Le Chemin Écriture du Spiritisme Chrétien.
Doctrine spirite - 1re partie. ©

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Revue spirite — Année VI — Septembre 1863.

(Langue portugaise)

UNION DE LA PHILOSOPHIE ET DU SPIRITISME.

1. Nota. – L’article suivant est l’introduction à un travail complet que l’auteur, M. Herrenschneider, se propose de faire sur la nécessité de l’alliance entre la philosophie et le Spiritisme.


Depuis dix ou douze ans que le Spiritisme s’est révélé en France, les communications incessantes des Esprits ont provoqué dans tous les rangs de la société un mouvement religieux bienfaisant qu’il importe d’encourager et de développer. Dans ce siècle, en effet, l’esprit religieux s’était surtout perdu parmi les classes lettrées et intelligentes. Le sarcasme voltairien y avait enlevé le prestige du Christianisme ; le progrès des sciences leur avait fait reconnaître les contradictions qui existent entre les dogmes et les lois naturelles ; et les découvertes astronomiques avaient démontré la puérilité de l’idée que se formaient sur Dieu les enfants d’Abraham, de Moïse et du Christ. Le développement des richesses, les inventions merveilleuses des arts et de l’industrie, toute la civilisation protestait, aux yeux de la société moderne, contre le renoncement au monde. C’est à cause de ces nombreux motifs que l’incrédulité et l’indifférence s’étaient glissées dans les âmes, que l’insouciance des destinées éternelles avait engourdi notre amour du bien, arrêté notre perfectionnement moral, et que la passion du bien-être, du plaisir, du luxe et des vanités terrestres avait fini par captiver presque toute notre ambition ; lorsque, tout d’un coup, les morts vinrent nous rappeler que notre vie présente a son lendemain, que nos actes ont leurs conséquences fatales, inévitables, sinon toujours dans cette vie, mais infailliblement dans celle à venir.

Cette apparition des Esprits était un coup de foudre, qui fit trembler plus d’un à l’aspect de ces meubles mis en mouvement sous l’impulsion d’une force invisible ; à l’audition de ces pensées intelligentes, dictées au moyen d’une télégraphie grossière ; à la lecture de ces pages sublimes, écrites de nos mains distraites sous l’impulsion d’une direction mystérieuse. Que de cœurs battaient, saisis d’une crainte subite, que de consciences oppressées se réveillèrent dans des angoisses méritées ; que d’intelligences même furent frappées de stupeur ! Le renouvellement de ces rapports avec les âmes trépassées est et restera un événement prodigieux, qui aura pour conséquence la régénération, si nécessaire, de la société moderne.

C’est que, lorsque la société humaine n’a d’autre but d’activité que la prospérité matérielle et le plaisir des sens, elle se plonge dans le matérialisme égoïste, apprécie toutes les actions selon les biens qu’elle en retire, renonce à tous les efforts qui n’aboutissent pas à un avantage palpable, n’estime que ceux qui possèdent, et ne respecte que la puissance qui s’impose. Lorsque les hommes ne se préoccupent que des succès immédiats et lucratifs, ils perdent le sens de l’honnête, renoncent au choix des moyens, foulent aux pieds le bonheur intime, les vertus privées, et cessent de se guider selon les principes de justice et d’équité.

Dans une société lancée dans cette direction immorale, le riche mène une vie de mollesse ignoble, abrutissante, et le déshérité y traîne une existence douloureuse et monotone, dont le suicide semble être la dernière consolation !

Contre une pareille disposition morale, publique et privée, la philosophie est impuissante. Non pas que les arguments lui fassent défaut pour prouver la nécessité sociale de principes purs et généreux, non pas qu’elle ne puisse démontrer l’imminence de la responsabilité finale, et établir la perpétuité de notre existence, mais les hommes n’ont généralement ni le temps, ni le goût, ni l’esprit assez réfléchi, pour prêter leur attention à la voix de leur conscience et aux observations de la raison. Les vicissitudes de la vie, d’ailleurs, sont souvent trop impérieuses pour que l’on se décide à l’exercice de la vertu par le simple amour du bien. Lors même que la philosophie eût été véritablement ce qu’elle devrait être : une doctrine complète et certaine, elle n’aurait jamais pu provoquer, par son enseignement seul, la régénération sociale d’une manière efficace, puisque jusqu’à ce jour elle n’a pu donner à l’autorité de sa doctrine d’autre sanction que l’amour abstrait de l’idéal et de la perfection.

C’est qu’aux hommes il faut, pour les convaincre de la nécessité de se consacrer au bien, des faits qui parlent aux sens. Il leur faut le tableau saisissant de leurs douleurs futures, pour qu’ils consentent à remonter la pente funeste où leurs vices les entraînent ; il leur faut toucher du doigt les malheurs éternels qu’ils se préparent par leur nonchalance morale, pour qu’ils comprennent que la vie actuelle n’est pas le but de leur existence, mais le moyen que le Créateur leur a donné de travailler personnellement à l’accomplissement de leurs destinées finales. Aussi est-ce par ce motif que toutes les religions ont étayé leurs commandements sur la terreur de l’enfer et sur les séductions des joies célestes. Mais depuis que, sous l’empire de l’incrédulité et de l’indifférence religieuse, les populations se sont rassurées sur les suites dernières de leurs péchés, une philosophie facile et inconséquente aidant, le culte des sens, des intérêts temporels et des doctrines égoïstes, a fini par prévaloir. Aujourd’hui les hommes éclairés, intelligents et forts s’éloignent de l’Église et suivent leurs propres inspirations ; l’autorité nécessaire lui fait défaut pour ressaisir son influence vingt fois séculaire.

On peut donc dire que l’Église est aussi impuissante que la philosophie, et que ni l’une ni l’autre n’exerceront d’influence salutaire qu’en subissant, chacune dans son genre, une réforme radicale.

