la population. C’est la grande pépinière où se recrutent les adeptes, mais ils ne comptent pas encore dans le nombre.


6. — Parmi les Spirites réels, ceux qui constituent le véritable corps des adhérents, il y a certaines distinctions à faire. En première ligne il faut mettre les adeptes de cœur, animés d’une foi sincère, qui comprennent le but et la portée de la doctrine, et en acceptent toutes les conséquences pour eux-mêmes ; leur dévouement est à toute épreuve et sans arrière-pensée ; les intérêts de la cause, qui sont ceux de l’humanité, leur sont sacrés, et jamais ils ne les sacrifieront à une question d’amour-propre ou d’intérêt personnel ; pour eux le côté moral n’est pas une simple théorie : ils s’efforcent de prêcher d’exemple ; ils n’ont pas seulement le courage de leur opinion : ils s’en font gloire, et savent au besoin payer de leur personne.

Viennent ensuite ceux qui acceptent l’idée, comme philosophie, parce qu’elle satisfait leur raison, mais dont la fibre morale n’est pas suffisamment touchée pour comprendre les obligations que la doctrine impose à ceux qui se l’assimilent. Le vieil homme est toujours là, et la réforme de soi-même leur semble une tâche trop lourde ; mais comme ils n’en sont pas moins fermement convaincus, et l’on trouve parmi eux des propagateurs et des défenseurs zélés.

Puis il y a les gens légers pour qui le Spiritisme est tout entier dans les manifestations ; pour eux c’est un fait, et rien de plus ; le côté philosophique passe inaperçu ; l’attrait de la curiosité est leur principal mobile, ils s’extasient devant un phénomène, et restent froids devant une conséquence morale.

Il y a enfin le nombre encore très grand des Spirites plus ou moins sérieux qui n’ont pu se mettre au-dessus des préjugés et du qu’en dira-t-on, que la crainte du ridicule retient ; ceux que des considérations personnelles ou de famille, des intérêts souvent respectables à ménager, forcent en quelque sorte à se tenir à l’écart ; tous ceux, en un mot, qui, par une cause ou par une autre, bonne ou mauvaise, ne se mettent pas en évidence. La plupart ne demanderaient pas mieux de s’avouer, mais ils n’osent pas ou ne le peuvent pas ; cela viendra plus tard, à mesure qu’ils verront les autres le faire et qu’il n’y a pas de danger ; ce seront les Spirites du lendemain, comme d’autres sont ceux de la veille. On ne peut cependant pas trop leur en vouloir, car il faut une force de caractère qui n’est pas donnée à tout le monde, pour braver l’opinion dans certain cas. Il faut donc faire la part de la faiblesse humaine ; le Spiritisme n’a pas le privilège de transformer subitement l’humanité, et si l’on peut s’étonner d’une chose, c’est du nombre des réformes qu’il a déjà opérées en si peu de temps. Tandis que chez les uns, où il trouve le terrain préparé, il entre pour ainsi dire tout d’une pièce, chez d’autres il ne pénètre que goutte à goutte, selon la résistance qu’il rencontre dans le caractère et les habitudes.


7. — Tous ces adeptes comptent dans le nombre, et quelque imparfaits qu’ils soient, ils sont toujours utiles, quoique dans une limite restreinte. Ne serviraient-ils, jusqu’à nouvel ordre, qu’à diminuer les rangs de l’opposition, ce serait déjà quelque chose ; c’est pourquoi il ne faut dédaigner aucune adhésion sincère, même partielle.

Mais quand il s’agit d’une œuvre collective importante où chacun doit apporter son contingent d’action, comme serait celle d’une caisse générale, par exemple, il convient de faire entrer ces considérations en ligne de compte, car l’efficacité du concours que l’on peut espérer est en raison de la catégorie à laquelle appartiennent les adeptes. Il est bien évident qu’on ne peut faire grand fond sur ceux qui ne prennent pas à cœur le côté moral de la doctrine, et encore moins sur ceux qui n’osent pas se montrer.

