I. Essai théorique sur les miroirs magiques. — II. Nouvelles études sur les miroirs magiques ou psychiques. — III. Le patriarche Joseph et le voyant de Zimmerwald. |
I. Essai théorique sur les miroirs magiques.
1. — On donne le nom de miroirs magiques à des objets, généralement à reflet brillant, tels que glaces, plaques métalliques, carafes, verres, etc., dans lesquels certaines personnes voient des images qui leur retracent des événements éloignés, passés, présents et quelquefois futurs, et les mettent sur la voie des réponses aux questions qui leur sont adressées.
Ce phénomène n’est pas extrêmement rare ; les esprits forts le taxent de croyance superstitieuse, d’effet de l’imagination, de jonglerie, comme tout ce qu’ils ne peuvent expliquer par les lois naturelles connues ; ainsi en est-il pour eux de tous les effets somnambuliques et médianimiques. Mais si le fait existe, leur opinion ne saurait prévaloir contre la réalité, et l’on est bien forcé d’admettre l’existence d’une nouvelle loi encore inobservée.
Jusqu’à présent nous ne nous sommes point étendu sur ce sujet, malgré les faits nombreux qui nous étaient rapportés, parce que nous avons pour principe de n’affirmer que ce dont nous pouvons nous rendre compte, tenant toujours, autant que possible, à dire le pourquoi et le comment des choses, c’est-à-dire de joindre au récit une explication rationnelle. Nous avons mentionné le fait sur le témoignage de personnes sérieuses et honorables ; mais, tout en admettant la possibilité du phénomène et même sa réalité, nous n’avions point encore vu assez clairement à quelle loi il pouvait se rattacher pour être en mesure d’en donner la solution, c’est pourquoi nous nous sommes abstenu. Les récits que nous avions sous les yeux pouvaient d’ailleurs être empreints d’exagération ; ils manquaient surtout de certains détails d’observation qui, seuls, peuvent aider à fixer les idées. Aujourd’hui que nous avons vu, observé et étudié, nous pouvons parler en connaissance de cause.
Relatons d’abord sommairement les faits dont nous avons été témoin. Nous ne prétendons pas convaincre les incrédules ; nous voulons seulement essayer d’éclaircir un point encore obscur de la science spirite.
2. — Dans le cours de l’excursion spirite que nous avons faite cette année, étant allé passer quelques jours chez M. de W…, membre de la Société spirite de Paris, † dans le canton de Berne † en Suisse, ce dernier nous parla d’un paysan des environs, tourneur de son état, qui jouit de la faculté de découvrir les sources, et de voir dans un verre les réponses aux questions qu’on lui adresse. Pour la découverte des sources, il se transporte parfois sur les lieux, et se sert de la baguette usitée en pareil cas ; d’autres fois, sans se déplacer, il se sert de son verre et donne les indications nécessaires. Voici un remarquable exemple de sa lucidité.
Dans la propriété de M. de W… existait une très longue conduite pour les eaux ; mais, par suite de certaines causes locales, il eût été préférable que la prise d’eau fût plus rapprochée. Afin de s’épargner, s’il était possible, des fouilles inutiles, M. de W… eut recours au découvreur de sources. Celui-ci, sans quitter sa chambre, lui dit, en regardant dans son verre : « Sur le parcours des tuyaux, il existe une autre source ; elle est à tant de pieds de profondeur au-dessous du quatorzième tuyau, à partir de tel point. » La chose fut trouvée telle qu’il l’avait indiquée. L’occasion était trop favorable pour n’en pas profiter dans l’intérêt de notre instruction. Nous nous rendîmes donc chez cet homme avec M. et Mme de W… et deux autres personnes. Quelques renseignements sur son compte ne sont pas sans utilité.
C’est un homme de soixante-quatre ans, assez grand, mince, d’une bonne santé, quoique impotent, et pouvant à grand-peine se transporter.
Il est protestant, très religieux, et fait sa lecture habituelle de la Bible et de livres de prières. Son infirmité, suite d’une maladie, date de l’âge de trente ans. C’est à cette époque que sa faculté s’est révélée en lui ; il dit que c’est Dieu qui a voulu lui donner une compensation. Sa figure est expressive et gaie, son œil vif, intelligent et pénétrant. Il ne parle que le patois allemand du pays, et n’entend pas un mot de français. Il est marié et père de famille ; il vit du produit de quelques pièces de terre, et de son travail personnel ; de sorte que, sans être dans une position aisée, il n’est pas dans le besoin.
