Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année XI — Février 1868.

(Langue portugaise)

EXTRAIT DES MANUSCRITS D’UN JEUNE MÉDIUM BRETON.

Les Hallucinés, les Inspirés, les Fluidiques et les Somnambules.

1. — Nos lecteurs se rappellent avoir lu, dans le courant de juin 1867, l’analyse du Roman de l’Avenir, que M. Bonnemère avait emprunté aux manuscrits d’un jeune médium breton qui lui avait remis ses travaux.

C’est encore dans ce volumineux recueil de manuscrits que l’auteur a trouvé ces pages écrites à l’heure de l’inspiration, et qu’il vient soumettre à l’appréciation des lecteurs de la Revue spirite. Il va sans dire que nous laissons au médium, ou plutôt à l’Esprit qui l’inspire, la responsabilité des opinions émises, nous réservant de les apprécier plus tard. De même que le Roman de l’Avenir, c’est un curieux spécimen de médiumnité inconsciente.


I.


LES HALLUCINÉS.


Nous avons peu de chose à dire sur l’hallucination, état provoqué par une cause morale qui influe sur le physique, et auquel se montrent plus volontiers accessibles les natures nerveuses, toujours plus promptes à s’impressionner.

Les femmes surtout, par leur organisation intime, sont portées à l’exaltation, et la fièvre se présente plus souvent chez elles, accompagnée de délire qui prend les apparences de la folie momentanée.

L’hallucination, il faut le reconnaître, touche par un petit côté à la folie, ainsi que toutes les surexcitations cérébrales, et tandis que le délire s’exhale surtout en paroles incohérentes, elle représente plus particulièrement l’action, la mise en scène. Mais c’est à tort cependant que parfois on les confond ensemble.

En proie à une sorte de fièvre intérieure qui ne se traduit au dehors par aucune perturbation apparente des organes, l’halluciné vit au milieu du monde imaginaire que crée, pour un moment, son imagination troublée ; tout est en désordre en lui comme autour de lui ; il porte tout à l’extrême : la gaieté parfois, la tristesse presque toujours, et des larmes roulent dans ses yeux pendant que ses lèvres grimacent un sourire maladif.

Ces visions fantastiques existent pour lui ; il les voit, les touche, en est effrayé. Mais cependant il conserve l’exercice de sa volonté ; il cause avec ses interlocuteurs et leur cache l’objet de ses terreurs ou de ses sombres préoccupations.

Nous en avons connu un qui, pendant environ six mois, assistait tous les matins à l’enterrement de son corps, ayant pleinement conscience que son âme survivait. Rien ne paraissait changé dans les habitudes de sa vie, et cependant cette pensée incessante, cette vue même parfois le suivait en tous lieux. Le mot de mort résonnait incessamment à son oreille. Quand le soleil brillait, dissipait la nuit ou perçait le nuage, l’effroyable vision s’évanouissait peu à peu et disparaissait à la fin. Le soir, il s’endormait, triste et désespéré, car il savait quel horrible réveil l’attendait le lendemain.

Parfois, lorsque l’excès de la souffrance physique imposait silence à sa volonté et lui enlevait cette puissance de dissimulation qu’il conservait d’ordinaire, il s’écriait tout à coup : — Ah ! les voilà !… je les vois !… Et alors il décrivait à son entourage le plus intime les détails de la lugubre cérémonie, il racontait les scènes sinistres qui se déroulaient sous ses regards, où des rondes de personnages fantastiques défilaient devant lui.

L’halluciné vous dira les folles perceptions de son cerveau malade, mais il n’a rien à vous répéter de ce que d’autres viendraient lui révéler ; car, pour être inspiré, il faut que la paix et l’harmonie règnent dans votre âme, et que vous soyez dégagé de toute pensée matérielle ou mesquine ; quelquefois la disposition maladive provoque l’inspiration, c’est alors comme un secours que les amis partis les premiers viennent vous apporter pour vous soulager.

Ce fou, qui hier jouissait de la plénitude de sa raison, ne présente pas de désordres extérieurs perceptibles à l’œil de l’observateur ; ils sont nombreux cependant, ils existent et sont réels. Le mal est souvent dans l’âme, jetée hors d’elle-même par l’excès du travail, de la joie, de la douleur ; l’homme physique n’est plus en équilibre avec l’homme moral ; le choc moral a été plus violent que n’en peut supporter le physique : de là cataclysme.

L’halluciné subit également les conséquences d’une perturbation grave dans son organisme nerveux. Mais, — ce qui rarement a lieu dans la folie, — chez lui ces désordres sont intermittents et d’autant plus facilement curables, que sa vie est double en quelque sorte, qu’il pense avec la vie réelle et rêve avec la vie fantastique.

Cette dernière est souvent l’éveil de son âme malade, et si on l’écoute avec intelligence, on arrive à découvrir la cause du mal, que souvent il veut cacher. Parmi le flux de paroles incohérentes que lance au dehors une personne en délire, et qui semblent ne se rapporter en rien aux causes probables de sa maladie, il s’en trouvera une qui reviendra sans cesse et comme malgré elle, qu’elle voudrait retenir, et qui échappe cependant. Celle-là est la cause véritable et qu’il faut combattre.

Mais le travail est long et difficile, car l’halluciné est un habile comédien, et, s’il s’aperçoit qu’on l’observe, son esprit se jette dans d’étranges écarts et prend les apparences de la folie pour échapper à cette pression importune que vous paraissez décidé à exercer sur lui. Il faut donc l’étudier avec un tact extrême, sans le contredire jamais, ou essayer de rectifier les erreurs de son cerveau en délire.

Ce sont là diverses phases d’excitations cérébrales, ou plutôt d’excitations de l’être tout entier, car il ne faut pas localiser le siège de l’intelligence. L’âme humaine, qui la donne, plane partout ; c’est le souffle d’en haut qui fait vibrer et agir la machine tout entière.

L’halluciné peut, de bonne foi, se croire inspiré, et prophétiser, soit qu’il ait conscience de ce qu’il dit, soit que ceux qui l’entourent puissent seuls, à son insu, recueillir ses paroles. Mais ajouter foi aux indications d’un halluciné serait se préparer d’étranges déceptions, et c’est ainsi que trop souvent on a porté au passif de l’inspiration les erreurs qui n’étaient que le fait de l’hallucination.

Le physique est chose matérielle, sensible, exposée au grand jour, que chacun peut voir, admirer, critiquer, soigner ou tenter de redresser. Mais qui peut connaître l’homme moral ? Quand nous nous ignorons nous-mêmes, comment les autres nous jugeraient-ils ? Si nous leur livrons quelques-unes de nos pensées, il en est bien plus encore que nous celons à leurs regards et que nous voudrions nous cacher à nous-mêmes.

Cette dissimulation est presque un crime social. Créés pour le progrès, notre âme, notre cœur, notre intelligence sont faits pour s’épandre sur tous les frères de la grande famille, pour leur prodiguer tout ce qui est en nous, comme pour s’enrichir en même temps de tout ce qu’ils peuvent nous communiquer.

L’expansion réciproque est donc la grande loi humanitaire, et la concentration, c’est-à-dire la dissimulation de nos actions, de nos pensées, de nos aspirations est une sorte de vol que nous commettons au préjudice de tout le monde. Quel progrès se fera, si nous gardons en nous tout ce que la nature et l’éducation y ont mis, et si chacun agit de même à notre égard ?

Exilés volontaires, et nous tenant en dehors du commerce de nos frères, nous nous concentrons dans une idée fixe ; l’imagination obsédée cherche à s’y soustraire en poursuivant toutes sortes de pensées sans suite, et l’on peut arriver ainsi jusqu’à la folie, juste châtiment qui nous est infligé pour n’avoir pas voulu marcher dans nos voies naturelles.

Vivons donc dans les autres, et eux dans nous, afin que tous nous ne fassions qu’un. Les grandes joies, comme les grandes douleurs, nous brisent lorsqu’elles ne sont pas confiées à un ami. Toute solitude est mauvaise et condamnée, et toute chose contraire au vœu de la nature amène à sa suite d’inévitables, d’immenses désordres intérieurs.


II.


LES INSPIRÉS.


L’inspiration est plus rare que l’hallucination, parce qu’elle ne tient pas seulement à l’état physique, mais encore et surtout à la situation morale de l’individu prédisposé à la recevoir.

Tout homme ne dispose que d’une certaine part d’intelligence qu’il lui est donné de développer par son travail. Arrivé ou point culminant où il lui est accordé d’atteindre, il s’arrête un moment, puis il retourne à l’état primitif, à l’état d’enfant, moins cette intelligence même qui, chez l’un grandit chaque jour, et chez le vieillard s’amoindrit, s’éteint et disparaît.

Alors, ayant tout donné, et ne pouvant plus rien ajouter au bagage de son siècle, il part, mais pour aller continuer ailleurs son œuvre interrompue ici-bas ; il part, mais en laissant la place rajeunie à un autre qui, arrivant à l’âge viril, aura la puissance d’accomplir à son tour une mission plus grande et plus utile.

