1. — Dans un ménage d’ouvriers de Paris † se trouvent deux enfants atteints d’idiotie, et qui présentent cette particularité que, jusqu’à l’âge de cinq à six ans, ils jouissaient de toutes leurs facultés intellectuelles relativement même très développées. A moins qu’elle ne soit provoquée par une cause accidentelle, l’idiotie, chez les enfants, est presque toujours le résultat d’un arrêt de développement des organes, et se manifeste, par conséquent, dès la naissance. Ce qui est en outre à remarquer ici, c’est le fait de deux enfants atteints de la même infirmité dans des conditions identiques.
Ce double phénomène pouvant être le sujet d’une étude intéressante au point de vue psychologique, un des membres de la Société de Paris, M. Desliens, se fit introduire dans cette famille par un de ses amis, afin de pouvoir en rendre compte à la Société. Voici le résultat de ses observations.
« Lorsque le père connut le but de ma visite, dit-il, il passa dans un cabinet, et en ressortit apportant sur ses bras un être plus semblable par les traits à un animal qu’à un foyer d’intelligence. Il en amena également un second dans le même état d’hébétement, mais avec des apparences physiques plus humaines. Aucun son sensé ne s’échappa de la bouche de ces infortunés ; de petits cris aigus, un grondement rauque sont leurs seules manifestations bruyantes. Presque toujours un rire bestial anime leur physionomie. L’aîné se nomme Alfred, et le second Paulin.
« Alfred, qui a aujourd’hui dix-sept ans, naquit avec toute son intelligence qui se manifesta même avec une certaine précocité. A trois ans il parlait avec à propos et comprenait le moindre signe. Il fit alors une courte maladie, après laquelle il perdit l’usage de la parole et de ses facultés mentales. Les traitements médicaux n’aboutirent qu’à un épuisement des forces vitales, traduit aujourd’hui par un rachitisme absolu.
« Cet être, qui n’a d’un homme pas même l’apparence, a cependant du sentiment ; il aime ses parents ; il aime son frère, et sait manifester sa sympathie ou sa répulsion pour ceux qui l’entourent. Il comprend tout ce qu’on lui dit ; il regarde avec des yeux où brillent l’intelligence ; il cherche sans cesse, mais sans résultat, à répondre lorsqu’on parle devant lui de choses qui l’intéressent. Il a une peur invincible de la mort, et ne peut voir un corbillard sans chercher à s’enfuir. Sa tante lui ayant dit un jour, en plaisantant, qu’elle l’empoisonnerait s’il continuait à être méchant, il comprit si bien que, pendant plus d’un an, il refusa de recevoir aucune nourriture de ses mains, bien qu’il soit d’un appétit extraordinaire.
« Paulin, âgé de quinze ans, a une apparence plus humaine corporellement ; il porte sur son visage hébété, le cachet d’un idiotisme absolu. Cependant il aime, mais à cela se bornent ses manifestations extérieures. Il naquit également avec toute sa raison qu’il conserva entière jusqu’à l’âge de six ans. Il aimait beaucoup son frère. A cet âge il tomba malade et passa par les mêmes phases que son aîné. Il a fait dernièrement une longue maladie, et depuis ce temps il paraît mieux comprendre ce qu’on dit. Le curé et les prêtres de la paroisse firent entendre à la famille qu’il y avait là possession du démon et qu’il fallait exorciser les enfants. Les parents hésitaient ; cependant, fatigués de l’insistance de ces messieurs, et craignant de perdre les secours qu’ils recevaient à cause de leurs enfants, ils y consentirent ; mais alors ces messieurs prétendirent qu’il y avait eu en effet possession autrefois, mais qu’aujourd’hui ce n’était plus cela et qu’il n’y avait rien à faire. Il faut dire à la louange des parents, que leur tendresse pour ces infortunées créatures ne s’est jamais démentie, et qu’elles ont constamment été l’objet des soins les plus affectueux. »
2. — Messieurs les ecclésiastiques ont sagement fait de renoncer à l’exorcisme, qui n’eût abouti qu’à un échec. Ces enfants même ne présentent aucun des caractères de l’obsession dans le sens du Spiritisme, et tout prouve que la cause du mal est purement pathologique. Chez tous les deux l’idiotie s’est produite à la suite d’une maladie qui a, sans aucun doute, occasionné l’atrophie des organes de la manifestation de la pensée. Mais il est aisé de voir que derrière ce voile existe une pensée active qui rencontre un obstacle invincible à sa libre émission. L’intelligence de ces enfants, pendant les premières années, prouve en eux des Esprits avancés qui se sont plus tard trouvés enserrés dans des liens trop étroits pour qu’ils pussent se manifester ; sous une enveloppe dans des conditions normales, ils eussent été des hommes intelligents, et lorsque la mort les aura délivrés de leurs entraves, ils recouvreront le libre usage de leurs facultés.
