Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année V — Octobre 1862.

(Langue portugaise)

APPOLONIUS DE TYANE.

1. — A l’exception des érudits, Apollonius de Tyane n’est guère connu que de nom, et encore son nom n’est-il pas populaire, faute d’une histoire à la portée de tout le monde. Il n’en existait que quelques traduction faites elles-mêmes sur une traduction latine et d’un format incommode. On doit donc savoir gré au savant helléniste qui vient de le mettre en lumière par une traduction consciencieuse faite sur le texte grec original, et aux éditeurs d’avoir, par cette publication, comblé une lacune regrettable. n

On n’a pas de dates précises sur la vie d’Apollonius. D’après certains calculs, il serait né deux ou trois ans avant Jésus-Christ, et mort à quatre-vingt-seize ans vers la fin du premier siècle. Il naquit à Tyane,  †  ville grecque de Cappadoce  †  en Asie Mineure. De bonne heure il fit preuve d’une grande mémoire, d’une intelligence remarquable et montra une grande ardeur pour l’étude. De toutes les philosophies qu’il étudia, il adopta celle de Pythagore, dont il suivit rigoureusement les préceptes jusqu’à sa mort. Son père, un des plus riches citoyens de Tyane, lui laissa une fortune considérable qu’il partagea entre ses parents, ne s’en réservant qu’une très faible partie, parce que, disait-il, le sage doit savoir se contenter de peu. Il voyagea beaucoup pour s’instruire ; parcouru l’Assyrie,  †  la Scythie,  †  l’Inde  †  où il visita les Brahmanes,  †  l’Egypte,  †  la Grèce,  †  l’Italie  †  et l’Espagne,  †  enseignant partout la sagesse ; partout aimé pour la douceur de son caractère, honoré pour ses vertus et recrutant de nombreux disciples qui se pressaient sur ses pas pour l’entendre, et dont plusieurs le suivirent dans ses voyages. L’un d’eux pourtant, Euphrate, jaloux de sa supériorité et de son crédit, devint son détracteur et son mortel ennemi, et ne cessa de répandre sur lui la calomnie pour le perdre, mais il ne réussit qu’à s’avilir lui-même ; Apollonius ne s’en émut jamais, et loin de concevoir contre lui aucun ressentiment, il le plaignait de sa faiblesse et chercha toujours à lui rendre le bien pour le mal. Damis, au contraire, jeune Assyrien qu’il connut à Ninive,  †  s’attacha à lui avec une fidélité à toute épreuve, fut le compagnon assidu de ses voyages, le dépositaire de sa philosophie, et a laissé sur lui la plupart des renseignements que nous possédons.

Le nom d’Apollonius de Tyane se trouve mêlé à celui de tous les personnages légendaires que l’imagination des hommes s’est plu à parer des attraits du merveilleux. Quelle que soit l’exagération des faits qu’on leur attribue, il demeure évident qu’à côté des fables se trouve un fond de vérités plus ou moins dénaturées. Personne assurément ne saurait révoquer en doute l’existence d’Apollonius de Tyane ; ce qui est également certain, c’est qu’il a dû faire des choses remarquables, sans quoi on n’en aurait pas parlé. Pour que l’impératrice Julia Domna, femme de Septime-Sévère, ait demandé à Philostrate  †  d’écrire sa vie, il fallait nécessairement qu’il eût fait parler de lui, car il n’est pas probable qu’elle ait commandé un roman sur un homme imaginaire ou obscur. Que Philostrate ait amplifié les faits ou qu’il les ait trouvés amplifiés, cela est probable et même certain, pour quelques-uns du moins, qui sont hors de toute probabilité ; mais ce qui n’est pas moins certain, c’est qu’il a puisé le fond de sa relation dans des récits presque contemporains et qui devaient avoir assez de notoriété pour mériter l’attention de l’impératrice. La difficulté est quelquefois de démêler la fable de la vérité ; dans ce cas il est des gens qui trouvent plus simple de tout nier.