Ce que nous appelons la mort n’est que le dévouement au progrès et à l’humanité. Mais rien ne meurt, tout survit et se retrouve par la transmission de la pensée des êtres partis les premiers qui tiennent encore, par la partie la plus éthérée d’eux-mêmes, à la patrie quittée, mais non oubliée, qu’ils aiment toujours, puisqu’elle est habitée par les continuateurs de leur vie, par les héritiers de leurs idées, auxquels ils se plaisent à insuffler par moments celles qu’ils n’ont pas eu le temps de semer autour d’eux, ou qu’ils n’ont pu voir progresser au gré de leurs espérances.

N’ayant plus d’organes au service de leur intelligence, ils viennent demander aux hommes de bonne volonté qu’ils apprécient, de leur céder pour un moment la place. Sublimes bienfaiteurs cachés, ils imprègnent leurs frères de la quintessence de leur pensée, afin que leur œuvre ébauchée se poursuive et s’achève en passant par le cerveau de ceux qui peuvent lui faire faire son chemin dans le monde.

Entre les amis disparus et nous, l’amour se continue, et l’amour, c’est la vie. Ils nous parlent avec la voix de notre conscience mise en éveil.

Purifiés et meilleurs, ils ne nous apportent que des choses pures, dégagés qu’ils sont de toute partie matérielle comme de toutes les mesquineries de notre pauvre existence. Ils nous inspirent dans le sentiment qu’ils avaient dans ce monde, mais dans ce sentiment dégagé de tout alliage.

Il leur reste encore une part d’eux-mêmes à donner : ils nous l’apportent, en nous laissant croire que nous l’avons obtenue par notre seul labeur personnel. De là viennent ces révélations inattendues qui déroutent la science. L’esprit de Dieu souffle où il veut… Des inconnus font les grandes découvertes, et le monde officiel des académies est là pour les entraver au passage.

Nous ne prétendons pas dire que pour être inspiré, il soit indispensable de se maintenir incessamment dans les voies étroites du bien et de la vertu ; mais cependant ce sont d’ordinaire des êtres moraux auxquels on vient, souvent comme compensation des maux dont ils souffrent par le fait des autres, accorder des manifestations qui leur permettent de se venger à leur manière, en apportant le tribut de quelques bienfaits à l’humanité qui les méconnaît, les raille et les calomnie.

On rencontre autant de catégories d’inspirations, et d’inspirés par suite, qu’il existe de facultés dans le cerveau humain pour s’assimiler des connaissances différentes.

La lutte effraie les Esprits épurés partis pour des mondes plus avancés, et ils désirent qu’on les écoute avec docilité. Aussi les inspirés sont-ils généralement des êtres purs, naïfs et simples, sérieux et réfléchis, pétris d’abnégation et de dévouement, sans personnalité accusée, aux impressions profondes et durables, accessibles aux influences extérieures, sans parti pris sur les choses qu’ils ignorent, assez intelligents pour s’assimiler les pensées d’autrui, mais pas assez forts moralement pour les discuter.

Si l’inspiré tient à ses propres convictions, il prend, de bonne foi, leur écho pour l’avertissement des voix qui parlent en lui, et, de bonne foi aussi, il trompe au lieu d’éclairer. La bonté préside à ces révélations, qui n’ont jamais lieu que dans un but utile et moral à la fois.

Quand une de ces organisations sympathiques est souffrante par suite d’une déception cruelle ou d’un mal physique, un ami s’intéresse à elle et vient, en donnant un autre aliment à sa pensée, lui apporter du soulagement pour elle-même, mais surtout pour ceux qui lui sont chers.

Il n’est pas rare que l’inspiré ait commencé par être un halluciné. C’est comme un noviciat, une préparation de son cerveau à concentrer son esprit et à pouvoir accepter la chose qu’on lui dira.

Parce qu’un inspiré ne peut rien formuler de concluant à un certain moment, ce n’est pas à dire pour cela qu’il ne le pourra pas faire dans d’autres. Les manifestations demeurent libres, spontanées ; elles viennent quand il en est besoin. Aussi les inspirés, même les meilleurs, ne le sontils pas à jour et à heure fixes, et les séances annoncées à l’avance préparent souvent d’inévitables déceptions.

A faire de trop fréquentes évocations, on court risque de n’aboutir qu’à un état de surexcitation plus voisin de l’hallucination que de l’inspiration.

Alors ce ne sont plus que les jeux de notre imagination en délire, au lieu de ces lumières d’un autre monde destinées à éclairer les pas de l’humanité dans sa route providentielle.

Ceci explique ces erreurs dont l’incrédulité se fait une arme pour nier d’une manière absolue l’intervention des Esprits supérieurs.

Les inspirés le sont par tous ceux qui, partis avant l’heure, ont quelque chose à nous apprendre.

Il peut arriver que la femme la plus simple, la moins instruite, ait des révélations médicales. Nous en avons vu une qui, sans savoir même ni lire ni écrire, trouvait en elle différents noms de plantes qui pouvaient guérir. La crédulité populaire l’avait presque forcée d’exploiter cette faculté. Aussi n’était-elle toujours également bien éclairée, encore qu’en tâtant le pouls de la personne malade, elle se mît en rapport avec elle : car elle était aussi de ces fluidiques dont nous parlerons tout à l’heure. Bien que faible et délicate, elle pouvait, par son contact, redonner l’équilibre à celui qui en manquait et remettre en circulation les principes vitaux arrêtés. Sans s’en rendre compte, elle faisait souvent, par ce simple attouchement, sur certaines personnes dont le fluide était identique avec le sien, plus de bien que par les remèdes qu’elle prescrivait, quelquefois par habitude seulement, et avec des variantes insignifiantes, quel que fût le mal pour lequel on la consultait.

La Providence a placé auprès de chaque homme un remède pour chaque maladie. Seulement il existe autant de natures différentes que d’individus. Les remèdes agissent différemment aussi sur chaque organisme, lequel influe sur les caractères du mal ; et c’est ce qui fait qu’il est presque impossible au médecin de prescrire le remède efficace.

Il connaît ses effets généraux, mais il ignore absolument dans quel sens il agira sur tel sujet qu’on lui présente.

C’est ici qu’éclate la supériorité des fluidiques et des somnambules, puisque, lorsqu’ils se trouvent dans certaines conditions de sympathie avec ceux qui viennent les consulter, les êtres supérieurs les guident avec une infaillibilité presque certaine.

Souvent cette inspiration est inconsciente d’elle-même ; souvent un docteur, mais seulement auprès de certains malades, trouve subitement le remède qui peut les guérir. Ce n’est pas la science qui l’a guidé, c’est l’inspiration. La science mettait à sa disposition plusieurs modes de traitement, mais une voix intérieure lui criait un nom ; il a été forcé de le dire, et ce nom était celui du remède qui devait agir, à l’exclusion de tout autre.

Ce que nous disons de la médecine existe au même titre dans toutes les autres branches du travail humain. A certaines heures, le feu de l’inspiration nous dévore, il faut céder ; et si nous prétendons concentrer en nous-mêmes ce qui doit en sortir, une véritable souffrance devient le châtiment de notre révolte.

Tous ceux à qui Dieu a accordé le don sublime de création, les poètes, les savants, les artistes, les inventeurs, ont tous de ces illuminations inattendues, parfois dans un ordre de faits bien différent de leurs études ordinaires, si l’on a prétendu violenter leur vocation. Mais les Esprits savent ce que nous devons et pouvons faire, et ils viennent réveiller incessamment en nous nos attractions étouffées.

On sait comment Molière expliquait ces inégalités qui déparent les plus belles pièces de Corneille : « Ce diable d’homme, disait-il, a un génie familier qui vient par moments lui souffler à l’oreille des choses sublimes ; puis tout à coup il le plante là, en lui disant : « Tire-toi de là comme tu pourras ! » Et alors il ne fait plus rien qui vaille. » Molière était dans le vrai. Le fier génie de Corneille n’avait pas la docile passivité nécessaire pour subir toujours l’inspiration d’en haut. Les Esprits l’abandonnaient, et alors il s’endormait, comme Homère lui-même le faisait quelquefois.

Il en est, — Socrate et Jeanne d’Arc étaient de ceux-là, — qui entendent des voix intérieures qui parlent en eux. D’autres n’entendent rien, mais sont contraints d’obéir à une force victorieuse qui les domine.

D’autres fois, un nom vient frapper l’oreille de l’inspiré : c’est celui d’un ami, d’un individu qu’il ne connaît pas même, dont il a à peine entendu parler. La personnalité de cet ami inconnu le pénètre, s’infuse en lui ; des pensées étranges viennent se substituer peu à peu aux siennes. Il a pour un moment l’esprit de celui-là ; il obéit, il écrit, à son insu, malgré lui, s’il le faut, des choses qu’il ne sait pas. Et comme si cette obéissance passive à laquelle il est condamné lui était amère à supporter dans l’état éveillé, il fuit ces choses écrites sous une inspiration oppressive, et ne veut pas les lire.

