1. — Les dernières nouvelles que nous recevons de l’île Maurice † constatent que l’état de cette malheureuse contrée suit exactement les phases annoncées (Revue de juillet 1867, page 208, et novembre 1868, page 321). Elles contiennent en outre un fait remarquable qui a fourni le sujet d’une importante instruction dans la Société de Paris. †
« Les chaleurs de l’été, dit notre correspondant, ont ramené la terrible fièvre, plus fréquente, plus tenace que jamais. Ma maison est devenue une sorte d’hôpital, et je passe mon temps à me soigner ou à soigner mes proches. La mortalité n’est pas très grande, il est vrai, mais après les horribles souffrances que nous cause chaque accès, nous éprouvons une perturbation générale qui développe en nous de nouvelles maladies : les facultés s’altèrent peu à peu ; les sens, surtout l’ouïe et la vue, sont particulièrement affectés. Pourtant, nos bons Esprits, parfaitement d’accord dans leurs communications avec les vôtres, nous annoncent la fin prochaine de l’épidémie, mais la ruine et la décadence des riches, qui, du reste, commencent déjà.
« Je profite du peu de temps que j’ai de disponible pour vous donner les détails que je vous ai promis sur les phénomènes dont ma maison a été le théâtre. Les personnes auxquelles elle appartenait avant moi, insouciantes et négligentes, selon l’usage du pays, l’avaient laissée tomber presque en ruine, et je fus obligé d’y faire de grandes réparations. Le jardin, métamorphosé en basse-cour, était rempli de ces grands arbres de l’Inde, nommés multipliants, † dont les racines, sortant du haut des branches, descendent jusqu’au sol où elles s’implantent, et forment, tantôt des troncs énormes en se superposant les unes aux autres, tantôt des galeries assez étendues.
« Ces arbres ont une assez mauvaise réputation dans ce pays, où ils passent pour être hantés par les mauvais Esprits. Sans égards pour leurs soi-disant mystérieux habitants, comme je ne les trouvais nullement de mon goût, et qu’ils encombraient inutilement le jardin, je les fis abattre. Dès ce moment, il nous devint presque impossible d’avoir un jour de repos dans la maison. Il fallait vraiment être spirite pour continuer à l’habiter. A chaque instant nous entendions des coups frappés de tous les côtés, des portes s’ouvrir et se fermer, des meubles remuer, des soupirs, des paroles confuses ; souvent aussi on entendait marcher dans les chambres vides. Les ouvriers, qui réparaient la maison, furent bien des fois dérangés par ces bruits étranges, mais comme c’était pendant le jour, ils ne s’en effrayaient pas beaucoup, car ces manifestations sont très fréquentes dans le pays. Nous eûmes beau faire des prières, évoquer ces Esprits, les sermonner, ils ne répondaient que par des injures et des menaces, et ne cessèrent pas leur tapage.
« A cette époque nous avions une réunion une fois par semaine ; mais vous ne pouvez vous imaginer tous les mauvais tours qui nous furent joués pour troubler et interrompre nos séances ; tantôt les communications étaient interceptées, tantôt les médiums éprouvaient des souffrances qui les contraignaient à l’inaction.
« Il paraît que les habitués de la maison étaient trop nombreux et trop méchants pour être moralisés, car nous ne pûmes en venir à bout, et nous fûmes obligés de cesser nos réunions où nous ne pouvions plus rien obtenir. Un seul voulut bien nous écouter et se recommander à nos prières. C’était un pauvre portugais, nommé Gulielmo, qui se prétendait victime de ces gens avec lesquels il avait commis, je ne sais quel méfait, et qui le retenaient là, disait-il, pour sa punition. Je pris des informations, et j’appris qu’effectivement un marin portugais de ce nom avait été un des locataires de la maison, et qu’il y était mort.
