1. — Dans un des caveaux de la tour Saint-Michel, à Bordeaux, †
on voit un certain nombre de cadavres momifiés qui ne paraissent pas
remonter à plus de deux ou trois siècles, n et
qui ont sans doute été amenés à cet état par la nature du sol. C’est
une des curiosités de la ville, et que les étrangers ne manquent pas
d’aller visiter. Tous ces corps ont la peau complètement parcheminée ;
la plupart sont dans un état de conservation qui permet de distinguer
les traits du visage et l’expression de la physionomie ; plusieurs
ont des ongles d’une fraîcheur remarquable ; quelques-uns ont encore
des lambeaux de vêtements, et même des dentelles très fines.
Parmi ces momies, il en est une qui fixe particulièrement l’attention ; c’est celle d’un homme dont les contractions du corps, de la figure et des bras portés à la bouche, ne laissent aucun doute sur son genre de mort ; il est évident qu’il a été enterré vivant, et qu’il est mort dans les convulsions d’une agonie terrible.
Un nouveau journal de Bordeaux publie un roman-feuilleton sous le titre de Mystères de la tour Saint-Michel. Nous ne connaissons cet ouvrage que de nom, et par les grandes images placardées sur tous les murs de la ville et représentant le caveau de la tour. Nous ne savons par conséquent dans quel esprit il est conçu, ni la source où l’auteur a puisé les faits qu’il raconte. Celui que nous allons rapporter a au moins le mérite de n’être pas le fruit de l’imagination humaine, puisqu’il vient directement d’outre-tombe, ce qui peut-être fera beaucoup rire l’auteur en question. Quoi qu’il en soit, nous croyons que ce récit n’est pas un des épisodes les moins saisissants des drames qui ont dû se passer dans ces lieux ; il sera lu avec d’autant plus d’intérêt par tous les Spirites, qu’il renferme en soi un profond enseignement ; c’est l’histoire de l’homme enterré vivant et de deux autres personnes qui s’y rattachent, obtenue dans une série d’évocations faites à la Société spirite de Saint-Jean d’Angély, dans le mois d’août dernier, et que l’on nous a communiquées lors de notre passage. Pour ce qui concerne l’authenticité des faits, nous nous en référons à la remarque placée à la fin de cet article.
2
(Saint-Jean d’Angély, †
9 août 1862. — Médium, M. Del…, par la typtologie.)
1. Demande au guide protecteur : Pouvons-nous évoquer l’Esprit qui a animé le corps qu’on voit dans le caveau de la tour Saint-Michel de Bordeaux, et qui paraît avoir été enterré vivant ? — R. Oui, et que cela serve à votre enseignement.
2. Évocation. — (L’Esprit manifeste sa présence.)
3. Pourriez-vous nous dire quel fut votre nom lorsque vous animiez le corps dont nous parlons ? — R. Guillaume Remone.
4. Votre mort a-t-elle été une expiation ou une épreuve que vous aviez choisie dans le but de votre avancement ? — R. Mon Dieu, pourquoi, dans ta bonté, poursuivre ta justice sacrée ? Vous savez que l’expiation est toujours obligatoire, et que celui qui a commis un crime ne peut l’éviter. J’étais dans ce cas, c’est tout vous dire. Après bien des souffrances, je suis parvenu à reconnaître mes torts, et j’en éprouve tout le repentir nécessaire à ma rentrée en grâce devant l’Éternel.
5. Pouvez-vous nous dire quel fut votre crime ? — R. J’avais assassiné ma femme dans son lit.
(10 août. — Médium ; madame Guérin, par l’écriture.)
6. Lorsque, avant votre réincarnation, vous avez choisi votre genre d’épreuves, saviez-vous que vous seriez enterré vivant ? – Non ; je savais seulement que je devais commettre un crime odieux qui remplirait ma vie de remords cuisants, et que cette vie, je la finirais dans des douleurs atroces. Je vais être bientôt réincarné ; Dieu a pris en pitié ma douleur et mon repentir.
Remarque. Cette phrase : Je savais que je devais commettre un crime, est expliquée ci-après, questions 30 et 31.
7. La justice a-t-elle poursuivi quelqu’un à l’occasion de la mort de votre femme ! – R. Non ; on a cru à une mort subite ; je l’avais étouffée.
