Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année VIII — Décembre 1865.

(Langue portugaise)

LES ROMANS SPIRITES.

Spirite, par THÉOPHILE GAUTIER. – La Double vue, par ÉLIE BERTHET. n

1. — Qui dit roman, dit œuvre d’imagination ; l’essence même du roman est de représenter un sujet fictif quant aux faits et aux personnages ; mais dans ce genre même de productions, il est des règles dont le bon sens ne permet pas de s’écarter, et qui, jointes aux qualités du style, en font le mérite. Si les détails ne sont pas vrais en eux-mêmes, ils doivent tout au moins être vraisemblables et en parfait accord avec le milieu où l’on place l’action.

Dans les romans historiques, par exemple, le maintien strict de la couleur locale est de rigueur, et il est des anachronismes qui ne seraient pas tolérables ; le lecteur doit pouvoir se transporter par la pensée au temps et dans les lieux dont on parle et s’en faire une idée juste. C’était là le grand talent de Walter Scott ; en le lisant on se trouve en plein moyen âge ; s’il eût attribué les faits et gestes de François Ier à Louis XI, ou même s’il eût fait parler ce dernier et les personnages de sa cour comme au temps de la renaissance, le plus beau style n’eût pu racheter de telles erreurs.

Il en est de même des romans de mœurs ; leur mérite est dans la vérité des peintures, car il serait du dernier ridicule de prêter à un sujet espagnol les habitudes et le caractère des Anglais.

Au premier abord, le roman paraît être le genre le plus facile ; nous le tenons pour plus difficile que l’histoire, quoique moins sérieux ; l’historien a son cadre tracé par les faits dont il ne peut s’écarter d’une ligne ; le romancier doit tout créer ; mais beaucoup s’imaginent qu’il suffit d’un peu d’imagination et de style pour faire un bon roman ; c’est là une grave erreur ; il faut beaucoup d’instruction. Pour faire sa Notre-Dame de Paris,  †  Victor Hugo devait connaître son vieux Paris archéologique aussi bien que son Paris moderne.

On peut faire des romans sur le Spiritisme comme sur toutes choses ; nous disons même que lorsqu’il sera connu et compris dans son essence, il fournira aux lettres et aux arts d’inépuisables sources de poésie ravissante ; mais ce ne sera certainement pas pour ceux qui ne le voient que dans les tables qui tournent, les cordes des frères Davenport, ou les jongleries des charlatans. Comme pour les romans historiques ou de mœurs, il est indispensable de connaître à fond le canevas sur lequel on veut broder, afin de ne pas faire de contre-sens, qui seraient autant de preuves d’ignorance ; tel est le musicien qui fait des variations sur un thème de musique que l’on doit toujours reconnaître à travers les additions de la fantaisie. Celui donc qui n’a pas étudié à fond le Spiritisme, dans son esprit, dans ses tendances, dans ses maximes aussi bien que dans ses formes matérielles, est aussi impropre à faire un roman spirite de quelque valeur que l’eût été Lesage de faire Gil Blas,  †  s’il n’eût connu l’histoire et les mœurs de l’Espagne.

Est-il donc nécessaire, pour cela, d’être Spirite croyant et fervent ? Pas le moins du monde ; il suffit d’être véridique, et l’on ne peut l’être sans savoir. Pour faire un roman arabe, il n’est certes pas besoin d’être musulman, mais il est indispensable de connaître assez la religion musulmane, son caractère, ses dogmes et ses pratiques, ainsi que les mœurs qui en découlent pour ne pas faire agir et parler les Africains comme des cavaliers français ; mais il en est qui croient qu’il suffit, pour donner le cachet de la race, de prodiguer à tort et à travers les Allah ! les noms de Fatime et de Zuléma, parce que c’est à peu près tout ce qu’ils savent de l’islamisme. En un mot, s’il ne faut pas être musulman, il faut s’imprégner de l’esprit musulman, comme pour faire une œuvre spirite, même fantastique, il faut s’imprégner de l’esprit du Spiritisme ; il faut enfin qu’en lisant un roman spirite, les Spirites puissent se reconnaître, comme les Arabes devront se reconnaître dans un roman arabe, et pouvoir dire : c’est cela ; mais ni les uns ni les autres ne se reconnaîtront s’ils sont travestis, et l’auteur n’aura fait qu’une œuvre informe, comme si un peintre peignait des dames françaises en costumes chinois.


