Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année XI — Juin 1868.

(Langue portugaise)

NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES.


LA RELIGION ET LA POLITIQUE DANS LA SOCIÉTÉ MODERNE.

Par Frédéric Herrenschneider. n

M. Herrenschneider est un ancien saint-simonien,  †  et c’est là qu’il a puisé son ardent amour du progrès. Depuis, il est devenu Spirite, et cependant nous sommes loin de partager sa manière de voir sur tous les points, et d’accepter toutes les solutions qu’il donne. Son ouvrage est une œuvre de haute philosophie où l’élément spirite tient une place importante ; nous ne l’examinerons qu’au point de vue de la concordance et de la divergence de ses idées en ce qui touche le Spiritisme. Avant d’entrer dans l’examen de sa théorie quelques considérations préliminaires nous paraissent essentielles.

Trois grandes doctrines se partagent les esprits, sous les noms de religions différentes et de philosophies fort distinctes ; ce sont le matérialisme, le spiritualisme et le Spiritisme ; or, on peut être matérialiste et croire ou ne pas croire au libre arbitre de l’homme ; dans le second cas on est athée ou panthéiste ; dans le premier, on est inconséquent, et l’on prend encore le nom de panthéiste ou celui de naturaliste, positiviste, etc.

On est spiritualiste dès l’instant qu’on n’est pas matérialiste, c’est-à-dire qu’on admet un principe spirituel distinct de la matière, quelle que soit l’idée que l’on se fasse de sa nature et de sa destinée. Les catholiques, les grecs, les protestants, les juifs, les musulmans, les déistes sont spiritualistes, malgré les différences essentielles de dogmes qui les divisent.

Les Spirites se font de l’âme une idée plus nette et plus précise ; ce n’est pas un être vague et abstrait, mais un être défini qui revêt une forme concrète, limitée, circonscrite. Indépendamment de l’intelligence qui est son essence, elle a des attributs et des effet spéciaux, qui constituent les principes fondamentaux de leur doctrine. Ils admettent : le corps fluidique ou périsprit ; le progrès indéfini de l’âme ; la réincarnation ou pluralité des existences, comme nécessité du progrès ; la pluralité des mondes habités ; la présence au milieu de nous des âmes ou Esprits qui ont vécu sur la terre et continuation de leur sollicitude pour les vivants ; la perpétuité des affections ; la solidarité universelle qui relie les vivants et les morts ; les Esprits de tous les mondes, et, par suite, l’efficacité de la prière ; la possibilité de communiquer avec les Esprits de ceux qui ne sont plus ; chez l’homme, la vue spirituelle ou psychique qui est un effet de l’âme.

Ils rejettent le dogme des peines éternelles, irrémissibles, comme inconciliable avec la justice de Dieu ; mais ils admettent que l’âme, après la mort, souffre et subit les conséquences de tout le mal qu’elle a fait pendant la vie, de tout le bien qu’elle aurait pu faire et qu’elle n’a pas fait.

Ses souffrances sont la conséquence naturelle de ses actes ; elles durent autant que la perversité ou l’infériorité morale de l’Esprit ; elles diminuent à mesure qu’il s’améliore, et cessent par la réparation du mal ; cette réparation a lieu dans les existences corporelles successives.

L’Esprit, ayant toujours sa liberté d’action, est ainsi le propre artisan de son bonheur et de son malheur en ce monde et en l’autre. L’homme n’est porté fatalement ni au bien ni au mal ; il accomplit l’un et l’autre par sa volonté, et se perfectionne par l’expérience. En conséquence de ce principe, les Spirites n’admettent ni les démons prédestinés au mal, ni la création spéciale d’anges prédestinés au bonheur infini sans avoir eu la peine de le mériter ; les démons sont des Esprits humains encore imparfaits, mais qui s’amélioreront avec le temps ; les anges, des Esprits arrivés à la perfection après avoir passé, comme les autres, par tous les degrés de l’infériorité.

Le Spiritisme n’admet, pour chacun, que la responsabilité de ses propres actes ; le péché originel, selon lui, est personnel ; il consiste dans les imperfections que chaque individu apporte en renaissant, parce qu’il ne s’en est pas encore dépouillé dans ses précédentes existences, et dont il subit naturellement les conséquences dans l’existence actuelle.