8. Quel motif vous a porté à cet acte criminel ? – R. La jalousie.
9. Est-ce par mégarde qu’on vous a enterré vivant ? — R. Oui.
10. Vous rappelez-vous les instants de votre mort ? – R. C’est quelque chose de terrible, d’impossible à décrire. Figurez-vous être dans une fosse avec dix pieds de terre sur vous, vouloir respirer et manquer d’air, vouloir crier : « Je suis vivant ! » et sentir sa voix étouffée ; se voir mourir et ne pouvoir appeler du secours ; se sentir plein de vie et rayé de la liste des vivants ; avoir soif et ne pouvoir se désaltérer ; ressentir les douleurs de la faim et ne pouvoir la faire cesser ; mourir en un mot dans une rage de damné.
11. A ce moment suprême avez-vous pensé que c’était le commencement de votre punition ? — R. Je n’ai pensé à rien ; je suis mort comme un enragé, me heurtant aux parois de ma bière, voulant en sortir et vivre à tout prix.
Remarque. Cette réponse est logique et se trouve justifiée par les contorsions dans lesquelles on voit, en examinant le cadavre, que l’individu a dû mourir.
12. Votre Esprit dégagé a-t-il revu le corps de Guillaume Remone ? – R. Aussitôt après ma mort, je me voyais encore dans la terre.
13. Combien de temps êtes-vous resté dans cet état, c’est-à-dire ayant votre Esprit attaché à votre corps quoique ne l’animant plus ? – R. Quinze à dix-huit jours environ.
14. Lorsque vous avez pu quitter votre corps, où vous êtes-vous trouvé ? — R. Je me suis vu entouré d’une foule d’Esprits comme moi remplis de douleur, n’osant lever vers Dieu leur cœur encore attaché à la terre, et désespérant de recevoir leur pardon.
Remarque. — L’Esprit lié à son corps et souffrant encore les tortures des derniers instants, puis se trouvant au milieu d’Esprits souffrants, désespérant de leur pardon, n’est-ce pas l’enfer avec ses pleurs et ses grincements de dents ? Est-il besoin d’en faire une fournaise avec des flammes et des fourches ? Cette croyance à la perpétuité des souffrances est, comme on le sait, un des châtiments infligés aux Esprits coupables. Cet état dure tant que l’Esprit ne se repent pas, et il durerait toujours s’il ne se repentait jamais [v. Le Livre des Esprits, questions n.º 1006 et 1007], car Dieu ne pardonne qu’au pécheur repentant. Dès que le repentir entre dans son cœur, un rayon d’espérance lui fait entrevoir la possibilité d’un terme à ses maux ; mais le repentir seul ne suffit pas ; Dieu veut l’expiation et la réparation, et c’est par les réincarnations successives que Dieu donne aux Esprits imparfaits la possibilité de s’améliorer. Dans l’erraticité ils prennent des résolutions qu’ils cherchent à exécuter dans la vie corporelle ; c’est ainsi qu’à chaque existence, laissant quelques impuretés, ils arrivent graduellement à se perfectionner, et font un pas en avant vers la félicité éternelle. La porte du bonheur ne leur est donc jamais fermée, mais ils l’atteignent dans un temps plus ou moins long, selon leur volonté et le travail qu’ils font sur eux-mêmes pour le mériter.
On ne peut admettre la toute-puissance de Dieu sans la prescience ; dès lors on se demande pourquoi Dieu, sachant en créant une âme quelle devait faillir sans pouvoir se relever, l’a tirée du néant pour la vouer à des tourments éternels ? Il a donc voulu créer des âmes malheureuses ? Cette proposition est insoutenable avec l’idée de bonté infinie qui est un de ses attributs essentiels. De deux choses l’une, ou il le savait, ou il ne le savait pas ; s’il ne le savait pas, il n’est pas tout-puissant ; s’il le savait, il n’est ni juste ni bon ; or, ôter une parcelle de l’infini des attributs de Dieu, c’est nier la Divinité. Tout se concilie, au contraire, avec la possibilité laissée à l’Esprit de réparer ses fautes. Dieu savait qu’en vertu de son libre arbitre, l’Esprit faillirait, mais il savait aussi qu’il se relèverait ; il savait qu’en prenant la mauvaise route il retardait son arrivée au but, mais qu’il arriverait tôt ou tard, et c’est pour le faire arriver plus vite qu’il multiplie les avertissements sur son chemin ; s’il ne les écoute pas, il n’en est que plus coupable, et mérite la prolongation de ses épreuves. De ces deux doctrines quelle est la plus rationnelle ?