2. — Ces réflexions nous sont suggérées à propos du roman-feuilleton que M. Théophile Gautier publie en ce moment dans le grand Moniteur, sous le titre de Spirite. Nous n’avons pas l’honneur de connaître personnellement l’auteur ; nous ne savons quelles sont ses convictions ou ses connaissances touchant le Spiritisme ; son ouvrage, qui en est au début, ne permet pas encore d’en voir la conclusion. Nous dirons seulement que s’il n’envisageait son sujet que sous un seul point de vue, celui des manifestations, en négligeant le côté philosophique et moral de la doctrine, il ne répondrait pas à l’idée générale et complexe qu’embrasse son titre, bien que ce nom de Spirite soit celui d’un de ses personnages. Si les faits qu’il imagine pour le besoin de l’action, ne se renfermaient pas dans les limites tracées par l’expérience ; s’il les présentait comme se passant dans des conditions inadmissibles, son œuvre manquerait de vérité, et ferait supposer que les Spirites croient aux merveilles des contes des Mille et une Nuits.  †  S’il prêtait aux Spirites des pratiques et des croyances que ceux-ci désavouent, elle ne serait pas impartiale, et à ce point de vue, ne serait pas une œuvre littéraire sérieuse.

La doctrine spirite n’est point secrète comme celle de la maçonnerie ; elle n’a de mystères pour personne, et s’étale au grand jour de la publicité ; elle n’est ni mystique, ni abstraite, ni ambiguë ; mais claire et à la portée de tout le monde ; n’ayant rien d’allégorique, elle ne peut donner lieu ni aux équivoques ni aux fausses interprétations ; elle dit carrément ce qu’elle admet et ce qu’elle n’admet pas ; les phénomènes dont elle reconnaît la possibilité ne sont ni surnaturels ni merveilleux, mais fondés sur des lois de la nature ; de sorte qu’elle ne fait ni miracles ni prodiges. Celui donc qui ne la connaît pas ou qui se méprend sur ses tendances, c’est qu’il ne veut pas se donner la peine de la connaître. Cette clarté et cette vulgarisation des principes spirites, qui comptent des adhérents dans tous les pays et dans tous les rangs de la société, sont la réfutation la plus péremptoire des diatribes de leurs adversaires, car il n’est pas une seule de leurs allégations erronées qui n’y trouve une réponse catégorique. Le Spiritisme ne peut donc que gagner à être connu, et c’est à quoi travaillent, sans le vouloir, ceux qui croient le ruiner par des attaques dépourvues de tout argument sérieux. Les écarts de convenance dans le langage produisent un effet tout contraire à celui qu’on se propose ; le public les apprécie, et ce n’est pas en faveur de ceux qui se les permettent ; plus l’agression est violente, plus elle porte de gens à s’enquérir de la vérité, et cela même dans les rangs de la littérature hostile. Le calme des Spirites devant cette levée de boucliers ; le sang-froid et la dignité qu’ils ont conservés dans leurs réponses, font avec l’acrimonie de leurs antagonistes un contraste qui frappe même les indifférents, et ont jeté l’incertitude dans les rangs opposés, qui comptent aujourd’hui plus d’une désertion.

Le roman spirite peut être considéré comme une transaction passagère entre la négation et l’affirmation. Il faut un courage réel pour affronter et braver le ridicule qui s’attache aux idées nouvelles, mais ce courage vient avec la conviction ; plus tard ; nous en sommes convaincu, des rangs de nos adversaires de la presse sortiront des champions sérieux de la doctrine.

Lorsque les tendances de l’ouvrage de M. Théophile Gautier seront mieux dessinées, nous en donnerons notre appréciation au point de vue de la vérité spirite.


