Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année I — Octobre 1858.

(Langue portugaise)

DES OBSÉDÉS ET DES SUBJUGUÉS.

1. — On a souvent parlé des dangers du Spiritisme, et il est à remarquer que ceux qui se sont le plus récriés à cet égard sont précisément ceux qui ne le connaissent guère que de nom. Nous avons déjà réfuté les principaux arguments qu’on lui oppose, nous n’y reviendrons pas ; nous ajouterons seulement que si l’on voulait proscrire de la société tout ce qui peut offrir des dangers et donner lieu à des abus, nous ne savons trop ce qui resterait, même des choses de première nécessité, à commencer par le feu, cause de tant de malheurs, puis les chemins de fer, etc., etc. Si l’on croit que les avantages compensent les inconvénients, il doit en être de même de tout ; l’expérience indique au fur et à mesure les précautions à prendre pour se garantir du danger des choses qu’on ne peut éviter.

Le Spiritisme présente en effet un danger réel, mais ce n’est point celui que l’on croit, et il faut être initié aux principes de la science pour le bien comprendre. Ce n’est point à ceux qui y sont étrangers que nous nous adressons ; c’est aux adeptes mêmes, à ceux qui pratiquent, parce que le danger est pour eux. Il importe qu’ils le connaissent, afin de se tenir sur leurs gardes : danger prévu, on le sait, est à moitié évité. Nous dirons plus : ici, pour quiconque est bien pénétré de la science, il n’existe pas ; il n’est que pour ceux qui croient savoir et ne savent pas ; c’est-à-dire, comme en toutes choses, pour ceux qui manquent de l’expérience nécessaire.

Un désir bien naturel chez tous ceux qui commencent à s’occuper du Spiritisme, c’est d’être médium, mais surtout médium écrivain. C’est en effet le genre qui offre le plus d’attrait par la facilité des communications, et qui peut le mieux se développer par l’exercice. On comprend la satisfaction que doit éprouver celui qui, pour la première fois, voit se former sous sa main des lettres, puis des mots, puis des phrases qui répondent à sa pensée. Ces réponses qu’il trace machinalement sans savoir ce qu’il fait, qui sont le plus souvent en dehors de toutes ses idées personnelles, ne peuvent lui laisser aucun doute sur l’intervention d’une intelligence occulte ; aussi sa joie est grande de pouvoir s’entretenir avec les êtres d’outre-tombe, avec ces êtres mystérieux et invisibles qui peuplent les espaces ; ses parents et ses amis ne sont plus absents ; s’il ne les voit pas par les yeux, ils n’en sont pas moins là ; ils causent avec lui, il les voit par la pensée ; il peut savoir s’ils sont heureux, ce qu’ils font, ce qu’ils désirent, échanger avec eux de bonnes paroles ; il comprend que sa séparation d’avec eux n’est point éternelle, et il hâte de ses voeux l’instant où il pourra les rejoindre dans un monde meilleur. Ce n’est pas tout ; que ne va-t-il pas savoir par le moyen des Esprits qui se communiquent à lui ! Ne vont-ils pas lever le voile de toutes choses ? Dès lors plus de mystères ; il n’a qu’à interroger, il va tout connaître. Il voit déjà l’antiquité secouer devant lui la poussière des temps, fouiller les ruines, interpréter les écritures symboliques et faire revivre à ses yeux les siècles passés. Celui-ci, plus prosaïque, et peu soucieux de sonder l’infini où sa pensée se perd, songe tout simplement à exploiter les Esprits pour faire fortune. Les Esprits qui doivent tout voir, tout savoir, ne peuvent refuser de lui faire découvrir quelque trésor caché ou quelque secret merveilleux.


2. — Quiconque s’est donné la peine d’étudier la science spirite ne se laissera jamais séduire par ces beaux rêves ; il sait à quoi s’en tenir sur le pouvoir des Esprits, sur leur nature et sur le but des relations que l’homme peut établir avec eux. Rappelons d’abord, en peu de mots, les points principaux qu’il ne faut jamais perdre de vue, parce qu’ils sont comme la clef de voûte de l’édifice.