A. K.
(11 août.)
15. Nos questions vous seraient-elles désagréables ? — R. Cela me rappelle de poignants souvenirs ; mais maintenant que je suis rentré en grâce par mon repentir, je suis heureux de pouvoir donner ma vie en exemple, afin de prémunir mes frères contre les passions qui pourraient les entraîner comme moi.
16. Votre genre de mort, comparé à celui de votre femme, nous fait supposer qu’on vous a appliqué la peine du talion, et que ces paroles du Christ ont été accomplies dans votre personne : « Celui qui frappe par l’épée périra par l’épée. » ( † ) Veuillez donc nous dire comment vous avez étouffé votre victime ? — R. Dans son lit, comme je l’ai dit, entre deux matelas, après lui avoir mis un bâillon pour l’empêcher de crier.
17. Jouissiez-vous d’une bonne réputation dans votre voisinage ? — R. Oui ; j’étais pauvre, mais honnête et estimé ; ma femme était également d’une famille honorable ; et c’est une nuit, pendant laquelle la jalousie m’avait tenu éveillé, que je vis sortir un homme de sa chambre ; ivre de fureur, et ne sachant ce que je faisais, je me rendis coupable du crime que je vous ai dévoilé.
18. Avez-vous revu votre femme dans le monde spirite ? — R. Ce fut le premier Esprit qui s’offrit à ma vue, comme pour me reprocher mon crime. Je l’ai vue longtemps et malheureuse aussi ; ce n’est que depuis qu’il est décidé que je serai réincarné que je suis débarrassé de sa présence.
Remarque. — La vue incessante des victimes est un des châtiments les plus ordinaires infligés aux Esprits criminels. Ceux qui sont plongés dans les ténèbres, ce qui est très fréquent, ne peuvent souvent pas y échapper. Ils ne voient rien, si ce n’est ce qui peut leur rappeler leur crime.
19. Lui avez-vous demandé de vous pardonner ? – R. Non ; nous nous fuyions sans cesse, et nous nous retrouvions toujours vis à vis l’un de l’autre pour nous torturer réciproquement.
20. Cependant du moment que vous vous êtes repenti, il a été nécessaire de lui demander pardon ? – R. Du moment que je me suis repenti, je ne l’ai plus revue.
21. Savez-vous où elle est maintenant ? – R. Je ne sais ce qu’elle est devenue, mais il vous sera facile de vous en informer, auprès de votre guide spirituel, saint Jean-Baptiste.
22. Quelles ont été vos souffrances comme Esprit ? — R. J’étais entouré d’Esprits désespérés ; moi-même je ne croyais jamais sortir de cet état malheureux ; nulle lueur d’espoir ne brillait à mon âme endurcie ; la vue de ma victime couronnait mon martyre.
23. Comment avez-vous été amené à un état meilleur ? — R. Du milieu de mes frères en désespoir, un jour j’ai visé un but que, je le compris bientôt, je ne pouvais atteindre que par le repentir.
24. Quel était ce but ? – R. Dieu, dont tout être a l’idée malgré lui.
25. Vous avez déjà dit deux fois que vous alliez être bientôt réincarné ; y a-t-il de l’indiscrétion à vous demander quel genre d’épreuves vous avez choisi ? — R. La mort moissonnera tous les êtres qui me seront chers, et moi-même je passerai par les maladies les plus abjectes.
26. Etes-vous heureux maintenant ? – R. Relativement, oui, puisque j’entrevois un terme à mes souffrances ; effectivement, non.
27. Du moment où vous êtes tombé en léthargie, jusqu’au moment où vous vous êtes réveillé dans votre bière, avez-vous vu et entendu ce qui se passait autour de vous ? – R. Oui, mais si vaguement que je croyais faire un rêve.
28. En quelle année êtes-vous mort ? – R. En 1612.
29. (A saint Jean-Baptiste.) G. Remone n’a-t-il pas été contraint par punition, sans doute, de venir à notre évocation confesser son crime ? Cela semble résulter de sa première réponse, dans laquelle il parle de la justice de Dieu. — R. Oui, il y fut forcé, mais il s’y résigna volontiers lorsqu’il y vit un moyen de plus d’être agréable à Dieu en vous servant dans vos études spirites.
