1. — Si l’on persistait à croire à l’influence des connaissances personnelles du médium dans la production des vers couronnés par l’Académie de Toulouse, il ne saurait en être ainsi pour les choses qu’il lui est matériellement impossible de connaître. Le fait suivant, entre mille, est une réponse péremptoire à cette objection. Nous le puisons dans une seconde lettre de M. Sabô.
« Le 4 mai, dit-il, la députation de Bordeaux † étant partie, je restai un jour de plus à Toulouse, † et dans une visite que je fis à M. Jaubert, il me proposa une expérimentation que j’acceptai avec grand plaisir, ne l’ayant jamais vu opérer. Une tourde table à quatre pieds se trouvait dans sa chambre, nous nous plaçâmes vis-à-vis l’un de l’autre, et après diverses évolutions de la table qui obéissait à son commandement, celle-ci ayant repris sa position normale, il me pria d’évoquer mentalement un Esprit. Voici les questions posées par lui et les réponses faites par l’Esprit.
Dem. Voudriez-vous nous faire connaître votre sexe ? – Rép. Féminin.
(C’était vrai.)
D. A quel âge avez-vous quitté la terre ? – R. A vingt-deux ans.
(C’était encore vrai.)
D. Quel est votre prénom ?
Lorsque l’Esprit eut montré six lettres formant Félici, M. Jaubert crut deviner, et ajouta : « Ce doit être Félicie ou Félicité. » Sans répondre à son observation, je le priai de continuer. L’Esprit indiqua un a. J’étais très ému, et le médium craignait une mystification. Rassuré à ce sujet, lui ayant dit que le nom était bien Félicia, il continua.
D. A quel degré de parenté étiez-vous liée avec M. Sabô ? – R. J’étais sa femme.
Pour le coup, M. Jaubert se croyait bel et bien mystifié, puisqu’il savait que ma femme était encore de ce monde. Je ne vous le dissimule pas, j’étais très heureux : je venais de palper, si je puis m’exprimer ainsi, l’âme de ma chère Félicia. J’expliquai alors à M. Jaubert, ce qu’il ignorait, que j’étais veuf et remarié depuis quelques mois seulement à la sœur de l’Esprit qui venait de nous donner une preuve si irrécusable de la manifestation de l’âme. Il était aussi heureux que moi de ce résultat, quoique, m’a-t-il dit, il obtienne des faits de cette nature devant lesquels l’incrédulité la plus absolue devra se rendre bon gré mal gré. A qui me dira : « C’est impossible, » je répondrai avec M. Jaubert : « Cela est. Incrédules ! cherchez de bonne foi et vous trouverez. »
2. A notre tour, nous dirons à ces messieurs qu’ils ont trop bonne opinion des incrédules absolus en croyant qu’ils se rendront à l’évidence ; il en est qui sont nés incrédules et mourront incrédules, non qu’ils ne puissent croire, mais parce qu’ils ne veulent pas croire ; or, il n’y a de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Un savant officiel disait dernièrement à un de nos amis qui lui parlait de ces phénomènes : « Je ne croirai jamais qu’une table puisse se mouvoir et se soulever autrement que par l’impulsion des muscles de l’opérateur. – Mais si vous voyiez une table se maintenir dans l’espace sans contact et sans point d’appui, qu’en diriez-vous ? – Je n’y croirais pas davantage, parce que JE SAIS que c’est impossible. »
Croyez donc bien que tous les Esprits frappeurs de Carcassonne † et du monde entier ne parviendront jamais à vaincre ces incrédulités absolues et de parti pris. Ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de les laisser tranquilles ; quand, sur mille personnes, neuf cent quatre-vingt-dix croiront, ce qui ne tardera pas, que feront les dix autres ? Ils diront encore, comme aujourd’hui, qu’ils ont seuls du bon sens, et qu’il faut enfermer avec les fous les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de la population. Laissons-leur donc cette innocente satisfaction, et poursuivons notre chemin sans nous inquiéter des traînards.
Ce mot, « je sais que c’est impossible, » nous rappelle l’anecdote suivante : Un ambassadeur hollandais s’entretenant avec le roi de Siam † des particularités de la Hollande, dont ce prince s’informait, lui dit entre autres choses que, dans son pays, l’eau se durcissait quelquefois si fort pendant la saison la plus froide de l’année, que les hommes marchaient dessus, et que cette eau ainsi durcie porterait des éléphants, s’il y en avait. Sur quoi le roi répondit : « Monsieur l’ambassadeur, j’ai cru jusqu’ici les choses extraordinaires que vous m’avez racontées, parce que je vous prenais pour un homme d’honneur et de probité ; mais présentement, je suis assuré que vous mentez. » N’est-ce pas l’équivalent du « je sais que c’est impossible » ?
Le fait relaté ci-dessus, diront certains négateurs, ne prouve rien, parce que si le médium ignorait la chose, M. Sabô la connaissait parfaitement ; c’est donc sa pensée qui s’est reproduite. Ainsi, ce serait la pensée de celui qui n’était pas médium qui se serait réfléchie dans la table, l’aurait agitée d’une manière intelligente pour lui faire frapper les coups indicateurs des lettres formulant sa pensée, et cela sans sa volonté, sans la participation de ses mains ? Singulière propriété de la pensée ! Ce phénomène seul, en admettant votre théorie, ne serait-il pas prodigieux et digne de la plus sérieuse attention ? Pourquoi donc le dédaigner ?
