1. — Plusieurs journaux ont reproduit l’article suivant :
« L’incident de la semaine, écrit-on de Rome † au Times, est l’ordre donné à M. Home, le célèbre médium, de quitter la ville pontificale dans les trois jours.
« Invité à se présenter devant la police romaine, M. Home subit un interrogatoire en forme. On lui demanda combien de temps il comptait rester à Rome ; s’il s’était livré aux pratiques du Spiritisme depuis sa conversion au catholicisme, etc., etc. Voici quelques-unes des paroles échangées dans cette circonstance, telles que M. Home lui-même les a consignées dans ses notes particulières, qu’il communique assez facilement, à ce qu’il paraît.
« — Après votre conversion au catholicisme, avez-vous exercé votre pouvoir de médium ? — Ni après ni avant je n’ai exercé ce pouvoir, car, comme il ne dépend pas de ma volonté, je ne puis dire que je l’exerce. — Considérez-vous ce pouvoir comme un don de la nature ? — Je le considère comme un don de Dieu. — Quelle religion enseignent les Esprits ? — Cela dépend. — Que faites-vous pour les faire venir ? » Je répondis que je ne faisais rien ; mais, au même instant, des frappements répétés et distincts se firent entendre sur la table où mon interrogateur écrivait. « Mais vous faites aussi mouvoir les tables ? » me dit-il. Au même instant la table se mit en mouvement. »
« Peu touché de ces prodiges, le chef de la police invita le magicien à quitter Rome dans les trois jours. M. Home s’abritant, comme c’était son droit, sous la protection des lois internationales, en référa au consul d’Angleterre, qui obtint de M. Matteucci que le trop célèbre médium ne serait pas inquiété et qu’il pourrait continuer son séjour à Rome, pourvu qu’il songeât à s’abstenir, durant ce temps, de toute communication avec le monde spirituel. Chose étonnante ! M. Home a accédé à cette condition, et signé l’engagement qu’on lui demandait. Comment a-t-il pu s’engager à ne pas user d’un pouvoir dont l’exercice est indépendant de sa volonté ? C’est ce que nous ne chercherons pas à pénétrer. »
2. — Nous ne savons jusqu’à quel point ce récit est exact dans tous ses détails, mais une lettre écrite dernièrement par M. Home à une dame de notre connaissance semble confirmer le fait principal. Quant aux coups frappés si à propos, nous croyons qu’on peut sans crainte les mettre au nombre des facéties auxquelles nous ont habitués les journaux peu soucieux d’approfondir les choses de l’autre monde.
M. Home est en effet à Rome en ce moment, et le motif est trop honorable pour lui pour que nous ne le disions pas, puisque les journaux ont cru devoir saisir cette occasion de le ridiculiser.
M. Home n’est pas riche, et il ne craint pas de dire qu’il doit chercher dans le travail un supplément de ressources pour subvenir aux charges auxquelles il doit pourvoir. Il a pensé le trouver dans le talent naturel qu’il a pour la sculpture, et c’est pour se perfectionner dans cet art qu’il est allé à Rome. Avec la remarquable faculté médianimique qu’il possède, il pourrait être riche, très riche même, s’il avait voulu l’exploiter ; la médiocrité de sa position est la meilleure réponse à l’épithète d’habile charlatan qu’on lui a jetée à la face. Mais il sait que cette faculté lui a été donnée dans un but providentiel, pour les intérêts d’une cause sainte, et il croirait commettre un sacrilège s’il la convertissait en métier. Il a trop le sentiment des devoirs qu’elle lui impose pour ne pas comprendre que les Esprits se manifestent par la volonté de Dieu pour ramener les hommes à la foi en la vie future, et non pour faire la parade dans un spectacle de curiosités, en concurrence avec les escamoteurs, ni pour servir la cupidité de ceux qui prétendraient les exploiter. Il sait d’ailleurs aussi que les Esprits ne sont aux ordres ni au caprice de personne, et encore moins de quiconque voudrait exhiber leurs faits et gestes à tant la séance. Il n’est pas un seul médium au monde qui puisse garantir la production d’un phénomène spirite à un instant donné ; d’où il faut conclure que la prétention contraire est la preuve d’une ignorance absolue des principes les plus élémentaires de la science, et alors toute supposition est permise, parce que, si les Esprits ne répondent pas à l’appel, ou ne font pas des choses assez étonnantes pour satisfaire les curieux et soutenir la réputation du médium, il faut bien trouver moyen d’en donner aux spectateurs pour leur argent, si on ne veut pas le leur rendre.