30. Cet Esprit s’est sans doute trompé quand il a dit (question 6) : « Je savais que je devais commettre un crime. » Il savait probablement qu’il serait exposé à commettre un crime, mais ayant son libre arbitre il pouvait fort bien ne pas succomber à la tentation. — R. Il s’est mal expliqué ; il aurait du dire : « Je savais que ma vie serait pleine de remords. » Il était libre de choisir un autre genre d’épreuve ; or, pour avoir des remords, il faut supposer qu’il commettrait une mauvaise action.
31. Ne pourrait-on pas admettre qu’il n’a eu son libre arbitre qu’à l’état errant en choisissant telle ou telle épreuve, mais que, cette épreuve une fois choisie, il n’avait plus, comme incarné, la liberté de ne pas commettre l’action, et qu’il fallait nécessairement que le crime fût accompli par lui ? — R. Il pouvait l’éviter ; son libre arbitre, il l’avait comme Esprit et à l’état d’incarné ; il pouvait donc résister, mais ses passions l’ont entraîné.
Remarque. — Il est évident que l’Esprit ne s’était pas bien rendu compte de sa situation ; il a confondu l’épreuve, c’est-à-dire la tentation de faire, avec l’action ; et comme il a succombé, il a pu croire à une action fatale choisie par lui, ce qui ne serait pas rationnel. Le libre arbitre est le plus beau privilège de l’esprit humain, et une preuve éclatante de la justice de Dieu qui rend l’Esprit l’arbitre de sa destinée, puisqu’il dépend de lui d’abréger ses souffrances ou de les prolonger par son endurcissement et son mauvais vouloir. Supposer qu’il puisse perdre sa liberté morale comme incarné, serait lui ôter la responsabilité de ses actes. On peut voir par là qu’il ne faut admettre qu’après mûr examen [v. réponse à la question n.º 6], certaines réponses des Esprits, surtout quand elles ne sont pas de tous points conformes à la logique.
A. K.
32. Devons-nous supposer qu’un Esprit puisse, comme épreuve, choisir une vie de crimes, puisqu’il choisit le remords, qui n’est que la conséquence de l’infraction à la loi divine ? — R. Il peut choisir l’épreuve d’y être exposé, mais, ayant son libre arbitre, il peut aussi ne pas succomber. Ainsi G. Remone avait choisi une vie remplie de chagrins domestiques qui lui susciteraient l’idée d’un crime, lequel devait inonder sa vie de remords s’il l’accomplissait. Il voulut donc tenter cette épreuve pour essayer d’en sortir victorieux.
Votre langage est si peu en harmonie avec la manière de communiquer des esprits, qu’il arrive très souvent qu’il y a des rectifications à faire dans les phrases que vous donnent les médiums, surtout les médiums intuitifs ; par la combinaison des fluides, nous leur transmettons l’idée qu’ils traduisent plus ou moins bien, selon que cette combinaison est plus ou moins facile entre le fluide de notre périsprit, et le fluide animal du médium.
3 FEMME REMONE.
(12 août.)
33. (A saint Jean.) Pourrions-nous évoquer l’Esprit de la femme de G. Remone ? – R. Non ; elle est réincarnée.
34. Sur la terre ? — R. Oui.
35.
Si nous ne pouvons l’évoquer comme Esprit errant, ne pourrions-nous
le faire comme incarné, et ne pourriez-vous nous dire quand elle dormira ?
— R. Vous le pouvez en ce moment, car les nuits pour cet Esprit sont
les jours pour vous. [Voir
nº 55.]
36. Évocation de l’Esprit de la femme Remone. — (L’Esprit se manifeste.)
37. Vous rappelez-vous l’existence dans laquelle on vous nommait madame Remone ? — R. Oui ; oh ! pourquoi me faire souvenir de ma honte et de mon malheur ?
38. Si ces questions vous causent quelque peine, nous les cesserons. – R. Je vous en prie.
39. Notre but n’est pas de vous faire de la peine ; nous ne vous connaissons pas, et ne vous connaîtrons probablement jamais ; nous voulons seulement faire des études spirites. – R. Mon esprit est tranquille, pourquoi vouloir l’agiter par des souvenirs pénibles ? Ne pouvez-vous donc faire des études sur des Esprits errants ?
40. (A saint Jean.) Devons-nous cesser nos questions qui paraissent réveiller un souvenir pénible chez cet Esprit ? — R. Je vous y engage ; c’est encore une enfant, et la fatigue de son Esprit réagirait sur son corps ; du reste, c’est à peu de chose près la répétition de ce que vous a dit son mari.