Vous vous absorbez sur la composition d’un grain de poussière, vous calculez avec soin les proportions de ses éléments, et vous n’avez que des dédains pour une manifestation aussi étrange de la pensée ! Qu’un nouveau rayon du spectre solaire se sépare, aussitôt vous étudiez ses propriétés, son action chimique, vous calculez son angle de réflexion, son pouvoir réfringent ; un rayon de la pensée s’isole, agite la matière, se réfléchit comme la lumière et cela n’éveille pas votre attention ! « A quoi bon nous en occuper ? dites-vous ; ce n’est que la pensée ! »
Mais comment expliquerez-vous, avec cette théorie, les faits si nombreux de révélations, soit par la typtologie, soit par l’écriture, de choses complètement ignorées de tous les assistants, et dont l’exactitude a été constatée, entre autres celui de Simon Louvet, rapporté dans la Revue de mars 1863, page 87 ? De la pensée de qui cette communication pouvait-elle être le reflet, puisqu’il a fallu recourir à un journal de six ans antérieur pour la vérifier ? Est-il plus simple d’admettre que ce soit la pensée du journaliste que celle de l’Esprit de Simon Louvet lui-même ? Vous avez donc bien peur d’être forcés de convenir que l’âme survit au corps ! et l’idée d’être anéanti après la mort vous sourit donc bien plus que celle de revivre dans des conditions plus heureuses, et de retrouver dans le monde des Esprits les affections que vous aurez laissées sur la terre ! Si vous vous complaisez dans la douce quiétude de finir pour toujours au fond de la fosse, et de vous endormir au sein de la pourriture de votre corps, quel tort vous font ceux qui croient le contraire, et pourquoi les poursuivre comme les ennemis du genre humain ? A raison de votre croyance vous cherchez à leur faire du mal ; à raison de la leur ils ne vous en faut point, alors que sans cela ils se fussent peut-être vengés de vos injures ; là est la condamnation des conséquences sociales de vos doctrines.
3. — Nous ne refusons pas de croire, disent quelques-uns d’entre vous, mais nous ne pouvons rien voir ; on nous refuse même l’entrée des réunions où nous pourrions nous convaincre, et où l’on n’admet que des gens convaincus. On vous refuse l’entrée des réunions par une raison bien simple : c’est que vous ne voulez pas faire ce qu’il faut pour vous éclairer ni suivre la voie qui vous est indiquée ; c’est que vous venez dans les réunions, non pour étudier froidement et sérieusement, mais avec un sentiment hostile, avec la pensée d’y faire prévaloir vos idées préconçues, et que la plupart du temps vous y portez le trouble ; que sans respect pour le caractère privé, quoique non secret, des réunions, vous cherchez à y pénétrer par la ruse pour satisfaire une inutile curiosité, y chercher des thèmes à vos sarcasmes, et souvent pour dénaturer ensuite ce que vous y aurez vu ; tels sont les motifs de votre exclusion qui ne saurait jamais être trop rigoureuse, puisque vous y seriez nuisibles aux uns, et sans utilité pour vous. Ceux qui voudront consciencieusement s’instruire doivent le prouver par une bonne volonté patiente et persévérante, et les moyens ne leur manqueront pas ; mais on ne saurait voir cette bonne volonté dans le désir de soumettre la chose à leurs exigences, au lieu de se soumettre eux-mêmes aux exigences de la chose. Cela dit, laissons les négateurs en repos en attendant que l’heure où ils pourront voir la lumière soit venue.
4. — La première réponse faite par l’Esprit de Félicia pourrait, à certaines personnes, sembler une contradiction ; elle dit qu’elle est du sexe féminin, et l’on sait que les Esprits n’ont pas de sexe. Ils n’ont pas de sexe, c’est vrai, mais on sait que pour se faire reconnaître ils se présentent sous la forme que nous leur avons connue de leur vivant.
Pour son ancien mari, Félicia est toujours une femme ; elle ne pouvait donc se présenter à lui sous un autre aspect qui eût troublé son souvenir.
Il y a plus : lorsque celui-ci entrera dans le monde des Esprits, il la retrouvera ce qu’elle était sur la terre, autrement il ne la reconnaîtrait pas ; mais peu à peu les caractères purement physiques s’effacent, pour ne laisser subsister que les caractères essentiellement moraux. C’est ainsi qu’une mère retrouve son enfant en bas âge, quoiqu’en réalité ce ne soit plus un enfant. Ajoutons encore que les caractères matériels sont d’autant plus persistants que les Esprits sont moins dématérialisés, c’est-à-dire moins élevés dans la hiérarchie des êtres ; en s’épurant, les traces de la matérialité disparaissent à mesure que la pensée se dégage de la matière ; c’est pourquoi les Esprits inférieurs, encore attachés à la terre, sont, dans le monde invisible, à peu près ce qu’ils y étaient de leur vivant, avec les mêmes goûts et les mêmes penchants.
5. — Nous ferons sur ce chapitre une dernière observation, c’est sur la qualification de frappeur donnée, à tort selon nous, à l’Esprit qui communique à M. Jaubert. Cette qualification ne convient, comme nous l’avons dit ailleurs [v. Le médium et le docteur Imbroglio], qu’aux Esprits qu’on peut dire frappeurs de profession, et qui appartiennent toujours, par le peu d’élévation de leurs idées et de leurs connaissances, aux catégories inférieures. Il ne saurait en être ainsi de celui-ci, qui prouve à la fois la supériorité de ses qualités morales et intellectuelles. La typtologie n’est pas pour lui un amusement ; c’est un moyen de transmission de pensée dont il se sert faute d’avoir trouvé en son médium la faculté nécessaire à l’emploi d’un autre mode. Son but est sérieux, tandis que celui des Esprits frappeurs proprement dits est presque toujours futile, si même il n’est malveillant.
La qualification d’Esprit frappeur pouvant être prise en mauvaise part, nous préférerions celle d’Esprit typteur, terme qui se rapporte au langage de la typtologie.
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