Lorsque des personnes inconnues se présentent chez lui pour le consulter, son premier mouvement est celui de la défiance ; il flaire en quelque sorte leurs intentions, et, pour peu que son impression soit défavorable, il répond qu’il ne s’occupe que des sources, et refuse toute expérience avec son verre. Il refuse surtout de répondre aux questions qui auraient pour but la cupidité, comme la recherche des trésors, les spéculations hasardeuses, ou l’accomplissement de quelque mauvais dessein, à toutes celles, en un mot, qui blesseraient la loyauté et la délicatesse ; il dit que s’il s’occupait de ces choses-là, Dieu lui retirerait sa faculté. Lorsqu’on lui est présenté par des personnes de connaissance, et si on lui est sympathique, sa physionomie devient ouverte et bienveillante. Si le motif pour lequel on l’interroge est sérieux et utile, il s’y intéresse et se complaît dans les recherches ; si les questions sont futiles et de pure curiosité, si l’on s’adresse à lui comme à un diseur de bonne aventure, il ne répond pas.
Grâce à la présence et à la recommandation de M. de W…, nous avons été assez heureux pour être dans de bonnes conditions vis-à-vis de lui, et nous n’avons eu qu’à nous louer de son accueil cordial et de sa bonne volonté.
Cet homme est de la plus complète ignorance en ce qui concerne le Spiritisme ; il n’a pas la moindre idée des médiums, ni des évocations, ni de l’intervention des Esprits, ni de l’action fluidique ; pour lui, sa faculté est dans ses nerfs, dans une force qu’il ne s’explique pas, et qu’il n’a jamais cherché à s’expliquer, car, lorsque nous avons voulu lui faire dire de quelle manière il voyait dans son verre, il nous a paru que c’était la première fois que son attention était portée sur ce point ; or, c’était pour nous une chose essentielle ; ce n’est qu’après des questions successives que nous sommes parvenu à comprendre, ou mieux à débrouiller sa pensée.
Son verre est un verre à boire ordinaire, vide ; mais c’est toujours le même, et qui ne sert qu’à cet usage ; il ne pourrait pas en employer d’autre. En prévision d’un accident, il lui fut indiqué où il pouvait en trouver un pour le remplacer ; se l’étant procuré, il le tient en réserve.
Quand il l’interroge, il le tient dans le creux de la main, et regarde dans l’intérieur ; si le verre est placé sur la table, il ne voit rien. Quand il fixe son regard sur le fond, ses yeux semblent se voiler un instant, puis reprennent bientôt leur éclat habituel ; alors, regardant alternativement son verre et ses interlocuteurs, il parle comme d’habitude, disant ce qu’il voit, répondant aux questions, d’une manière simple, naturelle et sans emphase. Dans ses expériences il ne fait aucune invocation, n’emploie aucun signe cabalistique, ne prononce ni formules, ni paroles sacramentelles. Lorsqu’une question lui est faite, il concentre, dit-il, son attention et sa volonté sur le sujet proposé en regardant au fond du verre, où se forment à l’instant les images des personnes et des choses relatives à l’objet qui l’occupe. Quant aux personnes, il les dépeint au physique et au moral, comme le ferait un somnambule lucide, de manière à ne laisser aucun doute sur leur identité. Il décrit aussi, avec plus ou moins de précision, les lieux qu’il ne connaît pas ; ceci détruit l’idée que ce qu’il voit est un jeu de son imagination. Lorsqu’il a dit à M. de W… que la source était à tant de pieds au-dessous du quatorzième tuyau, il ne pouvait certainement pas le prendre dans son propre cerveau.
Pour se rendre plus intelligible, il se sert au besoin d’un morceau de craie, avec lequel il trace sur la table des points, des ronds, des lignes de diverses grandeurs, indiquant les personnes et les lieux dont il parle, leur position relative, etc., de manière à n’avoir qu’à les montrer quand il y revient, en disant : C’est celui-ci qui fait telle chose, ou c’est dans tel endroit que telle chose se passe.