Il n’admet pas non plus, comme suprême récompense finale, l’inutile et béate contemplation des élus pendant l’éternité ; mais, au contraire, une activité incessante du haut en bas de l’échelle des êtres, où chacun a des attributions en rapport avec son degré d’avancement.

Tel est, en résumé très raccourci, la base des croyances spirites ; on est Spirite du moment qu’on entre dans cet ordre d’idées, lors même qu’on n’admettrait pas tous les points de la doctrine dans leur intégrité ou toutes leurs conséquences. Pour n’être pas Spirite complet, on n’en est pas moins Spirite, ce qui fait qu’on l’est souvent sans le savoir, quelquefois sans vouloir se l’avouer, et que, parmi les sectateurs des différentes religions, beaucoup sont Spirites de fait, si ce n’est de nom.

La croyance commune pour les spiritualistes, c’est de croire en un Dieu créateur, et d’admettre que l’âme, après la mort, continue d’exister, sous forme de pur Esprit, complètement détachée de toute matière, et aussi qu’elle pourra, avec ou sans la résurrection de son corps matériel, jouir d’une existence éternelle, heureuse ou malheureuse.

Les matérialistes croient, au contraire, que la force est inséparable de la matière et ne peut exister sans elle ; par suite, Dieu n’est pour eux qu’une hypothèse gratuite, à moins qu’il ne soit la matière elle-même ; les matérialistes nient de toute leur force la conception d’une âme essentiellement spirituelle et celle d’une personnalité survivant à la mort.

Leur critique est fondée, en ce qui concerne l’âme telle que les spiritualistes l’acceptent, sur ce que la force étant inséparable de la matière, une âme personnelle, active et puissante ne peut exister comme un point géométrique dans l’espace, sans dimension d’aucune sorte, ni longueur, ni largeur, ni hauteur. Quelle force, quelle puissance, quelle action peut avoir une telle âme sur le corps pendant la vie ; quel progrès peut-elle accomplir, et de quelle manière en conserve-t-elle la trace puisqu’elle n’est rien ; comment pourrait-elle être susceptible de bonheur ou de malheur après la mort ? disent-ils aux spiritualistes.

Il ne faut pas se le dissimuler, cette argumentation est spécieuse, mais elle est sans valeur contre la doctrine des Spirites ; ils admettent bien l’âme distincte du corps, comme les spiritualistes, avec une vie éternelle et une personnalité indestructible, mais ils considèrent cette âme comme indissolublement unie à la matière ; non pas la matière du corps lui-même, mais une autre plus éthérée, fluidique et incorruptible qu’ils appellent périsprit, mot heureux exprimant bien la pensée qui est l’origine et la base même du Spiritisme.

Si nous résumons les trois doctrines, nous dirons que, pour les matérialistes, l’âme n’existe pas ; ou si elle existe, elle se confond avec la matière sans aucune personnalité distincte en dehors de la vie présente, où cette personnalité est même plus apparente que réelle.

Pour les spiritualistes, l’âme existe à l’état d’Esprit, indépendante de Dieu et de toute matière.

Pour les Spirites, l’âme est distincte de Dieu qui l’a créée, inséparable d’une matière fluidique et incorruptible qu’on peut appeler périsprit.

Cette explication préliminaire permettra de comprendre qu’il existe des Spirites sans le savoir.

En effet, du moment où l’on n’est ni matérialiste, ni spiritualiste, on ne peut être que Spirite, malgré la répugnance que certains semblent éprouver pour cette qualification.

Nous voici bien loin des appréciations fantaisistes de ceux qui se figurent que le Spiritisme ne repose que sur l’évocation des Esprits ; il est cependant des Spirites qui n’ont jamais fait une seule évocation ; d’autres qui n’en ont jamais vu et ne tiennent même pas à en voir, leur croyance n’ayant pas besoin de ce secours ; et pour ne s’appuyer que sur la raison et sur l’étude, cette croyance n’en est pas moins complète et sérieuse.

Nous pensons même que c’est sous sa forme philosophique et morale que le Spiritisme rencontre les adhérents les plus fermes et les plus convaincus ; les communications ne sont que des moyens de conviction, de démonstration et surtout de consolation ; on ne doit y avoir recours qu’avec réserve, et lorsque déjà l’on sait bien ce que l’on veut obtenir.