41. G. Rémone et sa femme se sont-ils pardonné leurs torts réciproques ? — R. Non ; il faut pour cela qu’ils arrivent à un degré de perfection plus élevé.
42. Si ces deux Esprits se rencontraient sur la terre à l’état d’incarné, quels sentiments éprouveraient-ils l’un pour l’autre ? – R. Ils n’éprouveraient que de l’antipathie.
43. G. Rémone revoyant, comme visiteur, con corps dans le caveau de Saint-Michel, éprouverait-il une sensation inconnue aux autres curieux ? – R. Oui ; mais cette sensation lui semblerait toute naturelle.
44. A-t-il revu son corps depuis qu’on l’a retiré de terre ? — R. Oui.
45. Quelles ont été ses impressions ? — R. Nulles ; vous savez bien que les Esprits dégagés de leur enveloppe voient les choses d’ici-bas d’un autre œil que vous autres incarnés.
46. Pourrions-nous obtenir quelques renseignements sur la position actuelle de la femme Remone ? — R. Questionnez.
47. Quel est aujourd’hui son sexe ? — R. Féminin.
48. Son pays natal ? — R. Elle est dans les Antilles la fille d’un riche négociant.
49. Les Antilles appartiennent à plusieurs puissances ; quelle est sa nation ? – R. Elle habite la Havane. †
50. Pourrions-nous savoir son nom ? — R. Ne le demandez pas.
51. Quel est son âge ? — R. Onze ans.
52. Quelles seront ses épreuves ? — R. La perte de sa fortune ; un amour illégitime et sans espoir, joints à la misère et aux travaux les plus pénibles.
53. Vous dites un amour illégitime ; aimera-t-elle donc son père, son frère, ou l’un des siens ? — R. Elle aimera un homme consacré à Dieu, seule et sans espoir de retour.
54. Maintenant que nous connaissons les épreuves de cet Esprit, si nous l’évoquions de temps à autre pendant son sommeil, aux jours de ses malheurs, ne pourrions-nous lui donner quelques conseils pour relever son courage et mettre son espoir en Dieu ; cela influerait-il sur les résolutions qu’il pourrait prendre à l’état de veille ? — R. Très peu ; cette jeune fille a déjà une imagination de feu et une tête de fer.
55. Vous avez dit que, dans le pays qu’elle habite, les nuits sont les jours pour nous [35] ; or, entre la Havane et Saint-Jean d’Angély, il n’y a qu’une différence de cinq heures et demie ; comme il était ici deux heures au moment de l’évocation, il devait être à la Havane huit heures et demie du matin ? — R. Enfin elle sommeillait encore au moment où vous l’avez évoquée, tandis que depuis longtemps vous étiez éveillés. On dort tard dans ces contrées quand on est riche et qu’on n’a rien à faire.
Remarque. — De cette évocation ressortent plusieurs enseignements. Si, dans la vie extérieure de relation, l’Esprit incarné ne se souvient pas de son passé, dégagé pendant le repos du corps, il se souvient. Il n’y a donc pas de solution de continuité dans la vie de l’Esprit, qui, dans ses moments d’émancipation, peut jeter un regard rétrospectif sur ses existences antérieures, et en rapporter une intuition qui peut le diriger à l’état de veille.
Nous avons déjà, en maintes occasions, fait ressortir les inconvénients que présenterait, à l’état de veille, le souvenir précis du passé. Ces évocations nous en fournissent un exemple. On a dit que si G. Remone et sa femme se rencontraient, ils éprouveraient l’un pour l’autre de l’antipathie ; que serait-ce donc s’ils se rappelaient leurs anciennes relations ! La haine entre eux se réveillerait inévitablement ; au lieu de deux êtres simplement antipathiques ou indifférents l’un à l’autre, ils seraient peut-être ennemis mortels ! Avec leur ignorance, ils sont plus eux-mêmes, et marchent plus librement dans la nouvelle route qu’ils ont à parcourir ; le souvenir du passé les troublerait en les humiliant à leurs propres yeux et aux yeux des autres. L’oubli ne leur fait point perdre le bénéfice de l’expérience, car ils naissent avec ce qu’ils ont acquis en intelligence et en moralité ; ils sont ce qu’ils se sont faits ; c’est pour eux un nouveau point de départ. Si, aux nouvelles épreuves que G. Remone aura à supporter, se joignait le souvenir des tortures de sa dernière mort, ce serait un supplice atroce que Dieu a voulu épargner en jetant pour lui un voile sur le passé.