 Les Esprits ne sont égaux ni en puissance, ni en savoir, ni en sagesse. N’étant autre chose que les âmes humaines débarrassées de leur enveloppe corporelle, ils présentent encore plus de variété que nous n’en trouvons parmi les hommes sur la terre, parce qu’ils viennent de tous les mondes ; et que parmi les mondes, la terre n’est ni le plus arriéré, ni le plus avancé. Il y a donc des Esprits très supérieurs, et d’autres très inférieurs ; de très bons et de très mauvais, de très savants et de très ignorants ; il y en a de légers, de malins, de menteurs, de rusés, d’hypocrites, de facétieux, de spirituels, de moqueurs, etc.

 Nous sommes sans cesse entourés d’un essaim d’Esprits qui, pour être invisibles à nos yeux matériels, n’en sont pas moins dans l’espace, autour de nous, à nos côtés, épiant nos actions, lisant dans nos pensées, les uns pour nous faire du bien, les autres pour nous faire du mal, selon qu’ils sont plus ou moins bons.

 Par l’infériorité physique et morale de notre globe dans la hiérarchie des mondes, les Esprits inférieurs y sont plus nombreux que les Esprits supérieurs.

 Parmi les Esprits qui nous entourent, il en est qui s’attachent à nous, qui agissent plus particulièrement sur notre pensée, nous conseillent, et dont nous suivons l’impulsion à notre insu ; heureux si nous n’écoutons que la voix de ceux qui sont bons.

 Les Esprits inférieurs ne s’attachent qu’à ceux qui les écoutent, auprès desquels ils ont accès, et sur lesquels ils trouvent prise. S’ils parviennent à prendre de l’empire sur quelqu’un, ils s’identifient avec son propre Esprit, le fascinent, l’obsèdent, le subjuguent et le conduisent comme un véritable enfant.

 L’obsession n’a jamais lieu que par les Esprits inférieurs. Les bons Esprits ne font éprouver aucune contrainte ; ils conseillent, combattent l’influence des mauvais, et si on ne les écoute pas, ils s’éloignent.

 Le degré de la contrainte et la nature des effets qu’elle produit marquent la différence entre l’obsession, la subjugation et la fascination.

L’obsession est l’action presque permanente d’un Esprit étranger, qui fait qu’on est sollicité par un besoin incessant d’agir dans tel ou tel sens, de faire telle ou telle chose.

La subjugation est une étreinte morale qui paralyse la volonté de celui qui la subit, et le pousse aux actes les plus déraisonnables et souvent les plus contraires à ses intérêts.

La fascination est une sorte d’illusion produite, soit par l’action directe d’un Esprit étranger, soit par ses raisonnements captieux, illusion qui donne le change sur les choses morales, fausse le jugement et fait prendre le mal pour le bien.

 L’homme peut toujours, par sa volonté, secouer le joug des Esprits imparfaits, parce qu’en vertu de son libre arbitre, il a le choix entre le bien et le mal. Si la contrainte est arrivée au point de paralyser sa volonté, et si la fascination est assez grande pour oblitérer son jugement, la volonté d’une autre personne peut y suppléer.


3. — On donnait jadis le nom de possession à l’empire exercé par de mauvais Esprits, lorsque leur influence allait jusqu’à l’aberration des facultés ; mais l’ignorance et les préjugés ont souvent fait prendre pour une possession ce qui n’était que le résultat d’un état pathologique. La possession serait, pour nous, synonyme de la subjugation. Si nous n’adoptons pas ce terme, c’est pour deux motifs : le premier, qu’il implique la croyance à des êtres créés pour le mal et perpétuellement voués au mal, tandis qu’il n’y a que des êtres plus ou moins imparfaits qui tous peuvent s’améliorer ; le second, qu’il implique également l’idée d’une prise de possession du corps par un Esprit étranger, une sorte de cohabitation, tandis qu’il n’y a que contrainte. Le mot subjugation rend parfaitement la pensée. Ainsi, pour nous, il n’y a pas de possédés dans le sens vulgaire du mot, il n’y a que des obsédés, des subjugués et des fascinés. [v. dans La Genèse : Obsessions et possessions.]