Ce n’est pas que les communications soient le partage exclusif des Spirites ; elles ont souvent lieu spontanément et, quelquefois même, dans les milieux hostiles au Spiritisme dont elles sont indépendantes ; elles ne sont, en effet, que le résultat de lois et d’actions naturelles que les Esprits ou les hommes peuvent utiliser les uns ou les autres, soit indépendamment, soit d’accord entre eux.

Mais, de même qu’il est sage de ne mettre des instruments de physique, de chimie et d’astronomie qu’entre les mains de ceux qui savent s’en servir, il est convenable de ne provoquer des communications que lorsqu’elles peuvent avoir une utilité réelle, et non pas dans le but de satisfaire une puérile curiosité.

Cela dit, nous pouvons examiner l’ouvrage remarquable de M. Herrenschneider ; c’est l’œuvre d’un profond penseur et d’un Spirite convaincu, sinon complet, mais nous n’approuvons pas toutes les conclusions auxquelles il arrive.

M. Herrenschneider admet l’existence d’un Dieu créateur, partout présent dans la création, pénétrant tous les corps de sa substance fluidique et se trouvant en nous comme nous sommes en lui ; c’est la remarquable solution que M. Allan Kardec a présenté dans sa Genèse à titre d’hypothèse.

Mais, selon l’auteur, Dieu remplissait tout l’espace au commencement ; il aurait créé chaque être en se retirant du lieu qu’il lui concédait pour lui laisser son libre développement sous sa protection incessante ; ce développement progressif s’opère d’abord sous l’effet nécessaire des lois de la nature, et par la coercition du mal ; puis, lorsque l’Esprit a déjà suffisamment progressé, il peut joindre sa propre action à l’action fatale des lois naturelles pour activer son progrès.

Pendant toute cette phase de l’existence des êtres qui commence à la molécule du minéral, se poursuit dans le végétal, se développe dans l’animal, et se détermine dans l’homme, l’Esprit recueille et conserve des connaissances par son périsprit ; il acquiert ainsi une certaine expérience. Les progrès qui s’accomplissent sont d’une grande lenteur, et plus ils sont lents, plus les incarnations sont multipliées.

Comme on le voit, l’auteur adopte les principes scientifiques du progrès des êtres, émis par Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire, et Darwin, avec cette différence que l’action modératrice des formes et des organes animaux n’est plus seulement le résultat de la sélection et de la concurrence vitale, mais c’est aussi, et surtout l’effet de l’action intelligente de l’esprit animal, modifiant incessamment les formes et la matière, qu’il revêt pour réaliser une appropriation plus conforme à l’expérience qu’il a acquise.

C’est dans cet ordre d’idées que nous aurions voulu voir l’auteur insister sur l’action bienfaisante et affectueuse des êtres plus élevés concourant à l’avancement des plus faibles, en les guidant et les protégeant par un sentiment de sympathie et de solidarité, dont le développement est heureusement présenté dans le livre de la Genèse et dans tous les ouvrages de M. Allan Kardec.

M. Herrenschneider ne parle de l’action réciproque des êtres les uns sur les autres, qu’au triste point de vue de l’action mauvaise et du progrès nécessaire, qui résulte du mal dans la nature. Sur ce point, il a bien compris que le mal n’est que relatif, et que c’est une des conditions même du progrès ; cette partie de son travail est bien développée.


« Créés, dit-il, dans l’extrême faiblesse, dans l’extrême paresse et devant être les moyens de notre propre fin, nous sommes obligés d’arriver à la perfection et à la puissance, au bonheur et à la liberté par nos propres efforts ; notre destin est d’être en tout et partout les fils de nos œuvres, de nous créer notre unité, notre personnalité, notre originalité aussi bien que notre bonheur.

« Voilà, selon moi, quels sont les desseins de Dieu à notre égard ; mais pour y réussir, le créateur ne peut évidemment nous abandonner à nousmêmes, puisqu’étant créés dans cet état infime et moléculaire, nous sommes naturellement plongés dans un engourdissement profond ; nous y serions même restés à perpétuité, et nous n’aurions jamais fait un pas en avant si, pour nous réveiller, pour rendre sensible notre substance inerte et pour activer notre force privée d’initiative, Dieu ne nous avait soumis à un système de coercition, qui nous prend à notre origine, ne nous quitte jamais, et nous force à déployer nos efforts pour satisfaire aux besoins et aux instincts moraux, intellectuels et matériels, dont il nous a rendus esclaves, par suite du système d’incarnation qu’il a disposé à cette fin. »


Allant plus loin que les stoïciens qui prétendaient que la douleur n’existait pas et n’était qu’un mot, on voit que les Spirites arrivent à prononcer cette formule étrange que le mal lui-même est un bien, en ce sens qu’il y conduit fatalement et nécessairement.