Cette contrainte imposée à l’Esprit doit avoir une cause morale, providentielle, et cette cause doit être juste, puisque Dieu est la source de toute justice. Or, comme ces enfants n’ont rien pu faire dans cette existence qui pût mériter un châtiment quelconque, il faut bien admettre qu’ils payent la dette d’une existence antérieure, à moins de nier la justice de Dieu. Ils nous offrent une preuve de la nécessité de la réincarnation, cette clef qui résout tant de problèmes, et qui chaque jour jette la lumière sur tant de questions encore obscures. » (Voy. l’Évangile selon le Spiritisme, chap. V, nº 6 : Causes antérieures des afflictions terrestres.) n
3. — La communication suivante a été donnée sur ce sujet à la Société de Paris, le 7 juillet 1865. (Méd. M. Desliens).
« La perte de l’intelligence, chez les deux idiots dont il s’agit, est certainement explicable au point de vue scientifique. Chacun d’eux a fait une courte maladie ; on peut donc conclure avec raison que les organes cérébraux ont été affectés. Mais pourquoi cet accident a-t-il eu lieu après la manifestation évidente de toutes leurs facultés, contrairement à ce qui se passe généralement dans l’idiotie ? Je le répète, toute perturbation de l’intelligence ou des fonctions organiques peut être expliquée physiologiquement, quelle que soit la cause première, attendu que des lois ayant été établies par le Créateur pour les rapports entre l’intelligence et les organes de transmission, il ne peut y être dérogé. La perturbation de ces rapports est une conséquence même de ces lois, et peut frapper le coupable pour ses fautes antérieures : là est l’expiation.
« Pourquoi ces deux êtres sont-ils frappés ensemble ? Parce qu’ils ont participé à la même vie ; qu’ils ont été liés pendant l’épreuve, et qu ils doivent être réunis pendant la vie d’expiation.
« Pourquoi leur intelligence s’est-elle d’abord manifestée, contrairement à ce qui a lieu ordinairement en pareil cas ? Au point de vue de l’intention providentielle, c’est une des mille nuances de l’expiation, qui a sa raison d’être pour l’individu, mais dont il serait souvent difficile de sonder le motif, par cela même qu’il est individuel. Il faut y voir aussi un de ces faits qui viennent journellement confirmer, pour l’observateur attentif, les bases de la doctrine spirite, et sanctionner par l’évidence, les principes de la réincarnation.
« N’oubliez pas non plus que les parents ont leur part dans ce qui se passe ici ; c’est pour leur tendresse à l’égard de ces êtres qui ne leur offrent aucune compensation, une grande épreuve. Il faut les féliciter de n’y point faillir, car cette compensation qu’ils ne trouvent pas en ce monde, ils la trouveront plus tard. Dites en vous-mêmes que les soins et l’affection qu’ils prodiguent à ces deux pauvres êtres, pourraient bien être une réparation à leur égard, réparation que l’état de gêne de la famille rend encore plus méritoire. »
Mokí.
[1] [Dans
l’originel : l’Évangile selon le Spiritisme, chap. V, nº
66.]
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