Mesdames et Messieurs,
C’est avec bonheur que je me suis rendu à l’appel que vous avez bien voulu me faire, et l’accueil sympathique que je reçois de vous est une de ces satisfactions morales qui laissent dans le cœur une impression profonde et ineffaçable. Si je suis heureux de cet accueil cordial, c’est que j’y vois un hommage rendu à la doctrine que nous professons et aux bons Esprits qui nous l’enseignent, bien plus qu’à moi personnellement qui ne suis qu’un instrument dans les mains de la Providence. Convaincu de la vérité de cette doctrine, et du bien qu’elle est appelée à produire, j’ai tâché d’en coordonner les éléments ; je me suis efforcé de la rendre claire et intelligible pour tous ; c’est toute la part qui m’en revient, aussi ne m’en suis-je jamais posé comme le créateur : l’honneur tout entier en est aux Esprits ; c’est donc à eux seuls que doivent se reporter les témoignages de votre gratitude, et je n’accepte les éloges que vous voulez bien me donner que comme un encouragement de poursuivre ma tâche avec persévérance.
Dans les travaux que j’ai faits pour atteindre le but que je me suis proposé, j’ai sans doute été aidé par les Esprits, ainsi qu’ils me l’ont dit plusieurs fois, mais sans aucun signe extérieur de médianimité. Je ne suis donc point médium dans le sens vulgaire du mot, et aujourd’hui je comprends qu’il est heureux pour moi qu’il en soit ainsi. Par une médianimité effective, je n’aurais écrit que sous une même influence ; j’aurais été porté à n’accepter comme vrai que ce qui m’aurait été donné, et cela peut-être à tort ; tandis que, dans ma position, il convenait que j’eusse une liberté absolue de prendre le bon partout où il se trouve et de quelque côté qu’il vînt ; j’ai donc pu faire un choix des divers enseignements, sans prévention, et avec une entière impartialité. J’ai beaucoup vu, beaucoup étudié, beaucoup observé, mais toujours d’un œil impassible, et je n’ambitionne rien de plus que de voir l’expérience que j’ai acquise mise à profit par les autres, auxquels je suis heureux de pouvoir éviter les écueils inséparables de tout noviciat.
Si j’ai beaucoup travaillé, et si je travaille tous les jours, j’en suis bien largement récompensé par la marche si rapide de la doctrine, dont les progrès dépassent tout ce qu’il était permis d’espérer par les résultats moraux qu’elle produit, et je suis heureux de voir que la ville de Bordeaux, † non seulement ne reste pas en arrière de ce mouvement, mais se dispose à marcher à la tête par le nombre et la qualité des adeptes. Si l’on considère que le Spiritisme doit sa propagation à ses propres forces, sans l’appui d’aucun des auxiliaires qui font d’ordinaire les succès, et malgré les efforts d’une opposition systématique, ou plutôt à cause même de ces efforts, on ne peut s’empêcher d’y voir le doigt de Dieu. Si ses ennemis sont puissants, puisqu’ils n’ont pu en paralyser l’essor, il faut donc convenir qu’il est plus puissant qu’eux, et que comme le serpent de la fable, ils usent en vain leurs dents contre une lime d’acier.
Si nous disons que le secret de sa puissance est dans la volonté de Dieu, ceux qui ne croient pas à Dieu s’en moqueront. Il y a bien aussi des gens qui ne nient pas Dieu, mais qui pensent être plus forts que lui ; ceux-là ne rient pas : ils opposent des barrières qu’ils croient infranchissables, et pourtant le Spiritisme les franchit tous les jours sous leurs yeux ; c’est qu’en effet il puise dans sa nature, dans son essence même, une force irrésistible. Quel est donc le secret de cette force ?
Tenons-nous à le cacher, de peur qu’une fois connu, à l’exemple de Samson, ses ennemis n’en profitent pour le terrasser ? Nullement ; dans le Spiritisme, il n’y a point de mystères, tout se fait au grand jour, et nous pouvons sans crainte le révéler hautement. Quoique je l’aie déjà dit, il n’est peut-être pas hors de propos de le répéter ici, afin que l’on sache bien que si nous livrons à nos adversaires le secret de nos forces, c’est que nous connaissons aussi leur côté faible.