A. K.
4 JACQUES NOULIN.
(15 août.)
56. (A saint Jean.) Pouvons-nous évoquer le complice de la femme Remone ? — R. Oui.
57. Évocation. — (L’Esprit se manifeste.)
58. Jurez au nom de Dieu que vous êtes l’Esprit de celui qui fut le rival de Remone. — R. Je le jurerai au nom de tout ce que vous voudrez. – Jurez-le au nom de Dieu. — Je le jure au nom de Dieu.
59. Vous ne paraissez pas être un Esprit très avancé ? — R. Occupez-vous de vos affaires et laissez-moi m’en aller.
Remarque. — Comme il n’y a pas de portes fermées pour les Esprits, si celui-ci demande qu’on le laisse aller, c’est qu’une puissance supérieure le contraint de rester, sans doute pour son instruction.
60. Nous nous occupons de nos affaires, car nous voulons savoir comment, dans l’autre vie, la vertu est récompensée et le vice puni ? – R. Oui, mon très cher, chacun reçoit récompense ou punition, selon ses œuvres ; tâchez donc de marcher droit.
61. Vos fanfaronnades ne nous effrayent pas ; nous mettons notre confiance en Dieu ; mais vous paraissez encore bien arriéré. – R. Je suis toujours Gros-Jean comme devant.
62. Ne pouvez-vous donc répondre sérieusement à des questions sérieuses ? — R. Pourquoi vous adressez-vous à moi, gens sérieux ? Je suis plutôt disposé à rire qu’à faire de la philosophie ; j’ai toujours aimé les tables bien servies, les femmes aimables et le bon vin.
63. (A l’ange gardien du médium.) Pouvez-vous nous donner quelques renseignements sur cet Esprit ? – R. Il n’est pas assez avancé pour vous donner de bonnes raisons.
64. Y aurait-il du danger à entrer en communication avec lui ? Pourrions-nous l’amener à de meilleurs sentiments ? – R. Cela pourra profiter plus à lui qu’à vous. Essayez, vous pourrez peut-être le décider à envisager les choses à un autre point de vue.
65. (A l’Esprit.) Savez-vous que l’Esprit doit progresser ; qu’il doit, par des incarnations successives, arriver jusqu’à Dieu dont vous paraissez être bien éloigné ? — R. Je n’y ai jamais songé ; et puis j’en suis si loin ! Je ne veux pas entreprendre un si long voyage.
Remarque. — Voilà donc un Esprit qui, en raison de sa légèreté et de son peu d’avancement, ne se doute pas de la réincarnation. Quand le moment sera venu pour lui de reprendre une nouvelle existence, quel choix pourra-t-il faire ? Evidemment un choix en rapport avec son caractère et ses habitudes, en vue de jouir, et non en vue d’expier, jusqu’à ce que son Esprit soit assez développé pour en comprendre les conséquences. C’est l’histoire de l’enfant inexpérimenté qui se jette étourdiment dans toutes les aventures et qui acquiert l’expérience à ses dépens. Rappelons ici que pour les Esprits arriérés, incapables de faire un choix en connaissance de cause, il y a des incarnations obligatoires.
A. K.
66. Avez-vous connu G. Remone ? — R. Oui, vraiment, le pauvre diable…
67. L’avez-vous soupçonné d’avoir tué sa femme ? — R. J’étais un peu égoïste, m’occupant plus de moi que des autres ; lorsque j’appris sa mort, je la pleurai sincèrement et n’ai pas cherché la cause.
68. Quelle était alors votre position ? — J’étais un pauvre clerc d’huissier ; un saute-ruisseau, comme vous dites aujourd’hui.
69. Après la mort de cette femme, avez-vous quelquefois pensé à elle ? — R. Ne me rappelez donc pas tout cela.
70. Nous voulons vous le rappeler, car vous paraissez meilleur que vous ne vous faites. — R. J’y ai bien pensé quelquefois, mais, comme j’étais sans souci de mon naturel, son souvenir passait comme un éclair, sans laisser de traces.
71.
Quel était votre nom ? — R. Vous êtes bien curieux, et, si je n’y
étais forcé, je vous aurais déjà laissé en plan avec votre morale et
vos sermons. [Voir
remarque à la question 59.]
72. Vous viviez dans un siècle religieux ; n’avez-vous donc jamais prié pour cette femme que vous aimiez ? — R. C’est comme cela.