En attendant l’humanité s’agite, les événements se succèdent, et l’apparition des manifestations spirites dans ce siècle savant, pratique, suffisant et sceptique, en est sans contredit le plus considérable. Voilà donc que la tombe est ouverte devant nous, non comme la fin de nos peines et de nos misères terrestres, non comme l’abîme béant où viennent s’engloutir nos passions, nos jouissances et nos illusions, mais bien comme le portique majestueux d’un nouveau monde, où les uns récolteront, bien malgré eux, les fruits amers que leurs faiblesses leur auront fait semer ; et où d’autres, au contraire, s’assureront par leur mérite le passage dans des sphères plus pures et plus élevées. C’est donc le Spiritisme qui nous révèle nos destinées futures, et plus il sera connu, plus la régénération morale et religieuse gagnera en élan et en étendue.

L’union du Spiritisme avec les sciences philosophiques nous semble, en effet, d’une haute nécessité pour le bonheur de l’humanité et pour le progrès moral, intellectuel et religieux de la société moderne ; car nous ne sommes plus au temps où l’on pouvait écarter la science humaine et lui préférer la foi aveugle. La science moderne est trop sage, trop sûre d’elle-même, et trop avancée dans la connaissance des lois que Dieu a imposées à l’intelligence et à la nature, pour que la transformation religieuse puisse avoir lieu sans son concours. On connaît trop exactement l’exiguïté relative de notre globe pour accorder à l’humanité une place privilégiée dans les desseins providentiels. Aux yeux de tous, nous ne sommes plus qu’un grain de poussière dans l’immensité des mondes, et l’on sait que les lois qui règlent cette multitude indéfinie d’existences sont simples, immuables et universelles.

Enfin les exigences de la certitude de nos connaissances ont été trop fortement approfondies, pour qu’une doctrine nouvelle puisse s’élever et se maintenir sans autre base qu’un mysticisme touchant et inoffensif.

Lors donc que le Spiritisme veut étendre son empire sur toutes les classes de la société, sur les hommes supérieurs et intelligents, comme sur les âmes délicates et croyantes, il faut qu’il se jette, sans réserve, dans le courant de la pensée humaine, et que par sa supériorité philosophique il sache imposer à la superbe raison le respect de son autorité.

C’est cette action indépendante des adeptes du Spiritisme que comprennent parfaitement les Esprits élevés qui se manifestent. Celui qui se désigne sous le nom de saint Augustin disait dernièrement :

« Observez et étudiez avec soin les communications qui vous sont faites ; acceptez ce que votre raison ne rejette pas, repoussez ce qui la choque ; demandez des éclaircissements sur celles qui vous laissent dans le doute. Vous avez là la marche à suivre pour transmettre aux générations futures, sans crainte de les voir dénaturées, les vérités que vous démêlerez sans peine dans leur cortège inévitable d’erreurs. »

Voilà, en peu de mots, le véritable esprit du Spiritisme, celui que la science peut admettre sans déroger, et celui qui nous servira à conquérir l’humanité. Le Spiritisme, du reste, n’a rien à redouter de son alliance avec la philosophie, car il repose sur des faits incontestables, qui ont leur raison d’être dans les lois de la création. C’est à la science à en étudier la portée, et à coordonner les principes généraux, d’après ce nouvel ordre de phénomènes. Car il est évident que, puisqu’elle n’avait pas pressenti l’existence nécessaire, dans l’espace qui nous entoure, des âmes trépassées ou de celles destinées à renaître, la science doit comprendre que sa philosophie première était incomplète, et que des principes primordiaux lui avaient échappé.

La philosophie, au contraire, a tout à gagner à considérer sérieusement les faits du Spiritisme ; d’abord, parce que ceux-ci sont la sanction solennelle de son enseignement moral, et que, par eux, elle prouvera aux plus endurcis la portée fatale de leur inconduite. Mais, quelque importante que soit cette justification positive de ses maximes, l’étude approfondie des conséquences, qui se déduisent de la constatation de l’existence sensible de l’âme à l’état non incarné, lui servira ensuite pour déterminer les éléments constitutifs de l’âme, son origine, ses destinées, et pour établir la loi morale et celle du progrès animique sur des bases certaines et inébranlables. De plus, la connaissance de l’essence de l’âme conduira la philosophie à la connaissance de l’essence des choses et de celle même de Dieu, et lui permettra d’unir toutes les doctrines qui la divisent dans un seul et même système général véritablement complet.

Enfin, ces divers développements de la philosophie, provoqués par cette précieuse détermination de l’essence animique, la conduiront infailliblement sur les traces des principes fondamentaux de l’ancienne cabale, et de l’antique science occulte des hiérophantes, dont la Trinité chrétienne est le dernier rayon lumineux parvenu jusqu’à nous. C’est ainsi que par la simple apparition des âmes errantes, on parviendra, comme nous avons tout lieu de l’espérer, à constituer la chaîne non interrompue des traditions morales, religieuses et métaphysiques de l’humanité ancienne et moderne.

Cet avenir considérable, que nous concevons à la philosophie alliée au Spiritisme, ne paraîtra pas impossible à ceux qui ont quelque notion de cette science, s’ils considèrent le vide des principes sur lesquels se fondent les diverses écoles, et l’impuissance qui en résulte pour elles, d’expliquer la réalité concrète et vivante de l’âme et de Dieu. C’est ainsi que le matérialisme se figure que les êtres ne sont que des phénomènes matériels, semblables à ceux que produisent les combinaisons des substances chimiques, et que le principe qui les anime fait partie d’un prétendu principe vital universel. D’après ce système l’âme individuelle n’existerait pas, et Dieu serait un être complètement inutile.

Les disciples de Hégel, de leur côté, s’imaginent que l’idée, ce phénomène indiscipliné de notre âme, est un élément en soi, indépendant de nous ; qu’elle est un principe universel qui se manifeste par l’humanité et son activité intellectuelle, comme aussi par la nature et ses merveilleuses transformations. Cette école nie, par conséquent, l’individualité éternelle de notre âme, et la confond, dans un seul tout, avec la nature. Elle suppose qu’il existe une identité parfaite entre l’univers visible et le monde moral et intellectuel ; que l’un et l’autre sont le résultat de l’évolution progressive et fatale de l’idée primitive, universelle, de l’absolu en un mot. Dieu, dans ce système, n’a également nulle individualité, nulle liberté, et ne se connaît pas personnellement. Il ne s’est aperçu lui-même, pour la première fois, qu’en 1810, par l’entremise de Hégel, lorsque celui-ci l’a reconnu dans l’idée absolue et universelle. (Historique.)