C’est par un motif semblable que nous n’adoptons pas le mot démon pour désigner les Esprits imparfaits, quoique ces Esprits ne valent souvent pas mieux que ceux qu’on appelle démons ; c’est uniquement à cause de l’idée de spécialité et de perpétuité qui est attachée à ce mot. Ainsi, quand nous disons qu’il n’y a pas de démons, nous ne prétendons pas dire qu’il n’y a que de bons Esprits ; loin de là ; nous savons pertinemment qu’il y en a de mauvais et de très mauvais, qui nous sollicitent au mal, nous tendent des pièges, et cela n’a rien d’étonnant puisqu’ils ont été des hommes ; nous voulons dire qu’ils ne forment pas une classe à part dans l’ordre de la création, et que Dieu laisse à toutes ses créatures le pouvoir de s’améliorer.


4. — Ceci étant bien entendu, revenons aux médiums. Chez quelques-uns les progrès sont lents, très lents même, et mettent souvent la patience à une rude épreuve. Chez d’autres ils sont rapides, et en peu de temps le médium arrive à écrire avec autant de facilité et quelquefois plus de promptitude qu’il ne le fait dans l’état ordinaire. C’est alors qu’il peut se prendre d’enthousiasme, et là est le danger, car l’enthousiasme rend faible, et avec les Esprits il faut être fort. Dire que l’enthousiasme rend faible, semble un paradoxe ; et pourtant rien de plus vrai. L’enthousiaste, dira-t-on, marche avec une conviction et une confiance qui lui font surmonter tous les obstacles, donc il a plus de force. Sans doute ; mais on s’enthousiasme pour le faux aussi bien que pour le vrai ; abondez dans les idées les plus absurdes de l’enthousiaste et vous en ferez tout ce que vous voudrez ; l’objet de son enthousiasme est donc son côté faible, et par là vous pourrez toujours le dominer. L’homme froid et impassible, au contraire, voit les choses sans miroitage ; il les combine, les pèse, les mûrit et n’est séduit par aucun subterfuge : c’est ce qui lui donne de la force. Les Esprits malins qui savent cela aussi bien et mieux que nous, savent aussi le mettre à profit pour subjuguer ceux qu’ils veulent tenir sous leur dépendance, et la faculté d’écrire comme médium les sert merveilleusement, car c’est un moyen puissant de capter la confiance, aussi ne s’en font-ils pas faute si l’on ne sait se mettre en garde contre eux ; heureusement, comme nous le verrons plus tard, le mal porte en soi son remède.

Soit enthousiasme, soit fascination des Esprits, soit amour-propre, le médium écrivain est généralement porté à croire que les Esprits qui se communiquent à lui sont des Esprits supérieurs, et cela d’autant mieux que ces Esprits, voyant sa propension, ne manquent pas de se parer de titres pompeux, prennent au besoin et selon les circonstances des noms de saints, de savants, d’anges, de la Vierge Marie même, et jouent leur rôle, comme des comédiens affublés du costume des personnages qu’ils représentent ; arrachez-leur le masque, et ils deviennent Gros-Jean comme devant ; c’est là ce qu’il faut savoir faire avec les Esprits comme avec les hommes.

De la croyance aveugle et irréfléchie en la supériorité des Esprits qui se communiquent, à la confiance en leurs paroles, il n’y a qu’un pas, toujours comme parmi les hommes. S’ils parviennent à inspirer cette confiance, ils l’entretiennent par les sophismes et les raisonnements les plus captieux, dans lesquels on donne souvent tête baissée. Les Esprits grossiers sont moins dangereux : on les reconnaît tout de suite, et ils n’inspirent que de la répugnance ; ceux qui sont le plus à craindre, dans leur monde, comme dans le nôtre, sont les Esprits hypocrites ; ils ne parlent jamais qu’avec douceur, flattent les penchants ; ils sont câlins, patelins, prodigues de termes de tendresse, de protestations de dévouement. Il faut être vraiment fort pour résister à de pareilles séductions. Mais où est le danger, dira-t-on, avec des Esprits impalpables ? Le danger est dans les conseils pernicieux qu’ils donnent sous l’apparence de la bienveillance, dans les démarches ridicules, intempestives ou funestes qu’ils font entreprendre. Nous en avons vu faire courir certains individus de pays en pays à la poursuite des choses les plus fantastiques, au risque de compromettre leur santé, leur fortune et même leur vie. Nous en avons vu dicter, avec toutes les apparences de la gravité, les choses les plus burlesques, les maximes les plus étranges. Comme il est bon de mettre l’exemple à côté de la théorie, nous allons rapporter l’histoire d’une personne de notre connaissance qui s’est trouvée sous l’empire d’une fascination semblable.