Restent donc les adeptes de la première catégorie ; de ceux-là, certes, on peut tout attendre, ce sont les soldats de l’avant-garde, et qui le plus souvent n’attendent pas l’appel quand il s’agit de faire preuve d’abnégation et de dévouement ; mais dans une coopération financière, chacun y contribue selon ses ressources et le pauvre ne peut donner que son obole. Aux yeux de Dieu cette obole a une grande valeur, mais pour les besoins matériels elle n’a que sa valeur intrinsèque. En défalquant tous ceux dont les moyens d’existence sont bornés, ceux qui eux-mêmes vivent au jour le jour de leur travail, le nombre de ceux qui pourraient contribuer un peu largement et d’une manière efficace est relativement restreint.


8. — Une remarque à la fois intéressante et instructive est celle de la proportion des adeptes suivant les catégories. Cette proportion a sensiblement varié, et se modifie en raison des progrès de la doctrine ; mais en ce moment elle peut être approximativement évaluée de la manière suivante : 1re catégorie, Spirites complets de cœur et de dévouement, 10 sur 100 adeptes ; 2e catégorie, Spirites incomplets, cherchant plus le côté scientifique que le côté moral, 25 sur 100 ; 3e catégorie, Spirites légers, ne s’intéressant qu’aux faits matériels, 5 sur 100 (cette proportion était inverse il y a dix ans) ; 4e catégorie, Spirites non avoués ou qui se cachent, 60 sur 100.

Relativement à la position sociale, on peut faire deux classes générales : d’une part, ceux dont la fortune est indépendante ; de l’autre, ceux qui vivent de leur travail. Sur 100 Spirites de la première catégorie, il y a, en moyenne, 5 riches contre 95 travailleurs ; dans la seconde, 70 riches et 30 travailleurs ; dans la troisième, 80 riches et 20 travailleurs ; dans la quatrième, 99 riches et 1 travailleur.

Ce serait donc se faire illusion de croire qu’en de telles conditions une caisse générale pût satisfaire à tous les besoins, alors que celle du plus riche banquier n’y suffirait pas ; ce ne seraient pas quelques milliers de francs qu’il faudrait chaque année, mais des millions.

D’où vient cette différence dans la proportion des riches et de ceux qui ne le sont pas ? La raison en est bien simple : les affligés trouvent dans le Spiritisme une immense consolation qui les aide à supporter le fardeau des misères de la vie ; il leur donne la raison de ces misères et la certitude d’une compensation. Il n’est donc pas surprenant que, jouissant plus du bienfait, ils l’apprécient plus et le prennent plus à cœur que les heureux du monde.


9. — On s’est étonné que, lorsque de semblables projets ont été mis en avant, nous ne nous soyons pas empressé de les appuyer et de les patronner : c’est qu’avant tout nous tenons aux idées positives et pratiques ; le Spiritisme est pour nous une chose trop sérieuse pour l’engager prématurément dans les voies où il pourrait rencontrer des déceptions. Il n’y a là, de notre part, ni insouciance ni pusillanimité, mais prudence, et toutes les fois qu’il sera mûr pour aller de l’avant, nous ne resterons pas en arrière. Ce n’est pas que nous nous attribuons plus de perspicacité qu’aux autres ; mais, notre position nous permettant de voir l’ensemble, nous pouvons juger le fort et le faible mieux peut-être que ceux qui se trouvent dans un cercle plus restreint. Du reste, nous donnons notre opinion, et nous n’entendons l’imposer à personne.

Ce qui vient d’être dit au sujet de la création d’une caisse générale et centrale de secours, s’applique naturellement aux projets de fondation d’établissements hospitaliers et autres ; or, ici, l’utopie est plus évidente encore. S’il est facile de jeter un canevas sur le papier, il n’en est plus de même quand on arrive aux voies et moyens d’exécution. Construire un édifice ad hoc, c’est déjà énorme, et quand il serait fait, il faudrait le pourvoir d’un personnel suffisant et capable, puis assurer son entretien, car de tels établissements coûtent beaucoup et ne rapportent rien. Ce ne sont pas seulement de grands capitaux qu’il faut, mais de grands revenus. Admettons cependant qu’à force de persévérance et de sacrifices on arrive à créer, comme on le dit, un petit échantillon, combien minimes ne seraient pas les besoins auxquels il pourrait satisfaire, eu égard à la masse et à la dissémination des nécessiteux sur un vaste territoire ! Ce serait une goutte d’eau dans la rivière, et, s’il y a tant de difficultés pour un seul, même sur une petite échelle, ce serait bien pis s’il s’agissait de les multiplier. L’argent ainsi employé ne profiterait donc, en réa-lité, qu’à quelques individus, tandis que, judicieusement réparti, il aiderait à vivre un grand nombre de malheureux.