Ces pensées peuvent être en désaccord formel avec ses croyances, avec ses sentiments, ou plutôt avec ceux que l’éducation lui a imposés, car, pour que certains Esprits viennent à lui, il faut qu’il existe quelques rapports entre eux. Ils lui donnent la pensée en lui laissant le soin de trouver la forme ; il faut donc qu’ils sachent que son intelligence peut les comprendre, et s’assimiler momentanément leurs idées pour les traduire.

C’est qu’il est rare que les circonstances nous aient permis de nous développer dans le sens de nos aptitudes natives. Les Esprits plus avancés savent quelle corde il faut toucher pour qu’elle entre en vibration. Elle était demeurée muette, parce que l’on avait attaqué les autres en négligeant celle-là. Ils lui rendent pour un moment la vie. C’est un germe longtemps étouffé qu’ils fécondent. Puis l’inspiré, revenu à son état habituel, ne se souvient plus, car il vit d’une existence double, dont chacune est absolument indépendante de l’autre.

Il arrive cependant aussi qu’il conserve une plus grande facilité de compréhension, et conquiert un plus grand développement intellectuel.

C’est la récompense de l’effort qu’il a fait pour donner une forme saisissable aux pensées que d’autres sont venus lui révéler.

Ne croyons pas que tout inspiré puisse tout connaître. Chacun, suivant ses prédispositions naturelles, mais restées souvent inconnues à lui-même comme aux autres, est inspiré pour telle ou telle chose, mais ne l’est pas également pour toutes. Il existe en effet des natures tellement antipathiques à certaines connaissances, que les Esprits ne viendront jamais frapper à une porte qu’ils savent ne pas pouvoir s’ouvrir.

L’avenir n’est connu des inspirés que dans une certaine mesure. Aussi n’est-il pas vrai de dire qu’un inspiré a prédit dans quel monde telle personne ira après sa mort, et quel jugement Dieu prononcera sur elle.

Ceci est un jouet de l’imagination hallucinée. L’homme, si haut qu’il soit monté dans l’échelle des mondes, ne connaît pas quelle sera la destinée de son frère. C’est la part réservée à Dieu : jamais la créature ne pourra empiéter sur ses droits.

Oui, il y a des manifestations, mais elles ne sont pas continuelles, et notre impatience à leur égard est souvent coupable.

Oui, tout se tient, et rien n’est rompu dans l’immense univers. Oui, il existe entre cette existence et les autres un lien sympathique et indissoluble qui relie et unit les uns aux autres tous les membres de la famille humaine, et qui permet aux meilleurs de venir nous donner la connaissance de ce que nous ne savons pas. C’est par ce labeur que s’accomplit le progrès. Qu’il s’appelle travail de l’intelligence ou inspiration, c’est la même chose. L’inspiration, c’est le progrès supérieur, c’est le fond : le travail personnel y met la forme, en y ajoutant encore la quintessence des connaissances antérieurement acquises.

Pas une seule invention ne nous appartient en propre, car d’autres ont jeté avant nous la semence que nous récoltons. Nous appliquons à l’œuvre que nous voulons poursuivre les forces et le travail de la nature qui est à tous, et sans l’aide de laquelle rien ne se fait, puis les forces et le travail accumulés par les autres qui nous ont préparé les moyens de réussir.

A bien dire, tout est œuvre commune et collective, pour confirmer encore ce grand principe de solidarité et d’association qui est la base des sociétés et la loi de la création tout entière.

Le travail de l’homme ne sera jamais rendu inutile par l’inspiration.

L’Esprit qui vient nous l’apporter respectera toujours cette partie réservée à l’individu ; il la respectera comme une noble et sainte chose, puisque le travail met l’homme en possession des facultés que Dieu a déposées en germe dans son âme, afin que le but de sa vie fût de les féconder. C’est par leur développement qu’il a appris à se bien connaître, et qu’il a mérité de se rapprocher de lui.

L’inspiration vient indifféremment le jour, la nuit, dans la veille ou pendant le sommeil. Seulement elle exige le recueillement. Il lui faut rencontrer des natures qui puissent s’abstraire de toute préoccupation du monde réel, pour donner la place libre et vacante à l’être qui viendra l’envelopper tout entier et lui infuser ses pensées.

Aux heures de l’inspiration, l’homme devient beaucoup plus accessible à tous les bruits extérieurs, et tout ce qui vient du monde réel le trouble.

Il n’est plus dans ce monde, il est dans un milieu transitoire entre celui-ci et l’autre, puisqu’il est en quelque sorte imbibé de la personne morale et intellectuelle d’un être monté dans une autre sphère, et que cependant son corps tient à celle-ci.

Bien qu’elle s’adresse à tous, l’inspiration descendra plus généralement sur les natures maladives ou usées par une succession de souffrances, matérielles ou morales. Puisqu’elle est un bienfait, n’est-il pas juste que ceux qui souffrent soient plus facilement aptes à la recevoir ?

L’hallucination est un état maladif que le magnétisme peut modifier d’une façon salutaire. L’inspiration est une assimilation morale qu’il faut se garder de provoquer par des passes magnétiques. L’halluciné se livre volontiers à des emportements, à des contorsions ridicules. L’inspiré est calme.

Les inspirés sont mélancoliques. Ils ont besoin d’être réfléchis ; pour être gai, il faut ne pas beaucoup réfléchir ; il faut jouir, dans sa santé, d’un équilibre que les inspirés ne possèdent pas toujours. Mais n’allons pas croire qu’ils soient difficiles et fantasques. Ils se montrent au contraire doux et faciles avec ceux qu’ils aiment.

Il y a des inspirés de plusieurs degrés. Les uns viennent vous dire des choses palpables, des faits de seconde vue, pour que l’on puisse constater la réalité de l’initiation. Les autres, plus clairvoyants et peu soucieux des procédés matériels dont ils ne sont pas appelés à divulguer les secrets, répètent, comme elles leur viennent, les pensées apportées par des Esprits de progrès. Les premiers guérissent le corps, les seconds sont les médecins de l’âme.

La mission des plus modestes se borne à révéler comment ces choses leur viennent. C’est un fait constaté que des puissances avancées de bien des degrés sur nous viennent nous dominer et nous inspirer. A quoi bon le répéter ? Croira qui voudra. Mais les constatations étant bien établies, il ne faut prendre des inspirés que le côté utile et sérieux. Peu importe, si les idées sont bonnes, de quelles sources elles viennent.

EUG. BONNEMÈRE.


[Revue juin 1869.]

2. EXTRAIT DES MANUSCRITS D’UN JEUNE MÉDIUM BRETON.

(Deuxième article, voir la Revue de février 1868.)

Nos lecteurs se rappellent, sans doute, avoir lu dans le numéro de la Revue de février 1868, la première partie de cette étude intéressante à plus d’un point de vue. Nous en publions aujourd’hui la suite, laissant à l’Esprit qui l’a inspirée, toute la responsabilité de ses opinions, et nous réservant de les analyser un peu plus tard.

Nous livrons ces documents à l’examen de tous les spirites sérieux, et nous serons reconnaissants à ceux qui voudront bien nous trans- mettre leur appréciation, ou les instructions dont ils pourront être l’objet de la part des Esprits. La Revue spirite est, avant tout, un journal d’étude, et, à ce titre, elle s’empresse d’accueillir tous les éléments de nature à éclairer la marche de nos travaux, laissant au contrôle universel, appuyé sur les connaissances acquises, le soin de juger en dernier ressort.


III.


LES FLUIDIQUES.


On appelle Fluide ce rien et ce tout inanalysable, au moyen duquel le monde spirituel se met en communication avec le monde matériel, et qui maintient notre physique en harmonie, soit avec lui-même, soit avec ce qui est en dehors de lui.

Bien qu’il nous enveloppe et qu’il nous entoure, et que nous vivions en lui et par lui, c’est dans l’âme qu’il se réunit et se condense. Il est non seulement cette portion de notre âme qui nous met en action, nous dirige et nous guide, mais encore il est, pour ainsi dire, l’âme générale qui plane sur nous tous ; c’est le lien mystérieux et indispensable qui établit l’unité en nous-mêmes et en dehors de nous ; et s’il vient à se briser momentanément, c’est alors que se manifeste cette modification immense que nous appelons la mort.

Le fluide, c’est donc la vie elle-même : C’est le mouvement, l’énergie, le courage, le progrès ; c’est le bien et le mal. C’est cette force qui semble animer à son tour du souffle de sa volonté, soit la charrue bienfaisante qui fertilise la terre et fait de nous les nourriciers du genre humain, soit le fusil maudit qui la dépeuple et nous transforme en meurtriers de nos frères.

Le fluide facilite entre l’Esprit de l’inspirateur et celui de l’inspiré, des rapports qui, sans lui, seraient impossibles.