Les personnages de cette nature sont très diversement appréciés ; chacun les juge au point de vue de ses opinions, de ses croyances et même de ses intérêts. Apollonius de Tyane devait, plus que tout autre, donner matière à la controverse, par l’époque où il vivait, et par la nature de ses facultés. On lui attribuait entre autres choses le don de guérir, la prescience, la vue à distance, le pouvoir de lire dans la pensée, de chasser les démons, de se transporter instantanément d’un lieu dans un autre, etc. Peu de philosophes ont joui d’une plus grande popularité de leur vivant. Son prestige était encore augmenté par l’austérité de ses mœurs, sa douceur, sa simplicité, son désintéressement, son caractère bienveillant et sa réputation de sagesse. Le paganisme jetait alors ses dernières lueurs, et se débattait contre l’envahissement du Christianisme naissant : il voulut en faire un dieu. Les idées chrétiennes se mêlant aux idées païennes, quelques-uns en firent un saint ; les moins fanatiques ne virent en lui qu’un philosophe ; c’est l’opinion la plus raisonnable, et c’est le seul titre qu’il ait jamais pris, car il s’est défendu d’être fils de Jupiter, comme quelques-uns le prétendaient. Quoique contemporain du Christ, il ne paraît pas en avoir entendu parler, car, dans sa vie, il n’est fait aucune allusion à ce qui passait alors en Judée.  † 

Parmi les chrétiens qui l’ont jugé depuis, les uns l’ont déclaré fourbe et imposteur ; d’autres, ne pouvant nier les faits, ont prétendu qu’il n’opérait des prodiges que par l’assistance du démon, sans songer que c’était avouer ces mêmes prodiges, et faire de Satan le rival de Dieu, par la difficulté de distinguer les prodiges divins des prodiges diaboliques. Ce sont les deux opinions qui ont prévalu dans l’Église.

L’auteur de cette traduction s’est tenu dans une sage neutralité ; il n’a épousé aucune version, et, pour mettre chacun à même de les apprécier toutes, il indique avec un soin scrupuleux toutes les sources où l’on peut puiser, laissant chacun libre de tirer, de la comparaison des arguments pour ou contre, telle conséquence qu’il jugera à propos, se bornant à faire une traduction fidèle et consciencieuse.

Les phénomènes spirites, magnétiques et somnambuliques viennent aujourd’hui jeter une lumière toute nouvelle sur les faits attribués à ce personnage, en démontrant la possibilité de certains effets relégués jusqu’à ce jour dans le domaine fantastique du merveilleux, et en permettant de faire la part du possible et de l’impossible.


2. — Et d’abord, qu’est-ce que le merveilleux ? Le scepticisme répond : C’est tout ce qui, étant en dehors des lois de la nature, est impossible ; puis il ajoute : Si les récits anciens abondent en faits de ce genre, cela tient à l’amour de l’homme pour le merveilleux. Mais d’où vient cet amour ? ce qu’il ne dit pas, et c’est ce que nous allons essayer d’expliquer ; ce ne sera pas inutile à notre sujet.

Ce que l’homme appelle merveilleux le transporte par la pensée au-delà des limites du connu, et c’est l’aspiration intime vers un ordre de choses meilleur qui lui fait rechercher avec avidité ce qui peut l’y rattacher et lui en donner une idée. Cette aspiration lui vient de l’intuition qu’il a que cet ordre de choses doit exister ; ne le trouvant pas sur la terre, il le cherche dans la sphère de l’inconnu. Mais cette aspiration elle-même n’est-elle pas un indice providentiel qu’il y a quelque chose au-delà de la vie corporelle ? Elle n’est donnée qu’à l’homme, car les animaux, qui n’attendent rien, ne recherchent pas le merveilleux. L’homme comprend intuitivement qu’il y a en dehors du monde visible une puissance dont il se fait une idée plus ou moins juste selon le développement de son intelligence, et tout naturellement il voit l’action directe de cette puissance dans tous les phénomènes qu’il ne comprend pas ; aussi une foule de faits passaient jadis pour merveilleux, qui, aujourd’hui parfaitement expliqués, sont rentrés dans le domaine des lois naturelles. Il en est résulté que tous les hommes qui possédaient des facultés ou des connaissances supérieures au vulgaire passaient pour avoir une portion de cette puissance invisible, ou tenir d’elle leur pouvoir ; on les a appelés magiciens ou sorciers. L’opinion de l’Église ayant fait prévaloir l’idée que cette puissance ne pouvait provenir que de l’Esprit du mal, lorsqu’elle s’exerçait en dehors de son sein, dans les temps de barbarie et d’ignorance on brûlait les prétendus magiciens ou sorciers ; le progrès de la science les a replacés dans l’humanité.