La force du Spiritisme a deux causes prépondérantes : la première, c’est qu’il rend heureux ceux qui le connaissent, le comprennent et le pratiquent ; or, comme il y a beaucoup de gens malheureux, il recrute une innombrable armée parmi ceux qui souffrent. Veut-on lui enlever cet élément de propagation ? Qu’on rende les hommes tellement heureux moralement et matériellement, qu’ils n’aient plus rien à désirer, ni dans ce monde ni dans l’autre ; nous ne demandons pas mieux, puisque le but sera atteint. La seconde, c’est qu’il ne repose sur la tête d’aucun homme qu’on puisse abattre ; qu’il n’a point de foyer unique qu’on puisse éteindre ; son foyer est partout, parce que partout il y a des médiums qui peuvent communiquer avec les Esprits ; qu’il n’y a pas de famille qui n’en puisse trouver dans son sein, et que cette parole du Christ s’accomplit : Vos fils et vos filles prophétiseront, et ils auront des visions ; ( † ) parce qu’enfin le Spiritisme est une idée, et qu’il n’y a point de barrières impénétrables à l’idée, ni assez hautes pour qu’elle ne puisse les franchir. On a tué le Christ, on a tué ses apôtres et ses disciples ; mais le Christ avait lancé dans le monde l’idée chrétienne, et cette idée a triomphé de la persécution des Césars omnipotents. Pourquoi donc le Spiritisme, qui n’est autre chose que le développement et l’application de l’idée chrétienne, ne triompherait-il pas de quelques railleurs ou d’antagonistes qui, jusqu’à présent, malgré leurs efforts, n’ont pu lui opposer qu’une stérile négation ? Est-ce là une prétention chimérique ? Un rêve réformateur ? Les faits sont là pour répondre : le Spiritisme, envers et contre tout, pénètre partout ; comme la poussière fécondante des fleurs, il est porté par les vents, et prend racine aux quatre coins du monde, parce que partout il trouve une terre féconde en souffrances sur laquelle il verse un baume consolateur. Supposez donc l’état le plus absolu que l’imagination puisse rêver, recrutant le ban et l’arrière-ban de ses sbires pour arrêter l’idée au passage ; empêchera-t-il les Esprits d’entrer chez lui, de se manifester spontanément ?
Empêchera-t-il les médiums de se former dans l’intimité des familles ?
Supposons-le assez fort pour empêcher d’écrire, pour prohiber la lecture des livres ; peut-il empêcher d’entendre, puisqu’il y a des médiums auditifs ? Empêchera-t-il le père de recevoir les consolations du fils qu’il a perdu ? Vous voyez donc que c’est impossible, et que j’avais raison de dire que le Spiritisme peut, sans crainte, livrer le secret de ses forces à ses ennemis.
Soit, dira-t-on ; quand une chose est inévitable, il faut bien l’accepter ; mais si c’est une idée fausse ou mauvaise, n’a-t-on pas raison de l’entraver ? Il faudrait d’abord prouver qu’elle est fausse ; or, jusqu’à présent, qu’opposent ses adversaires ? Des railleries et des négations qui, en bonne logique, n’ont jamais passé pour des arguments ; mais une réfutation sérieuse, solide ; une démonstration catégorique, évidente, où la trouvez-vous ? Nulle part, pas plus dans les critiques de la science qu’ailleurs. D’un autre côté, quand une idée se propage avec la rapidité de l’éclair, quand elle trouve d’innombrables échos dans les rangs les plus éclairés de la société, quand elle a ses racines chez tous les peuples, depuis qu’il y a des hommes sur la terre ; quand les plus grands philosophes sacrés et profanes l’ont proclamée, il est illogique de supposer qu’elle ne repose que sur le mensonge et l’illusion ; tout homme sensé, ou qui n’est pas aveuglé par la passion ou l’intérêt personnel, se dira qu’il doit y avoir quelque chose de vrai, et tout au moins l’homme prudent, avant de nier, suspendra son jugement.