« La fièvre arriva ; les bruits devinrent moins fréquents, mais ne cessèrent pas ; au reste, nous avons fini par nous y habituer. Nous nous réunissons encore, mais la maladie a empêché nos séances d’être bien suivies. J’ai soin qu’elles aient lieu autant que possible dans le jardin, car nous avons remarqué que, dans la maison, les bonnes communications sont plus difficiles à obtenir, et que ces jours-là nous sommes très tourmentés, la nuit surtout. »
La question des lieux hantés est un fait acquis ; les tapages et perturbations sont chose connue ; mais certains arbres ont-ils une puissance attractive particulière ? Dans la circonstance dont il s’agit, existe-il un rapport quelconque entre la destruction de ces arbres et les phénomènes qui suivirent immédiatement ? La croyance populaire aurait-elle ici quelque réalité ? C’est ce dont l’instruction ci-après paraît donner une explication logique jusqu’à plus ample confirmation.
2.
(Société de Paris, 19 Février 1869.)
Toutes les légendes, quelles qu’elles soient, si ridicules et si peu fondées qu’elles paraissent, reposent sur une base réelle, sur une vérité incontestable, démontrée par l’expérience, mais amplifiée et dénaturée par la tradition. Certaines plantes, dit-on, sont bonnes pour chasser les mauvais Esprits ; d’autres peuvent provoquer la possession ; certains arbustes sont plus particulièrement hantés ; tout cela est vrai en fait, isolément. Un fait a eu lieu, une manifestation spéciale a justifié ce dicton, et la masse superstitieuse s’est empressée de le généraliser ; c’est l’histoire d’un homme qui pond un œuf. La chose court en secret de bouche en bouche, et s’amplifie jusqu’à prendre les proportions d’une loi incontestable, et cette loi qui n’existe pas, est acceptée en raison des aspirations vers l’inconnu, vers l’extra naturel de la généralité des hommes.
Les multipliants ont été, à Maurice surtout, et sont encore, des points de repères pour les réunions du soir ; on s’adosse à leur tronc, on respire l’air à leurs côtés ; on s’abrite sous leur feuillage.
Or, les hommes, en se désincarnant, surtout lorsqu’ils sont dans une certaine infériorité, conservent leurs habitudes matérielles ; ils fréquentent les endroits qu’ils aimaient comme incarnés ; ils s’y réunissent et ils y séjournent ; voilà pourquoi il y a des endroits plus particulièrement hantés ; il n’y vient pas les Esprits des premiers venus, mais bien des Esprits qui les ont fréquentés de leur vivant. Les multipliants ne sont donc pas plus propices à l’habitation des Esprits inférieurs que tout autre abri. La coutume les désigne aux revenants de Maurice, comme certains châteaux, certaines clairières des forêts allemandes, certains lacs sont plus particulièrement hantés par les Esprits, en Europe.
Si l’on trouble ces Esprits, tout matériels encore, et qui, pour la plupart se croient vivants, ils s’irritent et tendent à se venger, à chercher noise à ceux qui les ont privés de leur abri ; de là, les manifestations dont cette dame et bien d’autres ont eu à se plaindre.
La population mauricienne étant, en général, inférieure sous le rapport moral, la désincarnation ne peut faire de l’espace qu’une pépinière d’Esprits très peu dématérialisés, encore empreints de toutes leurs habitudes terrestres, et qui continuent, quoique Esprits, à vivre comme s’ils étaient hommes. Ils privent de tranquillité et de sommeil ceux qui les privent de leur habitation de prédilection, et voilà tout. La nature de l’abri, son aspect lugubre, n’a rien à voir là-dedans ; c’est simplement une question de bien-être. On les déloge, et ils se vengent. Matériels par essence, ils se vengent matériellement, en frappant contre les murs, en se plaignant, en manifestant leur mécontentement sous toutes les formes.
Que les Mauritiens s’épurent et progressent, ils retourneront dans l’espace avec des tendances d’autre nature, et les multipliants perdront la faculté d’abriter les revenants.
Clélie Duplantier.