3. — Où trouvez-vous, disent les incrédules, le plus de récits merveilleux ? N’est-ce pas dans l’antiquité, chez les peuples sauvages, dans les classes les moins éclairées ? N’est-ce pas une preuve qu’ils sont le produit de la superstition, fille de l’ignorance ? De l’ignorance, c’est incontestable, et cela par une raison bien simple. Les anciens, qui savaient moins que nous, n’en étaient pas moins frappés des mêmes phénomènes ; connaissant moins de causes véritables, ils cherchaient des causes surnaturelles aux choses les plus naturelles, et, l’imagination aidant, secondée par la peur d’un côté, de l’autre par le génie poétique, ils brodaient là-dessus des contes fantastiques amplifiés par le goût de l’allégorie particulier aux peuples d’Orient. Prométhée soutirant le feu du ciel qui le consuma devait passer pour un être surhumain puni de sa témérité, pour avoir empiété sur les droits de Jupiter ; Franklin, le Prométhée moderne, est pour nous simplement un savant. Montgolfier  †  s’élevant dans les airs eût été dans les temps mythologiques un Icare  †  ; qu’eût donc été M. Poitevin s’élevant sur un cheval ?


4. — La science ayant fait rentrer une foule de faits dans l’ordre naturel, a réduit de beaucoup les faits merveilleux. Mais a-t-elle tout expliqué ? connaît-elle toutes les lois qui régissent les mondes ? n’a-t-elle plus rien à apprendre ? Chaque jour donne un démenti à cette orgueilleuse prétention. N’ayant donc point encore fouillé tous les secrets de Dieu, il en résulte que beaucoup de faits antiques sont encore inexpliqués ; or, n’admettant comme possible que ce qu’elle comprend, elle trouve plus simple de les appeler merveilleux, fantastiques, c’est-à-dire inadmissibles par la raison ; à ses yeux tous les hommes qui son censés les avoir produits sont des mythes ou des imposteurs, et devant cet arrêt Apollonius de Tyane ne pouvait trouver grâce. Le voilà donc condamné par l’Église, qui admet les faits, comme un suppôt de Satan, et par les savants, qui ne les admettent pas, comme un habile jongleur.

La loi de gravitation universelle a ouvert une nouvelle voie à la science, et rendu compte d’une foule de phénomènes sur lesquels on avait bâti des théories absurdes ; la loi des affinités moléculaires est venue lui faire faire un nouveau pas ; la découverte du monde microscopique lui a ouvert de nouveaux horizons ; l’électricité, à son tour, est venue lui révéler une nouvelle puissance qu’elle ne soupçonnait pas ; à chacune de ces découvertes, elle a vu se résoudre bien des difficultés, bien des problèmes, bien des mystères incompris ou faussement interprétés ; mais que de choses restent encore à éclaircir ! Ne peut-on admettre la découverte d’une nouvelle loi, d’une nouvelle force venant jeter la lumière sur des points encore obscurs ? Eh bien ! c’est une nouvelle puissance que le Spiritisme vient révéler, et cette puissance, c’est l’action du monde invisible sur le monde visible. En montrant dans cette action une loi naturelle, il recule encore les limites du merveilleux et du surnaturel, car il explique une foule de choses qui paraissaient inexplicables, comme d’autres paraissaient inexplicables avant la découverte de l’électricité.