L’idée est-elle mauvaise ? Si elle est vraie, si elle n’est qu’une application des lois de la nature, il semble difficile qu’elle puisse être mauvaise, à moins d’admettre que Dieu a mal fait ce qu’il a fait. Comment une doctrine serait-elle mauvaise quand elle rend meilleurs ceux qui la professent, quand elle console les affligés, donne de la résignation dans le malheur, ramène la paix dans les familles, calme l’effervescence des passions, empêche le suicide ? Elle est, disent quelques-uns, contraire à la religion.
Voilà le grand mot avec lequel on essaie d’effrayer les timides et ceux qui ne la connaissent pas. Comment une doctrine qui rend meilleur, qui enseigne la morale évangélique, qui ne prêche que la charité, l’oubli des offenses, la soumission à la volonté de Dieu, serait-elle contraire à la religion ? Ce serait un non-sens ; affirmer une pareille chose serait faire le procès à la religion elle-même ; c’est pourquoi je dis que ceux qui parlent ainsi ne la connaissent pas. Si telle était ce résultat, pourquoi ramènerait-elle aux idées religieuses ceux qui ne croient à rien ? Pourquoi ferait-elle prier ceux qui avaient oublié de le faire depuis leur enfance ?
Il est d’ailleurs une autre réponse également péremptoire : le Spiritisme est étranger à toute question dogmatique. Aux matérialistes, il prouve l’existence de l’âme ; à ceux qui ne croient qu’au néant, il prouve la vie éternelle ; à ceux qui croient que Dieu ne s’occupe pas des actions des hommes, il prouve les peines et les récompenses futures ; en détruisant le matérialisme, il détruit la plus grande plaie sociale : voilà son but ; quant aux croyances spéciales, il ne s’en occupe pas, et laisse à chacun toute liberté ; le matérialiste est le plus grand ennemi de la religion ; le Spiritisme, en le ramenant au Spiritualisme, lui fait faire les trois quarts du chemin pour rentrer dans le giron de l’Église ; c’est à l’Église à faire le reste ; mais si la communion vers laquelle il tendrait à se rallier le repousse, il serait à craindre qu’il ne se tournât vers une autre.
En vous disant cela, messieurs, je prêche des convertis, vous le savez tous aussi bien que moi ; mais il est un autre point sur lequel il est utile de dire quelques mots.
Si les ennemis du dehors ne peuvent rien contre le Spiritisme, il n’en est pas de même de ceux du dedans ; je veux dire de ceux qui sont plus Spirites de nom que de fait, sans parler de ceux qui n’ont du Spiritisme que le masque. Le plus beau côté du Spiritisme, c’est le côté moral ; c’est par ses conséquences morales qu’il triomphera, car là est sa force, par là il est invulnérable. Il inscrit sur son drapeau : Amour et charité, et devant ce palladium plus puissant que celui de Minerve, car il vient du Christ, l’incrédulité elle-même s’incline. Que peut-on opposer à une doctrine qui conduit les hommes à s’aimer comme des frères ? Si l’on n’admet pas la cause, du moins on respectera l’effet ; or, le meilleur moyen de prouver la réalité de l’effet, c’est d’en faire l’application à soi-même ; c’est de montrer aux ennemis de la doctrine, par son propre exemple, qu’elle rend réellement meilleur ; mais comment faire croire qu’un instrument peut produire l’harmonie, s’il rend des sons discordants ? De même, comment persuader que le Spiritisme doit conduire à la concorde, si ceux qui le professent, ou qui sont censés le professer, ce qui est tout un pour les adversaires, se jettent la pierre ? Si une simple susceptibilité d’amour-propre, de préséance suffit pour les diviser ? N’est-ce pas le moyen de se faire renvoyer son propre argument ? Les ennemis les plus dangereux du Spiritisme sont donc ceux qui le font mentir à lui-même, en ne pratiquant pas la foi qu’eux-mêmes viennent proclamer. Il y aurait puérilité à faire dissidence pour des nuances d’opinion ; il y aurait malveillance évidente, oubli du premier devoir du vrai Spirite, de se séparer pour une question personnelle, car le sentiment de la personnalité est le fruit de l’orgueil et de l’égoïsme.
