1. — Des questions ayant plusieurs fois été soulevées sur le principe de la non-rétrogradation des Esprits, principe diversement interprété, nous allons essayer de les résoudre. Le Spiritisme veut être clair pour tout le monde, et ne laisser à ses futurs enfants aucun sujet de querelles de mots, c’est pourquoi tous les points susceptibles d’interprétation seront successivement élucidés.
Les Esprits ne rétrogradent pas, en ce sens qu’ils ne perdent rien du progrès accompli ; ils peuvent rester momentanément stationnaires ; mais de bons, ils ne peuvent devenir méchants, ni de savants ignorants.
Tel est le principe général, qui ne s’applique qu’à l’état moral, et non à la situation matérielle, qui de bonne peut devenir mauvaise si l’Esprit l’a mérité.
Citons une comparaison. Supposons un homme du monde, instruit, mais coupable d’un crime qui le conduit aux galères ; certes, il y a pour lui une bien grande déchéance comme position sociale et comme bienêtre matériel ; à l’estime et à la considération ont succédé le mépris et l’abjection ; et pourtant il n’a rien perdu quant au développement de l’intelligence ; il portera au bagne ses facultés, ses talents, ses connaissances ; c’est un homme déchu, et c’est ainsi qu’il faut entendre les Esprits déchus. Dieu peut donc, au bout d’un certain temps d’épreuve, retirer d’un monde où ils n’auront pas progressé moralement ceux qui l’auront méconnu, qui auront été rebelles à ses lois, pour les envoyer expier leurs erreurs et leur endurcissement dans un monde inférieur, parmi des êtres encore moins avancés ; là ils seront ce qu’ils étaient avant, moralement et intellectuellement, mais dans une condition rendue infiniment plus pénible par la nature même du globe, et surtout par le milieu dans lequel ils se trouveront ; ils seront en un mot dans la position d’un homme civilisé forcé de vivre parmi les sauvages, ou d’un homme bien élevé condamné à la société des forçats. Ils ont perdu leur position, leurs avantages, mais ils n’ont pas rétrogradé vers leur état primitif ; d’hommes adultes ils ne sont pas redevenus enfants ; voilà ce qu’il faut entendre par la non-rétrogradation. N’ayant pas mis le temps à profit, c’est pour eux un travail à recommencer ; Dieu, dans sa bonté, ne veut pas les laisser plus longtemps parmi les bons dont ils troublent la paix ; c’est pourquoi il les envoie parmi des hommes qu’ils auront pour mission de faire avancer en leur communiquant ce qu’ils savent ; par ce travail ils pourront avancer eux-mêmes et se racheter tout en expiant leurs fautes passées, comme l’esclave qui amasse peu à peu de quoi acheter un jour sa liberté ; mais, comme l’esclave, beaucoup n’amassent que de l’argent au lieu d’amasser des vertus qui seules peuvent payer leur rançon.
Telle a été jusqu’à ce jour la situation de notre terre, monde d’expiation et d’épreuve, où la race adamique, race intelligente, fut exilée parmi les races primitives inférieures qui l’habitaient avant elle. Telle est la raison pour laquelle il y a tant d’amertumes ici-bas, amertumes que sont loin de ressentir au même degré les peuples sauvages. Il y a certainement rétrogradation de l’Esprit en ce sens qu’il recule son avancement, mais non au point de vue de ses acquisitions, en raison desquelles et du développement de son intelligence, sa déchéance sociale lui est plus pénible ; c’est ainsi que l’homme du monde souffre plus dans un milieu abject que celui qui a toujours vécu dans la fange.
2. — Selon un système qui a quelque chose de spécieux au premier abord, les Esprits n’auraient point été créés pour être incarnés, et l’incarnation ne serait que le résultat de leur faute. Ce système tombe par cette seule considération que si aucun Esprit n’avait failli, il n’y aurait point d’hommes sur la terre ni sur les autres mondes ; or, comme la présence de l’homme est nécessaire pour l’amélioration matérielle des mondes ; qu’il concourt par son intelligence et son activité à l’œuvre générale, il est un des rouages essentiels de la création. Dieu ne pouvait subordonner l’accomplissement de cette partie de son œuvre à la chute éventuelle de ses créatures, à moins qu’il ne comptât pour cela sur un nombre toujours suffisant de coupables pour alimenter d’ouvriers les mondes créés et à créer. Le bon sens repousse une telle pensée.
L’incarnation est donc une nécessité pour l’Esprit qui, tout en accomplissant sa mission providentielle, travaille à son propre avancement par l’activité et l’intelligence qu’il lui faut déployer pour pourvoir à sa vie et à son bien-être ; mais l’incarnation devient une punition quand l’Esprit, n’ayant pas fait ce qu’il doit, est contraint de recommencer sa tâche et multiplie ses existences corporelles pénibles par sa propre faute. Un écolier n’arrive à prendre ses grades qu’après avoir passé par la filière de toutes les classes ; ces classes sont-elles une punition ? Non : elles sont une nécessité, une condition indispensable de son avancement ; mais si, par sa paresse, il est obligé de les doubler, là est la punition ; pouvoir en passer quelques-unes est un mérite. Ce qui est donc vrai, c’est que l’incarnation sur la terre est une punition pour beaucoup de ceux qui l’habitent, parce qu’ils auraient pu l’éviter, tandis qu’ils l’ont peut-être doublée, triplée, centuplée par leur faute, retardant ainsi leur entrée dans les mondes meilleurs. Ce qui est faux, c’est d’admettre en principe l’incarnation comme un châtiment.