3. — Les réflexions ci-dessus s’appliquent naturellement aux œuvres du même genre sur le magnétisme et le somnambulisme. La double vue a fourni dernièrement, à M. Élie Berthet, le sujet d’un roman très intéressant publié par le Siècle, et qui, au talent de l’écrivain, joint le mérite de l’exactitude. L’auteur a dû incontestablement, faire une étude sérieuse de cette faculté ; pour la décrire comme il le fait, il faut avoir vu et bien observé. On pourrait cependant lui reprocher un peu d’exagération dans l’extension qu’il lui donne dans certains cas. Un autre tort, selon nous, est de la présenter comme une maladie ; or une faculté naturelle, quelle qu’elle soit, peut coïncider avec un état pathologique, mais n’est point une maladie par elle-même, et la preuve en est, c’est qu’une foule de personnes douées au plus haut degré de la double vue, se portent parfaitement bien. L’héroïne est ici une jeune fille poitrinaire et cataleptique : c’est là son mal véritable. La faculté dont elle jouit a causé des malheurs par les méprises qui en ont été la suite, c’est pourquoi elle déplore le don funeste qu’elle a reçu ; mais ce don n’a été funeste que par l’ignorance, l’inexpérience et l’imprudence de ceux qui s’en sont maladroitement servis ; à ce point de vue, il n’est pas une seule de nos facultés qui ne puisse devenir un présent funeste par le mauvais usage ou les fausses applications qu’on en peut faire.

Ces réserves faites, nous dirons que le phénomène est parfaitement décrit ; c’est bien là cette vue de l’âme dégagée qui ne connaît pas les distances, qui pénètre la matière comme un rayon de lumière pénètre les corps transparents, et qui est la preuve patente et visible de l’existence et de l’indépendance du principe spirituel ; c’est bien encore là le tableau de l’étrange transfiguration qui s’opère dans l’extase, de cette prodigieuse lucidité qui confond par sa précision dans certains cas, et qui déroute par les illusions qu’elle produit parfois. Chez les acteurs du drame, c’est la peinture la plus vraie des sentiments qui agitent les croyants, les incrédules, les incertains et les étonnés. Il y a là un médecin qui flotte entre le scepticisme et la croyance, mais en homme de bon sens, qui ne croit pas que la science ait dit son dernier mot, il observe, étudie, et constate les faits. Sa conduite pendant les crises de la jeune fille atteste sa prudence. Il y a aussi la flétrissure des exploiteurs, qui y sont justement fustigés.

L’auteur eût fait une œuvre incomplète, s’il eût négligé le côté moral de la question. Son but n’est point de piquer la curiosité par des faits extraordinaires, mais d’en déduire des conséquences utiles et pratiques.

Un épisode, entre autres prouve qu’il a parfaitement compris cette partie de son programme.

La jeune voyante découvre dans un souterrain des papiers importants qui doivent mettre un terme à un grave procès de famille ; elle décrit les lieux et les circonstances avec minutie ; les fouilles faites, conformément à ses indications, prouvent qu’elle a très bien vu ; on trouve les papiers et le procès est mis à néant. Notons en passant que c’est spontanément qu’elle fait cette découverte, sollicitée qu’elle est par l’intérêt qu’elle porte à la famille, et non par suite de sollicitations. Le titre principal consistait en une charte en vieux style, dont elle donne une lecture textuelle et complète avec autant de facilité que si elle l’avait sous les yeux. C’est là surtout que sa faculté nous semble poussée un peu à l’exagération.

Plus loin elle voit un autre souterrain où sont d’immenses trésors dont elle explique l’origine. Pour y arriver, il faut traverser un autre caveau, rempli de débris humains, restes de nombreuses victimes des temps de la féodalité. Rien, jusque-là, qui ne soit probable ; ce qui ne l’est pas du tout, c’est que les âmes de ces victimes y soient restées enfermées depuis des siècles et puissent se dresser menaçantes devant ceux qui viendraient troubler leur sombre repos pour aller chercher le trésor ; là est le fantastique. Que ce soient les bourreaux, il n’y aurait rien de surprenant.

Nous savons, par de nombreux exemples, que tel est souvent le châtiment temporaire des coupables, condamnés à demeurer sur le lieu même et en présence de leurs crimes, jusqu’à ce que, touchés de repentir, ils élèvent leurs pensées vers Dieu pour implorer sa miséricorde ; mais ici ce sont les victimes innocentes qui seraient punies, ce qui n’est pas rationnel.

Le propriétaire du château, vieil avare, alléché par la découverte des papiers, veut poursuivre les fouilles ; elles sont difficiles, périlleuses pour les ouvriers : rien ne l’arrête. La voyante le supplie en vain d’y renoncer ; elle lui prédit que, s’il persiste, il arrivera malheur. D’ailleurs, ajoute-t-elle, vous ne réussirez pas. – Ces trésors n’existent donc pas ? dit l’avare. – Ils existent tels que je les ai décrits, je le certifie ; mais, encore une fois, vous n’y arriverez pas. – Qui m’en empêchera ? – Les âmes qui sont dans le caveau qu’il faut traverser.