5. — M. F…, jeune homme instruit, d’une éducation soignée, d’un caractère doux et bienveillant, mais un peu faible et sans résolution prononcée, était devenu promptement très habile médium écrivain. Obsédé par l’Esprit qui s’était emparé de lui et ne lui laissait aucun repos, il écrivait sans cesse ; dès qu’une plume, un crayon lui tombaient sous la main, il les saisissait par un mouvement convulsif et se mettait à remplir des pages entières en quelques minutes. A défaut d’instrument, il faisait le simulacre d’écrire avec son doigt, partout où il se trouvait, dans les rues, sur les murs, sur les portes, etc. Entre autres choses qu’on lui dictait, était celle-ci : « L’homme est composé de trois choses : l’homme, le mauvais Esprit et le bon Esprit. Vous avez tous votre mauvais Esprit qui est attaché au corps par des liens matériels. Pour chasser le mauvais Esprit, il faut briser ces liens, et pour cela il faut affaiblir le corps. Quand le corps est suffisamment affaibli, le lien se rompt, le mauvais Esprit s’en va, et il ne reste que le bon. » En conséquence de cette belle théorie, ils l’ont fait jeûner pendant cinq jours consécutifs et veiller la nuit. Lorsqu’il fut exténué, ils lui dirent : « Maintenant l’affaire est faite, le lien est rompu ; ton mauvais Esprit est parti, il ne reste plus que nous, qu’il faut croire sans réserve. » Et lui, persuadé que son mauvais Esprit avait pris la fuite, ajoutait une foi aveugle à toutes leurs paroles. La subjugation était arrivée à ce point, que s’ils lui eussent dit de se jeter à l’eau ou de partir pour les antipodes, il l’aurait fait. Lorsqu’ils voulaient lui faire faire quelque chose à quoi il répugnait, il se sentait poussé par une force invisible. Nous donnons un échantillon de leur morale ; par là on jugera du reste.


6. —  Pour avoir les meilleures communications, il faut : 1º Prier et jeûner pendant plusieurs jours, les uns plus, les autres moins ; ce jeûne relâche les liens qui existent entre le moi et un démon particulier attaché à chaque moi humain. Ce démon est lié à chaque personne par l’enveloppe qui unit le corps et l’âme. Cette enveloppe, affaiblie par le manque de nourriture, permet aux Esprits d’arracher ce démon. Jésus descend alors dans le cœur de la personne possédée à la place du mauvais Esprit. Cet état de posséder Jésus en soi est le seul moyen d’atteindre toute la vérité, et bien d’autres choses.

« Quand la personne a réussi à remplacer le démon par Jésus, elle n’a pas encore la vérité. Pour avoir la vérité, il faut croire ; Dieu ne donne jamais la vérité à ceux qui doutent : ce serait faire quelque chose d’inutile, et Dieu ne fait rien en vain. Comme la plupart des nouveaux médiums doutent de ce qu’ils disent ou écrivent, les bons Esprits sont forcés, à leur regret, par l’ordre formel de Dieu, de mentir, et ne peuvent que mentir tant que le médium n’est pas convaincu ; mais vient-il à croire fermement un de ces mensonges, aussitôt les Esprits élevés s’empressent de lui dévoiler les secrets du ciel : la vérité tout entière dissipe en un instant ce nuage d’erreurs dont ils avaient été forcés de couvrir leur protégé.

« Le médium arrivé à ce point n’a plus rien à craindre ; les bons Esprits ne le quitteront jamais. Qu’il ne croie point cependant avoir toujours la vérité et rien que la vérité. De bons Esprits, soit pour l’éprouver, soit pour le punir de ses fautes passées, soit pour le châtier des questions égoïstes ou curieuses, lui infligent des corrections physiques et morales, viennent le tourmenter de la part de Dieu. Ces Esprits élevés se plaignent souvent de la triste mission qu’ils accomplissent : un père persécute son fils des semaines entières, un ami son ami, le tout pour le plus grand bonheur du médium. Les nobles Esprits disent alors des folies, des blasphèmes, des turpitudes même. Il faut que le médium se raidisse et dise : Vous me tentez ; je sais que je suis entre les mains charitables d’Esprits doux et affectueux ; que les mauvais ne peuvent plus m’approcher. Bonnes âmes qui me tourmentez, vous ne m’empêcherez pas de croire ce que vous m’aurez dit et ce que vous me direz encore.