Ce serait un modèle, un exemple, soit ; mais pourquoi s’ingénier à créer des chimères, quand les choses existent toutes faites, toutes montées, toutes organisées, avec des moyens plus puissants que n’en posséderont jamais des particuliers ? Ces établissements laissent à désirer ; il y a des abus ; ils ne répondent pas à tous les besoins, cela est évident, et cependant, si on les compare à ce qu’ils étaient il y a moins d’un siècle, on constate une immense différence et un progrès constant ; chaque jour voit s’introduire quelque amélioration. On ne saurait donc douter qu’avec le temps de nouveaux progrès se réaliseront par la force des choses. Les idées spirites doivent infailliblement hâter la réforme de tous les abus, parce que, mieux que d’autres, elles pénètrent les hommes du sentiment de leurs devoirs ; partout où elles s’introduiront, les abus tomberont et le progrès s’accomplira. C’est donc à les répandre qu’il faut s’attacher : là est la chose possible et pratique, là est le véritable levier, levier irrésistible quand il aura acquis une force suffisante par le développement complet des principes et le nombre des adhérents sérieux. A juger de l’avenir par le présent, on peut affirmer que le Spiritisme aura amené la réforme de bien des choses longtemps avant que les Spirites n’aient pu achever le premier établissement du genre de ceux dont nous parlons, si jamais ils l’entreprenaient, dussent-ils même tous donner un sou par semaine. Pourquoi donc user ses forces en efforts superflus, au lieu de les concentrer sur le point accessible et qui doit mener sûrement au but ? Mille adeptes gagnés à la cause et répandus en mille lieux divers hâteront plus la marche du progrès qu’un édifice.

Le Spiritisme, dit l’Esprit qui a dicté la communication ci-dessus, doit s’affirmer et montrer ce qu’il est par un monument durable élevé à la charité. Mais que sertirait un monument à la charité, si la charité n’est pas dans le cœur ? Il en élève un plus durable qu’un monument de pierre : c’est la doctrine et ses conséquences pour le bien de l’humanité. C’est à celui-là que chacun doit travailler de toutes ses forces, car il durera plus que les pyramides d’Égypte.

De ce que cet Esprit se trompe, selon nous, sur ce point, cela ne lui ôte rien de ses qualités : il est incontestablement animé d’excellents sentiments ; mais un Esprit peut être très bon, sans être un appréciateur infaillible de toutes choses ; tout bon soldat n’est pas nécessairement bon général.


10. — Un projet d’une réalisation moins chimérique est celui de la formation de sociétés de secours mutuels entre les Spirites d’une même localité ; mais encore ici on ne peut échapper à quelques-unes des difficultés que nous avons signalées : le défaut d’agglomération, et le chiffre encore restreint de ceux sur lesquels on peut compter pour un concours effectif. Une autre difficulté vient de la fausse assimilation que l’on fait des Spirites et de certaines classes d’individus. Chaque profession présente une délimitation nettement tranchée ; on peut facilement établir une société de secours mutuels entre gens d’une même profession, entre ceux d’un même culte, parce qu’ils se distinguent par quelque chose de caractéristique, et par une position en quelque sorte officielle et reconnue ; il n’en est pas ainsi des Spirites, qui ne sont enregistrés nulle part comme tels, et dont aucun brevet ne constate la croyance ; il y en a dans tous les rangs de la société, dans toutes les professions, dans tous les cultes, et nulle part ils ne constituent une classe distincte. Le Spiritisme étant une croyance fondée sur une conviction intime dont on ne doit compte à personne, on ne connaît guère que ceux qui se mettent en évidence ou fréquentent les groupes, et non le nombre bien autrement considérable de ceux qui, sans se cacher, ne font partie d’aucune réunion régulière. Voilà pourquoi, malgré la certitude où l’on est que les adeptes sont nombreux, il est souvent difficile d’arriver à un chiffre suffisant quand il s’agit d’une opération collective.