3. — Un jour, une dame l’interrogeait sur le sort d’une jeune fille enlevée par des Bohémiens depuis plus de quinze ans, sans qu’on ait pu en avoir des nouvelles depuis lors. Partant, à la manière des somnambules, de l’endroit où la chose avait eu lieu, il suivait les traces de l’enfant qu’il disait voir dans son verre, et qui avait, selon lui, suivi les bords d’une grande eau, c’est-à-dire, la mer. Il affirma qu’elle vivait, décrivit sa situation, sans toutefois pouvoir préciser le lieu de sa résidence, parce que, dit-il, l’époque voulue pour qu’elle fût rendue à sa mère n’était pas encore arrivée ; qu’il fallait au préalable que certaines choses qu’il spécifia fussent accomplies, et qu’alors une circonstance fortuite ferait que la mère reconnaîtrait son enfant. Afin de pouvoir mieux préciser la direction à suivre pour la retrouver, il demanda qu’une autre fois on lui apportât une carte géographique. Cette carte lui fut montrée en notre présence le jour de notre visite ; mais, comme il n’a aucune notion de géographie, on fut obligé de lui expliquer ce qui représentait la mer, les fleuves, les villes, les routes et les montagnes ; alors, mettant le doigt sur le point de départ, il indiqua la route qui conduisait au lieu en question. Quoiqu’il se fût écoulé un certain temps depuis la première consultation, il se ressouvint parfaitement de tout ce qu’il avait dit, et fut le premier à parler de l’enfant avant qu’on le questionnât.
Cette affaire n’ayant pas encore reçu son dénouement, nous ne pouvons rien préjuger sur le résultat de ses prévisions ; nous dirons seulement qu’à l’égard des circonstances passées et connues, il avait vu très juste. Nous ne rapportons ce fait que comme spécimen de sa manière de voir.
4. — Pour ce qui nous concerne personnellement, nous avons également pu constater sa lucidité. Sans question préalable, et même sans que nous y songeassions, il nous parla spontanément d’une affection dont nous souffrons depuis un certain temps, et dont il assigna le terme n ; et, chose remarquable, c’est que ce terme est précisément celui qu’avait indiqué la somnambule, madame Roger, que nous avions consulté à cet effet, six mois auparavant.
Il ne nous connaissait ni de vue ni de nom, et quoique, dans son ignorance, il lui fût difficile de comprendre la nature de nos travaux, par des circonlocutions, des images et des expressions à sa manière, il en indiqua, à ne pas s’y méprendre, le but, les tendances et le résultat inévitable ; ce dernier point surtout paraissait l’intéresser vivement, car il répétait sans cesse que la chose devait s’accomplir, que nous y étions destiné depuis notre naissance, et que rien ne pouvait s’y opposer. De lui-même il parla de la personne appelée à continuer l’œuvre après notre mort, des obstacles que certains individus cherchaient à jeter sur notre route, des rivalités jalouses et des ambitions personnelles ; il désigna d’une manière non équivoque ceux qui pouvaient utilement nous seconder et ceux dont nous devions nous défier, revenant sans cesse sur les uns et sur les autres avec une sorte d’acharnement ; il entra enfin dans des détails circonstanciés d’une parfaite justesse, d’autant plus remarquables que la plupart n’étaient provoqués par aucune question, et qu’ils coïncidaient de tous points avec les révélations que nous ont faites mantes fois nos guides spirituels pour notre gouverne.
Ce genre de recherches sortait totalement des habitudes et des connaissances de cet homme, ainsi qu’il le disait lui-même ; à plusieurs reprises il répéta : « Je dis ici beaucoup de choses que je ne dirais pas à d’autres, parce qu’ils ne me comprendraient pas ; mais lui (en nous désignant) me comprend parfaitement. » En effet, il y avait des choses dites à dessein à demi-mots, qui n’étaient intelligibles que pour nous.
Nous vîmes dans ce fait une marque spéciale de la bienveillance des bons Esprits qui ont voulu nous confirmer, par ce moyen nouveau et inattendu, les instructions qu’ils nous avaient données en d’autres circonstances, en même temps que c’était pour nous un sujet d’observation et d’étude.