Sur tout ce qui précède, nous faisons à l’auteur cette critique d’avoir oublié que la solidarité la plus étroite lie tous les êtres, et que les meilleurs de tous sont ceux qui, ayant le mieux compris ce principe, le mettent incessamment en action ; de telle sorte que tous les êtres dans la nature concourent au but général et au progrès les uns des autres : les uns sans le savoir et sous l’impulsion de leurs guides spirituels ; les autres en comprenant leur devoir d’élever et d’instruire ceux qui les entourent ou qui dépendent d’eux et en s’aidant du concours de plus avancés qu’eux-mêmes. Tout le monde comprend aujourd’hui que les parents doivent à leurs enfants une éducation convenable, et que ceux qui sont heureux, instruits et avancés doivent aider les pauvres, les souffrants et les ignorants.

Par suite, on doit comprendre l’utilité de la prière qui nous met en relation avec les Esprits qui peuvent nous guider. Ne nous arrive-t-il pas de prier ceux qui vivent comme nous ; qui sont nos supérieurs ou nos égaux, et notre vie peut-elle se passer sans ce perpétuel appel que nous faisons au concours des autres ? Il n’est donc pas étonnant que, nous entendant, ceux qui ne sont plus, soient de même sensibles à nos prières dans la mesure de ce qu’ils peuvent faire, ainsi d’ailleurs qu’ils l’auraient été de leur vivant ; on donne quelquefois à qui n’a point demandé, mais on donne surtout à ceux qui demandent ; frappez et l’on vous ouvrira ; priez, et si cela est possible, vous serez exaucés.

Ne croyez pas que tout vous est dû et que vous devez attendre les bienfaits sans les demander ou les mériter ; ne croyez pas que tout arrive fatalement et nécessairement, mais réfléchissez au contraire que vous êtes au milieu d’êtres libres et volontaires, aussi nombreux que le sable de la mer, et que leur action peut se joindre à la vôtre sur votre demande et suivant leur sympathie qu’il faut savoir mériter.

Prier est un moyen d’agir sur les autres et sur soi-même, mais ce n’est pas le moment de développer ce sujet important ; disons seulement que la prière ne vaut que lorsqu’elle accompagne l’effort ou le travail, et ne peut rien sans lui, tandis que le travail et les efforts généreux peuvent fort bien suppléer à la prière ; c’est surtout chez les Spirites que l’on admet ce vieux dicton : Travailler c’est prier.

La partie la plus intéressante du livre de M. Herrenschneider, est celle dans laquelle il fait ce que l’on pourrait appeler la psychologie de l’âme conçue telle que les Spirites la comprennent, et à ce point de vue son travail est nouveau et des plus curieux.

L’auteur détermine nettement les phénomènes dépendant du périsprit, et comment il tient à la disposition de l’esprit, la somme entière de ses progrès antérieurs en conservant la trace des efforts et des progrès nouveaux tentés et réalisés par l’être, à quelque moment que ce soit.

D’après ces données, la nature de l’âme ou périsprit est à considérer comme un trésor acquis, conservé en nous, et renfermant tout ce qui concerne notre être dans l’ordre moral, intellectuel et pratique.

Nous éviterons de nous servir des termes adoptés par l’auteur qui, pour exprimer que l’âme peut agir, soit par l’effet de son trésor acquis ou nature intime (périsprit), soit par un effort nouveau ou action volontaire, se sert de l’expression dualité de l’âme, tout en faisant bien remarquer que l’âme est une ; c’est là une expression malheureuse qui n’exprime pas la pensée véritable de l’auteur et qui pourrait prêter à la confusion pour un esprit peu attentif.

M. Herrenschneider croit à l’unité de l’âme comme les Spirites ; comme eux, il admet l’existence du périsprit, ce qui lui permet de faire une très fine critique de la psychologie des spiritualistes qu’il étudie plus spécialement d’après les ouvrages de M. Cousin.