Les hallucinés sont nerveux, mais non pas fluidiques, en ce sens que rien ne se dégage d’eux. C’est ce défaut de dégagement, cet excès ou ce manque de fluide, cette rupture violente d’équilibre en eux qui les exalte jusqu’à la folie, jusqu’au délire, ou tout au moins jusqu’à la divagation momentanée, et fait défiler devant eux des fantômes imaginaires, ou qui se rattachent plus ou moins à la pensée dominante, qui, en excitant les fibres cérébrales, a fait entrer en révolte la quintessence du fluide circulant, trop plein de cette notion impressionnable qui tend incessamment à s’en dégager.

Qu’un fou, qu’un halluciné meure ; que l’on fasse l’autopsie de  son cadavre, et tout paraîtra sain dans sa nature physique ; on ne découvrira rien de particulier dans son cerveau. On pourra cependant observer le plus ordinairement, une légère lésion au cœur, la partie morale atteinte exerçant une puissante influence matérielle sur cet organe.

Eh bien ! ces désordres que le scalpel ne met pas à nu, que le doigt ne touche pas, que l’œil ne voit pas, ils existent dans le fluide, que la science, toujours trop matérialiste, nie pour n’avoir pas à l’étudier.

La vapeur n’avait pas besoin pour être une force, que Salomon de Caus ou Papin en devinassent l’emploi, pas plus que l’électricité n’avait attendu pour exister, que Galvani vînt lui faire accorder ses droits de cité au milieu des savants officiels. Le fluide ne se montre pas plus révérencieux à l’endroit de leurs doctes arrêts. L’électricité et la vapeur qui ne sont que d’hier, ont déjà révolutionné le monde matériel. Le Spiritisme, en affirmant la réalité du fluide, modifiera bien plus profondément encore le monde intellectuel et moral.

Non seulement le fluide existe, mais il est double, il se présente sous deux aspects divers, ou du moins, ses manifestations sont de deux ordres très différents.

Il y a le fluide latent, que chacun possède, et qui, à notre insu, met en mouvement toute la machine. Celui-là demeure en nous, sans que nous en ayons conscience parce que nous ne le sentons pas, et les natures lymphatiques vivent sans se douter qu’il existe.

Puis, il y a les fluides circulants qui sont en action perpétuelle et en ébullition constante dans les organisations nerveuses et impressionnables. Lorsqu’ils ne servent qu’à nous donner une activité extrême, nous les laissons agir au hasard, et ils n’excitent notre préoccupation que quand, faute d’équilibre, ou par une cause quelconque, leur action se traduit par des attaques de nerfs ou d’autres désordres apparents dont il importe de rechercher la cause.

Il arrive assez fréquemment que lorsque la crise nerveuse est calmée et après l’accablement qui la suit, un fluide se dégage de certains sensitifs, qui leur permet d’exercer une action curative sur d’autres êtres plus faibles et atteints d’un mal contraire au leur. Un simple attouchement sur la partie souffrante, suffit pour les soulager. C’est une sorte de magnétisme circulant, momentané, inconscient, car l’action fluidique se produit immédiatement ou ne se produit pas du tout.

Lorsque les inspirés sont fluidiques de naissance, ils jouissent au  plus haut degré de cette précieuse faculté curative. Mais c’est une rare exception.

Ordinairement l’état fluidique se développe à l’heure de la puberté, dans ce moment transitoire où l’on n’est pas fort encore, mais où l’on va le devenir pour supporter la lutte de la vie.

On a vu certains êtres devenir fluidiques pendant quelques années, quelques mois même, et cesser de l’être après que tout avait repris en eux sa situation normale et régulière.

Quelquefois même, et notamment chez les femmes, cet état se manifeste à l’heure critique où la faiblesse commence à se faire sentir.

Il arrive parfois que des enfants en sont doués dans un âge encore très tendre. Un secret instinct nous rapproche d’eux. On dirait qu’une auréole de pureté rayonne autour de ces blondes têtes de chérubins. Encore si près de Dieu, ils sont sains de corps, de cœur et d’âme ; la santé se dégage d’eux, et leur vue, leur présence, leur contact rassérènent notre être tout entier.

Vous vous sentez bien de leur baiser, vous êtes heureux de les bercer dans vos bras. Il y a chez eux quelque chose de plus que le charme qui s’attache aux douces caresses de l’enfant, il y a un dégagement qui calme vos agitations, vous rajeunit et rétablit en vous l’harmonie un moment compromise. Vous vous sentez attiré vers celui-ci et non vers celui-là. Vous ne savez pas pourquoi, et c’est parce que le premier vous procure un bien-être que vous ne ressentiriez pas auprès de tout autre.

Qui de nous n’a pas cherché, souvent pendant bien longtemps et sans le trouver, hélas ! l’être qui doit nous soulager ! Il existe cependant, ainsi que le remède qui peut nous guérir.

Cherchons sans nous décourager, et nous découvrirons. Frappons et l’on nous ouvrira. Si infirmes que nous soyons, il y a cependant quelque part une âme qui répondra à notre âme. Faibles, elle relèvera notre défaillance ; forts, elle adoucira nos aspérités. Nous nous compléterons avec elle, et tous les deux elles s’attendent pour se faire du bien.

Les natures fortement trempées exercent une action magnétique sur les caractères plus faibles. Pour magnétiser fructueusement, il faut un grand effort de volonté concentrée, par conséquent un dégagement de nous-même, et ce dégagement ne peut avoir une action curative qu’autant qu’il ajoute une force puissante à la fai- blesse que nous combattons et qui fait souffrir celui qu’on magnétise.

Les magnétiseurs ne peuvent que rarement être magnétisés par d’autres. Il semble que cet effort de volonté qu’il faut réaliser, creuse une sorte de réservoir dans lequel s’accumule le fluide à l’état latent, qui déverse son trop-plein sur les autres ; mais il ne reste plus de place pour pouvoir rien recevoir d’eux.

L’intuition est le rayonnement du fluide qui, se dégageant de celui sur lequel nous voulons agir, vient éveiller le nôtre et le fait se déverser sur l’être que nous voulons soulager. De ce choc de deux agents contraires, une étincelle jaillit ; elle éclaire notre Esprit et nous montre ce qu’il convient de faire pour atteindre ce but. C’est la charité mise en action. Ce fluide agissant, toujours prêt à s’éveiller au premier appel de la souffrance, se rencontre surtout chez les âmes sensibles et tendres plus préoccupées du bien des autres que du leur propre.

Il existe certains médecins chez lesquels ce dégagement fluidique s’opère sans même qu’ils s’en rendent compte, et qui ont reçu de Dieu le don de guérir plus sûrement ceux qui souffrent.

Puis enfin il y a les natures vraiment fluidiques dont le trop-plein exige un dégagement continuel sous peine de réagir contre eux. L’action qu’ils exercent sur ceux qui leur sont sympathiques est toujours salutaire, mais elle peut devenir funeste à ceux qui leur sont antipathiques.

C’est parmi ceux-là que se rencontrent les sensitifs qui, dans l’obscurité, perçoivent les lueurs odiques qui se dégagent de certains corps, tandis que les autres n’aperçoivent rien.

Les fluidiques et les sensitifs sont les plus sujets à ces sentiments instinctifs de sympathie ou d’antipathie, en présence de ceux dont le contact ou la vue seulement leur fait éprouver du bien ou du mal.

Certains enfants exercent une pression physique ou morale sur leurs frères ou sur leurs camarades. C’est le fluide de dégagement qui va vers ces derniers et les domine.

Chacun de nous exerce sur autrui un pouvoir attractif ou répulsif, mais à des degrés différents, car la nature est multiple et infinie dans ses combinaisons.

Qui n’a senti l’effet d’une simple poignée de main pour remettre l’être en équilibre ou pour détruire en soi cet équilibre ; pour nous unir à la personne qui nous la donne, ou pour nous repousser loin  d’elle ; pour nous faire ressentir une sensation de bien-être ou de souffrance ?

Qui n’a senti le froid ou la chaleur d’un baiser ?

Qui n’a senti ce frémissement intérieur qui ébranle tout notre être au moment où nous sommes mis en rapport avec un autre, et qui nous fait dire : C’est un ami !… ou bien un ennemi ?

Les personnes dont les mains sont froides et moites sont de complexion faible ; d’une sensibilité peu développée, elles ne donnent pas de fluide et elles ont besoin qu’on leur en prodigue.

Les inspirés jouissent habituellement du privilège de pouvoir secourir, par un fluide qui se dégage d’eux, ceux qui en ont besoin.

Mais rarement ils jouissent d’une bonne santé, rarement l’équilibre et l’harmonie règnent dans leur personne.

Ils ont trop ou pas assez de fluide, et ce n’est guère que dans le moment de l’inspiration qu’ils se trouvent en complète harmonie.

Mais alors ils n’en ressentent pas les bienfaits, puisqu’une autre individualité est unie à la leur et qu’elle les abandonne momentanément, après qu’ils ont donné ce qu’ils avaient en réserve.

Les guérisseurs de la campagne, les sorciers, ceux qui font disparaître les entorses, sont généralement des fluidiques. Leur puissance est réelle ; ils l’exercent sans savoir comment. Mais on se tromperait à croire qu’ils puissent agir également sur tout le monde. Il faut que le fluide qui se dégage d’eux soit en harmonie avec celui de la personne qui doit l’absorber, autrement l’effet contraire se produit. De là vient le mal très réel que l’on ressent parfois après une visite chez l’un de ces prétendus sorciers.