« Les catholiques chassent plus facilement le démon (ce jeune homme est protestant), parce qu’il s’est éloigné un instant le jour du baptême. Les catholiques sont jugés par Christ, et les autres par Dieu ; il vaut mieux être jugé par Christ. Les protestants ont tort de ne pas admettre cela : aussi faut-il te faire catholique le plus tôt possible ; en attendant, va prendre de l’eau bénite : ce sera ton baptême. »

Le jeune homme en question étant guéri plus tard de l’obsession dont il était l’objet, par les moyens que nous relaterons, nous lui avions demandé de nous en écrire l’histoire et de nous donner le texte même des préceptes qui lui avaient été dictés. En les transcrivant, il ajouta sur la copie qu’il nous a remise : Je me demande si je n’offense pas Dieu et les bons Esprits en transcrivant de pareilles sottises. A cela nous lui répondîmes : Non, vous n’offensez pas Dieu ; loin de là, puisque vous reconnaissez maintenant le piège dans lequel vous étiez tombé. Si je vous ai demandé la copie de ces maximes perverses, c’est pour les flétrir comme elles le méritent, démasquer les Esprits hypocrites, et mettre sur ses gardes quiconque en recevrait de pareilles.

Un jour ils lui font écrire : Tu mourras ce soir ; à quoi il répond : Je suis fort ennuyé de ce monde ; mourons s’il le faut, je ne demande pas mieux ; que je ne souffre pas, c’est tout ce que je désire. — Le soir il s’endort croyant fermement ne plus se réveiller sur la terre. Le lendemain il est tout surpris et même désappointé de se trouver dans son lit ordinaire. Dans la journée il écrit : « Maintenant que tu as passé par l’épreuve de la mort, que tu as cru fermement mourir, tu es comme mort pour nous ; nous pouvons te dire toute la vérité ; tu sauras tout ; il n’y a rien de caché pour nous ; il n’y aura non plus rien de caché pour toi. Tu es Shakespeare réincarné. Shakespeare n’est-il pas ta bible à toi ? (M. F… sait parfaitement l’anglais, et se complaît dans la lecture des chefs-d’œuvre de cette langue.)

Le jour suivant il écrit : Tu es Satan. — Ceci devient par trop fort, répond M. F… — N’as-tu pas fait… n’as-tu pas dévoré le Paradis perdu ? [Paradis perdu — Google Books.] Tu as appris la Fille du diable de Béranger [v. Œuvres complètes de P. J. de Béranger — Google Books] ; tu savais que Satan se convertirait : ne l’as-tu pas toujours cru, toujours dit, toujours écrit ? Pour se convertir, il se réincarne. — Je veux bien avoir été un ange rebelle quelconque ; mais le roi des anges… ! — Oui, tu étais l’ange de la fierté ; tu n’es pas mauvais, tu es fier en ton cœur ; c’est cette fierté qu’il faut abattre ; tu es l’ange de l’orgueil, et les hommes l’appellent Satan, qu’importe le nom ! Tu fus le mauvais génie de la terre. Te voilà abaissé… Les hommes vont prendre leur essor… Tu verras des merveilles. Tu as trompé les hommes ; tu as trompé la femme dans la personnification d’Eve, la femme pécheresse. Il est dit que Marie, la personnification de la femme sans tache, t’écrasera la tête ; Marie va venir. — Un instant après il écrit lentement et comme avec douceur : « Marie vient te voir ; Marie, qui a été te chercher au fond de ton royaume de ténèbres, ne t’abandonnera pas. Elève-toi, Satan, et Dieu est prêt à te tendre les bras. Lis l’Enfant prodigue.  ( † ) [L’enfant prodigue — Google Books.] Adieu. »

Une autre fois il écrit : « Le serpent dit à Eve : Vos yeux seront ouverts et vous serez comme des dieux. Le démon dit à Jésus : Je te donnerai toute puissance. Toi, je te le dis, puisque tu crois à nos paroles : nous t’aimons ; tu sauras tout… Tu seras roi de Pologne.