Le vieil avare, sceptique endurci, admettait bien la vue extracorporelle de la jeune fille, sans trop se l’expliquer, parce qu’il venait d’en avoir la preuve à ses dépens, les papiers trouvés l’ayant débouté de ses prétentions dans le procès, mais il croyait plus à l’argent qu’aux puissances invisibles. Il continue : De quel droit s’y opposerait-on ? Ces trésors m’appartiennent, puisqu’ils sont dans ma propriété. – Non ; ils seront découverts un jour sans difficulté par celui qui doit en jouir ; mais ce n’est pas à vous qu’ils sont destinés ; voilà pourquoi vous ne réussirez pas. Je vous le répète, si vous persistez, il vous arrivera malheur.

Ici est le côté essentiellement moral, instructif et vrai du récit. Ces paroles semblent empruntées au Livre des médiums, à l’article sur le concours des Esprits pour la découverte des trésors : « Si la Providence destine des trésors cachés à quelqu’un, il les trouvera naturellement, autrement non. » (Chap. XXVI, nº 295.) Il n’est pas d’exemple, en effet, que des Esprits ou des somnambules aient facilité de semblables découvertes, pas plus que le recouvrement d’héritages, et tous ceux qui, bercés de cette espérance, ont fait de pareilles tentatives, en ont été pour leurs peines et le bon argent, qu’ils ont dépensé. De tristes et souvent cruelles déceptions attendent ceux qui fondent l’espoir de s’enrichir sur de pareils moyens. Les Esprits n’ont pas pour mission de favoriser la cupidité et de nous procurer la richesse sans le travail, ce qui ne serait ni juste ni moral. Le somnambule lucide voit sans doute, mais ce qu’il lui est permis de voir, et les Esprits peuvent, selon les circonstances et par ordre supérieur, oblitérer leur lucidité, ou mettre des obstacles à l’accomplissement des choses qui ne sont pas dans les desseins de la Providence. Dans le cas dont il s’agit, il a été permis de trouver les papiers qui devaient mettre un terme aux dissensions de famille ; il ne l’a pas été de trouver des trésors qui ne devaient servir qu’à satisfaire la cupidité ; c’est pourquoi le vieil avare a péri victime de son obstination.

Les terribles péripéties du drame imaginé par M. Élie Berthet, ne sont pas aussi fantastiques qu’on pourrait le croire ; elles rappellent celles plus réelles qu’a subies M. Borreau, de Niort,  †  dans des recherches de même nature, et dont l’émouvant récit se trouve dans sa brochure intitulée : Comment et pourquoi je suis devenu Spirite. (Voir notre compte rendu, Revue de décembre 1864.)

Une autre instruction, non moins importante, ressort du livre de M. Élie Berthet. La jeune fille a vu des choses positives, et dans une autre circonstance grave elle se trompe en attribuant un crime à une personne innocente. Quelle conséquence en veut tirer l’auteur ? Est-ce la négation de la faculté ? Non, puisque, à côté de cela, il la prouve ; mais cette conclusion, justifiée par l’expérience, que la lucidité la plus éprouvée n’est pas infaillible, et qu’on ne saurait s’y fier d’une manière absolue, sans contrôle. La vue, par l’âme, de choses que ne peut voir le corps, prouve l’existence de l’âme ; c’est déjà un résultat assez important ; mais elle n’est point donnée pour la satisfaction des passions humaines.

Pourquoi donc l’âme, dans son état d’émancipation, ne voit-elle pas toujours juste ? C’est que l’homme étant encore imparfait, son âme ne peut jouir des prérogatives de la perfection. Quoique isolée, elle participe des influences matérielles, jusqu’à sa complète épuration. Ainsi en est-il des âmes désincarnées ou Esprits, à plus forte raison de celles qui sont encore liées à la vie corporelle. Voilà ce que fait connaître le Spiritisme à ceux qui se donnent la peine de l’étudier.



[1] [Spirite — Google books, par Théophile Gautier — La double vue — Google Books, par Élie Berthet]


Il y a une image de ce article dans le service Google — Recherche de livres (Revue Spirite 1865).


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