Il n’y a ni remèdes ni fluides dont l’action soit universelle. Toute action est modifiée par la nature de celui qui la reçoit. Il faut que l’étincelle frappe juste, sinon il y a choc et aggravation dans le mal que l’on prétend soulager.

Le magnétisme subit la même loi et ne peut pas davantage être efficace dans tous les cas.

Les sensitifs et les fluidiques sont les plus généreuses natures, celles qui sentent le mieux tous ces mille riens qui composent l’être humain dans sa partie morale, physique et intellectuelle. Mais ce sont aussi les plus malheureuses, parce qu’elles donnent plus aux autres que ceux-ci ne leur rendent.

Les plus fluidiques ont généralement un grand dégoût de leur personnalité. Elles pensent aux autres, jamais à elles-mêmes. Cela tient peut-être aussi à une sorte d’intuition secrète ; elles sentent que  sans ce dégagement de leur trop-plein qu’elles déversent sur autrui, elles ne pourraient pas avoir de repos.

Plaignons les fluidiques et les sensitifs. La vie a pour eux plus de douleurs que de joies ; elle n’est qu’une continuelle souffrance.

Mais admirons-les en même temps, car ils sont bons, généreux et doués de la charité humanitaire. Une force se dégage d’eux pour le soulagement de leurs frères et c’est pour être plus complètement tout à tous, qu’ils sont si peu à eux-mêmes.

Et peut-être leur avancement sera-t-il plus rapide et plus grand dans un autre monde, parce qu’ils ont passé dans celui-ci en ne s’appliquant qu’à faire du bien aux autres.

Parfois, après un trop grand dégagement, le fluidique souffre et arrive à un extrême degré de faiblesse, jusqu’au moment où, de nouveau, il rentre en possession de sa force. Quand une personne souffre, il ne calcule pas et va vers elle. Le cœur l’y entraîne victorieusement, advienne que pourra ! Ce n’est plus un homme que de froides convenances retiennent ; c’est une âme qui s’éveille au premier cri de la souffrance, et qui ne se souvient plus après que le soulagement est arrivé !


IV.


LES SOMNAMBULES.

[Début.]

Le somnambulisme, que l’on peut diviser en trois catégories, ne se rapporte directement ni à l’une ni à l’autre des trois phases que nous venons de décrire.

1º Le somnambule naturel sera bien rarement un bon magnétiseur. Il peut n’être accessible ni à l’inspiration ni au fluide forcé et concentré sur un seul point par la volonté de celui-ci. D’autres fois, son état annonce une prédisposition favorable à recevoir une impulsion.

Le somnambulisme naturel est le rêve mis en action. La pensée suit son cours pendant le sommeil des organes. C’est encore là ce qui prouve que quelque chose vit en nous, en dehors de la matière, que nous pensons et que nous vivons pendant le sommeil, de la vie active de l’Esprit, bien que nous ayons pour un temps toutes les apparences de l’anéantissement.

La vie active se continue donc chez le somnambule ; seulement elle change de forme et prend celle d’un rêve. L’esprit agite la matière, puisque les organes physiques sont remis en action par une force énergique dont au réveil l’individu a perdu jusqu’au souvenir.

 L’inspiré véritable étant imprégné d’une force puissante et inconnue, a quelque chose du somnambule naturel en ce sens qu’il obéit à une impulsion qui lui est étrangère, et qu’il cesse de la ressentir aussitôt qu’il est rentré dans son état naturel.

Le somnambule agit sous la simple inspiration qui émane de lui ; il est concentré sur un seul objet, c’est pourquoi dans tous les actes qu’il accomplit alors, il paraît bien supérieur à lui-même. Si on l’éveille, il se trouble, il s’écrie comme au milieu d’un cauchemar et cette brusque transition n’est pas sans danger pour lui.

Cet état bizarre n’attaque ni ne fatigue les organes. Ces êtres se portent très bien, parce que, tandis qu’ils agissent, l’être physique dort, se repose pendant que l’imagination seule travaille.

2º Chez l’inspiré, on peut dire qu’il y a toujours une grande somme de repos physique. Empreint d’une autre individualité, son corps ne participe pas à l’action qu’il accomplit, et son Esprit même sommeille d’une certaine façon, puisqu’on vient le forcer à s’assimiler les pensées d’un autre dont il perd ensuite jusqu’à la plus légère trace, à mesure qu’il s’éveille à la vie ordinaire.

Chez les natures dociles (et tous les somnambules ne le sont pas), ce travail de concentration, d’emparement de l’être, se fait sans lutte, c’est pourquoi ces pensées leur sont plus particulièrement données, précisément parce qu’elles n’interrompent pas le repos chez ceux à qui on les apporte.

On confond parfois les somnambules avec les inspirés, parce qu’il y a ressemblance dans les résultats.

Les uns et les autres prescrivent des remèdes. Mais l’inspiré seul est un révélateur ; c’est en lui-même que le progrès réside, puisque seul il est l’écho, l’instrument passif d’un Esprit autre que le sien, et plus avancé.

Le magnétisme réveille chez le somnambule, surexcite et développe l’instinct que la nature a donné à tous les êtres pour leur guérison, et que la civilisation incomplète au milieu de laquelle nous nous débattons, a étouffé en nous pour le remplacer par les fausses lueurs de la science.

Les inspirés n’ont nullement besoin du secours du fluide magnétique. Ils vivent paisibles, ne pensant à rien. Tout à coup un mot, obscur et indistinct tout d’abord, est murmuré à leur oreille ; ce mot les pénètre ; il prend un sens, grandit, s’élargit, devient une pensée ; d’autres se groupent à l’entour, puis l’élaboration intime étant arrivée à maturité, une force irrésistible les dompte, et, soit par la  parole, soit par l’écriture, il faut qu’ils chassent au dehors la vérité qui les obsède.

Ils sont tellement imprégnés de leur objet, tellement possédés par lui, que, pendant ces heures d’élaboration ou de diversion, ils ne sont plus accessibles aux souffrances du corps, puisqu’ils ne le sentent plus et qu’ils n’ont plus conscience d’eux-mêmes, puisque, enfin, un autre vit en eux à leur place.

Peu à peu, à mesure que le souffle inspirateur les abandonne, la douleur revient ; ils reprennent possession d’eux-mêmes, ils vivent de leur volonté propre, subordonnée à leurs perceptions personnelles, et il ne reste plus, de l’apparition évanouie, rien qu’une sorte de vide dans le cerveau, suivant l’expression consacrée, mais vide qui existe en réalité dans l’organisme tout entier.

Souvent l’inspiré se trouve inconsciemment imprégné depuis longtemps de l’Esprit d’autrui. Il a, à son insu, des instants de recueillement forcé ; il sait et peut mieux concentrer des idées, tout en paraissant vivre de la vie commune et échanger avec les autres ses pensées ordinaires. Mais ses distractions sont plus fréquentes, même sans que son Esprit soit encore concentré sur une chose plutôt que sur une autre. Il flotte dans le vague ; il se laisse bercer par une sorte d’engourdissement qui est le commencement de l’infusion de communications encore au premier travail de transmission.

Par lui-même, le magnétisme ne donne pas l’inspiration : tout au plus la provoque-t-il, la rend-il plus facile. Le fluide est comme un aimant qui attire les morts bien-aimés vers ceux qui restent. Il se dégage abondamment des inspirés et va éveiller l’attention des êtres partis les premiers et qui leur sont similaires. Ceux-ci, de leur côté, épurés et éclairés par une vie plus complète et meilleure, jugent mieux et connaissent mieux ceux qui peuvent leur servir d’intermédiaires dans l’ordre de faits qu’ils croient utiles de nous révéler.

C’est ainsi que ces êtres plus avancés découvrent souvent chez celui qu’ils adoptent pour leur élu, des dispositions qu’il ne se connaissait pas lui-même. Ils le développent dans ce sens, malgré les obstacles que leur opposent les préjugés du milieu social, ou les préventions de la famille, sachant bien que la nature a préparé le terrain pour recevoir la semence qu’ils veulent répandre.

Voici un médecin demeuré médiocre parce que des considérations plus fortes que sa volonté lui ont imposé une vocation factice : l’inspiration ne fera jamais de lui un révélateur en médecine. L’Esprit ne viendra jamais lui communiquer les choses qui ont trait au  métier qu’on l’a contraint d’exercer, mais bien celles qui sont en rapport avec les facultés naturelles qui, à son arrivée sur la terre, lui ont été départies pour qu’il les développât par le travail, et qui sont demeurées à l’état latent. C’était là l’œuvre qu’il devait réaliser. L’Esprit l’a remis dans la voie, et lui a fait comprendre sa véritable mission.

Le magnétisme, en tant qu’inspiration, ne peut rien pour cette créature fatalement dévoyée. Seulement, comme il y a désaccord entre les tendances que lui impriment ses fluides et les fonctions que les circonstances l’ont condamné à exercer, il est mécontent, malheureux ; il souffre, et, à ce point de vue, le magnétisme peut venir calmer un moment les regrets qu’il éprouve en présence de son avenir brisé.