73. Avez-vous revu G. Remone et sa femme dans le monde des Esprits ? — R. J’ai été trouver de bons enfants comme moi, et quand ces pleurards voulaient se montrer, je leur tournais le dos ; je n’aime pas à me faire de la peine, et…
74. Continuez. – R. Je ne suis pas si bavard que vous ; je m’en tiendrai là, si vous le voulez bien.
75. Êtes-vous heureux aujourd’hui ? — R. Pourquoi pas ? Je m’amuse à faire des niches à ceux qui ne s’en doutent pas, et qui croient avoir affaire à de bons Esprits ; depuis qu’on s’occupe de nous, nous faisons de bons tours.
76. Ce n’est pas là le bonheur ; la preuve que vous n’êtes pas heureux, c’est que vous avez dit que vous étiez forcé de venir ; or, ce n’est pas être heureux que d’être forcé de faire ce qui déplaît. – R. N’a-t-on pas toujours des supérieurs ? cela n’empêche pas d’être heureux. Chacun prend son bonheur où il le trouve.
77. Vous pourriez, avec quelques efforts, par la prière surtout, atteindre le bonheur de ceux qui vous commandent. — R. Je n’ai point pensé à cela ; vous allez me rendre ambitieux. Vous ne me trompez pas, toujours ? N’allez pas tracasser mon pauvre Esprit pour rien.
78. Nous ne vous trompons pas ; travaillez donc à votre avancement. — R. Il faut se donner trop de mal, et je suis paresseux.
79. Quand on est paresseux, on prie un ami de nous aider ; nous vous aiderons donc ; nous prierons pour vous. – R. Priez donc, pour que je me décide à prier moi-même.
80. Nous prierons, mais priez de votre côté. — R. Croyez-vous que si je priais cela me donnerait des idées dans le sens des vôtres ?
81. Sans doute ; mais priez de votre côté ; nous vous évoquerons jeudi 21, pour voir le progrès que vous aurez fait et vous donner des conseils, si cela peut vous être agréable. — R. Au revoir alors.
82. Voulez-vous nous dire votre nom maintenant ? — R. Jacques Noulin.
Le lendemain, l’Esprit fut évoqué de nouveau, et on lui fit différentes questions sur la femme Rémone ; ses réponses furent assez peu édifiantes et dans le genre des premières. Saint Jean, consulté, répondit : « Vous avez eu tort de troubler cet Esprit et d’éveiller en lui l’idée de ses anciennes passions. On eût beaucoup mieux fait d’attendre le jour indiqué ; il était dans un trouble nouveau pour lui ; votre évocation l’avait jeté dans des idées d’un ordre tout à fait différent de ses idées habituelles ; il n’avait pu encore prendre de décision bien positive, cependant il se disposait à essayer de la prière. Laissez faire jusqu’au jour que vous lui avez indiqué ; d’ici là, s’il écoute les bons Esprits qui veulent vous aider dans votre bonne œuvre, vous pourrez obtenir quelque chose de lui. »
(Jeudi 21.)
83. (A saint Jean.) Depuis notre dernière évocation, Jacques Noulin s’est-il amendé ? — R. Il a prié, et la lumière s’est faite dans son âme : il croit maintenant qu’il est destiné à devenir meilleur et se dispose à y travailler.
84. Quelle marche devons-nous suivre dans son intérêt ? — R. Demandez-lui l’état actuel de son âme, et faites-le regarder en lui-même, pour qu’il se rende compte de son changement.
85. (A Jacques Noulin.) Avez-vous réfléchi, comme vous nous l’avez promis, et pouvez-vous nous dire quelle est aujourd’hui votre manière d’envisager les choses ? — R. Je veux avant tout vous remercier ; vous m’avez épargné bien des années d’aveuglement. Depuis quelques jours je comprends que Dieu est mon but ; que je dois faire tous mes efforts pour me rendre digne d’arriver à lui. Une ère nouvelle s’ouvre pour moi ; les ténèbres se sont dissipées, et je vois maintenant la route que je dois suivre. J’ai le cœur rempli d’espérance, et soutenu par les bons Esprits qui viennent en aide aux faibles. Je vais marcher dans cette nouvelle voie où j’ai déjà trouvé la tranquillité et qui doit me conduire au bonheur.
86.
Étiez-vous véritablement heureux, comme vous nous l’avez dit ?
[75 et 76.]