« Persévère dans les bonnes dispositions où nous t’avons mis. Cette leçon fera faire un grand pas à la science spirite. On verra que les bons Esprits peuvent dire des futilités et des mensonges pour se jouer des sages. Allan Kardec a dit que c’était un mauvais moyen de reconnaître les Esprits, que de leur faire confesser Jésus en chair. Moi je dis que les bons Esprits confessent seuls Jésus en chair et je le confesse. Dis ceci à Kardec. »

L’Esprit a pourtant eu la pudeur de ne pas conseiller à M. F… de faire imprimer ces belles maximes ; s’il le lui eût dit, il l’eût fait sans aucun doute, et c’eût été une mauvaise action, parce qu’il les eût données comme une chose sérieuse.

Nous remplirions un volume de toutes les sottises qui lui furent dictées et de toutes les circonstances qui s’ensuivirent. On lui fit, entre autres choses, dessiner un édifice dont les dimensions étaient telles que les feuilles de papier nécessaires, collées ensemble, occupaient la hauteur de deux étages.

On remarquera que dans tout ceci il n’y a rien de grossier, rien de trivial ; c’est une suite de raisonnements sophistiques qui s’enchaînent avec une apparence de logique. Il y a, dans les moyens employés pour circonvenir, un art vraiment infernal, et si nous avions pu rapporter tous ces entretiens, on aurait vu jusqu’à quel point était poussée l’astuce, et avec quelle adresse les paroles mielleuses étaient prodiguées à propos.


7. — L’Esprit qui jouait le principal rôle dans cette affaire prenait le nom de François Dillois, quand il ne se couvrait pas du masque d’un nom respectable. Nous sûmes plus tard ce que ce Dillois avait été de son vivant, et alors rien ne nous étonna plus dans son langage. Mais au milieu de toutes ces extravagances il était aisé de reconnaître un bon Esprit qui luttait en faisant entendre de temps à autre quelques bonnes paroles pour démentir les absurdités de l’autre ; il y avait combat évident, mais la lutte était inégale ; le jeune homme était tellement subjugué, que la voix de la raison était impuissante sur lui. L’Esprit de son père lui fit notamment écrire ceci : « Oui, mon fils, courage ! Tu subis une rude épreuve qui est pour ton bien à venir ; je ne puis malheureusement rien en ce moment pour t’en affranchir, et cela me coûte beaucoup. Va voir Allan Kardec ; écoute-le, et il te sauvera. »


8. — M. F… vint en effet me trouver ; il me raconta son histoire ; je le fis écrire devant moi, et, dès l’abord, je reconnus sans peine l’influence pernicieuse sous laquelle il se trouvait, soit aux paroles, soit à certains signes matériels que l’expérience fait connaître et qui ne peuvent tromper. Il revint plusieurs fois ; j’employai toute la force de ma volonté pour appeler de bons Esprits par son intermédiaire, toute ma rhétorique, pour lui prouver qu’il était le jouet d’Esprits détestables ; que ce qu’il écrivait n’avait pas le sens commun, et de plus était profondément immoral ; je m’adjoignis pour cette œuvre charitable un de mes collègues les plus dévoués, M. T…, et, à nous deux, nous parvînmes petit à petit à lui faire écrire des choses sensées. Il prit son mauvais génie en aversion, le repoussa, par sa volonté, chaque fois qu’il tentait de se manifester, et peu à peu les bons Esprits seuls prirent le dessus. Pour détourner ses idées, il se livra du matin au soir, d’après le conseil des Esprits, à un rude travail qui ne lui laissait pas le temps d’écouter les mauvaises suggestions. Dillois lui-même finit par s’avouer vaincu et par exprimer le désir de s’améliorer dans une nouvelle existence ; il confessa le mal qu’il avait voulu faire, et en témoigna du regret. La lutte fut longue, pénible, et offrit des particularités vraiment curieuses pour l’observateur. Aujourd’hui que M. F… se sent délivré, il est heureux ; il lui semble être soulagé d’un fardeau ; il a repris sa gaieté, et nous remercie du service que nous lui avons rendu. [v. dans l’Revue décembre : Les Fleurs et Du rôle de la Femme.]