C’est donc bien à tort que l’on croit généralement dans le monde que, pour être inspiré, il faut être magnétisé. Encore une fois, le magnétisme ne donne pas l’inspiration ; il fait circuler le fluide et nous remet en équilibre, voilà tout. De plus, il est incontestable qu’il développe le pouvoir de concentration.

Les somnambules du plus haut titre, ceux qui répandent autour d’eux des lumières nouvelles, sont en même temps des inspirés ; seulement il ne faut pas croire qu’ils le sont également à toutes les heures.

3º Les somnambules sont plus généralement des fluidiques que des inspirés ; alors on conçoit l’opportunité de l’action magnétique. L’attouchement, soit du magnétiseur, soit d’une chose qui lui a appartenu, peut leur donner ce pouvoir de concentration provoquée et préalablement augmentée par les passes magnétiques. Joint à la prédisposition somnambulique, le magnétisme développe la seconde vue et produit des résultats extraordinaires, surtout au point de vue des consultations médicales.

Le somnambule est tellement concentré par le désir de guérir la personne dont le fluide est en rapport avec le sien, qu’il lit dans son être intérieur.

S’il ajoute à cette disposition celle d’être inspiré, chose extrêmement rare, c’est alors qu’il devient complet. Il voit le mal ; on vient lui indiquer le remède !

Les Esprits qui viennent imprégner l’inspiré ne sont pas des êtres surnaturels. Ils ont vécu dans notre monde ; ils vivent dans un autre, voilà tout. Peu importe la forme physique qu’ils revêtent ; leur  âme, leur souffle est identique au nôtre, parce que la loi qui régit l’univers est une et immuable.

Le fluide étant le principe de vie, l’animation, et notre âme ayant, grâce à des fluides différents, des attractions et par suite des destinées multiples et diverses, si, par l’action magnétique, on détourne de sa spontanéité le pouvoir de concentration sur la pensée qui doit nous être transmise, l’Esprit ne peut plus exercer son action, conserver sur nous sa même force, sa volonté intacte pour nous faire écrire, ou lire à haute voix, au monde qui en a besoin, ce qu’il est venu nous apporter.

Aussi les médecins qui dirigent les somnambules, doivent-ils éviter autant que possible de les magnétiser, sous peine de remplacer la véritable inspiration par une simple transmission de leur propre pensée.

Les somnambules, pas plus que les inspirés ou les fluidiques, ne peuvent agir sur tous leurs frères incarnés. Chacun n’est puissant que sur un petit nombre. Mais tous, en somme, y trouveront leur part, lorsqu’on n’aura plus frayeur de ces forces généreuses qui se dégagent de nous à des degrés plus ou moins intenses.

Pour les somnambules fluidiques, l’emploi du magnétisme est utile en exerçant sur eux son influence de concentration. Seulement il y a dans cet état plus encore que dans tout autre, une force d’attraction ou de répulsion contre laquelle il ne faut jamais lutter.

Les plus richement doués sont accessibles à des antipathies trop extrêmes pour qu’ils puissent les étouffer. Ils en éprouvent comme ils en inspirent. Leurs prescriptions sont alors rarement bonnes. Mais, doués ordinairement d’une grande force morale en même temps que d’une excessive bienveillance, ils acquièrent un grand pouvoir de modération sur leur personne, et s’il ne leur est pas toujours permis de faire le bien, du moins ils ne feront jamais le mal.

Eugène Bonnemère.


[Revue juillet 1869.]

3. EXTRAIT DES MANUSCRITS D’UN JEUNE MÉDIUM BRETON.

(Troisième article, voir la Revue de juin 1869.)

IV — LES SOMNAMBULES.

(Suite et fin.)

Il existe donc dans le somnambulisme trois degrés bien distincts.

D’abord se présente le somnambule naturel, qui peut rester sans aucune action sur personne, bien qu’il y soit prédisposé par la nature de son fluide.

Vient ensuite le somnambule inspiré, qui ne prend rien en lui-même, mais qui est en quelque sorte le récipient où se déversent les pensées des autres. Le magnétisme, entendons-le bien, ne lui donne pas l’inspiration. Seulement si, après l’avoir subie, il tombe dans un état de prostration qui ne lui permet pas de l’émettre au dehors, le magnétisme peut, en rétablissant la circulation fluidique, lui rendre l’équilibre détruit et le remettre en possession de lui-même.

Puis enfin il y a le somnambule fluidique, de qui la puissance curative se dégage spontanément, et qui peut, comme nous l’avons dit, être conduit à l’inspiration par l’emploi du magnétisme. Alors, c’est l’être arrivé au complet développement de ses facultés.

L’utilité du magnétisme est donc immense. D’abord, c’est un agent curatif puissant, principalement pour les affections nerveuses, que lui seul peut guérir. En outre, dans certains cas où l’homme cherche à débrouiller, à travers le chaos de ses pensées, une forme, une révélation qu’il ne sait ou ne peut trouver, il vient lui donner ce pouvoir de concentration que possèdent seuls les hommes de génie, et qui les met en situation de créer de grandes œuvres, de faire de grandes découvertes.

Nous distrayons notre intelligence, nous la gaspillons sur mille sujets divers, c’est pourquoi si rarement nous pouvons produire quelque chose de durable. Le magnétisme nous donne artificiellement et pour quelques moments, cette faculté qui nous manque ; mais il ne faut pas en abuser, car au lieu de cette force de concentration que nous lui devons, il jetterait le désordre dans le jeu des fluides et pourrait exercer une action funeste sur l’organisme.

 Si l’attraction existe véritablement entre le somnambule et celui qui le consulte, alors il y a tout à parier que les prescriptions du premier seront bonnes et salutaires. Dans les cas contraires, il ne faut les accepter que sous bénéfice d’inventaire.

Souvent le somnambule et le consultant éprouvent du bien-être par leur contact réciproque, parce que l’un prend le trop-plein de l’autre, ou lui rend ce qui est en excès chez lui-même, et par ce moyen tous les deux sont remis dans leur situation normale. Aussi, les fluidiques se passionnent-ils volontiers pour ceux qui leur sont sympathiques. L’action morale se confond avec l’action physique pour agir avec elle. D’autres fois enfin le magnétiseur peut prendre la maladie de celui qu’il prétend guérir.

Il faut alors chasser par un dégagement magnétique, ce fluide qui n’est pas en harmonie avec le nôtre.

Le magnétiseur ne parvient pas toujours à guérir, parce que tout en s’emparant d’un fluide qui ne lui appartient pas et qui le fait souffrir, il a pu communiquer au patient une partie du sien qui est en désaccord avec celui-ci ; mais ces phénomènes se produiront rarement, et le magnétisme sagement administré, amènera presque toujours d’excellents résultats.

Le fluide est la pile électrique qui fait jaillir l’étincelle destinée à reconstituer un état sain et régulier.

Il arrive souvent que les individus prédisposés à recevoir l’inspiration par les fluides qui se dégagent d’eux-mêmes, sont somnambules à de certains moments lorsque l’action magnétique les domine, et inspirés dans d’autres.

Si l’on impose sa volonté à un somnambule, pour obtenir la guérison d’individus qui ne lui sont connus que par des objets qui les ont touchés, il faut, pour qu’il agisse, que les fluides se rencontrent et aient une action les uns sur les autres.

L’harmonie la plus riche naît de contrastes et de dissonances. Deux fluides semblables se neutralisent : pour qu’ils agissent les uns sur les autres, il faut qu’il y ait un point de contact seulement, et qu’il y ait opposition dans les natures.

Quand on est inspiré, on l’est souvent par plusieurs personnes à la fois et sur des sujets différents. Chacun apporte son contingent à l’élaboration commune. Seulement, certaines révélations sont immédiates et complètes, d’autres se font plus lentement et d’une manière continue, c’est-à-dire que chaque jour, chaque heure apporte son  atome de vérité qui lentement s’infuse avant d’arriver à maturité et de pouvoir être mis au grand jour.

Le progrès se fait sur le globe par la succession des générations qui héritent des connaissances que le passé leur laisse ou leur apporte, et qui, par leur labeur dans le présent, préparent l’avènement de l’avenir.

Lorsqu’il plaît aux Esprits d’agir, il peut arriver qu’on soit en proie à quelque préoccupation qui absorbe et rend moins docile à s’assimiler les pensées qu’ils apportent. Souvent, alors, l’inspiration vient pour la chose que l’on désire avant que d’autres Esprits ne s’emparent du sujet pour lui dicter des choses inconnues et plus avancées.

C’est ainsi que, par une touchante précaution pour l’avenir, des remèdes sont livrés pour des personnes aimées dans les moments où elles n’en ont pas encore besoin.