3. — Une autre question souvent agitée est celle-ci : L’Esprit étant créé simple et ignorant avec liberté de faire le bien ou le mal, n’y a-t-il pas déchéance morale pour celui qui prend la mauvaise route, puisqu’il arrive à faire le mal qu’il ne faisait pas auparavant ?
Cette proposition n’est pas plus soutenable que la précédente. Il n’y a déchéance que dans le passage d’un état relativement bon à un état pire ; or, l’Esprit créé simple et ignorant est, à son origine, dans un état de nullité morale et intellectuelle comme l’enfant qui vient de naître ; s’il n’a pas fait de mal, il n’a pas non plus fait de bien ; il n’est ni heureux ni malheureux ; il agit sans conscience et sans responsabilité ; puisqu’il n’a rien, il ne peut rien perdre, et ne peut non plus rétrograder ; sa responsabilité ne commence que du moment où se développe en lui le libre arbitre ; son état primitif n’est donc point un état d’innocence intelligente et raisonnée ; par conséquent le mal qu’il fait plus tard en enfreignant les lois de Dieu, en abusant des facultés qui lui ont été données, n’est pas un retour du bien au mal, mais la conséquence de la mauvaise voie où il s’est engagé.
Ceci nous conduit à une autre question. Néron, par exemple, peut-il, en tant que Néron, avoir fait plus de mal que dans sa précédente incarnation ? A cela nous répondons oui, ce qui n’implique pas que dans l’existence où il aurait fait moins de mal il fût meilleur. D’abord ce mal peut changer de forme sans être pire ou moins mal ; la position de Néron, comme empereur, l’ayant mis en évidence, ce qu’il a fait a été plus remarqué ; dans une existence obscure il a pu commettre des actes tout aussi répréhensibles, quoique sur une moins grande échelle, et qui ont passé inaperçus ; comme souverain il a pu faire brûler une ville ; comme simple particulier, il a pu brûler une maison et faire périr une famille ; tel assassin vulgaire qui tue quelques voyageurs pour les dépouiller, s’il était sur un trône, serait un tyran sanguinaire, faisant en grand ce que sa position ne lui permet de faire qu’en petit.
4. — Prenant la question à un autre point de vue, nous dirons qu’un homme peut faire plus de mal dans une existence que dans la précédente, montrer des vices qu’il n’avait pas, sans que cela implique une dégénérescence morale ; ce sont souvent les occasions qui manquent pour faire le mal, quand le principe existe à l’état latent ; vienne l’occasion, et les mauvais instincts se montrent à nu. La vie ordinaire nous en offre de nombreux exemples : tel homme que l’on avait cru bon, déploie tout à coup des vices qu’on ne soupçonnait pas, et l’on s’en étonne ; c’est tout simplement ou qu’il a su dissimuler, ou qu’une cause a provoqué le développement d’un mauvais germe. Il est bien certain que celui en qui les bons sentiments sont fortement enracinés n’a pas même la pensée du mal ; quand cette pensée existe, c’est que le germe existe : il n’y manque souvent que l’exécution.
Puis, comme nous l’avons dit, le mal, quoique sous différentes formes, n’en est pas moins le mal. Le même principe vicieux peut être la source d’une foule d’actes divers provenant d’une même cause ; l’orgueil, par exemple, peut faire commettre un grand nombre de fautes auxquelles on est exposé tant que le principe radical n’est pas extirpé. Un homme peut donc, dans une existence, avoir des défauts qu’il n’aurait pas manifestés dans une autre, et qui ne sont que des conséquences variées d’un même principe vicieux. Néron est pour nous un monstre, parce qu’il a commis des atrocités ; mais croit-on que ces hommes perfides, hypocrites, véritables vipères qui sèment le poison de la calomnie, dépouillent les familles par l’astuce et les abus de confiance, qui couvrent leurs turpitudes du masque de la vertu pour arriver plus sûrement à leurs fins et recevoir des éloges alors qu’ils méritent l’exécration, croit-on, disons-nous, qu’ils valent mieux que Néron ? Assurément non ; être réincarnés dans un Néron ne serait pas pour eux une déchéance, mais une occasion de se montrer sous une nouvelle face ; comme tels ils étaleront les vices qu’ils cachaient ; ils oseront faire par la force ce qu’ils faisaient par la ruse, voilà toute la différence. Mais cette nouvelle épreuve n’en rendra le châtiment que plus terrible, si, au lieu de profiter des moyens qui leur sont donnés de réparer, ils s’en servent pour le mal. Et cependant, chaque existence, quelque mauvaise qu’elle soit, est une occasion de progrès pour l’Esprit ; il développe son intelligence, acquiert de l’expérience et des connaissances qui, plus tard, l’aideront à progresser moralement.
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