5. — Le Spiritisme se borne-t-il à admettre le monde invisible comme hypothèse et comme moyen d’explication ? Non ; car ce serait expliquer l’inconnu par l’inconnu ; il prouve son existence par des faits patents, irrécusables, comme le microscope a prouvé l’existence du monde des infiniment petits. Étant donc démontré que le monde invisible nous entoure, que ce monde est essentiellement intelligent, puisqu’il se compose des âmes des hommes qui ont vécu, on conçoit aisément qu’il puisse jouer un rôle actif dans le monde visible, et produire des phénomènes d’un ordre particulier. Ce sont ces phénomènes que la science ne pouvant expliquer par les lois connues, appelle merveilleux. Ces phénomènes, étant une loi de la nature, ont dû se produire dans tous les temps ; or, comme ils reposaient sur l’action d’une puissance en dehors de l’humanité, et que toutes les religions ont pour principe l’hommage rendu à cette puissance, ils ont servi de base à toutes les religions ; voilà pourquoi les récits anciens, de même que toutes les théogonies,  †  fourmillent d’allusions et d’allégories concernant les rapports du monde invisible avec le monde visible, et qui sont inintelligibles si l’on ne connaît pas ces rapports ; vouloir les expliquer sans cela, c’est vouloir expliquer les phénomènes électriques sans l’électricité. Cette loi est une clef qui va ouvrir la plupart des sanctuaires mystérieux de l’antiquité ; une fois reconnue, les historiens, les archéologues, les philosophes vont voir se dérouler devant eux un horizon tout nouveau, et la lumière se fera sur les points les plus obscurs.

Si cette loi trouve encore de l’opposition, elle a cela de commun avec tout ce qui est nouveau ; cela tient en outre à l’esprit matérialiste qui domine notre époque, et en second lieu parce qu’on se fait généralement du monde invisible une idée tellement fausse, que l’incrédulité en est la conséquence. Le Spiritisme non-seulement en démontre l’existence, mais il le présente sous un aspect tellement logique que le doute n’a plus de raison d’être chez quiconque se n donne la peine de l’étudier, consciencieusement.

Nous ne demandons cependant point aux savants de croire ; mais comme le Spiritisme est une philosophie qui prend une large place dans le monde, à ce titre, fût-elle un rêve creux, elle mérite examen, ne fût-ce que pour savoir ce qu’elle dit. Nous ne leur demandons qu’une chose, c’est de l’étudier, mais de l’étudier à fond, pour ne pas lui faire dire ce qu’elle ne dit pas ; puis alors, qu’ils croient ou qu’ils ne croient pas, à l’aide de ce levier, pris comme simple hypothèse, qu’ils essayent de résoudre les milliers de problèmes historiques, archéologiques, anthropologiques, théologiques, psychologiques, moraux, sociaux, etc., devant lesquels ils ont échoué, et ils en verront le résultat. Ne pas leur demander la foi, ce n’est pas beaucoup exiger.


6. — Revenons à Apollonius. Les Anciens connaissaient incontestablement le magnétisme : on en trouve la preuve dans certaines peintures égyptiennes ; ils connaissaient également le somnambulisme et la seconde vue, puisque ce sont des phénomènes naturels psychologiques ; ils connaissaient les différentes catégories d’Esprits, qu’ils appelaient des dieux, et leurs rapports avec les hommes ; les médiums guérisseurs, voyants, parlants, auditifs, inspirés, etc., ont dû se produire chez eux comme de notre temps, comme on en voit de nombreux exemples chez les Arabes ; à l’aide de ces données et de la connaissance des propriétés du périsprit, enveloppe corporelle fluidique des Esprits, on peut parfaitement se rendre compte de plusieurs des faits attribués à Apollonius de Tyane, sans avoir recours à la magie, à la sorcellerie ni à la jonglerie. Nous disons de plusieurs, car il en est dont le Spiritisme lui-même démontre l’impossibilité ; c’est en cela qu’il sert à faire la part de la vérité et de l’erreur. Nous laissons à ceux qui auront fait une étude sérieuse et complète de cette science le soin d’établir la distinction du possible et de l’impossible, ce qui leur sera facile.


7. — Envisageons maintenant Apollonius à un autre point de vue. A côté du médium, qui en faisait pour ce temps-là un être presque surnaturel, il y avait en lui le philosophe, le sage. Sa philosophie se ressentait de la douceur de ses mœurs et de son caractère, de sa simplicité en toutes choses. On en peut juger par quelques-unes de ses maximes.