D’autres fois, lorsque le péril presse, un mot vient, non pas frapper votre oreille, mais vous pénétrer et vous déborder en quelque sorte. Ce mot, c’est le nom du remède, c’est le dégagement nécessaire de votre esprit qui, étant tout rempli de cette préoccupation ardente de faire du bien, ne se prêterait pas aisément à se laisser envahir par une autre ordre d’idées. Ce sont des amis qui accourent à votre aide et apportent le soulagement pour vous ou pour ceux auxquels vous prenez intérêt.

On rencontre, dans l’état spirite ou somnambulique, autant de phases différentes que dans l’état ordinaire. Nous l’avons dit, tout suit une loi unique, immuable, et Dieu ne permet pas que le surnaturel et le miraculeux viennent jamais la renverser. Qui peut saisir toutes les nuances, toutes les pensées qui, dans un jour, traversent le cerveau d’un homme ? Les Esprits vivent comme nous ; leurs tendances, leurs aspirations sont les nôtres ; seulement, quoique bien loin eux-mêmes de la perfection, ils sont plus avancés et marchent d’un pas rapide, dégagés qu’ils sont de toutes les mesquineries de notre triste existence.

Il y a donc des médiums qui sont plus souvent et plus complètement inspirés que d’autres. Attendons, recueillons avec reconnaissance les révélations qu’il leur est permis de nous faire, mais ne violentons pas ces indiscrétions d’outre-tombe. Si ceux qui nous inspirent ont besoin de venir, ils viendront ; sinon, ils garderont le silence.

 N’abdiquons jamais la puissance de notre raison. Il est des charlatans qui trompent ; il est des enthousiastes qui se trompent.

Le charlatanisme fleurit aux époques et dans les pays de despotisme, où dire une vérité nouvelle fait peur et est poursuivi à l’égal d’un crime. La terre libre de l’Amérique était plus favorable que toute autre aux hommes d’expérimentation, toujours poussés à la recherche de l’inconnu. Aussi les Américains ont-ils pu comprendre les premiers les rapports de ce monde-ci avec l’autre, et constater l’existence de cette chaîne plutôt fluidique que mystérieuse, qui unit ceux qui partent à ceux qui restent.

Le Spiritisme, c’est la loi qui régit la correspondance des âmes entre elles.

Aux jours maudits du moyen âge, et même à des temps plus rapprochés de nous, alors que l’Église distribuait parcimonieusement aux hommes la lumière dont elle s’attribuait le monopole, et punissait d’une mort effroyable ce qu’elle décidait être une erreur, il fallait bien se cacher pour étudier les secrets de la nature. C’était le temps des sorciers, des alchimistes, pauvres hallucinés bien peu dangereux, ou hommes habiles qui exploitaient la crédulité populaire ; mais quelquefois aussi êtres inspirés, fluidiques ou somnambules, grands éclaireurs de l’humanité, vulgarisateurs des connaissances révélées par les Esprits perfectionnés, soulageant de leur mieux leurs frères, apportant leur grain de poussière au lent et laborieux édifice du progrès, et payant parfois de leur vie, l’œuvre providentielle qu’ils accomplissaient.

Les pythonisses étaient des somnambules ; les tireuses de cartes sont souvent des extatiques plus ou moins lucides, qui, pour frapper les imaginations vulgaires, se servent d’un intermédiaire grossier dont il leur serait facile de se passer. Mais les hommes aiment qu’on les trompe, même pour leur apprendre la vérité.

Mesmer avait recours à un baquet, d’autres font voir l’avenir dans une carafe d’eau, d’autres encore dans un miroir magique. La science marche, on reconnaît l’inutilité de la mise en scène, la vanité des procédés matériels. On a découvert l’existence du fluide, l’action que l’homme peut exercer sur son semblable. On est arrivé à l’adoption des procédés les plus simples. Les passes magnétiques ont suffi. Un magnétiseur puissant peut même agir par la seule force de sa volonté, les bras croisés, par le dégagement de son fluide, qui va frapper sur telle ou telle personne en rapport fluidique avec lui.

Car le magnétisme n’agit ni sur tout le monde indistinctement ;  ni de la même manière sur tous. Dans une réunion nombreuse, il arrivera que, tandis qu’on voudra endormir celui-ci, c’est cet autre à l’angle opposé de l’appartement qui s’emparera du fluide.

D’autres sont inspirés ou tombent en somnambulisme lucide, spontanément, ou quand ils le veulent, ou même quand ils voudraient résister à l’influence qui les possèdent.

Dans son horreur instinctive du matérialisme et de l’anéantissement, l’homme a soif de merveilleux, de surnaturel, d’apparitions et d’évocations. De là, le succès de la magie dans le monde.

De l’Inde, son berceau, la magie passa jadis en Égypte, où on la vit soutenir des luttes contre Moïse, que l’inspiration animait d’un souffle si puissant, mais non cependant sans quelques intermittences. Israël ne traversa pas stérilement la terre des Pharaons. C’est à ce foyer vivifiant de l’Égypte que vint se réchauffer souvent le génie des sages de la Grèce.

Les croisades furent chercher chez les Arabes le secret des sciences occultes, dont elles apportèrent l’usage en Italie, en France, en Espagne. Les Maures et les Juifs furent les premiers médecins ; on les consulta en secret, on les brûla en public, et les docteurs d’aujourd’hui croient défendre la science, en raillant dans leurs cénacles et en poursuivant devant les tribunaux, les derniers enfants perdus de ceux qui furent leurs ancêtres communs.

Mais beaucoup d’entre eux ne sont-ils pas quelque peu charlatans à leur manière ? Il n’en est plus guère qui repoussent le magnétisme d’une façon absolue. D’autres en font clandestinement, mais n’osent pas le confesser tout haut, dans la crainte de mettre en fuite leur clientèle effarouchée. Dans tous les cas, bien peu de ceux qui le nient, l’ont étudié de bonne foi, sans autre idée préconçue que le désir de s’éclairer.

Ils seront les derniers à l’admettre. Il leur en coûte d’aider de leurs mains à renverser l’échafaudage scientifique qu’ils ont eu tant de peine à édifier.

Quelle révolution terrible si, à côté de ceux qui, incontestablement, possèdent une si grande somme de science acquise, et qui n’en ignorent qu’une, - celle de guérir leurs semblables, - des êtres simples, les premiers venus, pouvaient lire à livre ouvert dans le corps humain sans avoir étudié l’anatomie, le percer du regard comme s’il était de verre, et, au lieu de ces remèdes généraux qui agissent toujours d’une manière différente, imprévue, suivant la nature de chacun, indiquer l’agent précis qu’il convient d’employer ? Que  de positions compromises, le jour où le Spiritisme et le magnétisme combinés auront remplacé, pour le plus grand bonheur de tous, la médecine si largement faillible et si ruineuse de la faculté, par cette médecine de famille qui sera à la disposition de presque tous ceux qui voudront la faire.

La chiromancie  †  est une science d’observation au secours de laquelle viennent la phrénologie  †  et la physiognomonie  †  aidées de l’intuition, disposition fluidique particulière et spéciale. Tout le monde peut observer les proéminences qui existent sur la tête, la variété infinie des traits, les lignes multiples tracées dans les mains ; seulement tout le monde n’en peut pas déduire, au juste ou à peu près, les résultats et les effets sur l’organisme. Mais le fluide qui se dégage du consultant allant frapper celui qu’il consulte, permet à ce dernier de découvrir, d’une façon plus ou moins vraisemblable, les faits du passé de l’autre, et même de prédire ce qui, suivant les probabilités, doit lui arriver dans l’avenir. La simple pression des mains ou l’attouchement de la tête met le fluidique en vibration, par suite de la tension et de la concentration d’esprit dont il a pris l’habitude.

Ainsi s’expliquent ces faits de révélation, de prédiction, qui, lorsqu’ils viennent à se réaliser, étonnent, charment et effrayent à la fois.

Mais il n’y a rien de merveilleux ni de surnaturel dans tout cela. Les nervures de nos mains peuvent se comparer à celles des feuilles de la plante. L’ensemble, l’aspect, la forme générale, tout se ressemble, et cependant rien n’est semblable. Étudiez les feuilles : peut-être dans leur configuration découvrirez-vous si l’arbre qui les porte est plus ou moins bien conformé pour vivre longtemps ?

Nos mains sont comme les feuilles attachées à l’extrémité des branches. Ce sont nos extrémités à nous ; elles se meuvent, agissent, nous mettent en rapport avec les autres, et c’est elles qu’on consulte pour connaître l’état général de la santé. De même que par les petites branches arrive une sève plus délicate, de même la main de l’homme est une merveille au milieu de toutes les merveilles de son corps.

C’est le bout de la tige qui, flexible et comme animée et dirigée par une intelligence particulière, se recourbe autour des appuis qui soutiennent sa faiblesse. Ainsi, la capucine, les clématites, la glycine, la vigne… C’est donc, chez les végétaux comme chez l’homme, l’extrémité qui est douée du toucher, qui présente la partie la plus délicate, la plus parfaite.

 Le tronc a la force ; la sève et le sang donnent l’impulsion ; les tiges et les mains sont les instruments dociles.