Enfin, notre école spiritualiste, vulgairement appelée l’éclectisme, considère l’âme comme n’étant qu’une force sans étendue et sans solidité, une intelligence insaisissable dans le corps humain, et qui, une fois débarrassée de son enveloppe, tout en conservant son individualité et son immortalité, n’existerait plus ni dans le temps ni dans l’espace. Notre âme serait donc un je ne sais quoi sans lien avec ce qui existe, et ne remplirait aucun lieu déterminé. Dieu, selon ce même système, n’est pas plus saisissable. Il est la pensée parfaite, et n’a également ni solidité, ni stabilité, ni forme, ni réalité sensible ; c’est un être vide ; sans notre raison nous ne pourrions en avoir aucune intuition. Cependant, quels sont ceux qui ont inventé l’athéisme, le scepticisme, le panthéisme, l’idéalisme, etc. ? Ce sont les hommes de raison, les intelligents, les savants ! Les peuples ignorants, dont les sensations sont les principaux guides, n’ont jamais douté ni de Dieu, ni de l’âme, ni de son immortalité.

La raison, seule, semble donc être une mauvaise conseillère  !

Ces doctrines, comme on peut s’en convaincre, manquent, en conséquence, d’un principe réel, stable, vivant, de la notion de l’Être réel.

Elles se meuvent dans un monde intelligible qui ne touche point à la réalité concrète. Le vide de leurs principes se reporte sur l’ensemble de leurs systèmes, et les rend aussi subtils que vagues et étrangers à la réalité des choses. Le sens commun lui-même s’en offense, malgré le talent et la prodigieuse érudition de leurs adhérents. Mais le Spiritisme est encore plus brutal à leur égard, il renverse tous ces systèmes abstraits, en leur opposant un fait unique : la réalité substantielle, vivante et actuelle de l’âme non incarnée. Il la leur montre, comme un être personnel, existant dans le temps et dans l’espace, bien qu’invisible pour nous ; comme un être ayant son élément solide, substantiel et sa force active et pensante. Il nous montre même les âmes errantes se communiquant à nous par leur propre initiative ! Il est évident qu’un pareil événement doit faire crouler tous ces châteaux de cartes, et évanouir, d’un trait, ces superbes échafaudages de fantaisie.

Mais pour surcroît de confusion, on peut prouver aux partisans de ces doctrines alambiquées, que tout homme porte dans sa propre conscience les éléments suffisants pour démontrer l’existence de l’âme, telle que le Spiritisme l’établit par les faits ; de façon que leurs systèmes, non-seulement sont erronés à leur point d’arrivée, mais ils le sont encore à leur point de départ. Aussi, le plus sage parti qui reste à prendre à ces honorables savants, c’est de refondre complètement leur philosophie, et de consacrer leur profond savoir à la fondation d’une science première, plus précise et plus conforme à la réalité.

C’est qu’effectivement nous portons en nous-mêmes quatre notions irréductibles, qui nous autorisent à affirmer l’existence de notre âme, telle que le Spiritisme nous la présente. Premièrement, nous avons en nous le sentiment de notre existence. Ce sentiment ne peut se révéler que par une impression que nous recevons de nous-mêmes. Or, nulle impression ne se fait sur un objet privé de solidité et d’étendue ; de sorte que par le seul fait de nos sensations, nous devons induire que nous avons en nous un élément sensible, subtil, étendu et résistant : c’est-à-dire, une substance. Secondement, nous avons en nous la conscience d’un élément actif, causateur, qui se manifeste dans notre volonté, notre pensée et nos actes. En conséquence, il est encore évident que nous possédons en nous un second élément : une force. Donc, par le seul fait que nous nous sentons et que nous nous savons, nous devons conclure que nous renfermons deux éléments constitutifs, force et substance ; c’est-à-dire une dualité essentielle, animique.

Mais ces deux notions primitives ne sont pas les seules que nous portons en nous. Nous nous concevons encore, en troisième lieu, une unité personnelle, originale, qui reste toujours identique à elle-même ; et quatrièmement, une destinée également personnelle ; car tous, nous cherchons notre bonheur et nos propres convenances dans toutes les circonstances de notre vie. De manière qu’en joignant ces deux nouvelles notions, qui constituent notre double aspect, aux deux précédentes, nous reconnaissons que notre être renferme quatre principes bien distincts : sa dualité d’essence et sa dualité d’aspect.

Or, comme ces quatre éléments de la connaissance de notre moi, qui nous portent à nous affirmer personnellement, sont des notions indépendantes du corps, qu’elles n’ont aucun rapport avec notre enveloppe matérielle, il est péremptoire et évident, pour tout esprit juste et non prévenu, que notre être dépend d’un principe invisible, nommé Ame ; et que cette âme existe comme telle, parce qu’elle a une substance et une force, une unité et une destinée propres et personnelles.

Tels sont les quatre éléments primordiaux de notre individualité animique, dont chacun de nous porte la notion dans son sein, et qu’aucun homme ne saurait récuser. En conséquence, comme nous l’avons dit, la philosophie a possédé, de tous les temps, les éléments suffisants pour la connaissance de l’âme, telle que le Spiritisme nous la fait connaître. Si donc jusqu’à présent la raison humaine n’a pas réussi à construire une métaphysique vraie et utile qui lui ait fait comprendre que l’âme doit être considérée comme un être réel, indépendant du corps, et capable d’exister par elle-même, substantiellement et virtuellement, dans le temps et dans l’espace, c’est qu’elle a dédaigné l’observation directe des faits de conscience, et que, dans son orgueil et sa suffisance, la raison s’est mise au lieu et place de la réalité.

D’après ces observations on peut comprendre combien il importe à la philosophie de s’unir au Spiritisme, puisqu’elle en retirera l’avantage de se créer une science première sérieuse et complète, fondée sur la connaissance de l’essence de l’âme et des quatre conditions de sa réalité.