11. — A l’égard des sociétés de secours mutuels, il se présente une autre considération. Le Spiritisme ne forme et ne doit pas former de classe distincte, puisqu’il s’adresse à tout le monde ; par son principe même il doit étendre sa charité indistinctement, sans s’enquérir de la croyance, parce que tous les hommes sont frères ; s’il fonde des institutions charitables exclusives pour les adeptes, il est forcé de dire à celui qui réclame assistance : « Etes-vous des nôtres, et quelle preuve en donnez-vous ? Sinon, nous ne pouvons rien pour vous. » Il mériterait ainsi le reproche d’intolérance qu’on adresse à d’autres. Non, pour faire le bien, le Spirite ne doit pas scruter la conscience et l’opinion, et eût-il devant lui un ennemi de sa foi malheureux, il doit lui venir en aide dans la limite de ses facultés. C’est en agissant ainsi que le Spiritisme montrera ce qu’il est, et prouvera qu’il vaut mieux que ce qu’on lui oppose.

Les sociétés de secours mutuels se multiplient de tous les côtés et dans toutes les classes de travailleurs. C’est une excellente institution, prélude du règne de la fraternité et de la solidarité dont on sent le besoin ; elles profitent aux Spirites qui en font partie, comme à tout le monde ; pourquoi donc en fonderaient-ils pour eux seuls d’où les autres seraient exclus ? Qu’ils aident à les propager, puisqu’elles sont utiles ; que, pour les rendre meilleures, ils y fassent pénétrer l’élément spirite en y entrant eux-mêmes, cela sera plus profitable pour eux et pour la doctrine. Au nom de la charité évangélique inscrite sur leur drapeau, au nom des intérêts du Spiritisme, nous les adjurons d’éviter tout ce qui peut établir une barrière entre eux et la société. Alors que le progrès moral tend à abaisser celles mêmes qui divisent les peuples, le Spiritisme ne doit pas en élever ; son essence est de pénétrer partout ; sa mission, d’améliorer tout ce qui existe ; il y faillirait s’il s’isolait.


12. — La bienfaisance doit-elle dont rester individuelle, et, dans ce cas, son action n’est-elle pas plus bornée que si elle est collective ? La bienfaisance collective a d’incontestables avantages, et bien loin d’en détourner, nous l’encourageons. Rien n’est plus facile que de la pratiquer dans les groupes, en recueillant par voie de cotisations régulières ou de dons facultatifs les éléments d’un fonds de secours ; mais alors, agissant dans un cercle restreint, le contrôle des véritables besoins est facile ; la connaissance que l’on peut en avoir permet une répartition plus judicieuse et plus profitable ; avec une somme modique, bien distribuée et donnée à propos, on peut rendre plus de services réels qu’avec une grosse somme donnée sans connaissance de cause et pour ainsi dire au hasard. Il est donc nécessaire de pouvoir se rendre compte de certains détails, si l’on ne veut pas gaspiller inutilement ses ressources ; or on comprend que de tels soins seraient impossibles si l’on opérait sur une vaste échelle ; ici, point de dédale administratif, point de personnel bureaucratique ; quelques personnes de bonne volonté, et voilà tout.

Nous ne pouvons donc qu’encourager de toutes nos forces la bienfaisance collective dans les groupes spirites ; nous en connaissons à Paris, en Province et à l’Étranger qui sont fondés, sinon exclusivement, du moins principalement dans ce but, et dont l’organisation ne laisse rien à désirer ; là, des membres dévoués vont à domicile s’enquérir des souffrances, et porter ce qui vaut quelquefois mieux que les secours matériels : les consolations et les encouragements. Honneur à eux, car ils méritent bien du Spiritisme ! Que chaque groupe agisse ainsi dans sa sphère d’activité, et tous ensemble réaliseront plus de bien que ne pourrait le faire une caisse centrale quatre fois plus riche.



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