Partant du même point que Socrate et Descartes : la connaissance de soi-même, l’auteur établit le fait primordial d’où résultent toutes nos connaissances, c’est-à-dire l’affirmation de nous-mêmes faite chaque fois que nous employons les mots : Je ou moi ; l’affirmation du moi est donc la véritable base de la psychologie ; or, il est plusieurs manifestations de ce moi qui se présentent à notre observation sans que l’une ait aucune priorité sur les autres et sans qu’elles s’engendrent réciproquement : Je me sens, – je me sais, – j’ai conscience de mon individualité, – j’ai le désir d’être satisfait. Ces deux derniers faits de conscience sont évidents et clairs par eux-mêmes ; ils constituent le principe d’unité de l’être et celui de notre cause finale ou destinée, à savoir : d’être heureux.

Pour se sentir et pour se savoir, il faut remarquer que l’on a parfaitement conscience de se sentir sans avoir besoin de faire aucun effort ; au contraire, la perception du sentir est un acte qui résulte d’un effort de même ordre que l’attention ; dès que je ne fais plus d’effort, je ne pense plus ni ne fais attention, et je sens alors toutes les choses extérieures qui me font impression, jusqu’au moment où l’une d’elles me frappe assez vivement pour que je l’examine en y portant mon attention ; ainsi je puis penser ou sentir, être impressionné ou percevoir, et juger mon impression quand je le désire.

Il y a là deux ordres psychologiques différents, hétérogènes, dont l’un est passif et se caractérise par la sensibilité et la permanence : c’est le sentir ; et dont l’autre est actif et se distingue par l’effort de l’attention, et par son intermittence : c’est la pensée volontaire.

C’est de cette observation que l’auteur arrive à conclure à l’existence du périsprit par une série de déductions très intéressantes, mais trop longues à rapporter ici.

Pour M. Herrenschneider, le périsprit ou substance de l’âme est une matière simple, incorruptible, inerte, étendue, solide et sensible ; c’est le principe potentiel qui, par sa subtilité, reçoit toutes les impressions, se les assimile, les conserve et se transforme, sous cette action incessante, de manière à renfermer toute notre nature morale, intellectuelle et pratique.

La force de l’âme est d’ordre virtuel, spirituel, actif, volontaire et réfléchi ; c’est le principe de notre activité. Partout où se trouve notre périsprit, se trouve également notre force. Du périsprit ou du trésor acquis de notre nature, dépendent notre sensibilité, nos sensations, nos sentiments, notre mémoire, notre imagination, nos idées, notre bon sens, notre spontanéité, notre nature morale et nos principes d’honneur, ainsi que les rêves, les passions et la folie même.

De notre force dérivent, comme qualités virtuelles, l’attention, la perception, la raison, le souvenir, la fantaisie, l’humeur, la pensée, le jugement, la réflexion, la volonté, la vertu, la conscience et la vigilance, ainsi que le somnambulisme, l’exaltation et la monomanie.

Par suite de ce que ces qualités peuvent se substituer l’une à l’autre sans s’exclure, et aussi parce que les mêmes organes doivent être employés aussi bien par la perception que par la sensation qui s’équivalent, par le sentiment que par la raison, etc., il en résulte que chaque Esprit se sert rarement des deux ordres de ses facultés avec la même facilité. De cette observation, il résulte pour l’auteur que les individus qui fonctionnent plus facilement en vertu des facultés, dites potentielles, auront celles-ci plus développées que les autres et s’en serviront plus volontiers, et réciproquement.

De ce point de vue et d’une observation relative à la plus ou moins grande puissance virtuelle de certaines collections d’individus, généralement groupés sous un même nom de race, l’auteur arrive à conclure qu’il existe des Esprits qu’on peut appeler Esprits français, anglais, italiens, chinois ou nègres, etc.

Malgré les difficultés d’explication qui résulteraient d’un tel ordre d’idée, il faut convenir que les études très soignées faites par M. Herrenschneider sur les différents peuples sont fort remarquables et en tout cas très intéressantes ; mais nous aurions voulu que l’auteur eût indiqué plus nettement sa pensée qui est évidemment la suivante : Les Esprits se groupent en général suivant leurs affinités ; c’est ce qui fait que les Esprits de même ordre et de même degré d’élévation tendent à s’incarner sur un même point du globe, et de là, résulte ce caractère national, phénomène si singulier en apparence. Nous dirons donc qu’il n’y a pas d’Esprits français ou anglais mais qu’il y a des Esprits que leur état, leurs habitudes, leurs traditions poussent à s’incarner les uns en France, les autres en Angleterre, comme on les voit pendant leur vie se grouper d’après leurs sympathies, leur valeur morale et leurs caractères.