Mais il n’est pas moins nécessaire au Spiritisme de s’allier avec la philosophie, parce que ce n’est que par elle qu’il pourra établir la certitude scientifique des faits spirites qui font la base fondamentale de sa croyance, et d’en tirer les conséquences importantes qu’ils contiennent. Sans doute il suffit au bon sens de voir un phénomène pour croire à sa réalité ; et beaucoup s’en contentent ; mais la science a eu trop souvent des motifs de douter des protestations du sens commun, pour ne pas se méfier des impressions de nos sens et des illusions de notre imagination. Le bon sens ne suffit donc pas pour établir scientifiquement la réalité de la présence des Esprits autour de nous. Pour en être certain d’une façon irréfutable, il faut établir rationnellement, d’après les lois générales de la création, que leur existence est nécessaire par elle-même, et que leur présence invisible n’est que la confirmation des données rationnelles et scientifiques, telles que nous venons d’en indiquer quelques-unes d’une manière sommaire. Ce n’est donc que par la méthode philosophique que l’on peut obtenir ce résultat. C’est là un travail nécessaire à l’autorité du Spiritisme, et c’est la philosophie seule qui peut lui rendre ce service.

En général, pour réussir dans quelque entreprise que ce soit, il est nécessaire de joindre la connaissance des principes à l’observation des faits. Dans les circonstances particulières au Spiritisme, il est bien plus nécessaire encore de procéder de cette manière rigoureuse pour arriver à la vérité, parce que notre nouvelle doctrine touche à nos intérêts les plus chers et les plus élevés, à ceux qui constituent notre bonheur présent et éternel. En conséquence, l’union du Spiritisme et de la philosophie est de la plus haute importance pour le succès de nos efforts et pour l’avenir de l’humanité.

F. HERRENSCHNEIDER.


[Revue de novembre 1863.]

2. UNION DE LA PHILOSOPHIE ET DU SPIRITISME.

PAR M. HERRENSCHNEIDER.
(2e article. - Voir la Revue de septembre 1863.)

Le principe de la dualité de l’essence de l’âme et le système spirituel de M. Cousin et de son école.

Nous avons cherché à prouver, dans notre dernier article, que si, en général, messieurs les libres penseurs voulaient se donner la peine d’examiner les motifs qui leur permettent de s’affirmer, de dire « je » ou «  moi, » ils arriveraient à la connaissance de leur double, essence ; qu’ils se convaincraient que leur âme est constituée de façon à exister séparément du corps, aussi bien que dans son enveloppe, et qu’ils en comprendraient l’erraticité, lorsqu’après le trépas elle a quitté sa matière terrestre. De sorte que leur science, si elle était fondée sur le véritable principe de la constitution de l’âme, confirmerait les faits spirites, au lieu de les contredire avec tant de persistance. En effet, notre notion du moi se compose principalement du sentiment et de la connaissance que nous avons de nous-mêmes, et ces deux phénomènes intimes, évidents pour tout le monde, impliquent péremptoirement deux éléments distincts dans l’âme : l’un passif, sensible, étendu et solide, qui reçoit les impressions ; l’autre actif, inétendu et pensant, qui les perçoit. En conséquence, si nous possédons, à côté d’un élément virtuel, un élément résistant et permanent, différent de notre corps, nous ne pouvons nous dissoudre par la mort ; notre immortalité est prouvée, et notre préexistence en est une conséquence naturelle. Nos destinées sont donc indépendantes de notre séjour terrestre, et celui-ci n’est plus qu’un épisode plus ou moins intéressant pour nous, selon les évènements qui le remplissent.

La dualité de l’essence de notre âme est, d’après ces observations, un principe important, puisqu’elle nous instruit sur notre existence réelle et immortelle. Mais elle est un principe d’autant plus important, qu’elle est la source unique où nous puisons la conscience certaine de notre individualité, et qu’elle est ainsi l’origine de notre science, de celle dont nous ne pouvons pas douter, et sur laquelle repose tout le reste de nos connaissances. Effectivement, nous commençons tous par nous connaître d’abord, avant de remarquer ce qui nous entoure ; et nous mesurons à notre toise tout ce que nous examinons, et ce que nous jugeons. Il est donc indispensable de remarquer, pour l’étude de la vérité, que notre savoir part de nous, pour revenir à nous ; qu’il est un cercle que nous formons nous-mêmes, qui nous entoure et qui nous enlace fatalement à notre insu. Les philosophes actuels l’ignorent, et le subissent sans s’en apercevoir. C’est lui qui les éblouit, qui les aveugle, et qui les empêche de regarder au delà et au-dessus d’eux. Aussi n’aurons-nous que trop souvent l’occasion de constater leur aveuglement.

Les Anciens, au contraire, connaissaient ce cercle et son influence mystérieuse, car ils symbolisaient la science sous la figure d’un serpent qui se mord la queue, après s’être retourné sur lui-même. Ce qui signifiait, à leurs yeux, que notre savoir part d’un point donné, fait le tour de notre horizon intellectuel, et rejoint son point de départ. Or, si ce point de départ est élevé, et que le regard soit perçant, l’horizon est étendu et la science est vaste ; si ce point, par contre, rase le sol, et que la vue soit troublée, l’horizon est restreint et l’intelligence des choses limitée. Ainsi, tels que nous sommes personnellement, tel est l’ensemble et la portée de nos connaissances. Par ce motif il devient évident que la première condition de la science individuelle est de s’examiner soi-même, non-seulement pour distinguer ses qualités, ses défauts et ses vices, mais pour connaître d’abord la constitution intime de notre être, et ensuite pour élever notre esprit et pour former notre caractère.

Donc, la vraie science n’est pas faite pour chacun. Celui qui y aspire doit non-seulement avoir de l’intelligence et de l’instruction, mais, surtout, être sérieux, sobre, sage, ne pas se laisser guider par le caprice de son imagination, par sa vanité, par ses intérêts et par sa suffisance. Ce qui doit guider le véritable amant de la vérité, c’est un amour désintéressé pour ce but vénéré ; c’est la volonté énergique et constante de ne jamais s’arrêter, et de séparer rigoureusement l’ivraie de la bonne semence. Plus l’homme se possède, et plus il est calme et noble, mieux il saura discerner les sentiers qui le conduiront à la vérité ; plus il est léger, présomptueux ou passionné, plus il corrompra par son haleine impure les fruits qu’il cueillera sur l’arbre de la vie.