— R. J’étais bien malheureux ; je le vois maintenant, mais je me
trouvais heureux comme tous ceux qui ne regardent pas au-dessus d’eux.
Je ne pensais point à l’avenir ; j’allais, comme sur la terre,
en être insouciant, ne me donnant pas la peine de penser sérieusement.
Oh ! combien je déplore l’aveuglement qui m’a fait perdre un temps
si précieux ! Vous vous êtes fait un ami, ne l’oubliez pas. Appelez-moi
quand vous voudrez, et, si je le puis, je viendrai.
87. Que pensent de votre disposition les Esprits avec lesquels vous aviez l’habitude de vous réunir ? — R. Ils se moquent de moi qui ai écouté les bons Esprits dont nous détestions tous la présence et les conseils.
88. Vous serait-il permis d’aller les revoir ? — R. Je ne m’occupe plus que de mon avancement ; du reste, les bons anges qui veillent sur moi et qui m’entourent de leurs soins ne me permettent plus de regarder en arrière que pour me montrer quel abaissement était le mien.
Remarque. — Il n’existe assurément aucun moyen matériel de constater l’identité des Esprits qui se sont manifestés dans les évocations ci-dessus, aussi ne l’affirmerons-nous pas d’une manière absolue. Nous faisons cette réserve pour ceux qui croiraient que nous acceptons aveuglément tout ce qui vient des Esprits ; nous péchons plutôt par un excès de défiance ; c’est qu’il faut se garder de donner comme vérité absolue ce qui ne peut être contrôlé ; or, en l’absence de preuves positives, il faut se borner à constater la possibilité et chercher les preuves morales à défaut des preuves physiques. Dans le fait dont il s’agit, les réponses ont un caractère évident de probabilité et surtout de haute moralité ; on n’y voit aucune de ces contradictions, aucun de ces défauts de logique qui choquent le bon sens et décèlent la supercherie ; tout se lie et s’enchaîne parfaitement, tout concorde avec ce que l’expérience a déjà montré ; on peut donc dire que l’histoire est au moins vraisemblable, ce qui est déjà beaucoup. Ce qui est certain, c’est que ce n’est point un roman inventé par les hommes, mais bien une œuvre médianimique ; si c’était une fantaisie d’Esprit, elle ne pourrait venir que d’un Esprit léger, car les Esprits sérieux ne s’amusent pas à faire des contes, et les Esprits légers laissent toujours percer le bout de l’oreille. Ajoutons que la Société Spirite de Saint-Jean d’Angély est un des centres les plus graves et les mieux dirigés que nous ayons vus, et qu’elle n’est composée que de personnes aussi recommandables par leur caractère que par leur savoir, poussant même, si l’on peut dire, le scrupule à l’excès ; on la peut juger par la sagesse et la méthode avec lesquelles les questions sont posées et formulées ; aussi toutes les communications que l’on y obtient attestent-elles la supériorité des Esprits qui se manifestent. Les évocations ci-dessus ont donc été faites dans d’excellentes conditions, tant pour le milieu que pour la nature des médiums ; c’est au moins pour nous une garantie de sincérité absolue. Nous ajouterons que la véracité de ce récit nous a été attestée de la manière la plus explicite par plusieurs des meilleurs médiums de la Société de Paris.
En n’envisageant la chose qu’au point de vue moral, une
grave question se présente. Voici deux Esprits, Remone et Noulin, tirés
de leur situation et amenés à de meilleurs sentiments par l’évocation
et les conseils qu’on leur a donnés. On peut se demander s’ils seraient
restés malheureux dans le cas où on ne les aurait pas évoqués, et ce
qu’il en est de tous les Esprits souffrants que l’on n’évoque pas ?
La réponse a déjà été faite dans l’Histoire
d’un damné (Esprit de Castelnaudary.) publiée dans la Revue de 1860.
Nous ajouterons que ces deux Esprits étant arrivés au moment où ils
pouvaient être touchés par le repentir et recevoir la lumière, des circonstances
providentielles, quoique en apparence fortuites, ont provoqué leur évocation,
soit pour leur bien, soit pour notre instruction ; l’évocation
était un moyen, mais a défaut de celui-là, Dieu n’est pas à court de
ressources pour venir en aide aux malheureux, et l’on peut être certain
que tout Esprit qui veut avancer trouve toujours assistance d’une manière
ou d’une autre.
A. K.
[1] Original : « siècle » sans « s ».
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