Ayant fait des reproches aux Lacédémoniens dégénérés et efféminés, ceux-ci ayant profité de ses conseils, il écrivit aux éphores  †  : « Apollonius aux éphores, salut. De véritables hommes ne doivent pas faire de fautes ; mais il n’appartient qu’aux hommes de cœur, s’ils commettent des fautes, de les reconnaître. »

Les Lacédémoniens, ayant reçu une lettre de reproches de l’empereur, étaient indécis de savoir s’ils devaient conjurer sa colère ou lui répondre avec fierté ; ils consultèrent Apollonius sur la forme de leur réponse ; celui-ci vint à l’assemblée et ne dit que ces mots : « Si Palamède a inventé l’écriture, ce n’est pas seulement pour qu’on pût écrire, mais afin qu’on sût quand il ne faut pas écrire. »

Télésinus [Caio Luccio Telesino], consul romain, interrogeant Apollonius, lui demanda : « Quand vous approchez des autels, quelle est votre prière ? — Je demande aux dieux que la justice règne, que les lois soient respectées, que les sages soient pauvres, que les autres s’enrichissent ; mais par des voies honnêtes. — Quoi ! quand vous demandez tant de choses ; pensez-vous être exaucé ? — Sans doute, car je demande tout cela en un seul mot ; et, m’approchant des autels, je dis : « O dieux ! donnez-moi ce qui m’est dû. » Si je suis du nombre des justes, j’obtiendrai plus que je n’ai dit ; si au contraire les dieux me mettent au nombre des méchants, ils me puniront, et je ne pourrai faire de reproches aux dieux si, n’étant pas bon, je suis puni. »

Vespasien s’entretenant avec Apollonius sur la manière de gouverner quand il serait empereur, lui dit : « Voyant l’empire avili par les tyrans que je viens de vous nommer, j’ai voulu prendre conseil de vous sur la manière de le relever dans l’estime des hommes. — Un jour, dit Apollonius, un joueur de flûte des plus habiles envoya ses élèves chez les plus mauvais joueurs de flûte pour leur apprendre comment il ne faut pas jouer. Vous savez maintenant, Vespasien, comment il ne faut pas régner : vos prédécesseurs vous l’ont appris. Réfléchissons maintenant à la manière de bien régner. »

Étant en prison à Rome, sous Domitien, il fit aux prisonniers un discours pour les rappeler au courage et à la résignation, et leur dit :

« Tous tant que nous sommes, nous sommes en prison pendant la durée de ce qu’on appelle la vie. Notre âme, liée à ce corps périssable, souffre des maux nombreux, et est l’esclave de toutes les nécessités de la condition d’homme. »

Dans sa prison, répondant à un émissaire de Domitien qui l’engageait à charger Nerva pour obtenir sa liberté, il dit : « Mon ami, si j’ai été mis aux fers pour avoir dit la vérité à Domitien, que m’arrivera-t-il pour avoir menti ? L’empereur croit que c’est la franchise qui mérite les fers, et moi je crois que c’est le mensonge. »

Dans une lettre à Euphrate : « J’ai demandé à des riches s’ils n’avaient pas de soucis. « Comment n’en aurions nous point ? » me dirent-ils. — « Et d’où viennent donc vos soucis ? — De nos richesses. » Euphrate, je vous plains, car vous venez de vous enrichir. »

Au même : « Les hommes les plus sages sont les plus brefs dans leurs discours. Si les bavards souffraient ce qu’ils font souffrir aux autres, ils ne parleraient pas tant. »

Autre à Criton : « Pythagore a dit que la médecine est le plus divin des arts. Si la médecine est l’art le plus divin, il faut que le médecin s’occupe de l’âme en même temps que du corps. Comment un être serait-il sain, quand la partie la plus importante de lui-même serait malade ? »

Autre aux platoniciens : « Si l’on offre de l’argent à Apollonius, et qu’on lui paraisse estimable, il ne fera pas de difficultés de l’accepter, pour peu qu’il en ait besoin. Mais un salaire pour ce qu’il enseigne, jamais, même dans le besoin, il ne l’acceptera. »

Autre à Valérius : « Personne ne meurt, si ce n’est en apparence, de même que personne ne naît, si ce n’est en apparence. En effet, le passage de l’essence à la substance, voilà ce qu’on appelle naître ; et ce qu’on a appelé mourir, c’est, au contraire, le passage de la substance à l’essence. »

Aux sacrificateurs d’Olympie  †  : « Les dieux n’ont pas besoin de sacrifices. Que faut-il donc faire pour leur être agréable ? Il faut, si je ne me trompe, chercher à acquérir la divine sagesse, et rendre, autant qu’on le peut, des services à ceux qui le méritent. Voilà ce qu’aiment les dieux. Les impies eux-mêmes peuvent faire des sacrifices. »