Il est donc avéré pour nous que cet homme est doué d’une faculté spéciale, et qu’il voit réellement. Voit-il toujours juste ? Là n’est pas la question ; il suffit qu’il ait vu assez souvent pour constater l’existence du phénomène ; l’infaillibilité n’est donnée à personne sur la terre, par la raison que personne n’y jouit de la perfection absolue. Comment voit-il ? Là est le point essentiel et qui ne peut se déduire que de l’observation.
5. — Par suite de son manque d’instruction et des préjugés du milieu dans lequel il a toujours vécu, il est imbu de certaines idées superstitieuses qu’il mêle à ses récits ; c’est ainsi, par exemple, qu’il croit de bonne foi à l’influence des planètes sur la destinée des individus, et à celle des jours heureux et malheureux. D’après ce qu’il avait vu de nous, nous devions être né sous, nous ne savons plus quel signe ; nous devions nous abstenir d’entreprendre des choses importantes à tel jour de la lune. Nous n’avons pas essayé de le dissuader, ce à quoi nous n’aurions probablement pas réussi, et n’aurait servi qu’à le troubler ; mais, parce qu’il a quelques idées fausses, ce n’est pas un motif pour dénier la faculté qu’il possède ; car, de ce qu’il y a de mauvais grains dans un tas de blé, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de bon blé ; et de ce qu’un homme ne voit pas toujours juste, il ne s’ensuit pas qu’il ne voit pas du tout.
Lorsqu’il se fut rendu compte à peu près du but et des résultats de nos travaux, il demanda très sérieusement et avec une sorte d’anxiété à l’oreille de M. de W…, si nous aurions par hasard trouvé le sixième livre de Moïse. Or, selon une tradition populaire dans certaines localités, Moïse aurait écrit un sixième livre contenant de nouvelles révélations et l’explication de tout ce qu’il y a d’obscur dans les cinq premiers. Selon la même tradition, ce livre doit être un jour découvert. Si quelque chose peut donner la clef de toutes les allégories des Écritures, c’est assurément le Spiritisme, qui réaliserait ainsi l’idée attachée au prétendu sixième livre de Moïse. Il est assez singulier que cet homme ait conçu cette pensée.
6. — Un examen attentif des faits ci-dessus démontre une complète analogie
entre cette faculté et le phénomène désigné sous les noms de seconde
vue, double vue, ou somnambulisme éveillé, et qui est décrit dans le
Livre des Esprits, chap. VIII : Émancipation de l’âme, et dans le
Livre des Médiums, chap. XIV… Elle a donc son principe dans la propriété
rayonnante du fluide périsprital, qui permet à l’âme, dans certains
cas, de percevoir les choses à distance, autrement dit, dans l’émancipation
de l’âme, qui est une loi de nature. Ce ne sont pas les yeux qui voient,
c’est l’âme qui, par ses rayons, atteignant un point donné, exerce son
action au dehors et sans le concours des organes corporels. Cette faculté,
beaucoup plus commune qu’on ne le croit, se présente avec des degrés
d’intensité et des aspects très divers selon les individus : chez les
uns, elle se manifeste par la perception permanente ou accidentelle,
plus ou moins nette, des choses éloignées ; chez d’autres, par la simple
intuition de ces mêmes choses ; chez d’autres, enfin, par la transmission
de la pensée. Il est à remarquer que beaucoup la possèdent sans s’en
douter, et surtout sans s’en rendre compte ; elle est inhérente à leur
être, et leur semble tout aussi naturelle que celle de voir par les
yeux ; souvent même ils confondent ces deux perceptions. Si on leur
demande comment ils voient, la plupart du temps ils ne savent pas plus
l’expliquer qu’ils n’expliqueraient le mécanisme de la vision ordinaire.
Le nombre des personnes qui jouissent spontanément de cette faculté, étant de beaucoup le plus considérable, il en résulte qu’elle est indépendante de tout appareil quelconque. Le verre dont cet homme se sert est un accessoire qui ne lui est utile que par habitude, car nous avons constaté qu’en plusieurs circonstances il décrivait les choses sans le regarder. Pour ce qui nous concernait, notamment en parlant des individus, il les indiquait avec sa craie, par les signes caractéristiques de leurs qualités et de leur position ; c’est sur ces signes qu’il parlait en regardant sa table, sur laquelle il semblait voir aussi bien que dans son verre qu’il regardait à peine ; mais, pour lui, il le croit nécessaire, et voici comment on peut l’expliquer.