La première condition pour arriver à la connaissance des choses, c’est donc le caractère individuel ; et c’est par cette raison que, dans l’antiquité, des épreuves solennelles précédaient toute initiation.

Aujourd’hui le savoir est répandu sans discernement, chacun croit pouvoir y prétendre ; mais aussi la vérité est moins que jamais bien accueillie, tandis que les doctrines les plus étranges trouvent de nombreux adhérents. On devrait donc se convaincre que les esprits indifférents, rétrécis par les sciences exactes et naturelles, emportés par l’imagination, ou bouffis d’impertinence, sont impropres à la recherche de la vérité, et qu’il serait plus prudent de réserver ce noble labeur pour quelques élus. Cependant des dispositions plus sensées se manifestent aujourd’hui par l’avènement du Spiritisme ; et, en effet, les Spirites sont des hommes bien disposés pour la recherche de la vérité, parce qu’en se séparant du tourbillon général qui entraîne la société, ils ont renoncé d’eux-mêmes aux vanités mondaines, aux principes superficiels des libres penseurs, et à la superstition officielle des cultes reconnus. Ils font preuve d’une saine indépendance, d’un amour sincère de la vérité, et d’une touchante sollicitude pour leurs intérêts éternels. Ce sont là les meilleures dispositions morales pour aborder les graves problèmes de l’âme, du monde et de la Divinité. Pour notre bien éternel, essayons donc de nous entendre, et de suivre ensemble les traces qui nous conduiront à la voie sacrée. Car nous avons besoin de nous aider réciproquement pour atteindre le but que nous cherchons tous, celui de nous éclairer sur ce qui, seul, est réel et durable.

Après les dispositions morales que nous venons d’indiquer, la chose la plus indispensable pour bien s’engager dans l’œuvre délicate de l’initiation, c’est la connaissance du principe de la dualité de l’essence de l’âme ; car c’est lui qui est une partie du secret mystérieux du Sphinx.  n

Il est une des clefs de la science, et, sans la posséder, tous les efforts deviennent inutiles pour y atteindre. Ce principe de l’essence de l’âme, seul, renferme, comme conséquences, les notions considérables que nous désirons acquérir, tandis que tous les principes secondaires que l’on a découverts jusqu’à ce jour ne s’élèvent pas assez haut pour dominer le vaste horizon des connaissances humaines, et pour en embrasser tous les détails. Les principes inférieurs égarent ceux qui s’en servent dans le dédale des nombreux faits qu’ils n’éclairent point ; et c’est par l’insuffisance de leurs principes premiers que les philosophes se sont fourvoyés, et qu’ils se sont perdus dans les subtilités arbitraires de leurs doctrines incomplètes. Ils ont fatalement porté la confusion là où ils ont cru toucher à la vérité. Dans ces matières, plus délicates encore que difficiles, le principe vrai, seul, répand la lumière, résout aisément tous les problèmes, et ouvre les portes secrètes qui conduisent au sanctuaire le plus reculé. Or, nous savons déjà que nous portons ce principe en nous-mêmes, et que pour le découvrir il ne s’agit que de s’étudier, mais de s’étudier avec calme et impartialité. Nous savons que ce principe est la dualité de notre essence animique, de sorte que nous n’avons plus qu’à dévider avec précaution le fil dont nous tenons le nœud le plus important. Mais à mesure que nous avancerons dans notre étude psychologique, nous consulterons néanmoins les travaux de nos plus illustres philosophes, afin de reconnaître en quoi ils ont failli, et en quoi leurs doctrines confirment nos propres recherches.

Ainsi, comme nous l’avons fait remarquer ci-dessus, il nous paraît évident que tout ce qui tient en nous à l’ordre sensible dépend de la substance de notre âme ; car elle en est l’élément étendu et solide, qui reçoit toutes les impressions du dehors, et qui se ressent de notre activité intime. Notre âme, en effet, ne saurait être touchée d’une manière quelconque, sans présenter un obstacle, d’abord, aux oscillations du milieu ambiant, et, ensuite, aux vibrations des émotions qui nous affectent intimement. Donc c’est cette manière d’être toute naturelle qui nous explique nos rapports avec tout ce qui existe, avec ce qui n’est pas nous, avec notre non-moi moral, intellectuel et physique, visible ou invisible. La solidité et l’étendue de notre substance n’est évidemment pas à rejeter en principe. Cependant ce n’est pas cette opinion qui règne à l’Université et à l’Institut. Le spiritualisme la nie comme absurde, sous le prétexte spécieux que la divisibilité, qui en serait la conséquence, impliquerait la corruptibilité de la substance. Mais ce n’est là qu’un malentendu ; car ce qui importe à l’incorruptibilité de la nature animique, c’est la simplicité chimique de sa fluidité corporelle, et non son indivisibilité mécanique, au défaut de laquelle il y a mille manières de remédier : tandis que, pour rester dans la vérité scientifique, il faut se garder d’admettre un effet sans cause, une impression possible sans résistance. Aussi la sensibilité de notre âme n’apprend rien à notre école spiritualiste ; elle rattache gratuitement les sentiments à la raison, attribue les sensations à l’organisme matériel, et ne s’explique pas sur la connexion de ces diverses facultés. C’est là une des causes de son impuissance philosophique.

Quant à nous, la sensibilité de notre âme est la preuve irrécusable de la solidité et de l’étendue de sa substance ; et c’est la notion de ces propriétés qui nous ouvre un vaste champ d’observation. Ainsi, d’abord, l’étendue et la solidité substantielle permettent à notre âme de prendre différentes formes, et de renfermer le type de tous les organes qui composent notre organisme corporel. Elle sert ainsi d’origine et de soutien à nos nerfs, à nos sens, à notre cerveau, à nos viscères, à nos muscles et à nos os, et nous permet de nous incarner par le moyen de cette loi de la mutabilité des molécules corporelles, si connue de nos modernes physiologistes. Nos savants supposent seulement, à tort, selon nous, que cette loi est l’effet d’une force mystérieuse de la matière, qui se renouvelle, s’absorbe, s’écoule et se forme d’elle-même ; car la matière est inerte et ne forme rien de sa propre initiative. Cette mutabilité est évidemment l’effet de l’activité instinctive de notre double essence animique, qui se trouve sous notre enveloppe, et l’existence de cette loi prouve que notre incarnation est dans l’ordre de la nature, puisqu’elle est continue, et qu’au bout d’une série d’années notre corps se renouvelle régulièrement. La formation de notre revêtement matériel et notre incarnation successive s’expliquent de cette façon tout naturellement.