Aux Ephésiens du temple de Diane  †  : « Vous avez conservé tous les rites des sacrifices, tout le faste de la royauté. Comme banqueteurs et joyeux convives, vous êtes irréprochables ; mais que de reproches n’a-t-on pas à vous faire, comme voisins de la déesse nuit et jour ! N’est-ce pas de votre milieu que sortent tous les filous, les brigands, les marchands d’esclaves, tous les hommes injustes et impies ? Le temple est un repaire de voleurs. »

A ceux qui se croient sages : « Vous dites que vous êtes de mes disciples ? Eh bien ! ajoutez que vous vous tenez toujours chez vous, que vous n’allez jamais aux thermes, que vous ne tuez pas d’animaux, que vous ne mangez pas de viande, que vous êtes libres de toute passion, de l’envie, de la malignité, de la haine, de la calomnie, du ressentiment, qu’enfin vous êtes du nombre des hommes libres. N’allez pas faire comme ceux qui, par des discours mensongers, font croire qu’ils vivent d’une manière, tandis qu’ils vivent d’une manière tout opposée. »

A son frère Hestiée : « Partout je suis regardé comme un homme divin ; en quelques endroits même on me prend pour un dieu. Dans ma patrie, au contraire, je suis jusqu’ici méconnu. Faut-il s’en étonner ? Vous-mêmes, mes frères, je le vois, vous n’êtes pas encore convaincus que je sois supérieur à bien des hommes pour la parole et pour les mœurs. Et comment mes concitoyens et mes parents se sont-ils trompés à mon égard ? Hélas ! cette erreur m’est bien douloureuse ! je sais qu’il est beau de considérer toute la terre comme sa patrie et tous les hommes comme ses frères et ses amis, puisque tous descendent de Dieu et sont d’une même nature, puisque tous ont également les mêmes passions, puisque tous sont hommes également, qu’ils soient nés Grecs ou barbares. »

Étant à Catane,  †  en Sicile, dans une instruction donnée à ses disciples, il dit en parlant de l’Etna  †  : « A les entendre, sous cette montagne gémit enchaîné quelque géant, Typhée  †  ou Encelade,  †  qui, dans sa longue agonie, vomit tout ce feu. J’accorde qu’il a existé des géants ; car, en divers endroits, des tombeaux entr’ouverts nous ont fait voir des ossements qui indiquent des hommes d’une taille extraordinaire ; mais je ne saurais admettre qu’ils soient entrés en lutte avec les dieux ; tout au plus peut-être ont-ils outragé leurs temples et leurs statues. Mais qu’ils aient escaladé le ciel et en aient chassé les dieux, il est insensé de le dire, il est insensé d’y croire. Une autre fable, qui paraît moins irrévérente envers les dieux, et dont cependant nous ne devons pas faire plus de cas, c’est que Vulcain  †  travaille à la forge dans les profondeurs de l’Etna, et qu’il y fait sans cesse retentir l’enclume. Il y a, sur différents points de la terre, d’autres volcans, et l’on ne s’avise pas de dire qu’il y ait autant de géants et de Vulcains. »


8. — Certains lecteurs auraient trouvé peut-être plus intéressant que nous citassions les prodiges d’Apollonius pour les commenter et les expliquer ; mais nous avons tenu avant tout à montrer en lui le philosophe et le sage plutôt que le thaumaturge. On peut prendre ou rejeter tout ce que l’on voudra des faits merveilleux qu’on lui attribue, mais nous croyons difficile qu’un homme qui dit de telles paroles, qui professe et pratique de tels principes, soit un jongleur, un fourbe, ou un possédé du démon.

En fait de prodiges, nous n’en citerons qu’un seul qui témoigne suffisamment d’une des facultés dont il était doué.

