Tout nouveau-né sur votre rive
Je vis une femme attentive
Dire en épiant mon réveil :
Ne troublez pas son doux sommeil,
Il rêve ; et je naissais à peine !
Un peu plus tard, quand dans la plaine
J’effeuillais le trèfle fleuri,
On disait que Joseph Méry
Rêvait ; et quand ma pauvre mère
M’asseyait sur la blanche pierre
Qui du ruisseau gardait le bord,
Elle aussi disait : Rêve encor,
Mon enfant. Plus tard, au collège,
Par haine ou par mépris, que sais-je !
Tous mes amis fuyaient au loin,
Et me laissaient seul, dans un coin,
Rêver. Et quand la folle ivresse
Des plaisirs troubla ma jeunesse,
La foule me montrait au doigt
En disant : C’est Méry qui doit
Encor rêver. Et quand, plus sage,
Presque à mi-chemin du voyage,
Je fus jugé comme écrivain,
On disait de moi : C’est en vain
Qu’il évoque la poésie
Dans ses vers, c’est la rêverie
Qui vient à son appel. Méry,
Quoi qu’il fasse, sera Méry.
Et quand la dernière prière
Eut béni ma froide poussière,
Attentif sous mon linceul,
Je n’entendis qu’un mot, un seul ;
Rêveur ! Eh bien ! oui, sur la terre
J’ai rêvé ; pourquoi donc le taire ?
Un rêve qui n’est pas fini,
Et que je recommence ici.
J. Méry. |