Mais, de plus, cette substantialité étendue de notre âme nous fait également comprendre le lien qui existe entre elle et notre corps ; car notre organisme visible n’étant que la couverture de notre organisme substantiel, tout ce qui est ressenti par l’un doit nécessairement retentir dans l’autre. Les émotions de la substance de l’âme doivent ébranler le corps, et l’état de celui-ci doit affecter inévitablement ses propres dispositions morales et intellectuelles. Voilà le premier enseignement qui résulte de la nature concrète de notre substance.

Le second enseignement que nous en retirons, c’est que la partie de la substance de notre âme qui ne sert pas de type à notre organisme matériel doit être la base de notre sens intime, de celui qui reçoit toutes nos impressions morales et intellectuelles, et qui nous met en contact avec la substance divine elle-même ; de sorte que notre substance reçoit les impressions du rayonnement de toutes les existences et de toutes les activités possibles, et se trouve être l’origine première de toutes nos notions. C’est de la même manière que nous recevons la connaissance de nous-mêmes. Car si l’on demande à un sceptique comment il peut s’affirmer, sans aucune réserve, il répondra : «  C’est que je me sens, » parce que le sceptique lui-même ne peut douter de ses sensations. Cependant se sentir n’est pas toute notre connaissance : le sceptique ne peut non plus nier qu’il sait qu’il se sent. Or, la perception de notre sentiment est la conséquence de notre activité intellectuelle ; ce qui prouve que notre âme n’est pas seulement passive, qu’elle est aussi active, qu’elle veut, qu’elle perçoit, qu’elle pense, qu’elle est causatrice et libre de son propre chef. Nos organes mêmes fonctionnent sans que nous en ayons conscience, de sorte qu’on est forcé d’attribuer à notre âme un second élément, un élément actif, virtuel, c’est-à-dire une force essentielle, qui est attentive lorsque notre sensibilité est éveillée, qui veut par l’effet de son propre mouvement, qui perçoit, pense et réfléchit au moyen de notre organe cérébral, qui agit à l’aide de nos membres, et qui anime notre organisme d’un mouvement involontaire. C’est par la présence dans notre âme de ce double ordre essentiel : de l’ordre substantiel passif et sensible, et de l’ordre virtuel actif et pensant, que nous nous sentons, que nous nous savons, et que nous avons la conscience de notre personnalité propre, sans nul secours du monde extérieur.

Notre force animique, c’est notre élément spirituel par excellence, car elle n’a pas d’étendue ni de solidité par elle-même. Elle ne nous est connue que par son activité. Dès qu’elle ne veut, ni ne pense, ni n’agit, elle est comme si elle n’existait pas ; et si notre âme n’était pas substantiellement concrète, par la vertu d’un autre élément, notre corps n’aurait pas de consistance, et ne serait qu’un amas de poussière. Notre âme ne pourrait pas même exister dans l’erraticité, elle se perdrait dans le néant, à moins de supposer, avec le spiritualisme, un mystère impénétrable, qui lui permette d’exister sans avoir d’étendue ni de solidité, supposition que le Spiritisme et les lois naturelles rendent complètement inadmissible. Cependant c’est notre force essentielle que Leibniz considère comme étant notre substance, sans égard pour sa nature fugitive ; et l’école spiritualiste française le répète à son exemple, sans s’arrêter à cette confusion illogique. Toutefois, il ne suffit pas d’appeler force une substance pour qu’elle le soit réellement, et de considérer cette substance imaginaire comme étant le fond de notre être, pour qu’on sorte du vide des abstractions. Une substance n’est telle que par son état concret, par son étendue et sa solidité, quelque subtile qu’on veuille la concevoir, et c’est ce que notre école spiritualiste se plait à passer sous silence. Aussi c’est là une autre cause de son impuissance morale et philosophique.

Notre force essentielle n’est que le principe de notre activité ; elle nous anime, mais ne nous constitue pas. Elle est le principe de notre vie, mais non celui de notre existence. Elle est partout dans notre substance, se répand avec elle dans tout notre être, et en reçoit directement les impressions sans notre concours volontaire. C’est par cette union étroite de nos deux éléments essentiels que notre organisme fonctionne spontanément, que nos sensations réveillent de suite notre attention, et nous portent, sans autre intermédiaire, à percevoir la cause de nos impressions, que notre conscience est un ensemble de sentiments et de réflexions, et que toute notion, quel qu’en soit l’objet, exige que nous le sentions et que nous le sachions. Dès lors seulement nous sommes certains de son existence. C’est par ce même procédé que nous avons la connaissance de l’Être suprême. Nous avons la sensation de sa présence par notre sens intime, et nous expliquons cette sensation sublime par notre raison ; car l’idéal du vrai, du bien et du beau est d’abord dans notre cœur, avant d’entrer dans notre tête. Les peuples sauvages ne s’y trompent pas ; ils ne doutent pas de Dieu ; ils se le figurent simplement selon le niveau de leur grossière intelligence, tandis que nous voyons nos savants se disputer sur sa personnalité, parce qu’ils prétendent ne rien admettre que par la force de leur raisonnement, et parce qu’ils se débattent dans les abstractions, sans prendre leur point d’appui dans l’ordre sensible.

Telle est la constitution de notre âme. Elle se compose de deux éléments bien distincts entre eux, et qui sont néanmoins indissolublement unis ; car jamais et nulle part ces éléments ne se sont rencontrés séparément : toute substance a sa force et toute force a sa substance. Aussi cette dualité se trouve réunie dans l’essence de tout ce qui existe ; elle est dans la matière, dans l’âme, en Dieu. Nous le répétons, cette distinction dans l’unité est à admettre nécessairement, parce que chacun de ces éléments est bien caractérisé ; parce qu’ils ont leurs propriétés respectives et leur modalité catégorique ; et parce que c’est une loi universelle qu’un même principe ne peut avoir des effets contraires, que des qualités qui s’excluent trahissent autant de principes particuliers. Mais leur unité n’est pas moins péremptoire, parce que nulle fonction, nulle faculté, nul phénomène ne se produit en nous et ailleurs sans le concours simultané de ces deux éléments irréductibles.