Quant au progrès individuel, il dépend toujours de la volonté, et non de la valeur déjà acquise du périsprit qui ne sert, pour ainsi dire, que comme point de départ destiné à permettre une nouvelle élévation de l’Esprit, de nouvelles conquêtes et de nouveaux progrès.

Nous laisserons de côté la partie du livre qui traite de l’ordre social et de la nécessité d’une religion imposée, parce que l’auteur, encore imbu des principes d’autorité qu’il a puisés dans le saint-simonisme, s’écarte trop, en ce point, des principes de tolérance absolue que le Spiritisme se fait gloire de professer. Nous trouvons juste d’enseigner, mais nous aurions peur d’une doctrine imposée et nécessaire, car fût-elle excellente pour la génération actuelle, elle deviendrait forcément une entrave pour les générations suivantes lorsque celles-ci auraient progressé.

M. Herrenschneider ne comprend pas que la morale puisse être indépendante de la religion ; à notre avis, la question est mal posée, et chacun la discute justement au point de vue où il a raison. Les moralistes indépendants sont dans le vrai en disant que la morale est indépendante des dogmes religieux, en ce sens que, sans croire à aucun des dogmes existants, bien des anciens furent moraux, et parmi les modernes il en est beaucoup qui ont le droit de se vanter de l’être. Mais, ce qui est vrai, c’est que la morale, et surtout son application pratique, est toujours dépendante de nos croyances individuelles quelles qu’elles soient ; or, fût-elle des plus philosophiques, une croyance constitue la religion de celui qui la possède.

Cela se démontre aisément par les faits journaliers de l’existence, et les moralistes, qui se disent indépendants, ont eux-mêmes pour croyance : qu’il faut se respecter soi-même et respecter autrui en développant le plus possible, en soi et chez les autres, les éléments du progrès. Leur morale dépendra donc de leur croyance ; leurs actions s’en ressentiront forcément, et cette morale ne sera indépendante que des religions, des croyances et des dogmes auxquels ils n’ont point foi, ce que nous trouvons très juste et très rationnel, mais aussi très élémentaire.

Ce que l’on peut dire, c’est que, dans l’état actuel de notre société, il est des principes de morale qui se trouvent d’accord avec toutes les croyances individuelles, quelles qu’elles soient, parce que les individus ont modifié leurs croyances religieuses sur certains points en vertu des progrès scientifiques et moraux dont nos ancêtres ont fait l’heureuse conquête.

Nous terminerons en disant que l’auteur est, sur bien des points, le disciple de Jean Reynaud. Son livre est le résumé d’études et de pensées sérieuses exprimées clairement et avec force ; il est fait avec un soin qu’il faut louer, et ce soin va même jusqu’à la minutie dans les détails matériels d’impression, ce qui a sa très grande importance pour la clarté d’un livre aussi sérieux.

Malgré le désaccord profond qui nous sépare de M. Herrenschneider, tant au sujet de sa manière de voir pour imposer la religion, que sur ses idées relatives à l’autorité, à la famille qu’il a trop oubliée, ainsi que la prière, à la solidarité bienveillante des Esprits qu’il n’a pas su apprécier, etc., idées que Jean Reynaud lui-même avait déjà désapprouvées, il est impossible de ne pas être frappé du mérite de l’ouvrage et de la valeur de l’homme qui a su trouver de fortes pensées, souvent justes et toujours clairement exprimées.

Le Spiritisme y est carrément affirmé, du moins dans ses principes fondamentaux, et placé en ligne de compte dans les éléments de la science philosophique ; il y a cette différence toutefois, dans le point de départ, que l’auteur arrive au résultat par induction, tandis que le Spiritisme, procédant par voie expérimentale, a fondé sa théorie sur l’observation des faits. C’est un écrivain sérieux de plus qui lui donne droit de cité.


EMILE BARBAULT, ingénieur.


Allan Kardec.



[1] 1 vol. in-12 de 600 pages. Prix : 5 fr. ; par la poste, 5 fr. 75 c. Dentu, Palais-Royal.  †  [La Religion et la politique de la société moderne, précédé de deux lettres de Jean Reynaud, par Frédéric Herrenschneider - Google Books.]


Paris. – Typ. de Rouge frères, Dunon et Fresné, rue du Four-Saint-Germain,  †  43.


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