Si l’arbre porte des feuilles maigres, panachées de blanc ou de jaune, tombant aux premières bises de l’automne, il est chlorotique et l’on peut pronostiquer sûrement qu’il ne vivra pas vieux. L’homme dont les mains sont petites, froides, blanches, exsangues, ne comptera ni parmi les athlètes ni parmi les centenaires.

Comment une terre maigre et privée de sucs nourriciers pourrait-elle prodiguer une sève abondante, qui s’élancera jusqu’à l’extrémité des rameaux pour les faire croître et allonger sans cesse ?

La plante, comme l’animal, comme l’homme, prend proportionnellement à ses énergies vitales, sa part du fluide qui circule partout. Seulement la plante, l’animal, n’ayant à dépenser de leur force et de leur volonté que dans un ordre de faits plus restreint, sont doués d’un fluide moins puissant. On leur apporte leur part de progrès, mais ils ne le font pas sans y être provoqués.

L’homme, au contraire, a charge de direction. Dieu l’accepta pour son collaborateur dans l’œuvre sublime de la création. Dieu crée les types, et réserve à son auxiliaire le soin de découvrir les variétés infinies, de les multiplier, de les perfectionner sans limites. Il lui faut donc un fluide plus abondant, plus riche, pour satisfaire à sa tâche plus noble et pour accomplir la mission providentielle qui lui est réservée.

Ces différences entre les lignes des mains, les nervures des feuilles, se retrouvent sur les pattes des animaux, et partout enfin. Seulement chez l’homme et chez les créations plus avancées, ces nuances sont plus multiples, plus saisissables. Mais en descendant même jusqu’aux plus infimes, une observation attentive permettra de découvrir, dans les différents rameaux qui terminent chacune d’elles, des symptômes, des pronostics de caractère et de santé, que l’active direction de l’homme peut modifier en bien ou en mal. C’est son droit et son devoir d’améliorer par son travail toutes les choses inférieures. La nature met à sa disposition des moyens curatifs qu’il est insensé et coupable même, de ne pas employer pour prolonger et ennoblir sa vie et celle des autres créatures, ou tout au moins pour la remettre en équilibre pendant le cours qu’elle doit avoir.

Il y a action et réaction des hommes les uns sur les autres, et sur les animaux, les végétaux, les minéraux et tout ce qui nous entoure. Aussi l’homme, l’animal, la plante ne vivent-ils pas indifféremment auprès de tous les êtres.

 Une création n’a jamais eu lieu que lorsque toutes les conditions qui lui étaient indispensables, sont venues la favoriser. Mais, insoucieux de ces détails essentiels, nous prétendons acclimater les animaux sans les végétaux qui leur conviennent, sans préparer à ceux-ci les terreaux qu’ils exigent, sans étudier leurs attractions ni leurs répulsions, et sans observer si nous ne leur donnons pas des voisins avec lesquels ils seront en lutte perpétuelle.

Nos paysans placent parfois un bouc au milieu de leurs bœufs et de leurs génisses. Ils disent que c’est pour purifier l’air. Pour nous, cela l’empesterait. Mais, puisque les hôtes de l’étable laissent le bouc errer librement autour d’eux, c’est qu’un secret instinct les avertit sans doute qu’il compose ses acres senteurs avec des gaz qui seraient nuisibles pour eux et dont il change les propriétés.

Le milieu dans lequel chaque créature vit et se développe, influe énormément et sur son caractère, et sur sa santé, et sur la part d’intelligence qui lui est dévolue pour accomplir sa destinée.

L’intelligence du végétal, comme celle de l’animal, se manifeste surtout dans l’œuvre de la reproduction. L’homme la violente souvent. Étudions les conditions dans lesquelles chaque être doit accomplir sa destinée plus ou moins importante, et les créations ébauchées que les grands cata-clysmes du passé ont épargnées, feront place à des créations supérieures, et beaucoup des maux qu’elles engendrent disparaîtront avec elles.

Tout ressent donc, par l’attouchement, quelquefois même par le seul rapprochement, des commotions électriques et fluidiques qui exercent une influence salutaire ou funeste sur l’attitude générale de l’individu.

Le magnétisme n’a été inventé par personne ; il existe de toute éternité ! On n’en connaissait pas l’emploi, il était comme la vapeur, l’électricité, que l’on a niées d’abord, et qui ont cependant révolutionné le monde après quelques années d’existence. Il en sera de même de ce fluide qui, plus subtil que tous les autres, va frapper en toute liberté, et en apparence un peu au hasard, les sexes contraires, les âges opposés, les castes jusqu’ici hostiles, pour les confondre tous au sein d’une immense solidarité.

Le fluide, en effet, c’est l’attraction, loi unique de l’univers. C’est la source du mouvement moral, matériel et intellectuel, la source du progrès. La charité commande que nous ayons le pouvoir et la volonté de nous soulager mutuellement. Ce fluide commun, qui nous relie tous, afin d’établir entre nous la fraternité universelle, non-seulement nous permet de nous guérir les uns les autres, mais encore, associés à notre insu avec les amis disparus qui nous ont légué en partant l’héritage de leurs travaux, il nous donne les moyens d’inventer de grandes choses qui concourent puissamment à l’avancement de tous, au bien-être universel.

Déjà nous ne nous parquons plus derrière les murailles de notre égoïsme personnel pour nous contenter d’être heureux dans notre isolement. Nous voulons que chacun soit satisfait autour de nous, et la souffrance des autres chasse de sombres nuages sur l’azur de notre beau ciel bleu.

L’enthousiasme fuit la solitude pour ne laisser éclater sa puissance entraînante qu’au milieu des foules électrisées. C’est que ce fluide qui se dégage de chacun de nous, additionné, confondu, multiplié, se froissant et se heurtant au besoin, par ses discordes mêmes fait éclater l’harmonie.

Le travail, le plaisir même, tout ennuie lorsque nous sommes seuls. Mais qu’un ami arrive et d’autres à sa suite, et voilà la fougue qui peu à peu se développe et entraîne. Que viennent à côté des groupes rivaux, et l’enthousiasme fera enfanter des merveilles.

La communication fluidique, cette quintessence de notre être, crée l’harmonie en se dégageant de nous pour aller embraser celui qui en manque. Les forts entraînent les faibles, les élèvent pour un moment jusqu’à eux, et l’égalité règne ; elle gouverne les hommes charmés de son empire.

A bien dire, tout le monde est fluidique, puisque chacun ressent des impressions, éprouve des attractions. Seulement, les manifestations sont plus ou moins intenses, et leur influence se montre plus ou moins puissamment. Les uns s’en servent pour eux seuls, pour leur propre consommation, pourrait-on dire, et n’ont qu’une faible action sur leurs semblables. Les autres, au contraire, rayonnent au loin et exercent autour d’eux une pression énergique en bien ou en mal.

Il en est qui, ne pouvant rien sur les autres hommes, possèdent une faculté de domination puissante sur les animaux et sur les végétaux, qui se modifient et se perfectionnent plus volontiers sous leur action intelligente.

Le magnétisme étant le fluide circulant que toute créature s’assimile à sa manière et à des degrés différents, on peut voir en lui cet immense enchaînement et cette immense attraction qui unit et désunit, attire et repousse tous les êtres créés, et fait de chacun d’eux une petite unité qui va, obéissant à la même loi, se confondre dans la majestueuse unité de l’univers.

Le magnétisme qui n’est, d’ailleurs, que le procédé dont on se sert pour la concentration ou le dégagement du fluide, est cette association magnifique de toutes les forces créées. Le fluide, c’est ce circulant qui met les êtres en vibration les uns avec les autres.

Dans certains cas de délire momentané, l’attouchement d’une personne sympathique, son baiser, sa parole suffisent pour calmer le malade. On en a vu le soulager rien qu’en entrant dans sa chambre, comme aussi l’on peut voir l’excitation se produire lorsqu’une autre approche.

C’est le résultat des attractions ou des répulsions expliqué par le jeu des fluides entre eux.

On dit souvent de gens qui se marient, mais qui ne s’aiment pas : — Ils s’aimeront plus tard !

Cela est bien peu probable, au contraire, parce que l’attraction est libre et ne se violente pas. Il est sans doute des natures peu fluidiques chez lesquelles l’estime peut suppléer l’amour ; mais les grandes et généreuses natures ne sauraient se contenter de ces sentiments tièdes. L’indifférence prend alors la place de l’amour qui fait défaut, et il est rare que, malgré tous les plus beaux raisonnements que l’on se fait, l’un ou l’autre de ces époux mal assortis ne se laisse pas charmer par une autre personne. Peut-être aura-t-il la force de résister à son entraînement, mais il sera incurablement malheureux.

Fermons donc l’oreille à ces faux enseignements, et que les familles ne fassent jamais du mariage une affaire, une question de trafic. Dieu a voulu que l’amour présidât à la perpétuité de la création ; respectons ses desseins et ne heurtons pas les fluides. L’homme et la femme obéissent au charme, c’est la loi naturelle, et lorsqu’on tente de lui résister, on paye sa désobéissance par le malheur de l’existence tout entière.


Eug. Bonnemère.   


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