L’image qu’il observe se forme dans les rayons du fluide périsprital qui lui en transmettent la sensation ; son attention se concentrant dans le fond de son verre, il y dirige les rayons fluidiques, et tout naturellement l’image s’y concentre comme elle se concentrerait sur un objet quelconque : un verre d’eau, une carafe, une feuille de papier, une carte, ou sur un point vague de l’espace. C’est un moyen de fixer la pensée et de la circonscrire, et nous sommes convaincu que quiconque exerce cette faculté à l’aide d’un objet matériel, avec un peu d’exercice, et s’il avait la ferme volonté de s’en passer, verrait tout aussi bien.
En admettant toutefois, ce qui n’est pas encore prouvé ; que l’objet agisse sur certaines organisations, à la façon des excitants, de manière à provoquer le dégagement fluidique, et par suite l’isolement de l’Esprit, il est un fait capital acquis à l’expérience, c’est qu’il n’existe aucune substance spéciale jouissant à cet égard d’une propriété exclusive.
L’homme en question ne voit que dans un verre vide, tenu dans le creux de sa main, et ne peut voir dans le premier verre venu ni dans son verre autrement placé. Si la propriété était inhérente à la substance et à la forme de l’objet, pourquoi deux objets de même nature et de même forme ne la posséderaient-ils pas pour le même individu ? Pourquoi ce qui produit de l’effet sur l’un ne le produirait-il pas sur un autre ?
Pourquoi, enfin, tant de personnes possèdent-elles cette faculté sans le secours d’aucun appareil ? C’est, ainsi que nous l’avons dit, que la faculté est inhérente à l’individu et non au verre. L’image se forme en lui-même, ou mieux dans les rayons fluidiques qui émanent de lui ; le verre n’offre, pour ainsi dire, que le reflet de cette image : c’est un effet et non la cause. Telle est la raison pour laquelle tout le monde ne voit pas dans ce qu’on est convenu d’appeler les miroirs magiques ; il ne suffit pas pour cela de la vue corporelle, il faut être doué de la faculté appelée double vue, qui serait plus exactement nommée vue spirituelle ; et cela est si vrai, que certaines personnes voient parfaitement les yeux fermés.
7. — La vue spirituelle est en réalité le sixième sens ou sens spirituel dont on a tant parlé, et qui, de même que les autres sens, peut être plus ou moins obtus ou subtil ; il a pour agent le fluide périsprital, comme la vue corporelle a pour agent le fluide lumineux ; de même que le rayonnement du fluide lumineux apporte l’image des objets sur la rétine, le rayonnement du fluide périsprital apporte à l’âme certaines images et certaines impressions ; ce fluide, comme tous les autres fluides, a ses effets propres, ses propriétés sui generis.
L’homme étant composé de l’Esprit, du périsprit et du corps, pendant la vie les perceptions et les sensations se produisent à la fois par les sens organiques et par le sens spirituel ; après la mort, les sens organiques sont détruits, mais, le périsprit restant, l’Esprit continue à percevoir par le sens spirituel, dont la subtilité s’accroît en raison du dégagement de la matière. L’homme en qui ce sens est développé jouit ainsi, par anticipation, d’une partie des sensations de l’Esprit libre. Quoique amorti par la prédominance de la matière, le sens spirituel n’en produit pas moins chez tous les hommes une multitude d’effets réputés merveilleux, faute d’en connaître le principe.
Cette faculté étant dans la nature, puisqu’elle tient à la constitution de l’Esprit, a donc existé de tout temps ; mais, comme tous les effets dont la cause est inconnue, l’ignorance l’attribuait à des causes surnaturelles. Ceux qui la possédaient à un degré éminent, pouvant dire, savoir et faire des choses au-dessus de la portée du vulgaire, les uns ont été accusés de pactiser avec le diable, qualifiés de sorciers et brûlés vifs ; d’autres ont été béatifiés comme ayant le don des miracles, tandis qu’en réalité tout se réduisait à l’application d’une loi naturelle.