Certaines personnes déplorent qu’il y ait de mauvais Esprits. Ce n’est pas en effet sans un certain désenchantement qu’on trouve la perversité dans ce monde où l’on aimerait à ne rencontrer que des êtres parfaits. Puisque les choses sont ainsi, nous n’y pouvons rien : il faut les prendre telles qu’elles sont. C’est notre propre infériorité qui fait que les Esprits imparfaits pullulent autour de nous ; les choses changeront quand nous serons meilleurs, ainsi que cela a lieu dans les mondes plus avancés. En attendant, et tandis que nous sommes encore dans les bas-fonds de l’univers moral, nous sommes avertis : c’est à nous de nous tenir sur nos gardes et de ne pas accepter, sans contrôle, tout ce que l’on nous dit. L’expérience, en nous éclairant, doit nous rendre circonspects. Voir et comprendre le mal est un moyen de s’en préserver. N’y aurait-il pas cent fois plus de danger à se faire illusion sur la nature des êtres invisibles qui nous entourent ? Il en est de même ici-bas, où nous sommes chaque jour exposés à la malveillance et aux suggestions perfides : ce sont autant d’épreuves auxquelles notre raison, notre conscience et notre jugement nous donnent les moyens de résister. Plus la lutte aura été difficile, plus le mérite du succès sera grand : « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. »


9. — Cette histoire, qui malheureusement n’est pas la seule à notre connaissance, soulève une question très grave. N’est-ce pas pour ce jeune homme, dira-t-on, une chose fâcheuse d’avoir été médium ? N’est-ce pas cette faculté qui est cause de l’obsession dont il était l’objet ? En un mot, n’est-ce pas une preuve du danger des communications spirites ?

Notre réponse est facile, et nous prions de la méditer avec soin.

Ce ne sont pas les médiums qui ont créé les Esprits, ceux-ci existent de tout temps, et de tout temps ils ont exercé leur influence salutaire ou pernicieuse sur les hommes. Il n’est donc pas besoin d’être médium pour cela. La faculté médianimique n’est pour eux qu’un moyen de se manifester ; à défaut de cette faculté ils le font de mille autres manières. Si ce jeune homme n’eût pas été médium, il n’en aurait pas moins été sous l’influence de ce mauvais Esprit qui lui aurait sans doute fait commettre des extravagances que l’on eût attribuées à toute autre cause. Heureusement pour lui, sa faculté de médium permettant à l’Esprit de se communiquer par des paroles, c’est par ses paroles que l’Esprit s’est trahi ; elles ont permis de connaître la cause d’un mal qui eût pu avoir pour lui des conséquences funestes, et que nous avons détruit, comme on l’a vu, par des moyens bien simples, bien rationnels, et sans exorcisme. La faculté médianimique a permis de voir l’ennemi, si on peut s’exprimer ainsi, face à face et de le combattre avec ses propres armes. On peut donc dire avec une entière certitude, que c’est elle qui l’a sauvé ; quant à nous, nous n’avons été que les médecins, qui, ayant jugé la cause du mal, avons appliqué le remède. Ce serait une grave erreur de croire que les Esprits n’exercent leur influence que par des communications écrites ou verbales ; cette influence est de tous les instants, et ceux qui ne croient pas aux Esprits y sont exposés comme les autres, y sont même plus exposés que d’autres, parce qu’ils n’ont pas de contre-poids. A combien d’actes n’est-on pas poussé pour son malheur, et que l’on eût évités si l’on avait eu un moyen de s’éclairer ! Les plus incrédules ne croient pas être si vrais quand ils disent d’un homme qui se fourvoie avec obstination : C’est son mauvais génie qui le pousse à sa perte.


Règle générale. Quiconque a de mauvaises communications spirites écrites ou verbales est sous une mauvaise influence ; cette influence s’exerce sur lui qu’il écrive ou n’écrive pas, c’est-à-dire qu’il soit ou non médium. L’écriture donne un moyen de s’assurer de la nature des Esprits qui agissent sur lui, et de les combattre, ce que l’on fait encore avec plus de succès quand on parvient à connaître le motif qui les fait agir. S’il est assez aveuglé pour ne pas le comprendre, d’autres peuvent lui ouvrir les yeux. Est-il besoin d’ailleurs d’être médium pour écrire des absurdités ? Et qui dit que parmi toutes les élucubrations ridicules ou dangereuses, il n’en est pas auxquelles les auteurs sont poussés par quelque Esprit malveillant ? Les trois quarts de nos mauvaises actions et de nos mauvaises pensées sont le fruit de cette suggestion occulte.