Après un récit détaillé du meurtre de Domitien, Philostrate ajoute :

« Tandis que ces faits se passaient à Rome, Apollonius les voyait à Éphèse. Domitien fut assailli par Clément vers midi  [Voir les détails de la mort de l’empereur dans la  † ] ; le même jour, au même moment, Apollonius dissertait dans les jardins attenant aux xistes. Tout d’un coup il baissa un peu la voix comme s’il eût été saisi d’une frayeur subite. Il continua son discours, mais son langage n’avait pas sa force ordinaire, ainsi qu’il arrive à ceux qui parlent en songeant à autre chose. Puis il se tut comme font ceux qui ont perdu le fil de leur discours ; il lança vers la terre des regards effrayants, fit trois ou quatre pas en avant, et s’écria : « Frappe le tyran ! frappe ! » On eût dit qu’il voyait, non l’image du fait dans un miroir, mais le fait lui-même dans toute sa réalité. Les Éphésiens (car Éphèse tout entière assistait au discours d’Apollonius) furent frappés d’étonnement. Apollonius s’arrêta, semblable à un homme qui cherche à voir l’issue d’un événement douteux. Enfin il s’écria : « Ayez bon courage, Éphésiens. Le tyran a été tué aujourd’hui. Que dis-je aujourd’hui ? Par Minerve ! il vient d’être tué à l’instant même, pendant que je me suis interrompu. » Les Éphésiens crurent qu’Apollonius avait perdu l’esprit ; ils désiraient vivement qu’il eût dit la vérité, mais ils craignaient que quelque danger ne résultât pour eux de ce discours. « Je ne m’étonne pas, dit Apollonius, si l’on ne me croit pas encore : Rome elle-même ne le sait pas tout entière. Mais voici qu’elle l’apprend, la nouvelle se répand, déjà des milliers de citoyens la croient ; cela fait sauter de joie le double de ces hommes, et le quadruple, et le peuple, tout entier. Le bruit en viendra jusqu’ici ; vous pouvez différer, jusqu’au moment où vous serez instruits du fait, le sacrifice que vous devez offrir aux dieux à cette occasion ; quant à moi, je m’en vais leur rendre grâces de ce que j’ai vu. » Les Éphésiens restèrent dans leur incrédulité ; mais bientôt des messagers vinrent leur annoncer la bonne nouvelle et rendre témoignage en faveur de la science d’Apollonius ; car le meurtre du tyran, le jour où il fut consommé, l’heure de midi, l’auteur du meurtre qu’avait encouragé Apollonius, tous ces détails se trouvèrent parfaitement conformes à ceux que les dieux lui avaient montrés le jour de son discours aux Ephésiens. »

Il n’en fallait pas davantage, à cette époque, pour le faire passer pour un homme divin. De nos jours nos savants l’eussent traité de visionnaire ; pour nous, il était doué de la seconde vue dont le Spiritisme donne l’explication. (Voir la théorie du somnambulisme et de la double vue dans le Livre des Esprits, nº 455.)

Sa mort a présenté un autre prodige. Étant entré, un soir, dans le temple de Dictynne [Artémis Dictynne] à Linde, en Crète,  †  malgré les chiens féroces qui en gardaient l’entrée, et qui, au lieu d’aboyer à son arrivée, vinrent le caresser, il fut arrêté par les gardiens du temple pour ce fait, comme magicien, et chargé de chaînes. Pendant la nuit il disparut à la vue des gardiens, sans laisser de traces et sans qu’on ait retrouvé son corps. On entendit alors, dit-on, des voix de jeunes filles qui chantaient : « Quittez la terre ; allez au ciel, allez ! » comme pour l’engager à s’élever de la terre dans les régions supérieures.

Philostrate termine ainsi le récit de sa vie :

« Même depuis sa disparition, Apollonius a soutenu l’immortalité de l’âme, et enseigné que ce qu’on dit à ce sujet est vrai. Il y avait alors à Tyane un certain nombre de jeunes gens épris de philosophie ; la plupart de leurs discussions roulaient sur l’âme. L’un d’eux ne pouvait admettre qu’elle fût immortelle. « Voici dix mois, disait-il, que je prie Apollonius de me révéler la vérité sur l’immortalité de l’âme ; mais il est si bien mort que mes prières sont vaines, et qu’il ne m’est apparu, pas même pour me prouver qu’il fût immortel. » Cinq jours après il parla du même sujet avec ses compagnons, puis il s’endormit dans le lieu même où avait eu lieu la discussion. Tout d’un coup il bondit comme en proie à un accès de démence : il était à moitié endormi et couvert de sueur. « Je te crois, » s’écria-t-il. Ses camarades lui demandèrent ce qu’il avait. « Ne voyez-vous pas, leur répondit-il, le sage Apollonius ? Il est au milieu de nous, écoute notre discussion, et récite sur l’âme des chants mélodieux. — Où est-il ? dirent les autres, car nous ne le voyons pas, et c’est un bonheur que nous préfèrerions à tous les biens de la terre. — Il paraît qu’il est venu pour moi seul : il veut m’instruire de ce que je refusais de croire. Ecoutez donc, écoutez les chants divins qu’il me fait entendre :