8. — Revenons aux miroirs magiques. Le mot magie, qui signifiait jadis science des sages, par l’abus qu’en ont fait la superstition et le charlatanisme, a perdu sa signification primitive ; il est aujourd’hui discrédité avec raison, et nous croyons difficile de le réhabiliter, parce qu’il est désormais lié à l’idée des opérations cabalistiques, des grimoires, des talismans et d’une foule de pratiques superstitieuses condamnées par la saine raison. Le Spiritisme, déclinant toute solidarité avec ces prétendues sciences, doit éviter de s’approprier des termes qui pourraient fausser l’opinion en ce qui le concerne. Dans le cas dont il s’agit, la qualification de magique est aussi impropre que le serait celle de sorciers attribuée aux médiums ; la désignation de ces objets sous le nom de miroirs spirituels nous paraît plus exacte, parce qu’elle rappelle le principe en vertu duquel les effets se produisent. A la nomenclature spirite on peut donc ajouter les noms de : vue spirituelle, sens spirituel et miroirs spirituels.
Puisque la nature, la forme et la substance de ces objets sont choses indifférentes, on comprend que des individus doués de la vue spirituelle voient dans du marc de café, dans des blancs d’œufs, dans le creux de la main ou sur des cartes, ce que d’autres voient dans un verre d’eau, et disent parfois des choses vraies. Ces objets et leurs combinaisons n’ont aucune signification par eux-mêmes ; ce n’est qu’un moyen de fixer l’attention, un prétexte de parler, un maintien, pour ainsi dire, car il est à remarquer que, dans ce cas, l’individu les regarde à peine, et cependant s’il ne les avait pas devant lui, il croirait qu’il lui manque quelque chose ; il serait désorienté comme le serait notre homme s’il n’avait pas son verre dans la main ; il serait gêné pour parler, comme certains orateurs qui ne savent rien dire s’ils ne sont pas à leur place habituelle, ou s’ils n’ont pas à la main un cahier qu’ils ne lisent pas.
Mais s’il est quelques personnes sur lesquelles ces objets produisent l’effet de miroirs spirituels, il y a aussi la foule bien autrement grande des gens qui, n’ayant d’autre faculté que celle de voir par les yeux, et de posséder le langage de convention affecté à ces signes, abusent les autres ou s’abusent eux-mêmes ; puis celle également nombreuse des charlatans qui exploitent la crédulité. La superstition seule a pu consacrer l’usage de ces procédés, comme moyen de divination, et d’une foule d’autres qui n’ont pas plus de valeur, en attribuant une vertu à des mots, une signification à des signes matériels, à des combinaisons fortuites, qui n’ont aucune liaison nécessaire avec l’objet de la demande ou de la pensée.
En disant qu’à l’aide de ces procédés, certaines personnes peuvent parfois dire des vérités, ce n’est donc point pour les réhabiliter dans l’opinion, mais pour montrer que les idées superstitieuses ont parfois leur origine dans un principe vrai, dénaturé par l’abus et l’ignorance. Le Spiritisme, en faisant connaître la loi qui régit les rapports du monde visible et du monde invisible, détruit, par cela même, les idées fausses que l’on s’était faites sur ces rapports, comme la loi de l’électricité a détruit, non pas la foudre, mais les superstitions engendrées par l’ignorance des véritables causes de la foudre.
9. — En résumé : la vue spirituelle est un des attributs de l’Esprit, et constitue une des perceptions du sens spirituel ; c’est par conséquent une loi de nature.
L’homme, étant un Esprit incarné, possède les attributs de l’Esprit et, par suite, les perceptions du sens spirituel.
A l’état de veille, ces perceptions sont généralement vagues, diffuses, parfois même insensibles et inappréciables, parce qu’elles sont amorties par l’activité prépondérante des sens matériels. Néanmoins on peut dire que toute perception extra-corporelle est due à l’action du sens spirituel qui, dans ce cas, surmonte la résistance de la matière.
Dans l’état de somnambulisme naturel ou magnétique, d’hypnotisme, de catalepsie, de léthargie, d’extase, et même dans le sommeil ordinaire, les sens corporels étant momentanément assoupis, le sens spirituel se développe avec plus de liberté.
Toute cause extérieure tendant à engourdir les sens corporels, provoque, par cela même, l’expansion et l’activité du sens spirituel.
Les perceptions par le sens spirituel ne sont pas exemptes d’erreurs, par la raison que l’Esprit incarné peut être plus ou moins avancé, et, par conséquent, plus ou moins apte à juger sainement les choses et à les comprendre, et qu’il est encore sous l’influence de la matière.