Nous ne saurions trop le répéter, la meilleure garantie de sincérité c’est le désintéressement absolu. Un médium est toujours fort quand il peut répondre à ceux qui suspecteraient sa bonne foi : « Combien avez-vous payé pour venir ici ? »
Encore une fois, la médiumnité sérieuse ne peut être et ne sera jamais une profession ; non-seulement parce qu’elle serait discréditée moralement, mais parce qu’elle repose sur une faculté essentiellement mobile, fugitive et variable, que nul de ceux qui la possèdent aujourd’hui n’est assuré de posséder demain ; les charlatans seuls sont toujours certains d’eux-mêmes. Autre chose est un talent acquis par l’étude et le travail, qui, par cela même, est une propriété dont il est naturellement permis de tirer parti ; la médiumnité n’est point dans ce cas ; l’exploiter, c’est disposer d’une chose dont on n’est réellement pas maître ; c’est la détourner de son but providentiel ; il y a plus : ce n’est pas de soi-même dont on dispose, ce sont les Esprits, les âmes des morts dont le concours est mis à prix. Cette pensée répugne instinctivement. C’est pourquoi dans tous les centres sérieux, où l’on s’occupe du Spiritisme saintement, religieusement, comme à Lyon, † Bordeaux † et tant d’autres, les médiums exploiteurs seraient complètement déconsidérés.
Que celui donc qui n’a pas de quoi vivre cherche ailleurs des ressources et n’y consacre, s’il le faut, que le temps qu’il peut y donner matériellement ; les Esprits lui tiendront compte de son dévouement et de ses sacrifices, tandis qu’ils punissent tôt ou tard ceux qui espèrent s’en faire un marchepied, soit par le retrait de la faculté, l’éloignement des bons Esprits, les mystifications compromettantes, soit par des moyens plus désagréables encore, ainsi que le prouve l’expérience.
M. Home sait très bien qu’il perdrait l’assistance de ses Esprits protecteurs s’il abusait de sa faculté. Sa première punition serait de perdre l’estime et la considération des familles honorables où il est reçu en ami et où il ne serait plus appelé qu’au même titre que les gens qui vont donner des représentations à domicile. Lors de son premier séjour à Paris, † nous savons qu’il lui a été fait, par certains cercles, des offres très avantageuses pour y donner des séances, et qu’il a toujours refusé. Tous ceux qui le connaissent et comprennent les véritables intérêts du Spiritisme applaudiront à la résolution qu’il prend aujourd’hui. Pour notre compte personnel, nous lui savons gré du bon exemple qu’il donne.
Si nous avons insisté de nouveau sur la question du désintéressement des médiums, c’est que nous avons des raisons de croire que la médiumnité fictive et abusive est un des moyens que les ennemis du Spiritisme comptent employer pour chercher à le discréditer et le présenter comme une œuvre de charlatanisme. Il est donc nécessaire que tous ceux qui ont à cœur la cause de la doctrine se tiennent pour avertis, afin de démasquer les manœuvres frauduleuses, s’il y a lieu, et montrer que le Spiritisme vrai n’a rien de commun avec les parodies qu’on en pourrait faire, et qu’il répudie tout ce qui s’écarte du principe moralisateur qui est son essence.
3. — L’article ci-dessus rapporté offre plusieurs autres sujets d’observations.
L’auteur croit devoir qualifier M. Home de magicien ; il n’y a là rien que de très innocent ; mais plus loin il dit : « Le trop célèbre médium », expression employée à l’égard des individus qui se sont acquis une fâcheuse célébrité. Où sont donc les méfaits et les crimes de M. Home ?
C’est une injure gratuite, non-seulement pour lui, mais encore pour toutes les personnes respectables et haut placées qui le reçoivent et qui semblent ainsi patronner un homme mal famé.
La dernière phrase de l’article est plus curieuse, parce qu’elle renferme une de ces contradictions flagrantes dont nos adversaires s’inquiètent fort peu du reste. L’auteur s’étonne que M. Home ait consenti à l’engagement qu’on lui imposait, et il se demande comment il a pu promettre de ne pas user d’un pouvoir indépendant de sa volonté ? S’il tenait à le savoir, nous le renverrions à l’étude des phénomènes spirites, de leurs causes et de leur mode de production, et il saurait comment M. Home a pu prendre un engagement qui, du reste, ne peut concerner les manifestations qu’il obtient dans l’intimité, fût-il même sous les verrous de l’inquisition. Mais il paraît que l’auteur n’y tient pas autant, car il ajoute : « C’est ce que nous ne chercherons pas à pénétrer. » Par ces mots, il donne insidieusement à entendre que ces phénomènes ne sont que de la supercherie.