C’est cette unité dans cette dualité constante de notre âme qui nous explique encore ce phénomène psychologique important, à savoir : la spontanéité instinctive de toutes nos facultés et de toutes nos fonctions, ainsi que la formation de notre caractère et de notre nature morale intime. Effectivement, nos impressions se conservent en nous et se reproduisent involontairement ; de sorte que, comme la substance est l’élément passif et permanent de notre âme, il faut lui attribuer la propriété de conserver nos sensations, de les concréter en elle, et de les transmettre, à l’occasion, à l’attention de notre force essentielle. Ces impressions étant de toutes espèces, il se forme en nous, par cette propriété conservatrice, un ordre moral, intellectuel et pratique permanent, qui se manifeste par notre activité instinctive et spontanée, qui nous inspire nos sentiments et nos idées, et qui guide nos actes sans notre concours volontaire, et souvent même malgré nous. De plus, ces sentiments et ces idées acquises se groupent dans notre âme, et nous produisent de nouvelles idées et de nouvelles images, auxquelles nous sommes quelquefois loin de nous attendre. Les fonctions psychologiques de notre substance unie à notre force essentielle, sont donc très multipliées, et nous forment une nature morale, intellectuelle et pratique spontanée, qui est le fond de notre caractère, l’origine de nos dispositions naturelles. Notre substance renferme donc à l’état latent, ou en puissance, comme s’exprime l’école, toutes nos qualités, toutes nos connaissances, toutes nos habitudes passées en nous à l’état permanent.

En conséquence, c’est à elle et à son activité instinctive qu’il faut attribuer la mémoire, l’imagination, l’esprit et le sens naturels, ainsi que l’origine de nos idées et celle de nos sentiments.

Cet ordre substantiel instinctif existe incontestablement dans notre âme. Chacun se connaît une nature morale permanente, des dispositions intellectuelles et des habitudes propres, qui lui facilitent sa carrière et sa conduite, si elles sont bonnes ; ou qui empêchent ses succès et l’entraînent dans des écarts déplorables, si elles sont mauvaises. Nos philosophes seuls n’en sont pas frappés ; car n’ayant point admis, comme nous l’avons déjà fait remarquer, un ordre psychologique substantiel, ils se sont condamnés à devoir attribuer tout ce qui est résistant dans notre âme à l’influence de la matière, et de confondre tout ce qui est sensible et vivant avec notre intelligence. Aristote, il est vrai, reconnaît dans l’homme un ordre potentiel, où toutes nos qualités sont en puissance ; mais il le définit mal, et le confond aussi avec la matière.

Depuis lors, personne ne s’est plus occupé de cet ordre spécial que M. Cousin. Mais ce philosophe contemporain, ne reconnaissant à notre âme que l’intelligence, n’en a considéré que l’activité spontanée, sans en rechercher l’origine dans l’élément permanent de notre nature animique.

Il la désigne comme étant la raison spontanée et instinctive, en opposition de la raison réfléchie, sans remarquer quelle contradiction il existe entre l’instinct et la réflexion, qualités qui s’excluent, et qui évidemment ne peuvent appartenir au même principe !

Aussi M. Cousin ne tire que des conséquences limitées de cette découverte, et c’est par cette raison que sa psychologie, ainsi que celle de son école, est restée une science sèche, illogique et sans grande portée.

Arrêtons actuellement nos pensées sur l’ensemble des observations qui précèdent, car elles nous ont fait connaître des phénomènes psychologiques inconnus jusqu’à ce jour. Elles nous ont fait constater dans notre âme l’existence de deux ordres moraux, intellectuels et pratiques bien distincts et fortement caractérisés : l’un se rapportant parfaitement aux propriétés particulières de notre substance, qui sont la permanence, l’étendue et la solidité ; l’autre, à celles de notre force essentielle, qui sont sa causalité, son inétendue et son intermittence. Le premier est passif, sensible, conservateur ; le second est actif, volontaire et réfléchi. L’union intime de nos deux éléments essentiels produit, de plus, en nous, notre triple activité instinctive, qui est le reflet direct de l’état véritable de nos qualités et de nos défauts naturels.

En effet, d’une part, plus notre nature substantielle sera sensible, délicate et conservatrice, et notre activité instinctive vivante et énergique, plus aussi nos idées et nos sentiments seront purs et élevés, notre bon sens juste, notre mémoire et notre imagination faciles et sûres.

Moins, au contraire, notre état substantiel sera perfectionné, plus lentes et plus bornées seront notre mémoire et notre imagination, plus grossières nos idées, plus vils nos sentiments et plus obtus notre sens commun. Mais, d’autre part, plus notre force causatrice sera énergique, constante et souple, plus notre attention, notre volonté, notre vertu et notre empire sur nous seront forts, plus notre perception, notre pensée, notre jugement et notre raison auront de portée, et plus enfin notre habileté sera grande et notre conduite honorable, parce que toutes ces qualités et facultés dérivent de notre élément virtuel. Par contre, autant que notre force essentielle sera molle, engourdie ou roide, autant notre brutalité et notre lâcheté morale et intellectuelle se produiront au grand jour. De façon que notre valeur dépend aussi bien de l’état des qualités et des propriétés de l’un que de l’autre élément de notre âme.