Il ne faut pas oublier, messieurs, que les ennemis du Spiritisme sont de deux ordres : d’un côté vous avez les railleurs et les incrédules ; ceux-là reçoivent tous les jours des démentis par les faits ; vous ne les craignez pas et vous avez raison. Il servent notre cause sans le vouloir, et nous devons les en remercier. D’un autre côté sont les gens intéressés à combattre la doctrine ; ceux-là, n’espérez pas les ramener par la persuasion, car ils ne cherchent pas la lumière ; en vain déploieriez-vous à leurs yeux l’évidence du soleil, ils sont aveugles, parce qu’ils ne veulent pas voir. Ils ne vous attaquent pas, parce que vous êtes dans l’erreur, mais parce que vous êtes dans le vrai, et qu’à tort ou à raison ils croient que le Spiritisme est nuisible à leurs intérêts matériels ; s’ils étaient persuadés que c’est une chimère, ils le laisseraient parfaitement tranquille ; aussi leur acharnement croît en raison des progrès de la doctrine, de telle sorte qu’on peut mesurer son importance par la violence de leurs attaques. Tant qu’ils n’ont vu dans le Spiritisme qu’un jeu de tables tournantes, ils n’ont rien dit, et ils ont compté sur le caprice de la mode ; mais aujourd’hui qu’en dépit de leur mauvais vouloir ils voient l’insuffisance de la raillerie, ils emploieront d’autres moyens. Ces moyens, quels qu’ils soient, nous en avons démontré l’impuissance ; toutefois, s’ils ne peuvent étouffer cette voix qui s’élève de toutes les parties du monde, s’ils ne peuvent arrêter ce torrent qui les envahit de toutes parts, ils feront tout pour apporter des entraves, et s’ils peuvent reculer le progrès d’un seul jour, ils diront que c’est encore un jour de gagné.
Attendez-vous donc à ce qu’ils disputeront le terrain pied à pied, car l’intérêt matériel est de tous le plus tenace ; pour lui, les droits les plus sacrés de l’humanité ne sont rien ; vous en avez la preuve dans la lutte américaine. Périsse l’union qui faisait notre gloire, plutôt que nos intérêts ! disent les esclavagistes ; ainsi parlent les adversaires du Spiritisme, car la question humanitaire est le moindre de leurs soucis. Que leur opposer ?
Un drapeau qui les fait pâlir, car ils savent bien qu’il porte ces mots sortis de la bouche du Christ : Amour et charité, et que ces mots sont leur sentence. Autour de ce drapeau, que tous les vrais Spirites se rallient, et ils seront forts, car l’union fait la force. Reconnaissez donc les vrais défenseurs de votre cause, non à de vaines paroles, les paroles ne coûtent rien, mais à la pratique de la loi d’amour et de charité, à l’abnégation de la personnalité ; le meilleur soldat n’est pas celui qui brandit le plus haut son sabre, mais celui qui sacrifie courageusement sa vie. Regardez donc comme faisant cause commune avec vos ennemis tous ceux qui tendraient à jeter parmi vous des ferments de discorde, car volontairement ou involontairement, ils fournissent des armes contre vous ; dans tous les cas, ne comptez pas plus sur eux que sur ces mauvais soldats qui lâchent pied au premier coup de fusil.
Mais, direz-vous, si les opinions sont partagées sur quelques points de la doctrine, comment reconnaître de quel côté est la vérité ? C’est la chose la plus facile. Vous avez d’abord pour poids votre jugement, pour mesure la saine et inflexible logique. Vous aurez ensuite l’assentiment de la majorité ; car, croyez bien que le nombre croissant ou décroissant des partisans d’une idée vous donne la mesure de sa valeur ; si elle est fausse, elle ne saurait conquérir plus de voix que la vérité : Dieu ne le permettrait pas ; il peut laisser l’erreur se montrer par-ci par-là, pour nous faire voir ses allures et nous apprendre à la reconnaître ; sans cela où serait notre mérite si nous n’avions pas de choix à faire ? Voulez-vous un autre critérium de la vérité ? En voici un qui est infaillible. Puisque la devise du Spiritisme est Amour et charité, reconnaissez la vérité à la pratique de cette maxime, et tenez pour certain que celui qui jette la pierre à l’autre ne peut être dans le vrai absolu. Quant à moi, messieurs, vous avez entendu ma profession de foi. Si, ce qu’à Dieu ne plaise, il s’élevait des dissidences entre vous, je le dis à regret, je me séparerais ouvertement de ceux qui déserteraient le drapeau de la fraternité, car, à mes yeux, ils ne pourraient être regardés comme de vrais Spirites.