Cependant la mesure prise par le gouvernement pontifical prouve que celui-ci a peur des manifestations ostensibles ; or, on n’a pas peur d’une jonglerie. Ce même gouvernement interdirait-il les soi-disant physiciens qui se font fort d’imiter ces manifestations ? Non, certainement, car à Rome on permet bien d’autres choses moins évangéliques ; pourquoi donc les interdire à M. Home ? Pourquoi vouloir l’expulser du pays, si ce n’est qu’un faiseur de tours ? C’est dans l’intérêt de la religion, dira-t-on ; soit ; mais elle est donc bien fragile cette religion qui peut être si facilement compromise ? A Rome, comme ailleurs, les escamoteurs exécutent avec plus ou moins d’habileté le tour de la bouteille enchantée, où l’eau se change en toutes sortes de vins, et celui du chapeau magique, où se multiplient des pains et autres objets ; et cependant on ne craint pas que cela discrédite les miracles de Jésus-Christ, parce qu’on sait que ce ne sont que des imitations. Si l’on craint M. Home, c’est donc de sa part quelque chose de sérieux, et non des tours d’adresse.
Telle est la conséquence qu’en tirera tout homme qui réfléchit un peu ; il n’entrera dans la pensée d’aucune personne sensée qu’un gouvernement, qu’une cour souveraine, composée d’hommes qui, à bon droit, ne passent pas pour des sots, s’effraient d’un mythe. Cette réflexion, nous ne serons pas seul à la faire, assurément, et les journaux qui se sont empressés de rendre compte de cet incident, en vue de le tourner en ridicule, vont la provoquer tout naturellement ; de sorte que le résultat sera, comme celui de tout ce qu’on a déjà fait pour tuer le Spiritisme, d’en populariser l’idée. Ainsi un fait insignifiant, en apparence, aura inévitablement des conséquences plus graves qu’on ne l’avait pensé. Nous ne doutons pas qu’il n’ait été suscité pour hâter l’éclosion du Spiritisme en Italie, où il compte déjà de très nombreux représentants, même dans le clergé. Nous ne doutons pas non plus que la cour de Rome ne devienne tôt ou tard, sans le vouloir, un des principaux instruments de propagation de la doctrine dans ce pays, parce qu’il est dans la destinée que ses adversaires doivent eux-mêmes servir à la répandre par tout ce qu’ils feront pour la détruire. Aveugle donc celui qui ne voit pas là le doigt de la Providence. Ce sera sans contredit un des faits les plus considérables de l’histoire du Spiritisme ; un de ceux qui attestent le mieux sa puissance et son origine.
[Revue de mars 1864.]
4. M. HOME À ROME.
(Conclusion.)
L’ordre qui avait été donné à M. Home, par les autorités pontificales, de quitter Rome sous trois jours, avait d’abord été rapporté, ainsi qu’on l’a vu dans notre dernier numéro ; mais on ne commande pas à la peur et l’on s’est ravisé ; le permis de séjour a été définitivement retiré, et M. Home a dû partir instantanément sous prévention de sorcellerie. Il est bon de dire que le fait des coups frappés et de la table soulevée pendant l’interrogatoire, que nous n’avons rapporté que sous forme dubitative, n’en ayant pas la certitude, est exact ; ce devait être un motif de plus de penser que M. Home amenait avec lui à Rome le diable, qui n’y a jamais pénétré, à ce qu’il paraît. Le voilà donc bien et dûment convaincu, de par le gouvernement romain, d’être un sorcier ; non pas un sorcier pour rire, mais un vrai sorcier, autrement on n’aurait pas pris la chose au sérieux.
Nous avons eu sous les yeux le long interrogatoire qu’on lui a fait subir, et cette lecture, par la forme des demandes, nous a involontairement reporté au temps de Jeanne d’Arc ; il n’y a manqué que la conclusion ordinaire à cette époque pour ces sortes d’accusations. Les journaux railleurs s’étonnent qu’au dix-neuvième siècle on croie encore aux sorciers ; c’est qu’il est des gens qui dorment du sommeil d’Epiménide depuis quatre siècles ; comment d’ailleurs le peuple n’y croirait-il pas, quand leur existence est attestée par l’autorité qui doit le mieux s’y connaître, puisqu’elle en a tant fait brûler ? Il faut être sceptique comme un journaliste pour ne pas se rendre à une preuve aussi évidente. Ce qui est plus surprenant, c’est qu’on fasse revivre les sorciers dans les Spirites, eux qui viennent prouver, pièces en mains, qu’il n’y a ni sorciers ni merveilleux, mais seulement des lois naturelles.