Tel est le tableau sommaire que présente la constitution intime de notre essence animique, et que nous révèle notre double faculté de nous sentir et de nous savoir. Ce tableau nous la montre d’abord dans son unité vivante, puisque nous découvrons le double principe de son activité et de sa passivité, de sa permanence et de sa causalité, de son existence dans le temps et dans l’espace, et de son indépendance propre et distincte de Dieu, du monde et de son enveloppe matérielle. Il nous la montre ensuite dans sa diversité merveilleuse, puisque nous reconnaissons l’origine de ses qualités et de ses facultés, de ses fonctions et de son organisme, dans les propriétés respectives de nos éléments essentiels, et dans leur concours réciproque. Ce tableau, pourtant, n’est qu’une première ébauche, et néanmoins il est facile d’y remarquer la méthode d’observation rigoureuse que nous y avons suivie, et qui est celle que Bacon a découverte, que Descartes a introduite dans la psychologie, que l’école écossaise a appliquée, et que l’école spiritualiste et éclectique a observée dans toute sa doctrine. Nous nous rencontrons donc sur le même terrain que toute la philosophie sérieuse, et si nous sommes souvent en désaccord avec nos illustrations académiques, c’est que nous ne pouvons nous défendre de croire que la plupart des faits de conscience ont été, par elles, mal observés et mal expliqués.

En effet, l’éclectisme spiritualiste nous reconnaît trois facultés principales : la volonté, la sensation et la raison. Ces facultés se distinguent de notre corps, qui est solide et étendu ; de sorte que nous possédons nécessairement une âme inétendue et spirituelle. Cette constatation faite, l’éclectisme ne se demande pas, ni comment notre âme doit être constituée pour être sensible, ni si la volonté et la raison, qui sont actives toutes les deux, ne sont pas deux manifestations d’un même principe virtuel. Ce sont là des questions qui ne l’inquiètent pas. Il soutient seulement que, de ces trois facultés, la volonté seule nous appartient en propre, puisque, seule, elle est le résultat d’une force substantielle inétendue, qui est le principe primordial de notre moi. La sensibilité, à ses yeux, n’est que l’effet du choc, qui résulte de l’action que la force du monde extérieur exerce sur la nôtre par l’entremise de notre organisme ; mais l’éclectisme ne recherche pas plus comment notre force inétendue tient à notre organisme, ni comment, dans cet isolement inétendu, elle peut recevoir un choc, qu’il n’a expliqué comment nous pouvons être sensibles. Ce sont là de petits mystères qui ne sauraient l’arrêter. La raison, selon lui, est la faculté souveraine de la connaissance, mais elle est impersonnelle, c’est-à-dire elle ne nous appartient pas, quoique nous nous en servions. Dire ma raison est donc, selon M. Cousin, un non-sens, par le motif qu’on ne dit pas ma vérité. Ce motif ne nous paraît pas bien concluant, mais c’est probablement notre faute. Effectivement, dans son système, la raison est l’ensemble des vérités nécessaires et universelles ; vérités telles que, : les principes de la causalité, de la substance, de l’unité, du vrai, etc. La collection de ces principes forme donc, selon lui, la raison divine, dont nous participons par la volonté ineffable du Tout-Puissant. Mais c’est là ce qu’il faut croire sur sa parole, car nous ne voyons pas précisément comment une collection de vérités, quelque universelles qu’elles soient, pourrait constituer la raison divine et humaine. Vulgairement, les vérités sont des lois, et la raison est une faculté. Or, je vois le soleil, mais jamais la faculté de le voir n’a été prise pour le soleil ni pour le moindre de ses rayons. C’est donc là un nouveau mystère à ajouter aux précédents. De sorte que, dans cette doctrine, rien ne s’explique de soi, rien ne se tient, et notre âme n’y est représentée que comme un assemblage hétérogène de facultés, de qualités, de fonctions distinctes, reliées ensemble, au hasard, comme des feuilles éparses que l’on aurait réunies en un volume sous ce titre pompeux : Doctrine philosophique du dix-neuvième siècle.

La deuxième préface de la troisième édition des Fragments philosophiques en contient un résumé intéressant à plus d’un titre.

D’après ces considérations on peut juger des causes qui font de la philosophie spiritualiste officielle, malgré ses bonnes intentions, une doctrine bizarre et indigeste. On serait même autorisé à la traiter plus durement, si l’on perdait de vue les services éminents qu’elle a rendus à l’esprit français en le détournant d’un sensualisme immoral et d’un scepticisme désespérant. C’étaient là évidemment les principales préoccupations de l’illustre philosophe au début de sa brillante carrière ; et, en étudiant ses œuvres remarquables, on voit que Condillac et Kant ont été ses principaux adversaires. Aussi c’est cette lutte qui est la partie importante de ses travaux. Son propre système, au contraire, nous paraît très défectueux, et sa morale, sa théodicée  †  et son ontologie  †  contiennent nombre de points fort controversables. La vérité est une fleur si délicate ! le moindre souffle de l’erreur la flétrit entre nos mains, et la réduit en une poussière pernicieuse et aveuglante. Dans la chaleur du combat ou dans l’émotion de l’ambition, il est surtout difficile de conserver le calme de l’esprit et la délicatesse du sentiment de l’évidence ; de sorte que l’homme préoccupé est facilement entraîné à dépasser les bornes de la vraie sagesse. Heureusement que le Créateur nous a ménagé des faits, des circonstances, des événements providentiels, qui sont assez frappants pour nous ramener dans la bonne voie ; et certes, les doctrines et les faits sur lesquels se fonde le Spiritisme sont de ce nombre. Que nos grands et savants philosophes ne les repoussent point sous le futile prétexte de superstition. Qu’ils les étudient sans parti pris ! Ils y reconnaîtront la nature étendue et solide de notre âme, sa préexistence et sa perpétuité. Ils y trouveront une morale douce et salutaire, bien faite pour ramener tout le monde au bien. Si alors leur esprit demande à s’en rendre compte, qu’ils se mettent franchement à l’œuvre, qu’ils en examinent scientifiquement les principes et les conséquences ; et alors peut-être le principe de la dualité de l’essence de l’âme leur apparaîtra dans toute sa splendeur et dans toute sa puissance ; car il nous semble jeter une vive lumière sur les secrets intimes de notre être. C’est ce que nous continuerons à examiner prochainement.

F. HERRENSCHNEIDER.



[1] L’autre premier principe est la dualité de l’aspect des choses que nous retrouverons plus tard.


Il y a une image de ces articles dans le service Google - Recherche de livres (Revue Spirite 1863.) (Septembre 1863.) — (Seconde article.) (Novembre 1863.) (Remarque : Le mois d’août de la Revue Spirite 1863 n’a pas été correctement numérisé.)


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