Dans tous les cas, ne vous inquiétez nullement de quelques dissidences passagères ; vous aurez bientôt la preuve qu’elles sont sans conséquences graves ; ce sont des épreuves pour votre foi et votre jugement ; ce sont souvent aussi des moyens permis par Dieu et les bons Esprits pour donner la mesure de la sincérité, et faire connaître ceux sur lesquels on peut réellement compter au besoin, et que l’on évite ainsi de mettre en avant ; ce sont de petites pierres semées sur votre route, afin de vous habituer à voir sur quoi vous vous appuyez.
Il me reste, messieurs, à vous parler de l’organisation de la Société.
Puisque vous voulez bien me demander mon avis, je vous dirai ce que j’ai dit l’année passée à Lyon † ; les mêmes motifs m’engagent à vous détourner de toutes mes forces du projet de former une Société unique embrassant tous les Spirites de la ville, ce qui serait tout simplement impraticable par le nombre croissant de ses adeptes. Vous ne tarderiez pas à être arrêtés par les obstacles matériels et par les difficultés morales plus grandes encore qui vous en montreraient l’impossibilité ; mieux vaut donc ne pas entreprendre une chose à laquelle vous seriez obligés de renoncer. Toutes les considérations à l’appui de cette opinion sont complètement développées dans la nouvelle édition du Livre des Médiums auquel je vous invite à vous en référer. Je n’y ajouterai que peu de mots.
Ce qu’il est difficile d’obtenir dans une réunion nombreuse l’est beaucoup moins dans les groupes particuliers ; ils se forment par une affinité de goûts, de sentiments et d’habitudes. Deux groupes séparés peuvent avoir une manière de voir différente sur quelques points de détail, et n’en pas moins très bien marcher d’accord, tandis que s’ils étaient réunis, la divergence des opinions y apporterait inévitablement le trouble.
Le système de la multiplication des groupes a encore pour résultat de couper court aux rivalités de suprématie et de présidence. Chaque groupe est naturellement présidé par le maître de la maison ou celui qui est désigné, et tout se passe en famille. Si la haute direction du Spiritisme, dans une ville, incombe à quelqu’un, celui ci y sera appelé par la force des choses, et un assentiment tacite le désignera tout naturellement en raison de son mérite personnel, de ses qualités conciliantes, du zèle et du dévouement dont il aura fait preuve, des services réels qu’il aura rendus à la cause ; il acquerra ainsi, sans la rechercher, une force morale que personne ne songera à lui contester, parce que tout le monde la reconnaîtra en lui ; tandis que celui qui, de son autorité privée, chercherait à s’imposer, ou qui serait porté par une coterie, rencontrerait de l’opposition de la part de tous ceux qui ne lui reconnaîtraient pas les qualités morales nécessaires, et de là une cause inévitable de divisions.
C’est une chose grave que de conférer à quelqu’un la direction suprême de la doctrine ; avant de le faire il faut être bien sûr de lui sous tous les rapports, car, avec des idées erronées, il pourrait entraîner la Société sur une pente fâcheuse et peut-être à sa ruine. Dans les groupes particuliers, chacun peut faire ses preuves d’habileté et se désigner, pour plus tard, au suffrage de ses collègues s’il y avait lieu ; mais nul ne peut prétendre être général avant d’avoir été soldat. De même que le bon général se reconnaît à son courage et à ses talents, le véritable Spirite se reconnaît à ses qualités ; or, la première dont il doit faire preuve, c’est l’abnégation de la personnalité ; c’est donc à ses actes qu’on le reconnaît, plus qu’à ses paroles. Ce qu’il faut pour une telle direction, c’est un vrai Spirite, et le vrai spirite n’est mû ni par l’ambition, ni par l’amour-propre. J’appelle à ce sujet, messieurs, votre attention sur les diverses catégories de Spirites dont les caractères distinctifs sont clairement définis dans le Livre des Médiums (nº 28).