Une comparaison fera mieux comprendre ce qui se passe en cette circonstance. Sur la terre, celui qui a la meilleure vue peut être trompé par les apparences ; longtemps l’homme a cru au mouvement du soleil ; il lui a fallu l’expérience et les lumières de la science pour lui montrer qu’il était le jouet d’une illusion. Ainsi en est-il des Esprits peu avancés, incarnés ou désincarnés ; ils ignorent beaucoup de choses du monde invisible, comme certains hommes intelligents, du reste, ignorent beaucoup de choses de la terre ; la vue spirituelle ne leur montre que ce qu’ils savent, et ne suffit pas pour leur donner les connaissances qui leur manquent ; de là les aberrations et les excentricités que l’on remarque si souvent chez les voyants et les extatiques ; sans compter que leur ignorance les met, plus que d’autres, à la merci des Esprits trompeurs qui exploitent leur crédulité et plus encore leur orgueil. Voilà pourquoi il y aurait imprudence à accepter sans contrôle leurs révélations. Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes sur la terre, dans un monde d’expiation, où abondent les Esprits inférieurs, et où les Esprits réellement supérieurs sont des exceptions ; dans les mondes avancés, c’est le contraire qui a lieu.
10. — Les personnes douées de la vue spirituelle peuvent-elles être considérées comme des médiums ? Oui et non, selon les circonstances.
La médiumnité consiste dans l’intervention des Esprits ; ce que l’on fait par soi-même n’est pas un acte médianimique. Celui qui possède la vue spirituelle voit par son propre Esprit, et rien n’implique la nécessité du concours d’un Esprit étranger ; il n’est pas médium parce qu’il voit, mais par le fait de ses rapports avec d’autres Esprits. Selon leur nature bonne ou mauvaise, les Esprits qui l’assistent peuvent faciliter ou entraver sa lucidité, lui faire voir des choses justes ou fausses, ce qui dépend aussi du but qu’on se propose, et de l’utilité que peuvent présenter certaines révélations. Ici, comme dans tous les autres genres de médiumnité, les questions futiles et de curiosité, les intentions non sérieuses, les vues cupides et intéressées, attirent les Esprits légers qui s’amusent aux dépens des gens trop crédules et se plaisent à les mystifier. Les Esprits sérieux n’interviennent que dans les choses sérieuses, et le voyant le mieux doué peut ne rien voir s’il ne lui est pas permis de répondre à ce qu’on lui demande, ou être troublé par des visions illusoires pour punir les curieux indiscrets. Bien qu’il possède en propre sa faculté, et quelque transcendante qu’elle soit, il ne lui est pas toujours libre d’en user à son gré. Souvent les Esprits en dirigent l’emploi, et s’il en abuse, il en est le premier puni par l’immixtion des mauvais Esprits.
11. — Un point important reste à éclaircir : celui de la prévision des événements futurs. On comprend la vue des choses présentes, la vue rétrospective du passé, mais comment la vue spirituelle peut-elle donner à certains individus la connaissance de ce qui n’existe pas encore ?
Pour ne pas nous répéter, nous renvoyons à notre article du mois de mai 1864 page 129, sur la théorie de la prescience, où la question est traitée d’une manière complète. Nous n’y ajouterons que quelques mots. En principe, l’avenir est caché à l’homme par les motifs qui ont été maintes fois développés ; ce n’est qu’exceptionnellement qu’il lui est révélé, et encore lui est-il plutôt pressenti que prédit. Pour le connaître, Dieu n’a donné à l’homme aucun moyen certain ; c’est donc en vain que ce dernier emploie à cet effet la multitude des procédés inventés par la superstition, et que le charlatanisme exploite à son profit. Si parmi les diseurs de bonne aventure, de profession ou non, il s’en trouve parfois qui soient doués de la vue spirituelle, il est à remarquer qu’ils voient bien plus souvent dans le passé et le présent que dans l’avenir ; c’est pourquoi il y aurait imprudence à se fier d’une manière absolue sur leurs prédictions, et à régler sa conduite en conséquence.
[1] [Dans l’article Conférences de M. Trousseau, Kardec parle de sa infirmité.]