Si M. F… n’avait pas été médium, demandera-t-on, auriez-vous pu de même faire cesser l’obsession ? Assurément ; seulement les moyens eussent différé selon les circonstances ; mais alors les Esprits n’eussent pas pu nous l’adresser comme ils l’ont fait, et il est probable qu’on se serait mépris sur la cause, s’il n’y avait pas eu de manifestation spirite ostensible. Tout homme qui en a la volonté, et qui est sympathique aux bons Esprits, peut toujours, avec l’aide de ceux-ci, paralyser l’influence des mauvais. Nous disons qu’il doit être sympathique aux bons Esprits, car s’il en attire lui-même d’inférieurs, il est évident que c’est vouloir chasser des loups avec des loups.

En résumé, le danger n’est pas dans le Spiritisme en lui-même, puisqu’il peut, au contraire, servir de contrôle, et préserver de celui que nous courons sans cesse à notre insu ; il est dans la propension de certains médiums à se croire trop légèrement les instruments exclusifs d’Esprits supérieurs, et dans l’espèce de fascination qui ne leur permet pas de comprendre les sottises dont ils sont les interprètes. Ceux mêmes qui ne sont pas médiums peuvent s’y laisser prendre.


10. — Nous terminerons ce chapitre par les considérations suivantes :

 Tout médium doit se défier de l’entraînement irrésistible qui le porte à écrire sans cesse et dans les moments inopportuns ; il doit être maître de lui-même et n’écrire que quand il le veut ;

 On ne maîtrise pas les Esprits supérieurs, ni même ceux qui, sans être supérieurs, sont bons et bienveillants, mais on peut maîtriser et dompter les Esprits inférieurs. Quiconque n’est pas maître de soi-même ne peut l’être des Esprits ;

 Il n’y a pas d’autre critérium pour discerner la valeur des Esprits que le bon sens. Toute formule donnée à cet effet par les Esprits eux-mêmes est absurde, et ne peut émaner d’Esprits supérieurs ;

 On juge les Esprits comme les hommes, à leur langage. Toute expression, toute pensée, toute maxime, toute théorie morale ou scientifique qui choque le bon sens, ou ne répond pas à l’idée qu’on se fait d’un Esprit pur et élevé, émane d’un Esprit plus ou moins inférieur ;

 Les Esprits supérieurs tiennent toujours le même langage avec la même personne et ne se contredisent jamais ;

 Les Esprits supérieurs sont toujours bons et bienveillants ; il n’y a jamais, dans leur langage, ni acrimonie, ni arrogance, ni aigreur, ni orgueil, ni forfanterie, ni sotte présomption. Ils parlent simplement, conseillent, et se retirent si on ne les écoute pas ;

 Il ne faut pas juger les Esprits sur la forme matérielle et la correction de leur langage, mais en sonder le sens intime, scruter leurs paroles, les peser froidement, mûrement et sans prévention. Tout écart de bon sens, de raison et de sagesse, ne peut laisser de doute sur leur origine, quel que soit le nom dont s’affuble l’Esprit ;

 Les Esprits inférieurs redoutent ceux qui scrutent leurs paroles, démasquent leurs turpitudes, et ne se laissent pas prendre à leurs sophismes. Ils peuvent quelquefois essayer de tenir tête, mais ils finissent toujours par lâcher prise quand ils se voient les plus faibles ;

 Quiconque agit en toutes choses en vue du bien, s’élève par la pensée au-dessus des vanités humaines, chasse de son cœur l’égoïsme, l’orgueil, l’envie, la jalousie, la haine, pardonne à ses ennemis et met en pratique cette maxime du Christ : « Faire aux autres ce qu’on voudrait qui fût fait à soi-même, » ( † ) sympathise avec les bons Esprits ; les mauvais le craignent et s’écartent de lui.


En suivant ces préceptes on se garantira des mauvaises communications, de la domination des Esprits impurs, et, profitant de tout ce que nous enseignent les Esprits vraiment supérieurs, on contribuera, chacun pour sa part, au progrès moral de l’humanité.



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