Du reste, quelle que soit la nature de la réunion, qu’elle soit nombreuse ou non, les conditions qu’elle doit remplir pour atteindre le but sont les mêmes ; c’est à cela qu’il faut apporter tous ses soins, et ceux qui les rempliront seront forts, parce qu’ils auront nécessairement l’appui des bons Esprits. Ces conditions sont tracées dans le Livre des Médiums (nº 341).
Un travers assez fréquent chez quelques nouveaux adeptes, c’est de se croire passés maîtres après quelques mois d’étude. Le Spiritisme est une science immense, comme vous savez, et dont l’expérience ne peut s’acquérir qu’avec le temps, en cela comme en toutes choses. Il y a dans cette prétention de n’avoir plus besoin des conseils d’autrui et de se croire au-dessus de tous, une preuve d’insuffisance, puisqu’on manque à l’un des premiers préceptes de la doctrine : la modestie et l’humilité.
Quand les Esprits mauvais rencontrent de semblables dispositions dans un individu, ils ne manquent pas de les surexciter et de les entretenir, en lui persuadant qu’il possède seul la vérité. C’est un des écueils que l’on peut rencontrer, et contre lequel j’ai cru devoir vous prémunir, en ajoutant qu’il ne suffit pas plus de se dire Spirite que de se dire chrétien : il faut le prouver par la pratique.
Si, par la formation des groupes, on évite la rivalité des individus, cette rivalité ne peut-elle exister entre les groupes eux-mêmes qui, marchant dans des voies un peu divergentes, pourraient produire des schismes, tandis qu’une Société unique maintiendrait l’unité de principes ? A cela je réponds que l’inconvénient que l’on signale ne serait pas évité, puisque ceux qui n’adopteraient pas les principes de la Société s’en sépareraient, et que rien ne les empêcherait de faire bande à part. Les groupes sont autant de petites Sociétés qui marcheront nécessairement dans la même voie si elles adoptent toutes le même drapeau, et les bases de la science consacrées par l’expérience. J’appelle également à ce sujet votre attention sur le nº 348 du Livre des Médiums.
D’ailleurs, rien n’empêche qu’un groupe central ne soit formé de délégués des divers groupes particuliers qui se trouveraient ainsi avoir un point de ralliement et un correspondant direct avec la Société de Paris. Puis, tous les ans, une assemblée générale pourrait réunir tous les adeptes et devenir ainsi une véritable fête du Spiritisme. Du reste, sur ces divers points, je préparerai une instruction détaillée que j’aurai l’honneur de vous transmettre ultérieurement, soit sur l’organisation, soit sur l’ordre des travaux. Ceux qui la suivront se maintiendront naturellement dans l’unité des principes.
Tels sont, messieurs, les conseils que je crois devoir vous donner, puisque vous avez bien voulu en référer à mes avis. Je suis heureux d’ajouter que j’ai trouvé à Bordeaux d’excellents éléments, et un progrès beaucoup plus grand que je ne m’y attendais ; j’y ai trouvé un grand nombre de vrais et sincères Spirites, et j’emporte de ma visite l’espoir fondé que notre doctrine s’y développera sur les bases les plus larges et dans d’excellentes conditions. Croyez bien que mon concours ne fera jamais défaut à tout ce qui sera en mon pouvoir de faire pour seconder les efforts de ceux qui sont sincèrement et consciencieusement dévoués de cœur à cette noble cause qui est celle de l’humanité.
L’Esprit d’Éraste, que vous connaissez déjà, messieurs, par les remarquables dissertations que vous avez lues de lui, veut aussi vous apporter le tribut de ses conseils. Avant mon départ de Paris † il a dicté, par son médium habituel, la communication suivante dont je vais avoir l’honneur de vous donner lecture.
Il y a une image de ce article dans le service Google — Recherche de livres (Revue Spirite 1861).