« L’âme est immortelle ; elle n’est pas à vous, elle est à la Providence. Quand le corps est épuisé, semblable à un coursier rapide qui franchit la carrière, l’âme s’élance et se précipite au milieu des espaces éthérés, pleine de mépris pour le triste et rude esclavage qu’elle a souffert. Mais que vous importent ces choses ! Vous les connaîtrez quand vous ne serez plus. Tant que vous êtes parmi les vivants, pourquoi chercher à pénétrer ces mystères ? »

« Tel est l’oracle si clair qu’a rendu Apollonius sur les destinées de l’âme ; il a voulu que, connaissant notre nature, nous marchions le cœur content au but que nous fixent les Parques. »


9. — L’apparition d’Apollonius après sa mort est traitée d’hallucination par la plupart de ses commentateurs, chrétiens ou autres, qui ont prétendu que le jeune homme avait l’imagination frappée par le désir même qu’il avait de le voir, ce qui fait qu’il a cru le voir. Cependant l’Église a de tout temps admis ces sortes d’apparitions ; elle en cite beaucoup d’exemples qu’elle reconnaît comme authentiques. Le Spiritisme vient expliquer le phénomène, fondé sur les propriétés du périsprit, enveloppe ou corps fluidique de l’Esprit, qui, par une sorte de condensation, prend une apparence visible, et peut, comme on le sait, en prendre une tangible. Sans la connaissance de la loi constitutive des Esprits, ce phénomène est merveilleux ; cette loi connue, le merveilleux disparaît pour faire place à un phénomène naturel. (Voir dans le Livre des Médiums la théorie des manifestations visuelles, chapitre VI.)

En admettant que ce jeune homme eût été le jouet d’une illusion, il resterait aux négateurs à expliquer les paroles qu’il prête à Apollonius, paroles sublimes et tout opposées aux idées qu’il venait de soutenir un instant auparavant.

Que manquait-il à Apollonius pour être chrétien ? Bien peu de chose, comme on le voit. A Dieu ne plaise que nous établissions un parallèle entre lui et le Christ ! Ce qui prouve l’incontestable supériorité de celui-ci, et la divinité de sa mission, c’est la révolution produite dans le monde entier par la doctrine que lui, obscur, et ses apôtres aussi obscurs que lui, ont prêchée, tandis que celle d’Apollonius est morte avec lui. Il y aurait donc impiété à le poser en rival du Christ ! Mais, si l’on veut bien faire attention à ce qu’il dit au sujet du culte païen, on verra qu’il en condamne les formes superstitieuses et leur porte un coup terrible pour y substituer des idées plus saines. S’il eût parlé ainsi au temps de Socrate, il aurait, comme ce dernier, payé de sa vie ce qu’on aurait appelé son impiété ; mais à l’époque où il vivait, les croyances païennes avaient fait leur temps, et il était écouté. Par sa morale, il a préparé les païens au milieu desquels il vivait à recevoir avec moins de difficulté les idées chrétiennes, auxquelles il a servi de transition. Nous croyons donc être dans le vrai en disant qu’il a servi de trait d’union entre le paganisme et le Christianisme. Sous ce rapport, peut-être a-t-il eu aussi sa mission. Il pouvait être écouté des Païens, et ne l’eût pas été des Juifs. [v. Le spiritualisme et l’idéal, par M. Chassang, du même auteur.]



[1] Appolonius de Tyane, sa vie, ses voyages, ses prodiges ; par Philostrate. Nouvelle traduction faite sur le texte grec, par M. Chassang,  †  maître des conférences à l’École normale. — 1 vol. in 12 de 500 pages. Prix, 3 fr 50 ; chez MM. Didier et Ce, éditeurs, quai des Augustin, 35, à Paris.


[2] Original : « sa ».


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